Un Rite D’Epées

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Aus der Reihe: L'anneau Du Sorcier #7
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CHAPITRE SEPT

Erec ouvrit les yeux et se retrouva allongé entre les bras de Alistair. Il croisa immédiatement son regard cristallin, brillant d’amour. Un petit sourire étirait le coin de ses lèvres. Une douce chaleur émanait de ses mains et réchauffait le corps de Erec. Il se rendit compte soudain qu’il se sentait un homme nouveau, guéri, comme s’il n’avait jamais été blessé. Elle l’avait ramené d’entre les morts.

Erec s’assit sur son séant et dévisagea Alistair avec surprise, en se demandant une fois de plus qui elle était vraiment et d’où lui venaient de tels pouvoirs.

Il se frotta la tête et les souvenirs des derniers événements lui revinrent en mémoire : les hommes de Andronicus. L’attaque. La défense de la gorge. Le bloc de pierre.

Erec sauta sur ses pieds et tourna son regard vers les hommes qui l’entouraient, comme dans l’attente de sa résurrection – ou de son commandement. Le soulagement se lisait sur leurs visages.

– Combien de temps suis-je resté inconscient ? demanda-t-il brusquement à Alistair.

Il se sentit coupable d’avoir abandonné ses hommes si longtemps.

Elle lui adressa un sourire charmant.

– Une seconde à peine, dit-elle.

Comment était-ce possible ? Il se sentait reposé, comme s’il avait dormi des années. Une énergie nouvelle lui permit de courir jusqu’à la gorge pour admirer son travail : le bloc de pierre avait éclaté et obstruait maintenant l’entrée, empêchant les soldats impériaux de passer. Ils avaient fait l’impossible : ils avaient repoussé une armée bien plus forte que la leur. Pour l’instant, du moins.

Avant de fêter la victoire, Erec entendit soudain un cri. Il leva la tête. Là-haut, au sommet des falaises, l’un de ses hommes poussa un hurlement, puis bascula tête la première, avant de tomber mort en contrebas.

Erec aperçut alors la lance qui le transperçait. Des cris s’élevèrent à nouveau, de toutes parts cette fois. Sous les yeux ébahis de Erec, des soldats impériaux surgissaient au sommet de la montagne et se jetaient sur les hommes du Duc, rendant coup pour coup. Erec comprit immédiatement : le commandant avait divisé ses forces, une partie avait escaladé les montagnes pendant que l’autre traversait la gorge.

– TOUS AU SOMMET ! ordonna Erec. MONTEZ !

Les hommes le suivirent, l’épée au poing, sur les pentes abruptes de roc et de poussière. Plusieurs fois, Erec glissa et se rattrapa avant de se hisser à la force de ses bras. Il voulut courir mais il s’agissait plutôt d’escalade. Le fracas des armures résonnait autour de lui. Chaque pas était une bataille. Enfin, quelques hommes finirent par atteindre le sommet en se faufilant entre les rochers comme des chèvres de montagnes.

– ARCHERS !

Tout le long de la pente, les archers mirent un genou à terre pour tirer une volée de flèches, tuant plusieurs soldats impériaux qui basculèrent dans le vide. L’un d’eux faillit renverser Erec, qui l’évita adroitement. Un autre heurta un de ses hommes et l’emporta dans sa chute.

Les archers s’éparpillèrent le long de la falaise, prêts à tirer dès qu’un soldat sortirait la tête.

Cependant, il était difficile de viser, car les hommes se battaient maintenant au corps à corps et les flèches ne touchaient pas toujours leurs cibles. L’une d’elle se planta notamment, par accident, dans le dos d’un homme du Duc. Celui-ci poussa un cri déchirant et bascula. Son assaillant en profita pour le poignarder et le poussa. Exposé, il fut aussitôt transpercé à son tour par un tir de flèche.

Erec redoubla d’efforts et courut pour parcourir les derniers mètres qui le séparaient du sommet. Il glissa, tendit la main pour agripper une racine, resta un instant suspendu dans les airs avant de retrouver ses appuis. Il reprit sa course.

