Le Fichier Zéro

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CHAPITRE SIX

Maya écarta les stores vénitiens de la fenêtre près de la porte d’entrée pour la vingtième fois au moins depuis que leur père était parti. Dehors, la rue était vide. Des voitures passaient de temps en temps, mais elles ne ralentissaient pas, ni ne s’arrêtaient.

Elle était morte de trouille en se demandant dans quoi son père s’était fourré cette fois.

Juste par acquis de conscience, elle traversa l’entrée pour se rendre à la cuisine et vérifier une nouvelle fois le téléphone de son père. Il l’avait laissé à la maison, sur silencieux, mais l’écran montrait qu’il avait manqué trois appels depuis son départ.

Apparemment, Maria essayait désespérément de le joindre. Maya avait envie de la rappeler pour lui dire qu’il se passait un truc, mais elle se retint. Si son père avait voulu mettre Maria au courant, il l’aurait contactée directement.

Elle trouva Sara dans la même position qu’une demi-heure plus tôt, assise dans le canapé du salon avec les jambes repliées sous elle. Il y avait un sitcom à la TV, mais le volume était si bas qu’elle pouvait à peine l’entendre. De toute façon, elle ne le regardait pas vraiment.

Maya voyait bien que sa sœur souffrait en silence depuis qu’elles avaient été enlevées par Rais et les trafiquants slaves. Mais Sara ne voulait pas ouvrir son cœur et en parler.

“Hé, Pouêt-Pouêt, ça te dirait de manger un truc ?” demanda Maya. “Je pourrais faire du fromage grillé ? Avec des tomates. Et du bacon…” Elle se lécha les lèvres, espérant distraire sa petite sœur.

Mais Sara secoua à peine la tête. “Pas faim.”

“Ok. Tu veux qu’on parle de quelque chose ?”

“Non.”

Une vague de frustration la submergea, mais Maya n’en montra rien. Il fallait qu’elle soit patiente. Elle aussi était affectée par les événements qu’elles avaient vécus, mais sa réaction avait été la colère et le désir de se venger. Elle avait dit à son père qu’elle avait pour projet de devenir elle-même agent de la CIA et ce n’était pas seulement une provocation d’adolescente. Elle était très sérieuse à ce propos.

“Je suis là,” dit-elle à sa sœur, “si tu ressens le besoin de parler à n’importe quel moment. Tu le sais, pas vrai ?”

Sara leva les yeux vers elle. Un tout petit sourire passa sur ses lèvres… mais, ensuite, ses yeux s’écarquillèrent et elle se redressa soudain. “Tu as entendu ça ?”

Maya écouta attentivement. Elle l’avait entendu : le bruit d’un moteur puissant vrombir tout près. Puis il s’était brusquement arrêté.

“Reste ici.” Elle retourna en vitesse dans l’entrée et, une fois de plus, écarta les stores. Un SUV gris venait de se garer dans leur allée. Ses pulsations s’accélérèrent quand elle vit quatre hommes en sortir. Deux d’entre eux portaient des costumes, alors que les deux autres étaient tout en noir, avec des gilets pare-balles et des boots de combat.

Même à cette distance, Maya put voir l’insigne apposée sur leurs manches. Les deux hommes en noir faisaient partie de la même organisation qui avait tenté de les kidnapper en Suisse. Watson les avait appelés la Division.

Maya se précipita dans la cuisine en glissant sur ses chaussettes, et s’empara d’un couteau à viande sur le comptoir. Sara s’était levée du canapé et se hâta de la rejoindre.

“Descends.” Maya tendit le couteau à sa sœur par le manche. “Va dans la salle de crise. Je te rejoins.”

La sonnette de porte tinta.

“Ne réponds pas,” supplia Sara. “Viens avec moi.”

“Je ne compte pas ouvrir la porte,” lui assura Maya. “Je veux juste savoir ce qu’ils veulent. Vas-y et ferme la porte. Ne m’attends pas.”

Sara prit le couteau et descendit rapidement les marches menant au sous-sol. Maya se faufila sans bruit jusqu’à la porte d’entrée et regarda à travers le judas. Les deux hommes en costume se trouvaient juste devant.

