Nur auf LitRes lesen

Das Buch kann nicht als Datei heruntergeladen werden, kann aber in unserer App oder online auf der Website gelesen werden.

Buch lesen: «Dix contes modernes des meilleurs auteurs du jour», Seite 5

Коллектив авторов
Schriftart:

POUR LE RUBAN
PAR MONTJOYEUX

DANS la petite commune de Nançay, en Sologne, vivait un brave homme du nom d'Olivier Folichon. Il y vivait sans rien faire, d'une pension de neuf cents francs que lui servait le gouvernement. Cette double qualité de retraité et de bourgeois sans métier lui avait d'emblée conquis le respect. A la campagne, si médiocre que soit votre revenu, du moment que vous n'exercez aucun emploi, que vous ne travaillez pas à la terre et que vous émargez à titre d'ancien fonctionnaire, vous attirez l'attention et commandez l'estime.

Dans les premiers temps, Folichon restait à l'écart et ne fréquentait personne. Il demeurait confiné dans la masure que lui avait louée Mme Crétu, épicière-mercière-aubergiste, sans chercher à pénétrer dans ce milieu villageois hermétiquement fermé à quiconque n'est pas du pays. Tout étranger, à plus forte raison tout Parisien, y est considéré comme un intrus dangereux. Allez dire aux Solognots qu'un Parisien est leur compatriote: s'ils ne vous répondent pas que vous mentez, c'est qu'ils n'oseront pas; mais soyez sûrs qu'ils le pensent. Seule, votre inscription sur la feuille des retraites a chance de vous protéger contre l'ostracisme traditionnel.

Donc, à son arrivée, le nouvel habitant servait de sujet de conversation aux clients de l'auberge.

– Quel est donc cet homme-là? demandait l'un.

– Je ne sais point, répondait un autre.

– Ce sont de ces gens qu'on ignore d'où ça vient, qui arrivent chez nous sans rien dire, et puis on apprend après qu'il s'est passé des choses…

Mais la mère Crétu piaillait:

– Qu'est-ce que vous dites, Sosthènes? Le connaissez-vous, ou ne le connaissez-vous pas, cet homme-là?

– Quant à dire que je ne le connais pas, je le connais, puisque je l'ai vu; mais maintenant pour dire que je le connais autrement, je ne le connais point…

– Alors, ce sont des méchancetés… Ce n'est pas un gars comme vous, bien sûr, qui n'a jamais su faire grand'chose; c'est un homme éduqué, qui s'appelle M. Folichon et qui était fonctionnaire à Paris; la preuve, c'est que l'instituteur qui tient les écritures à la mairie me l'a dit, et que le gouvernement lui fait des rentes; il ne faut pas voir partout des malintentionnés.

Elle ajouta, comme argument décisif:

– C'est un homme bien honnête qui m'a payé ma location sans marchander, et qui porte un ruban tricolore à sa boutonnière…

– Pour ça, sûr, c'est vrai, fit un consommateur. Je l'ai vu ce matin, et je lui ai dit bonjour, et il a même ôté son chapeau…

– Là! Vous voyez, s'écria la mère Crétu, que c'est un brave homme?..

Sosthènes se défendit. Si M. Folichon portait un ruban, dame! ce n'était pas le premier venu. Seulement, il fallait connaître les gens. A présent qu'on l'avait renseigné, ça lui suffisait et il n'avait pas de raisons de lui en vouloir.

– Et pas fier! reprit celui qui avait vu le ruban tricolore. Il répond au salut de tout le monde…

– Mais, demande encore Sosthènes, qu'est-ce que c'est que cette décoration-là?

Après une minute de silence embarrassé, la voix de la mère Crétu glapit de nouveau:

– Ça se donne à ceux qui ont sauvé le drapeau…

Dans le fond, un vieux de la vieille se leva, ôta son bonnet. Puis tous se découvrirent l'un et l'autre.

Olivier Folichon pouvait dès lors circuler dans le bourg; il ne devait plus récolter que des hommages et des marques d'amitié. A partir de ce jour, quand il entrait à l'auberge boire un coup chez sa propriétaire, les langues s'arrêtaient, les verres s'immobilisaient dans les mains, les visages prenaient un air recueilli, comme à l'église au moment de l'élévation, et personne ne buvait avant que le sauveur du drapeau n'eût donné le signal en disant:

– A la vôtre, messieurs!..