Erec atteignit le sommet avant les autres et se jeta dans la mêlée en poussant un cri de guerre, lame au clair, pressé de défendre ses hommes qui reculaient lentement devant l’ennemi. Il n’en restait plus que quelques douzaines, en sous nombre. À chaque seconde, des soldats impériaux surgissaient, toujours plus nombreux.

Erec se jeta dans la bataille comme un forcené, chargeant et tuant deux hommes à la fois, libérant les siens. Il n’en existait pas dans tout l’Anneau de plus rapide, ni de meilleur que lui. Une épée dans chaque main, Erec mit à profit tous ses talents de champion de l’Argent pour repousser l’Empire. Comme il tournoyait et abattait ses lames à droite et à gauche, il sema une vague de destruction, toujours plus loin entre les rangs ennemis, parant les coups, donnant des coups de tête.

Il les transperça comme un coup de vent, abattant une douzaine de soldats avant que ceux-ci n’aient eu la moindre chance de se défendre. Autour de lui, les hommes du Duc se rassemblèrent, secourus par les renforts que menaient Brandt et le Duc lui-même. Bientôt, la situation s’inversa et ils repoussèrent petit à petit les soldats impériaux, laissant des corps à leurs pieds.

Erec se débarrassa du dernier d’entre eux, en le repoussant vers le précipice avant de le faire tomber d’un coup de pied.

Erec et ses hommes en profitèrent pour reprendre leur souffle. Erec se dirigea alors vers le gouffre, pour apercevoir l’armée en contrebas. L’Empire avait cessé de leur envoyer des soldats, mais il avait le pressentiment que ce n’était pas faute d’effectif.

Jamais l’imagination de Erec n’aurait pu le préparer à un tel spectacle. Son cœur manqua un battement. Ils avaient tué plusieurs centaines d’hommes en bouchant la gorge, mais il restait encore plusieurs dizaines de milliers de soldats en contrebas.

Erec pouvait à peine y croire. La bataille leur avait demandé toute leur énergie et, pourtant, ils avaient à peine entamé l’immense armée. Au fur et à mesure que l’Empire enverrait ses bataillons, Erec et ses compagnons en tuerait peut-être quelques douzaines, quelques centaines… Mais ils finiraient par céder devant le nombre.

Erec se sentit soudain impuissant et démuni. Pour la première fois de sa vie, il eut la certitude qu’il allait mourir, ici et aujourd’hui. Rien ne le sauverait, cette fois. Il n’avait aucun regret. Il s’était défendu vaillamment et il n’existait pas de meilleure façon de mourir. Il referma son poing sur la poignée de son épée et se prépara mentalement. La seule chose qui le préoccupa fut la sécurité de Alistair.

Peut-être qu’il pourrait passer plus de temps avec elle, après la mort.

– Eh bien, c’était bien tenté, dit une voix.

Erec se tourna vers Brandt, qui avait parlé. La main sur le pommeau de son épée, son ami semblait aussi résigné que lui. Les deux hommes avaient affronté ensemble bien des batailles, souvent en sous nombre… Pourtant, c’était la première fois que Erec lisait cette résignation sur le visage de son ami. La mort était à leurs portes.

– Au moins, nous mourrons l’épée à la main, dit le Duc.

Ces mots trouvèrent un écho dans les pensées de Erec.

En contrebas, les soldats impériaux levèrent les yeux vers eux. Plusieurs milliers d’entre eux se rassemblaient et marchaient d’un même mouvement en direction de la montagne. Les archers mirent un genou à terre et Erec sut qu’il ne restait plus que quelques minutes avant le massacre. Il prit une grande inspiration.

Soudain, un cri strident retentit dans le ciel. Erec leva les yeux, en se demandant s’il perdait la tête. Un jour, il avait entendu un dragon rugir. Un bruit terrible qu’il n’avait jamais oublié après les Cent. Il n’aurait jamais imaginé l’entendre à nouveau. Se pouvait-il que… ? Un dragon ? Ici, dans l’Anneau ?