Où sont allés les deux autres ? se demanda-t-elle. Sûrement à la porte de derrière.

Maya sursauta légèrement, alors que l’un des deux hommes frappait soudain à la porte. Puis, il se mit à parler d’une voix assez forte pour qu’on l’entende à l’intérieur. “Maya Lawson ?” Il leva un badge d’identification dans un étui en cuir, alors qu’elle regardait par le judas. “Agent Coulter, FBI. Nous avons quelques questions à vous poser sur votre père.”

Son esprit tournait à cent à l’heure. Une chose était sûre : elle ne comptait pas leur ouvrir la porte. Mais allaient-ils essayer de l’enfoncer ? Devait-elle dire quelque chose ou faire semblant qu’il n’y avait personne à la maison ?

“Mademoiselle Lawson ?” répéta l’agent. “Nous préférerions vraiment ne pas avoir à employer la manière forte.”

De longues ombres dansèrent au sol de l’entrée dans le soleil couchant. Elle leva rapidement les yeux et vit deux formes passer devant la porte arrière, une porte vitrée coulissante qui donnait sur une petite plateforme et un patio. C’étaient les deux autres hommes, ceux de la Division, qui faisaient le tour par derrière.

“Mademoiselle Lawson,” reprit le type. “C’est mon dernier avertissement. Veuillez ouvrir la porte.”

Maya prit une profonde inspiration. “Mon père n’est pas là,” dit-elle d’une voix forte. “Et je suis mineure. Vous allez devoir revenir une autre fois.”

Elle regarda à nouveau dans le judas et vit l’agent du FBI sourire. “Mademoiselle Lawson, je crois que vous mésestimez la situation.” Il se tourna vers son acolyte, un homme plus grand et plus massif. “Enfonce-la.”

Maya eut le souffle coupé et recula de plusieurs pas. Le montant craqua et des éclats de bois volèrent dans les airs, tandis que la porte s’ouvrait.

Les deux agents avancèrent d’un pas dans l’entrée. Maya était scotchée sur place. Elle se demanda si elle arriverait à temps dans la salle de crise en se mettant à courir maintenant vers le sous-sol. Mais si Sara avait fait ce que lui demandait Maya et qu’elle avait verrouillé la porte, elles ne parviendraient jamais à la refermer à temps avant que les agents ne la rattrapent.

Elle devait avoir jeté un coup d’œil vers le sous-sol, car l’agent le plus proche d’elle esquissa un sourire. “Et si tu te contentais de rester ici, jeune demoiselle ?” L’agent qui venait de parler avait les cheveux blonds et un visage qui aurait pu lui sembler amical et agréable s’ils ne venaient pas juste d’enfoncer la porte. Il mit ses deux mains vides en l’air. “Nous ne sommes pas armés. Nous ne voulons pas te faire de mal, ni à ta sœur.”

“Je ne vous crois pas,” répondit Maya. Elle jeta une demi-seconde un œil par-dessus son épaule et vit que les ombres des deux hommes en noir se trouvaient toujours dehors, sur la plateforme.

WHOOP ! WHOOP ! WHOOP ! Une sirène retentit soudain dans la maison, un klaxon assourdissant qui les fit tous trois regarder autour d’eux avec stupéfaction. Il fallut un moment à Maya pour réaliser qu’il s’agissait de leur système d’alarme qui s’était activé quand ils avaient enfoncé la porte et mis en route au bout de soixante secondes, comme prévu, puisque le code n’avait pas été saisi.

La police, pensa-t-elle avec espoir. La police va venir.

“Éteins ça !” lui cria l’agent. Mais elle ne bougea pas.

Puis, du verre se brisa derrière elle. Maya sursauta et se retourna instinctivement à ce bruit, alors que la porte coulissante du patio explosait vers l’intérieur. L’un des hommes en noir passa à travers.

Elle n’eut pas le temps de réfléchir, mais un souvenir lui traversa l’esprit en un instant : l’hôtel à Engelberg, en Suisse. Le type de la Division se faisant passer pour un membre de la CIA, enfonçant la porte pour l’attaquer.