La considération dont il se sentait entouré finit par le gonfler d'estime pour lui-même. Il ne marchait plus comme auparavant; ses pas étaient mesurés, majestueux; sa tête se relevait de noble façon. Et sa modestie disparue ne s'étonnait point des hommages qu'elle attribuait au simple sentiment de la justice.

Il devenait la curiosité de Nançay. On en parlait comme on parle d'un monument historique, et le village s'enorgueillissait de le posséder. Quand des touristes, des bicyclistes passaient et demandaient à la mère Crétu s'il y avait, dans la localité, quelque ruine à visiter, quelque vieux moellon à gratter:

– Non, répondait-elle, mais nous avons ici M. Folichon, celui qui a sauvé deux drapeaux…

Ce qui ajoutait un rayon de plus au glorieux souvenir évoqué et consacré par le ruban tricolore, c'était l'espèce de mystère qui planait sur le fait d'armes d'antan. Chaque fois que la curiosité avait essayé d'y toucher:

– Laissez donc! interrompait Folichon. Cela ne vaut pas la peine qu'on en parle; j'ai fait mon devoir, ni plus ni moins…

Et les Solognots, bien que déçus, n'en admiraient que davantage leur héros. Sa réputation, franchissant l'enceinte du bourg, était parvenue jusqu'au château des Ebéniers où résidait, pendant les chasses, le comte Oscar de la Nèfle, gentilhomme périgourdin, hospitalier et sans morgue, quoiqu'il se vantât sans sourire de porter un des plus beaux noms de France.

Les nobles oreilles du comte avaient recueilli quelques vagues rumeurs au sujet du pensionné de l'Etat, et il s'était enquis auprès de son garde-chef, pour supplément d'édification.

– C'est, dit le garde sans hésiter, un ancien militaire qui touche une rente du ministre de la Guerre, pour avoir sauvé son régiment en 70…

– Palsembleu! s'exclama le comte qui avait lu Ponson du Terrail et le relisait encore, allez de ce pas me quérir ce preux capitaine et lui dire qu'il me tarde grandement de lui donner l'accolade…

Folichon fut admis à l'honneur de toucher la main du dernier des Nèfles.

– Contez-moi donc, mon brave, en quelle occurrence vous sauvâtes…

– Oh! monsieur le comte, cela ne vaut pas la peine qu'on en parle; j'ai fait mon devoir, ni plus ni moins…

Le comte Oscar n'insista point, par discrétion, et garda la meilleure impression de l'entrevue. Et il répétait à chacun de ses invités:

– Voilà un homme vraiment brave, vraiment modeste… Il ne m'a pas dit un mot de son acte d'héroïsme. Saluons-le, messeigneurs, car la race de ces gens-là va s'éteignant…

Le châtelain cessa de l'appeler "le père Folichon" et lui donna du "Monsieur" gros comme le bras. Il se constitua son panégyriste; il raconta partout la légende du régiment arraché au désastre, légende sortie toute radieuse de son cerveau. A Paris, tous ses amis connurent par le détail l'histoire du 38e dragons, miraculeusement soustrait à la boucherie, et pour les décider à venir se raser aux Ebéniers, il leur promettait la vue du héros en chair et en os. Peu à peu, sous l'effort de l'imagination gasconne, il s'écrivit en la mémoire de toute une bande de hobereaux, qui la propageaient fièrement chez leurs fermiers et parmi la valetaille, une page nouvelle et consolante à intercaler dans l'épopée de nos défaites. Le Périgord entier s'enthousiasma pour les prouesses de celui qu'il nommait Olivier, comme il eût dit Bayard. Et le jour vint où la légende, retour du Midi, s'implanta dans les pays de Vierzon, de Romorantin, de Sancerre, de Saint-Amand et de Bourges, légende définitive dans laquelle Folichon, tout seul, délivrait un corps d'armée et manquait de capturer l'empereur d'Allemagne.

Il n'y eut bientôt qu'un cri dans le Cher, justement en proie aux ardeurs d'une campagne électorale: "Comment une République qui se respecte se croit-elle quitte envers le plus dévoué de ses enfants, en lui accordant une simple médaille de sauvetage?" Ce fut un tollé de réprobation générale. Chacun des candidats, en un style approprié, prit Folichon pour tremplin. Chacun jura d'employer son influence à le faire décorer de la Légion d'honneur. Le rallié et le conservateur s'y engagèrent solennellement dans leur profession de foi.

