LES MATELOTS, LE TIMONIER.
Hurrah! la bonne aubaine!
Ah! cher voisin, merci!
Buvons, amis, à tasse pleine.
Merci, voisin! Buvons à lui!
Voisin, s'il te reste la voix,
Éveille-toi! viens, chante et bois!
(À partir de ce moment, le mouvement commence sur le vaisseau hollandais.)
Éveille toi! viens! chante et bois!
Hurrah!
(Ils boivent et choquent fortement leurs gobelets.)
Timonier, viens à nous
Le repos est si doux!
Hiva!
Matelots, carguez,
Et mouillez!
De la mer profonde
Plus d'un grain
Nous fit goûter l'onde,
C'est malsain.
Chantons à la ronde,
Verre en main.
Plus chaude liqueur
Va nous donner du cœur
Hiva!
En narguant
Flots et vent,
Amarrez
Et carguez.
Timonier viens à nous
Le repos est si doux,
Hiva!
Timonier, bois, avec nous,
En narguant
Flots et vent!
LES MARINS NORVÉGIENS, LES MARINS HOLLANDAIS.
L'équipage du Vaisseau fantôme paraît sur le pont du navire. La mer, qui reste calme partout ailleurs, s'agite soudainement autour du Vaisseau fantôme. Une lueur bleuâtre et sinistre flamboie sur le navire comme un fanal de garde. Un vent de tempête se met à siffler dans les cordages. L'équipage qui, auparavant, n'avait pas donné signe de vie, commence à s'animer et exécute avec rapidité les diverses manœuvres.
Ah! Hiva! Hui! Hiva! L'ouragan pousse au port!
Voile au vent, ancre à bord!
Et dans l'anse
On s'élance!
Noir marin, allons, descends!
Déjà sont passés sept ans,
Fais la cour à blonde enfant.
Blonde enfant tiens ton serment!
Quelle fête!
Ô fiancés, la tempête
Et le vent
Des noces c'est le chant!
Capitaine, es-tu de retour?
Voile au vent! mais ta belle
Où donc est-elle?
Vite en mer! Tu n'as pas de bonheur en amour!
Hiva! ah!
Que mugissent vents et flots!
Pour nos voiles nul repos!
Satan même les tissa,
Nul orage n'y mordra!
Ah! Hiva! ah!
Rien n'y fera!
Les matelots norvégiens observent d'abord avec surprise, ensuite avec épouvante ce qui se passe à bord du Vaisseau fantôme.
Pendant le chant des Hollandais leur navire est ballotte par les flots. Un vent horrible se fait sentir à travers les cordages et les voiles qui s'agitent avec un bruit lugubre et menaçant.
Par un contraste surnaturel le calme le plus parfait règne dans l'air et sur la mer, partout, excepté autour du Vaisseau fantôme.
Ah! quels cris
Des esprits!
Je frémis!
Répétons hardiment
Notre chant!
Timonier, viens à nous
Le repos est si doux
Répétons
Nos chansons!
Hiva! ah!
Que mugissent vents et flots,
Pour nos voiles nul repos!
Satan même les tissa,
Nul orage n'y mordra.
Non! rien n'y fera,
Ah! Hiva!
Le chant des Hollandais est devenu de plus en plus sauvage, les Norvégiens cherchent vainement à le dominer par leur chanson. Le tumulte de la mer et le mugissement d'une tempête surnaturelle les réduisent an silence. Au comble de l'épouvante ils s'enfuient en abandonnant le pont de leur navire. Les Hollandais qui les voient fuir, poussent un cri strident de moquerie. Tout à coup un silence profond règne de nouveau sur le Vaisseau fantôme, la mer et la tempête se calment également.
SENTA, ÉRIK.
Senta sort tout émue de la maison. Érik la suit dans une vive agitation.
Que viens-je d'entendre!
Ô fatalité!
Est-ce mensonge ou vérité?…
Ah! laisse-moi! je n'ai rien à t'apprendre.
Ô juste Dieu! nul doute… plus d'erreur!
Par quel pouvoir fatal fus-tu séduite
Et quel attrait t'a fait céder si vite?
C'est en riant que tu brisas mon cœur.
Ton père, lui, guida le fiancé!
Je le connais!… J'avais tout annoncé!…
Mais toi, quand j'y pense,
À peine est-il venu, soudain,
À l'étranger donner ta main…
Silence!…
Ah! je le dois!…
Aveugle obéissance
Et plus aveugle choix!