Maya se retourna à nouveau vers les agents du FBI. L’un d’entre eux se tenait près le panneau de l’alarme, mais il était face à elle tandis que l’alarme continuait son vacarme. Les yeux de l’autre agent, celui qui était charmant, étaient ahuris et il levait légèrement les mains en l’air. Sa bouche bougeait, mais ses mots étaient noyés par les cris de l’alarme.

De gros bras l’attrapèrent par derrière et elle se mit à hurler. Elle se débattit contre son assaillant, mais il était fort. Elle sentit une haleine aigre, alors que les bras du type l’enveloppaient étroitement pour l’immobiliser.

Il la souleva en l’air et la maintint ainsi, les jambes dans le vide et les bras forcés à se soulever dans une position douloureuse. Elle n’était pas assez forte pour le combattre.

Relax, lui intima son cerveau. Ne lutte pas. Elle avait pris des cours d’auto-défense à l’université avec un ancien Marine qui l’avait placée exactement dans cette situation : un assaillant plus grand et plus lourd qui l’attrape par derrière.

Maya baissa le menton, qui toucha presque sa clavicule.

Ensuite, elle balança sa tête en arrière aussi fort qu’elle put.

Le type de la Division qui la tenait cria de douleur, tandis que l’arrière de son crâne venait de toucher son nez. Il desserra son emprise et ses pieds touchèrent terre à nouveau. Dès que ce fut le cas, elle fit pivoter son corps, puis baissa la tête pour s’extraire de ses bras et se mettre accroupie.

Elle ne pesait que quarante-huit kilos. Mais tandis qu’elle tombait, le bras de l’homme était toujours autour de son coude et fut soudain plus lourd de quarante-huit kilos, d’autant que son équilibre avait été mis à mal par le coup reçu au visage.

Il tituba et s’écroula sur le carrelage de l’entrée. Maya sauta en arrière hors de portée pendant qu’il tombait. Elle jeta un œil par-dessus son épaule et vit le deuxième membre de la Division debout dans l’encadrement de la porte cassée, apparemment hésitant à agir maintenant qu’elle avait mis son copain à terre.

 

Elle n’était pas loin de la porte du sous-sol. Elle pouvait tenter de courir se mettre à l’abri dans la salle de crise jusqu’à l’arrivée de la police…

Le mercenaire dans l’encadrement de la porte chercha quelque chose dans son dos et sortit un pistolet noir. Maya eut le souffle coupé en le voyant.

CRACK ! Même avec l’alarme retentissante, ils entendirent le bruit sec tous les deux. Maya et le mercenaire se retournèrent à nouveau.

L’agent du FBI qui avait enfoncé la porte, celui qui était le plus près du panneau de l’alarme, avait la tête coincée dans la cloison de l’entrée. Son corps pendait mollement.

Une silhouette s’élança et balança à nouveau le démonte-pneu qui lui servait d’arme, mettant une puissante baffe sur la mâchoire du deuxième agent Le bruit fit grincer Maya des dents et l’agent s’effondra comme une nouille molle.

Alors que le mercenaire de la Division levait son arme vers la nouvelle menace, le type bourru recula et lança le démonte-pneu dans les airs. Il tournoya et passa à moins d’un mètre de Maya, avant d’atterrir puissamment contre le front du mercenaire. Il émit à peine un son avant que son corps ne tombe en arrière à travers la porte cassée.

Le grand homme portait une casquette de camionneur sur une barbe touffue. Il avait de brillants yeux bleus. Il lui fit un signe de tête et désigna du doigt le panneau de l’alarme.

Maya avait les jambes qui flageolaient quand elle se précipita pour saisir le code. L’alarme finit enfin par s’arrêter.

“Mitch ?” dit-elle dans un souffle.

“Mmh,” marmonna le type. Au sol de l’entrée, le membre de la Division que Maya avait fait tomber tentait de se relever en tenant son nez ensanglanté. “Je m’occupe de lui. Appelle le neuf-cent-onze et dis-leur qu’il n’y a pas de problème.”

Maya fit ce qu’il demandait. Elle se rua vers la cuisine, récupéra le téléphone mobile de son père et composa le 911. Elle vit Mitch le mécanicien marcher jusqu’au mercenaire de la Division et lever un boots marron.