Cependant le radical, qui ne semblait pas disposer de la Grande-Chancellerie, s'avisa de tirer au clair les titres du vieux combattant devenu sa bête noire. Il n'eut pas de peine à voir aboutir sa petite enquête, et un beau matin on put lire, dans les quarante-trois communes de sa circonscription, un placard libellé en ces termes:

"Le nommé Folichon (Olivier), autour duquel la réaction mène un tel tapage, est un ancien employé de l'octroi de Paris, retraité et pensionné après trente ans de loyaux services.

"Etant d'inspection réglementaire quai de Bercy, le 7 juillet 1875, à deux heures de relevée, il aperçut un ivrogne, lequel, étendu à plat ventre, les lèvres à fleur d'eau, cherchait à boire. Il l'a tiré par les pieds, ramené au poste et fait dégorger tout son saoul.

"A cette occasion, sur un rapport motivé, le nommé Folichon (Olivier) s'est vu décerner la médaille de sauvetage, dont il porte le ruban à l'heure qu'il est."

Ceux de Nançay n'en pouvaient croire leurs yeux.

– Alors, c'est la vérité, ce qu'il y a d'écrit sur l'affiche? interrogea la mère Crétu dont la voix tremblait.

– Mais oui, répondit le foudre de guerre qui avait failli prendre au collet l'empereur d'Allemagne.

Et, toujours modeste, il ajouta:

– Est-ce que je vous ai jamais dit le contraire?

PAROLE D'HONNEUR
PAR JEAN DU RÉBRAC

CE n'était encore qu'un enfant de seize ans, et, cependant, on allait le fusiller.

La compagnie de fédérés à laquelle il appartenait venait d'être mise en déroute par l'armée de Versailles. Pris les armes à la main, en même temps qu'une dizaine de ses camarades, il avait été amené avec eux au poste de la mairie du XIe arrondissement.

Frappé de sa jeunesse et de l'étonnante sérénité de sa physionomie, le commandant avait donné l'ordre de surseoir à son égard, et de le garder à vue pendant qu'on allait procéder, au pied de la barricade voisine, à l'exécution de ses compagnons.

Apprenti typographe, au moment où le démon de la guerre vint s'abattre sur la France, il vivait tranquille et heureux entre son père et sa mère, de paisibles travailleurs qui ne s'occupaient pas même de la politique.

Dès le début, les Prussiens avaient tué son père. Les privations du siège, les longues stations à la porte des bouchers et des boulangers, les pieds dans la neige et dans la glace, avaient couché sa mère sur le triste lit de misère, où elle se mourait lentement.

Un jour qu'il était allé, comme tant d'autres, au risque de se faire tuer, cueillir des pommes de terre dans la plaine Saint-Denis, en rampant sur la terre profondément durcie par la gelée, une balle prussienne était venue lui fracasser une épaule.

Plus tard, un peu pour manger, un peu par crainte, il avait cru devoir s'enrôler dans l'armée de la Commune. Comme beaucoup de ses camarades, il n'avait marché qu'à regret. Il n'avait pas du tout le cœur à cette lutte fratricide. Et, maintenant, sur le point de payer de sa vie un concours de fatalités inexorables, il se félicitait au moins de n'avoir pas une seule mort à se reprocher. Il en était bien sûr, et pour cause.

Pourtant, qu'il eût tué, ou non, on allait lui ôter la vie. Cela lui donnait une bien triste idée de la logique des choses. Aussi, lui importait-il fort peu maintenant de vivre, ou de mourir. Ce qu'il avait vu, ce qu'il avait souffert en quelques mois, lui causait une réelle épouvante de la vie. Certes, il lui était pénible de quitter, au milieu de ce monde méchant, sa bonne mère qu'il aimait tant; mais il se consolait un peu en pensant que, très probablement, elle n'avait plus elle-même bien longtemps à souffrir. Quand il l'avait quitté, il y avait déjà quatre jours, elle était fort affaiblie. "Mon pauvre enfant," lui avait-elle dit, "embrasse-moi bien, car j'ai le pressentiment que je ne te reverrai pas."

Ah! pensait-il, si on voulait bien avoir confiance en lui, si on consentait à lui donner une heure de liberté; il courrait auprès d'elle, et il reviendrait de lui-même, se remettre aux mains de ceux qui paraissaient avoir soif de son sang. Il en donnerait sa parole d'honneur, et il la tiendrait. Pourquoi manquerait-il à sa parole?

