Le Fichier Zéro

Text
0
Kritiken
Leseprobe
Als gelesen kennzeichnen
Wie Sie das Buch nach dem Kauf lesen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

CHAPITRE QUATRE

Il y avait peu de trafic en ce début d’après-midi, et Zéro arriva rapidement à la banque d’Arlington. Il grilla deux stops et appuya même sur l’accélérateur au feu orange, se rappelant chaque fois qu’éviter d’attirer les soupçons serait une bonne idée et que toute infraction serait sans aucun doute repérée par le système de la CIA, alertant les conspirateurs de l’agence sur son emplacement.

Mais il n’avait pas vraiment la tête aux règles de circulation. Il avait pris les mesures de précaution pour garder ses filles en sécurité, du moins pour l’instant, et il allait maintenant récupérer ses documents dans le coffre-fort. C’était la partie facile de son plan. Mais, ensuite, ça allait se compliquer. À qui je donne ça ? À la presse ? Non, se dit-il. Ce serait trop galère. Même s’il parvenait à salir la réputation de certains grands noms, le procès pour démettre de ses fonctions la moindre des personnes impliquées serait long et laborieux.

Les Nations Unies ? L’OTAN ? Une fois de plus, les organes politiques et judiciaires altèreraient la réalité des choses. Il lui fallait quelque chose de rapide, porter ce qu’il savait à la connaissance de quelqu’un qui aurait le pouvoir d’agir de façon immédiate et irréversible.

Il connaissait déjà la réponse : Pierson. Si le président était vraiment en dehors du complot, Zéro pouvait faire appel à lui. Il fallait qu’il puisse se retrouver seul avec le président pour lui montrer tout ce qu’il avait et lui dire ce qu’il savait. Le président pouvait arrêter tout ça et démettre de leurs fonctions les responsables. Pierson semblait tenir Zéro en haute estime. Il lui faisait confiance et le traitait avec amitié. Bien que ses manières aient amené Zéro à douter de Pierson et à le prendre en aversion par le passé, il était à présent armé de ses véritables souvenirs et il voyait le président tel qu’il était : un pion dans cette partie. Ceux qui tiraient les fils du pouvoir voulaient quatre années de plus pour pouvoir manipuler les choses à leur guise, d’une manière qui impliquait la longévité, peu importe qui se trouvait à la Maison Blanche.

Il se gara parallèlement au trottoir à deux-cents mètres de la banque, difficilement avec une seule main valide. Avant de sortir de la voiture, il se pencha, ouvrit la boîte à gants et fouilla dedans jusqu’à ce qu’il trouve le petit couteau noir à cran d’arrêt qu’il avait fourré dedans.

Puis, il se hâta de descendre la rue jusqu’à la banque.

Zéro essaya de paraître patient en attendant que les trois clients devant lui finissent leurs affaires, puis il présenta sa carte d’identité à la guichetière, une femme d’âge moyen au sourire aimable et au rouge à lèvres criard.

“Je vais chercher le gestionnaire de la salle des coffres,” lui dit-elle poliment.

Deux minutes plus tard, un homme en costume le conduisit derrière une porte voûtée où se trouvaient les coffres-forts. Il tourna la clé de la petite porte rectangulaire du coffre 726, en sortit la boîte qui se trouvait dedans et la posa sur la table en acier vide, fixée au sol en plein centre de la pièce.

“Prenez votre temps, Monsieur.” Le gestionnaire lui fit un signe de tête et lui laissa un peu d’intimité.

Dès que le type fut parti, Zéro souleva le couvercle de la boîte.

“Non,” murmura-t-il. Il fit un pas en arrière et regarda instinctivement par-dessus son épaule, comme si quelqu’un pouvait se trouver là.

La boîte était vide.

“Non, non.” Il tapa du poing sur la table dans un bruit sourd. “Non !” Tous ses documents avaient disparu, tout ce qu’il avait amassé sur ceux qu’il savait être impliqués dans le complot. La moindre preuve illégalement obtenue pouvant potentiellement pousser des chefs d’état à la démission s’était volatilisée. Photos, transcriptions, e-mails… tout ça s’était évanoui.

Zéro prit sa tête à deux mains et se mit rapidement à faire les cent pas dans la pièce. Il pensa d’abord que le plus vraisemblable était que quelqu’un d’autre, au courant pour les documents, les avait pris. Qui d’autre était au courant pour ce coffre ? Personne. Il en était sûr. Est-ce bien sûr que tu n’as pas donné l’information à quelqu’un et que tu l’as oublié ? Non. Il n’aurait pas fait ça. Il eut presque envie de rire tellement c’était insensé de penser qu’il avait peut-être oublié quelque chose dont il ne connaissait même pas l’existence quelques heures auparavant.