Elle détourna le regard avant qu’il ne l’écrase contre le visage de l’homme.

“Neuf-cent-onze, quelle est l’urgence ?”

“Je m’appelle Maya Lawson. J’habite au 814 Spruce Street à Alexandria. Notre système d’alarme s’est déclenché par accident. J’ai laissé la porte ouverte. Il n’y a pas d’urgence.”

“Je vous demande un moment, Mademoiselle Lawson.” Elle entendit le claquement d’un clavier pendant un moment, puis le standardiste lui dit, “Une patrouille est en route et sera là d’ici trois minutes. Même si vous dites qu’il n’y a pas d’urgence, nous aimerions quand même que quelqu’un vienne s’assurer que tout va bien. C’est le protocole.”

“Tout va bien, vraiment.” Elle leva les yeux vers Mitch d’un air désespéré. Il ne fallait pas qu’un flic se pointe, alors qu’il y avait quatre corps dans la maison. Elle ne savait même pas s’ils étaient morts ou juste inconscients.

“Quand bien même, Mademoiselle Lawson, un officier va venir vérifier. S’il n’y a pas d’urgence, alors ça ne pose aucun problème.”

Mitch fouilla dans une poche de son jean taché d’huile et en sortit un téléphone à rabat qui devait bien avoir quinze ans. Il composa un numéro, puis marmonna quelque chose à voix basse dans l’appareil.

“Euh…” Le réceptionniste hésita. “Mademoiselle Lawson, vous êtes sûre qu’il n’y a pas d’urgence ?”

“J’en suis sûre, oui.”

“Très bien, passez une bonne journée.” Le réceptionniste raccrocha abruptement. Au-delà de la porte vitrée brisée, Maya entendit soudain des sirènes retentir à distance… s’estompant rapidement.

“Qu’est-ce que vous avez fait ?” demanda-t-elle à Mitch.

“J’ai appelé pour simuler une urgence plus grave.”

“Est-ce qu’ils sont… vivants ?”

Mitch regarda autour de lui et haussa les épaules. “Pas lui,” grommela-t-il en montrant l’agent avec la tête dans le mur. Maya eut l’estomac retourné en constatant qu’un mince filet de sang courait le long du mur là où était coincée la tête de l’agent.

Combien de gens vont mourir dans cette maison ? ne put-elle s’empêcher de se demander.

“Va chercher ta sœur et récupère vos téléphones. On s’en va.” Mitch enjamba le corps du mercenaire de la Division pour rejoindre son acolyte. Il attrapa le type par les chevilles et le traîna dans la maison, puis récupéra le pistolet noir.

Maya se dépêcha de descendre les escaliers menant au sous-sol. Elle se tint debout devant la caméra qui était fixée par-dessus la porte de la salle de crise. “Il n’y a que moi, Sara. Tu peux ouvrir la porte.”

L’épaisse porte blindée en acier s’ouvrit de l’intérieur et le visage timide de sa sœur apparût. “Est-ce que ça va ?”

“Pour le moment, oui. Viens. On s’en va.”

De retour en haut, Sara constata le carnage avec des yeux écarquillés, mais ne dit pas un mot. Mitch était en train de fouiller dans la cuisine. “Vous avez un kit de premiers secours ?”

“Ouais, ici.” Maya ouvrit un tiroir et en sortit une petite boîte blanche en métal avec un couvercle à charnière qui portait une croix rouge dessus.

“Merci.” Mitch en sortit une lingette antiseptique, puis ouvrit un couteau à pointe tranchante. Maya recula d’un pas en le voyant. “Je suis vraiment désolé,” dit le mécanicien, “mais ce qui va suivre risque d’être un peu désagréable. Vous avez toutes les deux des implants de traçage dans le bras droit. Il faut les enlever. C’est sous-cutané, c’est-à-dire sous la peau et au-dessus du muscle. Donc ça va piquer énormément pendant une minute, mais je vous promets qu’ensuite, ça ira.”

Maya se mordit nerveusement la lèvre. Elle avait presque oublié l’implant de suivi. C’est alors qu’à sa grande surprise, Sara s’avança et releva sa manche droite. Elle saisit la main de Maya et la serra fermement. “Il faut le faire.”