Il en était là de ses funèbres réflexions quand, soudain, le commandant, suivi de plusieurs officiers, s'approcha de lui.

– A nous deux, maintenant, mon gaillard. Tu sais ce qui t'attend?

– Oui, mon commandant, et je suis prêt.

– Vraiment! si prêt que cela? Tu n'as donc pas peur de la mort?

– Moins peur que de la vie. J'ai tant vécu depuis six mois, et j'ai vu tant de si vilaines choses que la mort me paraît belle et désirable à côté de la vie.

– N'empêche que si je te donnais tout de suite à choisir, tu n'hésiterais pas un instant. Si je te disais: "Prends tes jambes à ton cou, et fiche-moi le camp," ce serait vite fait, hein? mon bonhomme; et l'on ne te reverrait pas ici?

– Eh bien, mon commandant, essayez-en. Pour la rareté du fait, mettez-moi à l'épreuve. La chose en vaut la peine. Un de plus ou de moins à fusiller, peu vous importe. Une heure de liberté, pas plus. Vous verrez si je serai exact au rendez-vous, et si la mort me fait peur.

– Oui da! tu n'es pas bête, mais tu me crois un peu trop naïf. Une fois libre, loin d'ici, tu reviendrais comme ça, bonnement, te faire fusiller, du même pas que tu irais à un rendez-vous d'amour? Ce serait en effet singulier, mais ce n'est pas à moi que tu feras accroire ça.

– Ecoutez, mon commandant, vous ne me paraissez pas méchant. C'est que, sans doute, vous avez eu une bonne mère. Cette mère, vous l'aimez certainement par-dessus tout. Si, comme moi, vous étiez sur le point de mourir, votre dernière pensée serait pour elle. Vous béniriez celui qui pourrait vous donner la suprême consolation de la presser sur votre cœur une dernière fois. Eh bien! mon commandant, faites pour moi ce que vous souhaiteriez qu'on fît pour vous. Accordez-moi une heure de liberté pour aller embrasser ma mère, et je vous donne ma parole d'honneur de revenir ensuite me remettre entre vos mains…

Pendant que le jeune homme parlait, le commandant allait et venait, en tourmentant sa moustache, et en faisant de visibles efforts pour repousser l'émotion qui l'envahissait. "Ma parole," murmura-t-il, "ce gamin-là parle comme un chevalier d'autrefois."

Tout à coup, il s'arrêta en face de son prisonnier, les sourcils froncés, la figure sévère:

– Comment t'appelles-tu?

– Victor Oury.

– Ton âge?

– Seize ans le 15 juillet prochain.

– Où demeure ta mère?

– A Belleville.

– Pourquoi l'as-tu quittée? Pourquoi as-tu suivi les fédérés?

– Il fallait bien manger. Puis des camarades, des voisins, menaçaient de me fusiller si je ne marchais pas avec eux. Ils disaient que j'étais assez grand pour faire mon devoir. Ma pauvre mère eut peur et me conseilla, en pleurant, de faire comme les autres.

– Tu n'as donc plus ton père?

– Il a été tué.

– Où cela?

– Au Bourget.

– Eh bien! c'est entendu, dit le commandant d'un air solennel, après avoir un moment réfléchi, tu vas aller embrasser ta mère. Tu m'as donné ta parole d'honneur d'être ici dans une heure. C'est bien. Moi, je te donne jusqu'à ce soir. Allons! file!

Il partit comme un trait.

Vingt minutes plus tard, il frappait à la porte de sa mère. La voisine qui la soignait vint lui ouvrir. En l'apercevant, elle poussa une exclamation de joyeuse surprise. Tout le monde le croyait mort. Il voulut se précipiter dans la chambre de sa mère. La femme l'arrêta.

– N'entre pas, lui dit-elle à voix basse. Ta mère repose.

Impatient, il n'entendait qu'à moitié ce que la brave femme lui disait. Il crut percevoir un faible appel de son nom. Aussitôt, il se dirigea, sur la pointe des pieds, vers le lit de sa mère. Il ne s'était pas trompé; la malade avait les yeux grands ouverts.

– Victor! s'écria-t-elle d'une voix affaiblie.

En même temps, sans proférer un mot, son fils tombait dans ses bras.