C’est alors que Zéro se souvint d’autre chose, non pas d’un souvenir verrouillé, mais d’un qu’il avait vécu seulement quelques jours plus tôt dans le cabinet du neurochirurgien suisse.

Je dois vous prévenir d’une chose, lui avait dit le Dr. Guyer avant d’effectuer la procédure visant à ramener les souvenirs de Zéro. Si ça marche, certaines des choses dont vous allez vous souvenir pourraient être de l’ordre du subconscient : des rêves, des souhaits, des suspicions de votre vie passée. Tous ces aspects non relatifs à la mémoire ont été supprimés avec vos véritables souvenirs.

Zéro avait froncé les sourcils en entendant ça. Donc vous êtes en train de me dire que si je me souviens des choses, certaines d’entre elles pourraient ne pas vraiment être réelles ?

La réponse du docteur avait été simple, mais peu rassurante. Elles seront réelles pour vous.

Si c’était vrai, raisonna-t-il, ne serait-ce pas possible qu’il ait lui-même déplacé les documents ? Pouvait-il avoir imaginé qu’ils étaient ici, dans le coffre-fort, alors qu’ils étaient ailleurs en vérité ?

Je perds la tête.

Concentre-toi, Zéro.

Il sortit son couteau de sa poche, le déplia et passa soigneusement la pointe tranchante dans la fente du fond de la boîte. Il la bougea doucement d’avant en arrière en faisant bien attention de ne pas laisser de trace sur la boîte, jusqu’à ce que le panneau du fond se détache.

Il poussa un léger soupir de soulagement. La personne qui avait pris ses documents ne connaissait pas l’existence du double-fond qu’il avait installé dans la boîte, à moins d’un pouce au-dessus du véritable fond. Niché en-dessous, se trouvait un seul objet : une clé USB.

Au moins, ils n’ont pas trouvé les enregistrements. Mais est-ce que ce sera suffisant ? Il n’en était pas sûr, mais c’était tout ce qu’il possédait. Il la récupéra, la mit en poche avec son couteau, puis replaça soigneusement le double fond. Ensuite, il remit la boîte en place et referma la porte.

Quand il eut terminé, Zéro retourna vers la conseillère trop maquillée.

“Excusez-moi,” dit-il, “pouvez-vous me dire si quelqu’un d’autre a eu accès à mon coffre-fort durant ces deux dernières années ?”

La femme le regarda en clignant des yeux. “Deux ans ?”

“Oui, s’il vous plaît. Vous gardez une trace de tout ça, je suppose ?”

“Hum… certainement. Un moment.” Ses ongles claquèrent contre les touches du clavier durant une longue minute. “J’ai trouvé. Il n’y a eu qu’un seul accès à votre coffre-fort en deux ans. Quelqu’un est venu il y a deux mois seulement, en février.”

“Ce n’était pas moi,” dit Zéro avec impatience. “Donc qui était-ce ?”

Elle cligna à nouveau des yeux en le regardant, étonnée cette fois. “Eh bien, Monsieur, il s’agit de la seule autre personne autorisée à accéder au coffre-fort, à savoir votre femme, Katherine Lawson.”

Zéro regarda la conseillère avec insistance, ce qui la mit mal à l’aise.

“Non,” dit-il lentement. “C’est impossible. Ma femme est décédée il y a deux ans.”

Elle plissa profondément les coins bariolés de sa bouche comme si elle tombait des nues. “Je suis vraiment navrée de l’apprendre, Monsieur. Et c’est vraiment étrange. Mais… nous demandons une pièce d’identité avec photo et la personne qui a accédé au coffre nous l’a montrée de toute évidence. Le nom de votre femme n’a pas été retiré de la location du coffre après son décès.”

Zéro se souvenait avoir mis son nom sur le contrat de location. Kate ne l’avait pas su à l’époque. Il avait imité sa signature en la désignant comme locataire conjointe du coffre, afin que quelqu’un ait connaissance de tout ça s’il venait à mourir.

Et, seulement deux mois plus tôt, on s’était fait passer pour elle en allant loin au point de créer une fausse pièce d’identité pouvant paraître valide dans une banque, afin de récupérer le contenu de son coffre-fort.