*

Il y eut beaucoup de sang, mais pas beaucoup de douleur alors que Mitch retirait rapidement les deux traceurs. L’implant avait à peine la taille d’un grain de riz. Maya était subjuguée par ce minuscule objet, alors que Mitch tapotait la coupure d’un demi-centimètre et appuyait un pansement dessus.

“On peut y aller maintenant.” Mitch prit le kit de premiers secours, l’arme du mercenaire, les téléphones des filles et les deux minuscules implants. Elles le suivirent dehors et le virent mettre les téléphones et les implants dans le SUV des agents. Ensuite, il passa un autre coup de fil.

“J’ai besoin d’un nettoyage,” grommela-t-il. “Chez Zéro sur Spruce Street. Quatre personnes. Une voiture. Emmène-la à l’ouest, puis fais-la disparaître.” Il raccrocha.

Ils grimpèrent tous les trois dans la cabine d’un vieux pick-up portant l’inscription “Third Street Garage” sur le côté. Mitch démarra et ils quittèrent leur stationnement sur le trottoir.

Aucune des deux filles ne regarda en arrière.

Maya, assise au centre entre Mitch et Sara, remarqua les jointures poisseuses de ses mains, ses doigts étant maculés à la fois de graisse et de sang. “Alors, où est-ce qu’on va ?” demanda-t-elle.

Mitch marmonna sans quitter la route des yeux. “Nebraska.”

CHAPITRE SEPT

Zéro gara la voiture devant l’aéroport abandonné de Meadow Field. Il avait fait un léger détour en se contentant de n’emprunter que des routes secondaires et en évitant les autoroutes de peur que la CIA puisse repérer sa voiture… qu’ils recherchaient certainement.

Meadow Field ne possédait qu’une seule piste, le bâtiment et le hangar ayant depuis longtemps été détruits, puisque l’aéroport était inutilisé depuis quinze ans. Des touffes d’l’herbe et des fleurs surgissaient des fissures sur le tarmac et la pelouse non tondue de chaque côté de la piste grandissait dans l’indifférence la plus totale.

Mais malgré l’apparence des lieux, se trouver là était un soulagement bienvenu pour Zéro. À environ trente mètres, se trouvait un vieux pick-up dont des lettres au pochoirs peintes sur le côté disaient “Third Street Garage.” Le mécanicien bourru était appuyé contre la portière du côté conducteur, sa casquette vissée sur ses sourcils.

Alors que Zéro se précipitait vers le pick-up, ses filles sortirent de la cabine et coururent vers lui. Il prit chacune d’elle sous un bras et les serra fort, ignorant la douleur dans sa main brisée.

“Est-ce que ça va ?” demanda-t-il.

“Il y a eu un peu de grabuge,” admit Maya en le serrant plus fort. “Mais nous avons eu du renfort.”

Zéro acquiesça et relâcha son étreinte, mais il resta à genoux pour pouvoir regarder Sara pile dans les yeux. “Très bien, écoutez-moi. Je vais être franc avec vous.” Il avait réfléchi à ça durant tout le trajet, à ce qu’il allait leur dire, et il avait décidé de tout leur avouer. Leurs vies étaient déjà en danger de toute façon, et elles méritaient de savoir pourquoi. “Il y a des gens très puissants qui veulent déclarer une guerre. Ils ont prévu ça depuis longtemps et c’est seulement dans leur propre intérêt personnel. Si on les laisse faire ça, alors des milliers d’innocents vont mourir. Je vais aller en parler directement au président afin de l’alerter sur ce qui se passe, mais je ne peux pas être sûr qu’il croira les bonnes personnes. Ça pourrait très bien déboucher sur une nouvelle guerre mondiale.”

“Et tu ne peux pas laisser ça se produire,” dit Sara d’une petite voix.

Maya acquiesça solennellement.