Erec renversa la tête et ce qu’il vit se grava pour toujours dans sa mémoire : un grand dragon violet écartant les nuages, battant ses ailes immenses. Erec en resta pétrifié d’effroi, plus que devant n’importe quelle armée.

Comme il y regardait à deux fois, il fut stupéfait d’apercevoir deux silhouettes sur le dos du monstre. Il finit par les reconnaître. Ses yeux lui jouaient-ils des tours ?

Thorgrin à califourchon et, derrière lui, agrippant sa taille, la fille du Roi MacGil, Gwendolyn.

Avant que Erec n’ait eu le temps de comprendre, le dragon plongea comme un aigle en direction de la montagne. Il ouvrit la gueule et poussa un rugissement à fendre les pierres, qui fit trembler le sol. Il cracha alors son souffle brûlant. Erec n’avait encore jamais vu cela.

La vallée s’emplit des cris de terreur et de douleur des soldats impériaux. Vague après vague, le feu les engloutit et le paysage tout entier se peignit de flammes rouges. Thor dirigea sa monture sur les rangs de l’armée ennemie et les anéantit en l’espace d’un coup de tonnerre.

Les survivants prirent la fuite vers l’horizon, mais Thor se lança à leur poursuite.

En quelques minutes, tous les hommes en contrebas – ceux qui s’apprêtaient à signer l’arrêt de mort de Erec – étaient eux-mêmes partis en fumée. Il ne restait plus rien que des corps calcinés entre le feu et les flammes, des âmes disparues. L’armée ennemie n’était plus.

Erec leva un regard choqué vers le dragon qui s’éleva à nouveau dans les airs et les dépassa pour poursuivre son vol en direction du nord. Les hommes poussèrent des acclamations sur son passage.

Erec resta muet d’admiration devant l’héroïsme de Thor, le pouvoir de son dragon et l’étrange relation qui les unissait. Il venait de recevoir une seconde chance dans la vie, comme tous les autres. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentit optimiste. Maintenant, ils avaient une chance. Même contre Andronicus et son million d’hommes. Avec une bête comme celle-ci, ils pourraient gagner la guerre.

– En avant marche ! ordonna Erec.

Il était décidé à suivre le dragon et son sillage au parfum de souffre, où que cette piste les mène. Thorgrin était revenu. Il fallait se joindre à lui.

CHAPITRE HUIT

Sur le dos de son cheval, Kendrick chargea, entouré de ses hommes – des milliers d’entre massés autour de Vinesia, la grande ville qui abritait le bataillon de Andronicus. Une immense herse de fer barrait les portes de la cité. Les murs étaient épais et les soldats impériaux grouillaient comme des fourmis. Ils étaient bien plus nombreux et Kendrick ne bénéficiait plus de l’effet de surprise.

 

Pire encore, des renforts arrivaient par la plaine. Au moment même où Kendrick pensait les avoir, la situation venait de se renverser. L’armée impériale marchait à présent à la rencontre de Kendrick, en rangs ordonnés, disciplinés, comme une vague de destruction.

La seule solution aurait été de battre en retraire en direction de Silesia, puis de tenir la ville jusqu’à la défaite inévitable. Cependant, Kendrick avait déjà goûté à l’esclavage et ne comptait pas réessayer.

Ils n’étaient pas du genre à fuir, même en sous nombre. Ni Kendrick, ni ses braves compagnons de l’armée MacGil, de Silesia et de l’Argent. Ils se battraient jusqu’à la mort. Kendrick resserra sa prise sur la poignée de son épée et sut précisément ce qu’il devait faire.

Les soldats impériaux poussèrent un féroce cri de guerre et les hommes de Kendrick leur répondirent.