“Je vous assure,” lui dit la guichetière, “que nous allons tirer tout ceci au clair. Le gestionnaire de la salle des coffres vient juste de finir sa journée, mais je peux lui demander de vous contacter demain. Voulez-vous signaler un vol ?”

“Non, non.” Zéro fit un signe négatif de la main. Il ne voulait impliquer aucune autorité légale et que le coffre-fort soit référencé dans le moindre système auquel la CIA pourrait avoir accès. “Rien ne manque,” mentit-il. “N’en parlons plus. Merci.”

“Monsieur ?” l’appela-t-elle, mais il était déjà à la porte.

Quelqu’un est venu ici en se faisant passer pour Kate. Il savait qu’il ne pouvait pas faire grand-chose maintenant. La banque possédait toujours certainement l’enregistrement de la caméra de sécurité pour ce jour-là, mais on ne le laisserait pas y accéder, à moins d’une investigation avec un mandat.

Mais qui ? L’agence était le coupable le plus évident. Avec les larges ressources de la CIA, ils avaient pu créer une pièce d’identité convaincante et envoyer une agente se faire passer pour Kate. Mais Zéro n’avait pas consulté le coffre-fort depuis des années. S’ils étaient au courant depuis cette époque, alors pourquoi avoir attendu jusqu’à il y a deux mois pour en saisir le contenu ?

Parce que je suis revenu. Ils me croyaient mort et quand ils ont su que je ne l’étais pas, ils ont eu besoin de vérifier ce que je savais.

 

Une autre idée lui vint en tête : Maria. Es-tu sûr que tu ne lui en as jamais parlé ? Pas même en cas d’urgence ? C’était l’un des meilleurs agents sous couverture qu’il connaisse. Elle avait pu trouver un moyen. Mais restait la question de savoir pourquoi elle ferait ça seulement maintenant, pourquoi elle aurait attendu si elle connaissait l’existence du coffre-fort.

Il se sentit soudain fatigué et dépassé. Il avait tant perdu de ce qu’il avait découvert auparavant, le seul petit morceau de preuve potentielle se trouvant désormais sur une clé USB dans sa poche. Il n’avait aucune idée du temps qui lui restait pour s’entretenir seul avec Pierson et essayer de le convaincre de ce qui était en train de se passer en tentant de le persuader de surveiller de plus près les responsables, alors qu’il n’avait presque rien pour étayer ses propos.

Ça lui semblait être une mission impossible. Il réalisa tristement que s’il avait toujours été Reid Lawson, emprisonné dans l’enfer de ses souvenirs partiels en tant qu’Agent Zéro, il aurait peut-être abandonné. Il aurait peut-être récupéré ses filles et fourré dans une valise qu’il pouvait emporter pour fuir quelque part. Le Midwest, peut-être. Il aurait peut-être enfoui sa tête dans le sable et laissé les choses se produire comme c’était prévu. La principale priorité de Reid Lawson était ses filles.

Mais l’Agent Zéro avait une responsabilité. Ce n’était pas juste son travail. Il s’agissait de sa vie. Voilà qui il était vraiment et il n’y avait pas moyen qu’il reste assis sans rien faire à regarder la guerre se déclencher, regarder des personnes innocentes mourir, regarder les militaires américains et les civils du Moyen Orient forcés à entrer dans un conflit qui était conçu pour le bénéficie d’une poignée de mégalomanes soucieux de conserver leurs pouvoirs.

Il entendit des bruits de pas faisant écho aux siens et résista à l’envie de se retourner. Alors qu’il approchait de sa voiture, garée à deux-cents mètres de la banque, il constata que les lourds bruits de pas marchaient quasiment en rythme avec les siens.

À environ trente mètres derrière toi. Il garde ses distances. Les pas sont lourds : probablement un homme d’un mètre quatre-vingt-cinq, entre quatre-vingt-quinze et cent kilos.

Zéro ne s’arrêta pas à sa voiture. Il la dépassa, marcha jusqu’au croisement suivant et s’engagea dans la rue perpendiculaire à droite. En passant devant la boutique d’un fleuriste, la même où il avait une fois acheté des bouquets pour ses filles avant d’aller les récupérer dans une planque située à six pâtés de maisons de là, il regarda à sa périphérie dans la vitre. C’était quelque chose qu’il faisait instinctivement en tant que Reid Lawson, mais ses compétences étaient également revenues avec ses souvenirs. C’était aussi simple que de regarder droit dans un miroir. Sans quitter des yeux le trottoir devant lui, il était en mesure de se concentrer sur l’extrémité des bords de son champ de vision.