“Tout à fait. Et…” Zéro poussa un gros soupir. “Et ça veut dire que les choses vont probablement être compliquées un petit moment. Ils savent que vous êtes toutes les deux le moyen le plus facile de m’atteindre, donc vous devez disparaître et vous cacher jusqu’à ce que tout ça soit fini. Je ne sais pas quand ce sera le cas. Je ne sais pas…” Il s’interrompit à nouveau. Il voulait leur dire, Je ne sais pas si je survivrai à tout ça, mais les mots n’arrivaient pas à sortir.

Il n’eut pas besoin d’en dire plus. Elles avaient déjà compris. Des larmes embuèrent les yeux de Maya et elle détourna le regard. Sara le serra fort à nouveau et il fit de même.

“Vous allez devoir partir avec Mitch et vous devrez faire tout ce qu’il vous demande, ok ?” Zéro avait des trémolos dans sa propre voix. Il était vraiment conscient, maintenant plus que jamais, que c’était peut-être la dernière fois qu’il voyait ses filles. “Vous serez en sécurité avec lui. Et prenez soin l’une de l’autre.”

“Promis,” murmura Sara dans son oreille.

“Bien. À présent, restez là une minute pendant que je vais parler à Mitch. Je reviens.” Il lâcha Sara et se dirigea vers le pick-up où le mécanicien attendait, immobile.

“Merci,” lui dit Zéro. “Tu n’étais pas obligé de faire tout ça et j’apprécie vraiment ton geste. Quand tout ça sera terminé, je te revaudrai ça au centuple.”

“Pas la peine,” marmonna le mécanicien. Sa casquette de camionneur était toujours enfoncée, cachant ses yeux, tandis que son épaisse barbe camouflait le reste de son visage.

“Où est-ce que tu les emmène ?”

“Il y a une vieille maison de protection des témoins au fin fond du Nebraska,” dit Mitch. “Une petite cabane juste en dehors d’une petite ville, quasiment au milieu de rien. Elle n’a pas été utilisée depuis des années, mais elle figure toujours sur la liste du gouvernement. Je les emmène là-bas. Elles seront en sécurité.”

“Merci,” dit Zéro à nouveau. Il ne savait pas ce qu’il pouvait dire d’autre. Il n’était même pas sûr de savoir pouvoir il faisait aussi facilement confiance à ce type en lui laissant les deux personnes qui comptaient le plus dans sa vie. C’était une sensation… un instinct qui dépassait toute logique. Mais il avait appris depuis longtemps, et réappris seulement quelques heures auparavant, à faire confiance à ses instincts.

“Alors,” marmonna Mitch. “C’est finalement en train d’arriver, pas vrai ?”

Zéro cligna des yeux, surpris. “Oui,” dit-il avec méfiance. “Tu es au courant de tout ça ?”

“Oui.”

Il cria presque : “Qui es-tu en réalité ?”

“Un ami.” Mitch vérifia l’heure à sa montre. “Un hélico sera là à tout moment. Il nous déposera sur une piste privée où nous prendrons un avion pour aller à l’ouest.”

Zéro laissa tomber. Il semblait qu’il ne tirerait aucune réponse plus précise de ce mystérieux mécanicien. “Merci,” murmura-t-il une fois de plus. Puis, il tourna les talons pour aller dire au revoir à ses filles.

“Tu es de retour,” dit le mécanicien dans son dos. “N’est-ce pas ?”

Zéro se retourna. “Ouais, je suis de retour.”

 

“Depuis quand ?”

Il se mit à rire. “Aujourd’hui, tu te rends compte ? C’est un après-midi très étrange, je dois dire.”

“Eh bien,” dit Mitch. “Je ne voudrais pas te décevoir.”

Zéro se figea. Un frisson lui parcourut le dos. La voix de Mitch venait soudain de changer et n’avait plus rien avoir avec les marmonnements d’il y a quelques secondes à peine. Elle était douce, calme et tellement familière que Zéro oublia la Division, sa situation et même ses filles pendant un moment.

Mitch passa la main sous la visière de sa casquette et se frotta les yeux. Du moins, on aurait dit que c’était ce qu’il était en train de faire. Mais quand il baissa à nouveau la main, il y avait deux minuscules disques concaves sur ses doigts, d’un bleu cristallin.

Lentilles. Il portait des lentilles de couleur.