Ils dévalèrent en trombe le coteau à la rencontre de l’armée ennemie, tout en sachant qu’ils ne remporteraient pas la bataille. Les soldats impériaux accélérèrent l’allure pour les heurter de plein fouet. Kendrick sentit le vent dans ses cheveux, la vibration dans son épée et sut que ce n’était qu’une question de seconde. Bientôt, il se retrouverait à nouveau perdu au milieu du fracas métallique, ce rite d’épées immense et familier.

Il fut surpris d’entendre soudain un cri strident. Il renversa la tête pour balayer le ciel du regard et quelque chose dans les nuages l’interpella. Il avait déjà vu une fois Thor surgir sur le dos de Mycoples, mais la vue lui coupa le souffle. Cette fois-ci, Gwendolyn se trouvait avec lui.

Kendrick crut que son cœur allait éclater. Il comprit immédiatement ce qui allait se passer et sourit, levant son épée, avant de se jeter à corps perdu dans la bataille. Il réalisait pour la première fois que la victoire serait de leur côté.

*

Thor et Gwen volaient sur le dos de Mycoples, à travers les nuages, comme ses grandes ailles battaient, plus vite, toujours plus vite. Thor sentit que Kendrick et les autres étaient en danger… Enfin, devant eux, les nuages s’ouvrirent sur le paysage : entre les collines verdoyantes de l’Anneau, un bataillon de Andronicus chargeait les hommes de Kendrick.

Thor pressa Mycoples :

– Plonge ! murmura-t-il.

Elle plongea et frôla le sol, si proche des collines que Thor aurait pu sauter en route. Elle ouvrit sa gueule et cracha une bordée de flammes brûlantes, qui envahirent les plaines. Les cris des soldats impériaux terrifiés s’élevèrent aussitôt, comme Mycoples semait une vague de destruction à nulle autre pareille, enflammant des kilomètres de campagne.

Les survivants prirent la fuite. Thor les laissa faire : Kendrick s’occuperait d’eux.

Il se tourna vers la ville et vit que des milliers de soldats demeuraient à l’intérieur. Malheureusement, l’espace était trop confiné, les murs trop hauts. Mycoples aurait du mal à manœuvrer. Des centaines d’archers mirent un genou à terre en emplirent le ciel d’une volée de flèches, puis de lances. Thor craignit pour la sécurité de Mycoples. Il sentit l’Épée de Destinée vibrer à son côté et sut que c’était une bataille qu’il devrait mener lui-même.

Il dirigea Mycoples vers les herses de fer, à l’entrée de la ville.

Comme elle se posait, il se pencha et murmura à son oreille :

– Brûle les portes, puis je me débrouillerai seul.

Mycoples poussa un cri désapprobateur. Il était clair qu’elle voulait rester avec Thor et se battre avec lui, mais il ne la laisserait pas faire.

– Ce combat est le mien, insista-t-il, et tu dois veiller Gwen.

Mycoples eut l’air de céder. Soudain, elle renversa la tête et cracha son souffle brûlant vers les herses qui se mirent à fondre.

– Maintenant, file ! lui murmura Thor. Emporte Gwendolyn.

Il sauta à terre, l’Épée de Destinée à la main.

– Thor ! appela Gwen.

Mais il s’engouffrait déjà à travers les herses fondues. Il entendit Mycoples s’envoler et sut qu’elle emmènerait Gwen en sûreté.

Thor courut dans la cour, en direction du cœur de la cité et à travers les milliers d’hommes. L’Épée de Destinée vibrait au bout de son bras comme un être vivant. Il n’avait plus qu’à se laisser guider.

Son bras s’agita et s’abattit de tous côtés, enfonçant l’armée ennemie, tuant plusieurs douzaines de soldats d’un seul coup. Au début, l’Empire essaya de le repousser, mais Thor tailla les boucliers, les armures et les armes, comme si tout cela n’existait même pas. Les soldats impériaux finirent par comprendre qu’ils affrontaient un être magique, une vague de destruction invincible.

Un vent de panique se propagea et les soldats tournèrent les talons pour prendre la fuite. En vérité, ils n’avaient nulle part où aller. Thor, guidé par l’Épée, fut trop rapide pour eux, parcourant la cité à la vitesse de l’éclair. Les soldats, pris de panique, finirent par se piétiner les uns les autres en essayant d’escalader les murs.