Sans hésiter je te vis te soumettre,
Du même coup tu m'ôtes tout espoir!…
Assez! va-t'en! il ne faut plus nous voir,
Ni nous connaître.
C'est là mon devoir!
Et quel devoir? Eh quoi! ta foi chancelle!…
Tu m'as promis naguère amour fidèle!…
Quoi! ce serment aurait pu nous lier?
Parle! Senta! Dis! peux-tu le nier?
Te souvient-il du jour où dans la plaine
Auprès de toi tu m'appelais alors,
Ou sur un pic cherchant la fleur lointaine,
Je la cueillais au prix de mille efforts.
Songe à ce jour ou de ce roc qui penche
Nous avons vu ton père fuir le port?
Nous regardions au loin sa voile blanche,
Et c'est à moi qu'il confia ton sort.
Sur mon épaule alors jetant ton bras,
De tes serments ne te souviens-tu pas?
Ta main tremblait dans la mienne, et ce jour
Me présageait le plus fidèle amour!
Les Mêmes, LE HOLLANDAIS.
(Le Hollandais, qui depuis un moment écoutait, accourt dans une violente agitation.)
C'en est fait! Ô misère!…
Ah! tout salut me fuit!…
Que vois-je! Dieu!…
Senta, je pars! adieu!…
Arrête, malheureux!
Senta! que veux-tu faire?…
En mer! En mer! et pour l'éternité…
(À Senta.)
Oui, c'en est fait de ta fidélité…
L'espoir du salut m'est ôté.
Adieu! Je veux au péril te soustraire.
Son aspect fait frémir!…
Attends! d'ici tu ne dois plus partir!…
Voile au vent!
En avant!
Et pour jamais renoncez à la terre!
Peux-tu douter d'un cœur sincère?
Tu dois encor compter sur moi!
Attends! en notre hymen espère,
Car je saurai garder ma foi!
La mer encor, la mer m'appelle,
Doutant de toi, doutant de Dieu!…
Jamais, jamais d'amour fidèle
Et tes serments ne sont qu'un jeu!…
Qu'entends-je, ô ciel! Terreur soudaine
Qu'entends-je et qu'est-ce que je vois!
Senta, ta perte est trop certaine…
Reviens! Satan est avec toi!
Apprends de quel destin je veux te garantir:
Victime, hélas! d'un sort inexorable,
La froide mort voilà mon seul désir.
Seule, de me sauver une femme est capable,
Un cœur, qui soit jusqu'au trépas constant.
Déjà j'ai reçu ton serment,
Mais tu n'as rien promis encore au tout-puissant!
Apprends quel est l'horrible châtiment
Que le destin réserve à l'infidèle:
Damnation éternelle!
Plus d'une a dû subir cette inflexible loi
Mais je veux l'écarter de toi!
Adieu! Je pars et pour l'éternité!
(Il remonte.)
Suis-moi!
À l'aide! Dieu! pitié pour elle.
Je te connais, je connaissais ton sort
Je savais tout quand je t'ai vu d'abord
De tes tourments voici la fin!
Oui, ma fidélité rend ton salut certain.
À l'aide! elle est perdue!
Les Mêmes, DALAND, MARIE, les Jeunes Filles, les Matelots.
(Aux cris d'Érik sont accourus Daland, Marie et les Jeunes Filles, les matelots sont descendus du navire.)
Ah! Dieu!…
Dieu! qu'ai-je vu!
Tu ne sais rien! mon sort t'est inconnu!
(Il montre son vaisseau, dont les voiles rouges sont déployées et dont l'équipage est en train d'appareiller avec une agitation effroyable.)
Demande aux flots, d'un pôle à l'autre,
Au matelot vieilli qui partout navigua,
Ils te diront quel navire est le nôtre
Car le Vaisseau Fantôme, le voilà!
Hohé! Hé! Hiva! Hiva!…
(Le Hollandais, avec la rapidité de l'éclair, monte sur son vaisseau qui s'éloigne à l'instant au bruit des cris de l'équipage; Senta veut suivre le Hollandais, Daland, Érik et Marie la retiennent.)
Senta! reviens à toi!…
(Senta s'est dégagée par un violent effort, elle atteint une pointe de roches qui s'avance dans la mer, de là elle crie au Hollandais qui s'éloigne.)
Gloire à ton ange! Gloire à sa loi!
Jusqu'à la mort je suis à toi!…
(Elle se jette dans la mer. Au même moment le navire du Hollandais s'abîme avec son équipage au milieu des flots. Au fond on voit s'élever au-dessus de la mer le Hollandais et Senta transfigurés. Il la tient embrassée.)