Ensuite, Mitch retira sa casquette, lissa ses cheveux et leva les yeux vers Zéro. Ses yeux bruns semblaient désemparés, presque honteux, et Zéro comprit exactement pourquoi en un instant.

“Bon sang.” Sa voix sortit en un murmure rauque alors qu’il regardait ses yeux.

Il les connaissait. Il aurait reconnu ces yeux n’importe où. Mais c’était impossible. “Mon dieu. Tu… tu étais mort.”

“Tout comme toi pendant deux ans,” dit le mécanicien de sa voix douce, presque chantante.

“J’ai vu ton corps,” parvint à articuler Zéro. Ça ne peut pas être vrai.

“Tu as vu un corps qui ressemblait au mien.” L’homme haussa les épaules. “Ne crois pas une seule seconde que je n’ai jamais été aussi intelligent que toi, Zéro.”

“C’est dingue.” Zéro le détailla de la tête aux pieds. Il avait pris une douzaine de kilos, peut-être même plus. Il avait laissé pousser sa barbe, portait une casquette et des lentilles de couleur. Il avait changé sa voix.

Mais c’était lui. Il était vivant.

“Je n’arrive pas à y croire.” Il fit deux pas en avant et serra Alan dans ses bras.

Son meilleur ami, celui qui avait été son coéquipier sur tant d’opérations, celui qui l’avait aidé à faire installer le suppresseur de mémoire au lieu de le tuer sur le Pont Hohenzollern, celui que Zéro croyait avoir trouvé mort, poignardé dans un appartement de Zurich… il était là. Il était vivant.

Il repensa à sa découverte à Zurich. Le visage du mort était bouffi, enflé et son esprit avait immédiatement lié le macchabée à Reidigger. Ton esprit comble les trous, lui avait une fois dit Maria.

Reidigger avait maquillé sa propre mort, tout comme il avait aidé Kent Steele à simuler la sienne. Et il avait vécu sous l’apparence d’un mécanicien très connecté à seulement vingt minutes de distance.

“Durant tout ce temps ?” demanda Zéro. Sa voix était haletante et sa vision légèrement embrumée, alors que ses émotions remontaient à la surface. “Tu as gardé un œil sur nous ?”

“Autant que possible, et Watson m’a aidé.”

C’est vrai. Watson est au courant. C’était John Watson qui avait présenté Reid Lawson à Mitch le mécanicien… mais il ne l’avait fait que lorsque les filles de Reid avaient été enlevées, que les enjeux étaient trop grands et que la CIA n’était pas d’un grand secours.

“Est-ce que quelqu’un d’autre est au courant ?” demanda Zéro.

Alan secoua la tête. “Non. Et il ne faut pas. Si l’agence l’apprend, je suis un homme mort.”

“Tu aurais pu me le dire plus tôt.”

“Non, impossible.” Alan sourit. “Sans tes souvenirs intacts, est-ce que tu m’aurais reconnu ? Est-ce que tu m’aurais cru si je t’avais simplement dit ça ?”

Zéro devait bien admettre qu’il marquait un point.

“C’est l’œuvre du Dr. Guyer ? Tu es allé le voir ?”

“Oui,” dit Zéro. “Ça n’a pas marché sur le coup. C’est arrivé plus tard, déclenché par des mots. Et maintenant…” Il secoua la tête. “Maintenant, je sais. Je me souviens. Et je dois arrêter ça, Alan.”

“Je le sais bien. Et tu sais qu’il n’y a rien que je souhaiterais plus que d’être à tes côtés pour le faire.”

“Mais tu ne peux pas.” Zéro le comprenait totalement. De plus, Alan avait une tâche qui était tout aussi importante aux yeux de Zéro que d’empêcher la guerre. “J’ai besoin que tu les garde en sécurité.”

“Je le ferai. Je te le promets.” Les yeux d’Alan s’éclairèrent soudain. “Ça me fait penser que j’ai quelque chose pour toi.” Il passa le bras par la vitre ouverte du pick-up et en sortit un pistolet Sig Sauer. “Tiens. Avec les compliments du mercenaire de la Division qui a attaqué ta maison.”

Zéro prit le pistolet avec incrédulité. “La Division était chez moi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?”