Thor ne les laissa pas s’échapper. Il courut aux quatre coins de la ville, investi d’une force surnaturelle, motivé par une soif de vengeance en songeant à Gwendolyn et à ce que Andronicus lui avait fait subir. Il tua les soldats, l’un après l’autre. Il était temps de faire justice.

Andronicus. Son père. Cette pensée le consumait. À chaque coup d’épée, Thor s’imagina que c’était lui qu’il tuait, supprimant ainsi toute trace de son héritage. Thor voulait être quelqu’un d’autre, venir de quelqu’un d’autre. Il voulait un père dont il pourrait être fier. N’importe qui, sauf Andronicus. S’il tuait assez d’hommes, peut-être finirait-il par se libérer de lui.

Dans un état second, Thor combattit avec rage, jusqu’à soudain se rendre compte qu’il n’affrontait plus que le vide. Tous les soldats gisaient à terre, morts, de tous côtés. Il ne restait plus personne à tuer.

Thor demeura seul, debout au milieu de la cour, la respiration pénible, l’Épée étincelante dans sa main.

Il entendit alors des acclamations lointaines et courut vers les portes. Au loin, les hommes de Kendrick poursuivaient les derniers soldats en fuite.

Comme Thor quittait la cité en trombe, Mycoples l’aperçut et descendit vers lui. Il monta sur son dos, devant Gwen, et ils s’élevèrent à nouveau dans le ciel.

Ils survolèrent l’armée de Kendrick. D’ici, on aurait dit des fourmis. Ils poussèrent des acclamations sur le passage du dragon. Thor poussa Mycoples vers les premières lignes, devant les restes épars des légions impériales.

– Plonge, murmura Thor.

Ils plongèrent à la poursuite des soldats impériaux et Mycoples souffla sur eux son souffle enflammé. Le mur de flammes les engloutit, un rang après l’autre, au milieu des cris.

Bientôt, il ne resta plus rien.

Ils poursuivirent leur vol à travers les plaines : Thor voulait s’assurer que tous étaient bien morts. Au loin, il aperçut la haute chaîne de montagnes, les Highlands qui séparaient l’est et l’ouest de l’Anneau. En contrebas, il ne restait pas un seul soldat vivant et Thor en fut satisfait.

Le Royaume Occidental de l’Anneau avait été libéré. Ils en avaient assez fait pour aujourd’hui. Le soleil se couchait et ce qu’il y avait au-delà des montagnes pouvait bien y rester pour le moment.

Thor fit demi-tour pour retrouver Kendrick. La campagne fila sous ses yeux et, bientôt, il entendit à nouveau les acclamations des hommes tournés vers le ciel. Ils chantaient son nom.

Il se posa, mit pied à terre et aida Gwendolyn à descendre.

Le large groupe les étreignit, porté par un cri de victoire. Kendrick, Godfrey, Reece et ses autres frères de Légion ou de l’Argent, tous ses êtres chers se précipitèrent pour les embrasser.

Enfin, ils étaient ensemble, unis.

Libres.

CHAPITRE NEUF

Andronicus marchait d’un pas rageur entre les tentes. D’un mouvement de colère, il décapita d’un coup de griffes un jeune soldat sur son chemin, puis un autre, et un autre, jusqu’à ce que les hommes aient l’idée lumineuse de rester loin de lui. Ils auraient dû savoir qu’il n’était jamais bon de rester dans les parages quand il était dans cet état-là.

Les soldats s’écartèrent sur son passage. Même ses généraux observaient une distance de sécurité : ils savaient qu’il était dangereux de l’approcher.

La défaite, c’était une chose. Mais une telle défaite… La pire défaite dans toute l’histoire de l’Empire. Andronicus n’avait jamais connu cela. Toute sa vie avait été une suite de victoires, toutes plus violentes et satisfaisantes les unes que les autres. Jusqu’à aujourd’hui, le goût de la défaite lui avait été inconnu. Maintenant qu’il en connaissait l’amertume, il la détestait.