Un homme portant un tee-shirt noir traversait la rue pour se diriger vers lui. Il était grand, pesait facilement cent-dix kilos, avec un cou aussi épais que sa tête et des muscles saillants qui testaient les limites des manches de son tee-shirt.

Tiens, tiens, un de plus. Les poils se hérissèrent sur les bras de Zéro, mais les battements de son cœur ne s’emballèrent pas. Sa respiration resta normale. La sueur ne perla pas sur ses sourcils

Il n’était pas paranoïaque. Ils en avaient après lui. Ils savaient. Et il était plus que prêt à relever le défi.

CHAPITRE CINQ

Sans ralentir, Zéro tourna de nouveau à droite, se glissant dans une ruelle étroite entre deux immeubles. Elle faisait à peine deux mètres d’un côté à l’autre, même pas assez large pour être qualifiée d’allée. À peu près au milieu, il s’arrêta et se retourna.

Au bout de la ruelle se trouvait l’un de ses poursuivants. L’homme avait à peu près son âge, un peu plus grand de quelques centimètres, avec un visage nerveux et une barbe de quelques jours sur le menton. Il portait des boots noirs, un jean et une veste en cuir noir.

“Baker,” dit instinctivement Zéro. Cet homme était un membre de la Division, un groupe de sécurité privé que la CIA engageait parfois pour l’assister dans les affaires internationales. C’étaient de véritables mercenaires, le même groupe qui avait tenté de lui ôter la vie moins d’une semaine plus tôt à la base de la Confrérie non loin d’Al-Baghdadi. Le même groupe qui avait tenté d’attaquer l’Agent Watson et de kidnapper ses filles en Suisse.

Mais cet homme en particulier lui était familier. Dès que Zéro vit son visage, il se souvint. En 2013, la Division avait été appelée en renfort à la suite d’une prise d’otage entre une faction d’Al-Qaïda et une douzaine de soldats américains. Baker était parmi eux.

Le mercenaire leva un sourcil. “Tu me connais ?”

Merde. Zéro s’en voulut d’avoir prononcé le nom du type. Il avait montré son jeu. Il haussa les épaules et essaya de noyer le poisson. “Il y a des trucs qui reviennent. Par morceaux.”

Baker sourit. “Je vois, Zéro. Il y avait quoi à la banque ?”

“De l’argent. J’ai effectué un retrait.”

Le mercenaire secoua la tête. “Je ne crois pas. Tu vois, je me suis renseigné. Tu n’as pas de compte là-bas. Mais mes techniciens ont trouvé un coffre-fort à ton nom et celui de ta défunte épouse.”

Zéro vit rouge un moment à cause du commentaire désinvolte sur Kate et il faillit perdre ses nerfs, mais il s’efforça de rester calme.

“Je suppose que tu as bien effectué un retrait,” dit Baker, “mais pas d’argent. Il y avait quoi dans le coffre, Zéro ?”

Suppose ? Soit Baker bluffait, soit l’agence n’avait vraiment pas eu connaissance de l’existence du coffre-fort jusqu’ici. Ce qui voudrait dire que la CIA n’était pas responsable de l’absence des documents. Mais il peut très bien mentir.

Zéro entendit des bruits de pas derrière lui et jeta rapidement un coup d’œil par-dessus son épaule pour voir un type costaud apparaître dans l’angle, à l’autre bout de l’étroite ruelle. Sa tête était entièrement rasée, mais son menton était obscurci par une épaisse barbe brune. Il arborait un affreux sourire aux lèvres. Il aurait très bien pu être joueur de football américain ou lutteur professionnel.

Je ne le connais pas. Ce doit être un nouveau, pensa Zéro ironiquement.

Quand il se retourna vers Baker, le mercenaire à l’air nerveux avait fourré une main dans sa poche. Elle en ressortit lentement et Zéro ne fut pas du tout surpris de la voir tenir un Sig Sauer noir.

“C’est pour quoi faire ? Tu vas me tirer dessus en plein jour ?” Zéro leva sa main droite blessée. “Je n’ai pas d’arme et je n’ai qu’une seule main valide.”

“J’ai vu ce dont tu es capable avec une seule main,” dit Baker nonchalamment en vissant un silencieux au canon de son pistolet. “C’est pour me défendre. Il y avait quoi dans le coffre, Zéro ?”