“Rien d’insurmontable. Ces deux-là sont bien tes filles.” Alan esquissa un sourire, mais il s’estompa rapidement. “Tu as aussi besoin d’aide, tu sais. Appelle Watson ou ton nouveau copain, le Ranger.”

“Non,” dit fermement Zéro. Il refusait de compromettre Watson ou Strickland plus qu’il ne l’avait déjà fait. “Il vaut mieux que je gère ça tout seul.”

Alan soupira. “Toujours aussi têtu.” À distance, le bruit des rotors d’un hélicoptère se rapprocha. “Voilà notre taxi. Prend soin de toi, Zéro.”

“Je te le promets.” Il étreignit une nouvelle fois Reidigger. “Merci pour tout ce que tu fais. Quant tout ça sera terminé, on se posera toi et moi pour avoir une longue conversation autour de quelques bières.”

“Ça marche,” acquiesça Reidigger. Mais il y avait une pointe de mélancolie dans sa voix qui suggérait qu’il pensait la même chose que Zéro en ce moment, à savoir que l’un d’entre eux, voire même les deux, pourrait ne pas survivre à cette affaire. “En attendant… ne leur fait pas confiance.”

Il fronça les sourcils. “De qui tu parles ?”

“De tout le monde à l’agence,” dit Alan. “Ils étaient déjà prêts à te tuer avant et ils étaient ravis que ce soit moi qui me propose d’appuyer sur la détente. Ils ne feront pas la même erreur deux fois. Cette fois, ils enverront quelqu’un qui ne perdra pas une minute avant de te tirer une balle dans le dos.”

“Je sais.” Zéro secoua la tête. “Je voulais au moins entrer en contact avec Cartwright. Je ne pense pas qu’il soit dans le coup…”

“Bon dieu, qu’est-ce que je viens de te dire ? Personne, tu m’entends ?” Alan le regarda dans les yeux. “Surtout pas Cartwright. Zéro… il y a deux ans, c’est Cartwright qui m’a envoyé avec Morris pour te tuer sur le pont.”

“Quoi ?” Un frisson parcourut le dos de Zéro.

“Oui. Il n’a pas envoyé la Division. Il n’a envoyé aucun tueur à gage. L’ordre de t’assassiner est venu de plus haut et Cartwright ne l’a pas contesté. Il nous a envoyés.”

Une vague de fureur mit le feu à sa poitrine. Shawn Cartwright avait prétendu être un ami, un allié et avait même prévenu Zéro qu’il ne devait pas faire confiance aux autres, notamment Riker.

Le martèlement des rotors de l’hélicoptère vrombit au-dessus de leur tête, tandis qu’il descendait sur Meadow Field. Alan se pencha et lui dit à l’oreille, “Au revoir, Zéro.” Il mit une tape sur l’épaule de son ami et s’éloigna pour aller à la rencontre de l’hélicoptère en train de se poser dans les hautes herbes.

Zéro se hâta de rejoindre ses filles et les serra fort, toutes les deux, une fois de plus. “Je vous aime toutes les deux,” leur dit-il à l’oreille. “Soyez sages et prenez soin l’une de l’autre.”

“Je t’aime aussi,” répondit Sara en le serrant fort.

“D’accord,” promit Maya en s’essuyant les yeux.

“Allez-y maintenant.” Il les laissa partir et elles se dirigèrent en vitesse vers l’hélicoptère noir. Elles se retournèrent toutes les deux une dernière fois avant de monter à bord avec l’aide d’Alan. Puis, la porte se referma et l’hélicoptère redécolla. Zéro resta planté là un long moment, le regardant devenir de plus en plus petit dans le ciel. Sa tête tournait encore d’avoir appris qu’Alan Reidigger était toujours en vie, mais savoir que ses filles étaient entre les mains d’Alan lui donnait de l’espoir… et encore plus de détermination pour survivre à cette épreuve.

Finalement, il détourna le regard de ce qui n’était plus qu’un point à l’horizon et il retourna à la voiture. Pendant un court moment, il resta assis au volant à se demander si c’était la dernière fois qu’il voyait ses filles. Le bruit du sang qui battait à ses oreilles était impressionnant.