Le fil des événements se déroulait, encore et encore, dans son esprit. Hier, sa victoire avait été totale. Il avait détruit la Cour du Roi et conquis Silesia. Il avait asservi les MacGils et humilié leur souveraine, Gwendolyn. Il avait torturé leurs meilleurs soldats et tué Kolk. Kendrick et les autres étaient prêts à suivre leur camarade…Argon s’était mêlé de leurs affaires. Il avait emporté Gwendolyn avant qu’il n’ait eu le temps de la tuer. Andronicus avait presque réparé cette erreur. Il n’aurait eu besoin que d’une journée supplémentaire pour rencontrer pour de bon l’histoire et la gloire.

Brusquement, tout avait changé. Thor était apparu, juché sur ce dragon. Il était descendu comme un nuage, en soufflant des flammes et en brandissant l’Épée de Destinée qui avait décimé les hommes. Andronicus avait tout vu. Il avait eu la présence d’esprit de se réfugier de l’autre côté des Highlands, en attendant les rapports des éclaireurs. Au sud, près de Savaria, tout un bataillon avait été anéanti. Du côté de la Cour du Roi et de Silesia, la situation était tout aussi dramatique. À présent, tout le Royaume Occidental avait été libéré. Inconcevable.

Il bouillait intérieurement en pensant à l’Épée de Destinée. Il avait été difficile de la faire sortir de l’Anneau. Maintenant, elle était de retour et le Bouclier s’élevait à nouveau autour d’eux. Andronicus était pris au piège. Il pouvait partir mais il ne pouvait pas appeler de renforts. De ce côté des Highlands, il avait environ cinq cent mille hommes. Un nombre suffisant pour s’opposer aux MacGils… Mais contre Thor, l’Épée de Destinée et ce dragon, les chiffres importaient peu. La situation était contre lui. C’était la première fois que Andronicus se retrouvait dans cette position.

Par-dessus le marché, ses espions lui avaient signalé que la capitale impériale était en alerte et que Romulus complotait pour lui prendre le trône.

Andronicus grogna de rage en parcourant le campement, à la recherche d’une idée ou d’un coupable à blâmer. Bien sûr, un commandant avisé aurait sonné la retraite pour se sauvegarder de Thor et de son dragon. Il aurait sauvé leurs dernières forces et fait voile vers l’Empire pour reprendre son trône. Après tout, l’Anneau n’était qu’un flocon comparé à la taille de l’Empire et tout grand commandant a droit à la défaite. Il était suffisant de régner sur quatre-vingt-dix-neuf pourcents du monde.

Toutefois, ce n’était pas le caractère du Grand Andronicus, qui n’était ni prudent, ni satisfait de rien. Il suivait ses passions. Il savait qu’il prenait un risque en restant, mais il n’était pas prêt à admettre la défaite, ni à laisser l’Anneau lui filer entre les doigts. Il trouverait le moyen de les briser, même si cela signifiait sacrifier l’Empire. Peu importaient les risques.

Andronicus ne pouvait contrôler ni le dragon, ni l’Épée, mais Thorgrin… C’était autre chose. Son fils.

Andronicus s’arrêta un instant et soupira. Quelle ironie : son propre fils, le dernier obstacle qui s’opposait à sa domination totale du monde. D’une certaine façon, cela semblait approprié. Inévitable. Bien sûr, ceux qui nous sont les plus proches sont ceux qui nous blessent le plus.

Il se rappela la prophétie. Il avait commis une erreur en laissant vivre son fils. La plus terrible erreur de sa vie. Il avait toujours eu un faible pour lui, même si la prophétie l’avait désigné comme celui qui mettrait fin à son règne. Il l’avait laissé vivre. Il était temps d’en payer le prix.