Alors, ce jeune homme que nous avons vu jusqu'ici indifférent, impassible, devant la mort, ne peut plus que sangloter. Dans les bras de sa mère, il redevient un enfant, il a peur, il se désespère.

La pauvre femme, à qui le contact de son fils semblait rendre toutes ses forces, essayait en vain de le consoler. "Pourquoi pleurer ainsi, mon enfant bien-aimé?" lui disait-elle. "Je ne veux plus que tu me quittes. Tu n'as donc plus rien à craindre. Tu vas jeter à la rue ce costume de malheur que je ne veux plus voir. Moi, je vais me dépêcher de guérir. Je me sens déjà beaucoup mieux depuis que tu es là… Tu vas te remettre au travail, et tu ne tarderas pas à être tout à fait un homme. Bientôt, le passé ne sera plus pour nous que comme un épouvantable rêve que le temps finira par nous faire oublier."

Elle embrassa à plusieurs reprises son cher désespéré, puis elle laissa retomber sa tête fatiguée sur l'oreiller, et s'abandonna à une méditation pleine de confiance en l'avenir.

Immobile, presque honteux de sa défaillance, le malheureux jeune homme s'efforçait silencieusement à se ressaisir. Quand il releva la tête, se jugeant de nouveau plus fort que la mort, il vit que sa pauvre mère, cédant à la douce réaction qui résultait de la joie et de la quiétude qu'elle éprouvait, s'était endormie profondément. Cela acheva de lui rendre toute son énergie. Peut-être la Providence avait-elle voulu lui faciliter ainsi l'accomplissement de son devoir, et lui éviter une scène de désolation plus déchirante que la première. Il résolut d'en profiter en s'éloignant sur-le-champ. Il effleura d'un long baiser le front de sa bonne mère, la contempla encore quelques instants pendant qu'elle semblait lui sourire, puis il sortit précipitamment de la chambre et s'en alla, aussi vite qu'il était venu, sans regarder autour de lui, sans voir personne.

– Comment! déjà? fit le commandant stupéfait.

– Est-ce que je ne vous avais pas donné ma parole?

– Sans doute, mais il me semble que tu t'es bien pressé. Sans manquer à ta parole, tu aurais pu rester un peu plus longtemps auprès de ta mère.

– Ma pauvre mère!.. Après une scène de larmes où j'ai senti un moment mon courage m'abandonner, larmes de joie pour elle, larmes de désespoir pour moi, elle s'est endormie d'un sommeil si profond, si calme, si heureux que je n'ai pas eu la force d'attendre son réveil pour la quitter à jamais. Elle s'était endormie en songeant avec bonheur que je ne me séparerais plus d'elle. Qui sait si, au dernier moment, je n'aurais pas faibli? Maintenant, mon commandant, je n'ai plus qu'une prière à vous faire, c'est d'en finir avec moi le plus vite possible.

Le commandant observait ce jeune homme avec étonnement, et malgré lui, ses yeux se mouillaient de pitié et d'admiration.

– Et si je te faisais grâce?

– Eh bien, mon commandant, je l'accepterais avec plaisir, parce qu'en même temps vous feriez grâce à ma pauvre mère.

– Allons! tu es décidément un brave garçon, et tu ne méritais pas de tant souffrir. Tu peux t'en aller… Auparavant, viens que je t'embrasse… Bien. Maintenant, sauve-toi, et vivement. Va rejoindre ta mère, et aime-là toujours bien.

En même temps, le bon commandant prenait le jeune homme par les épaules, et le poussait doucement dehors.

– C'eût été vraiment dommage, dit-il à ses officiers en se retournant.

Victor ne courut pas, il vola à Belleville. Heureusement sa mère dormait toujours, mais d'un sommeil qui semblait péniblement agité. Il n'osait pas la réveiller, pourtant il aurait bien voulu l'embrasser et lui faire partager sa joie.

Tout à coup, elle se dressa en criant:

– Victor!.. mon enfant!.. grâce!.. grâce!.. Ah! tu es là, fit-elle en s'éveillant. C'est bien toi? En même temps elle le palpait et le serrait alternativement dans ses bras tout en le couvrant de baisers. – Ah! mon pauvre enfant!.. mon cher enfant!.. finit-elle par dire, je rêvais qu'on allait te fusiller.

C'eût été, en effet, grand dommage qu'on l'eût fusillé, ce petit communard malgré lui, car il est aujourd'hui l'un des officiers les plus distingués de notre armée d'Orient.