Andronicus se remit à marcher dans le campement, flanqué de ses généraux, jusqu’à atteindre une petite tente écarlate un peu éloignée des autres. Une seule personne ici avait l’audace de choisir une telle couleur, au lieu de se conformer au noir et à l’or de l’Empire… Le seul homme que ses hommes craignaient.

 

Rafi.

Le sorcier personnel de Andronicus. La plus sinistre créature qu’il ait jamais rencontrée. Rafi avait conseillé Andronicus toute de sa vie, tout en le protégeant avec sa magie maléfique. Plus que tout autre, il l’avait aidé à bâtir son Empire. L’idée de lui demander conseil et d’admettre devant lui son impuissance répugnait Andronicus. Cependant, face à un obstacle de nature surnaturelle, il finissait toujours par le faire.

Comme Andronicus approchait de la tente, deux créatures démoniaques, longues et fines, enveloppées dans des capes écarlates qui ne laissaient apparaître que deux yeux jaunes protubérants, lui barrèrent la route. Les seules créatures qui osaient lui manquer ainsi de respect.

– Je souhaite voir Rafi, dit Andronicus.

Les deux créatures, sans même tourner la tête, tendirent chacune un bras pour écarter les pans de la tente. Une odeur méphitique s’échappa et Andronicus eut un mouvement de recul.

Il attendit longtemps, ses généraux derrière lui. Un silence de plomb régnait dans tout le campement.

Enfin, de la tente sortit une créature maigre, de haute taille, deux fois plus grande que Andronicus, fine comme une branche d’olivier, vêtue de robes écarlates, le visage presque invisible sous la capuche.

Rafi fixa du regard Andronicus qui aperçut à peine ses yeux jaunes sous ses paupières très pâles.

Il y eut un silence tendu.

Andronicus fit un pas en avant.

– Je veux que Thorgrin meure, dit-il.

Au bout d’un long silence, Rafi ricana. C’était un son profond et sinistre.

– Les pères et leurs fils, dit-il. C’est toujours pareil.

Andronicus se sentit bouillir d’impatience.

– Peux-tu m’aider ? pressa-t-il.

Rafi resta muet longtemps, si longtemps que Andronicus dut se retenir pour ne pas l’étrangler. Il savait, toutefois, que le geste aurait été vain. Une fois, de rage, Andronicus avait essayé de le poignarder et, avant même de le toucher, il avait vu son épée se dissoudre sous ses yeux. La poignée lui avait également brûlé la paume de la main. Il avait mis des mois à se remettre de la blessure.

Il se contenta donc de ronger son frein, en silence.

Enfin, un ronronnement s’échappa de la capuche de Rafi.

– Les énergies qui entourent le garçon sont très puissantes, dit-il doucement, mais tout homme a une faiblesse. La magie a fait de lui ce qu’il est. La magie peut détruire ce qu’il est.

Andronicus, intrigué, fit un pas en avant.

– De quelle magie parles-tu ?

Rafi marqua une pause.

– Un genre de magie que tu ne connais pas, répondit-il. Un genre de magie réservé aux êtres comme Thor. Il est ton problème, mais il est aussi plus que cela. Il est plus puissant que toi. S’il reste en vie.

Andronicus se sentit bouillir.

– Dis-moi comment le capturer, ordonna-t-il.

Rafi secoua la tête.

– Cela a toujours été ta faiblesse, dit-il. Tu préfères capturer, au lieu de tuer.

– Je veux le capturer d’abord, répliqua Andronicus. Puis je vais le tuer. Y a-t-il un moyen ?

Il y eut à nouveau un long silence.

– Il y a un moyen de lui retirer ses pouvoirs, dit Rafi. Si tu l’éloignes de sa précieuse Épée et de son dragon, il redeviendra un garçon comme les autres.

– Montre-moi comment je peux faire ça, ordonna Andronicus.

Il y eut un long silence.

– Quel est ton prix ? répliqua Rafi.

– Tout ce que tu veux. Je te donnerai ce que tu voudras.

Rafi ricana.

– Un jour, tu le regretteras, répondit-il. Tu le regretteras terriblement.

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