Zéro haussa les épaules. “Tu devras me tirer dessus en premier.” Comment diable vais-je pouvoir me tirer d’affaire ? Ce n’était pas une ruse quand il disait qu’il n’avait qu’une seule main. Il serait clairement désavantagé s’il devait se battre contre l’un d’entre eux, sans même parler des deux.

“Nous avons pour ordre de ne pas employer de force léthale,” fit remarquer Baker. Il regarda son compagnon bourru derrière Zéro. “Tu en penses quoi, Stevens ? Une balle dans la rotule n’est pas léthale, pas vrai ?”

Le costaud, Stevens, ne répondit pas… du moins pas avec des mots. Il se contenta de grogner.

Force non léthale. Ces deux-là n’avaient pas été envoyés pour le tuer. Ils avaient pour mission de lui prendre ce qu’il avait bien pu récupérer à la banque, et certainement de déterminer s’ils devaient ou non l’amener avec eux. Il est trop tard pour me tuer à présent. Ceux qui menaient la danse avaient besoin de connaître ce qu’il savait et à qui d’autre il en avait parlé. Ce ne serait peut-être pas trop suspect pour ceux qui n’étaient pas impliqués dans le complot si l’Agent Zéro était soudain retrouvé mort. Mais s’il fallait prendre la vie d’autres personnes comme Strickland, Watson et Maria, les gens commenceraient à poser les questions qui fâchent et à fouiner, risquant de découvrir leurs manigances.

Il faut que je trouve un subterfuge. “Alors, comment va Fitzpatrick ?” demanda-t-il d’un ton aussi naturel que possible. Il savait qu’il allait les énerver ainsi, mais il avait besoin de gagner du temps. “La dernière fois que je l’ai vu, il était un peu… amoindri, on va dire.”

Baker plissa légèrement les lèvres. Le chef de la Division, Fitzpatrick, avait été renversé par une voiture sur un parking à New York par l’Agent du Mossad Talia Mendel. D’après ce que Zéro savait, Fitzpatrick était toujours en vie, mais il ne connaissait pas l’étendue de ses blessures.

“Il est vivant,” répondit Baker sans émotion apparente, “malgré les efforts de tes amis. Dix-sept os brisés, un poumon perforé, une perte de vision à l’œil droit.”

Zéro fit claquer sa langue d’un air dépité. “Il faut vraiment que je lui envoie des fleurs…”

Baker leva le pistolet à deux mains. “Ça suffit. Cette discussion est très sympa, mais si tu ne me dis pas ce qu’il y avait dans ce coffre-fort, je vais te tirer dessus. Et ensuite, Stevens traînera ton corps en sang par la cheville jusqu’à un joli petit endroit calme où on pourra te brancher à une batterie de voiture jusqu’à ce que tu nous dises exactement ce dont tu te souviens.”

Zéro plissa le nez. “Ça n’a pas l’air cool.”

Baker tira un coup de feu. L’arme émit un sifflement et un petit morceau de la façade en brique à la droite de Zéro explosa, envoyant de minuscules éclats de pierre contre son visage.

Il leva les mains en un instant. “Wow ! Ok. Bon sang, je vais vous dire tout.” Toutefois, ses pulsations accélérèrent à peine.

J’ai ce qu’ils veulent. C’est moi qui ai le contrôle.

“Il s’agit d’une clé USB avec des informations dessus.”

“Donne-la-nous,” ordonna Baker.

“Est-ce que je peux la chercher dans ma poche ?”

“Lentement,” grommela Baker avec son Sig Sauer pointé sur le front de Zéro.

“Ok.” Zéro montra sa main gauche vide, remua ses doigts, puis fourra lentement sa main dans la poche de son pantalon. Baker est à environ cinq mètres. Avec sa main dans la poche, il saisit la clé USB à deux doigts, la tenant entre l’index et le majeur. Stevens est à peu près à sept mètres. Il prit le couteau à cran d’arrêt dans sa paume en le tenant entre l’annulaire et l’auriculaire, le maintenant avec son pouce. Tout comme la Percée de Tueller.

Ce matin-là, il aurait juré ne jamais avoir entendu le nom de Dennis Tueller, mais quiconque ayant jamais été entraîné à manier le couteau au milieu d’armes à feu le connaissait. En 1983, le Sergent Tueller avait procédé à une série de tests afin de déterminer à quelle vitesse un attaquant avec un couteau pouvait couvrir une distance d’approximativement sept mètres… et si sa cible, avec une arme dans son étui, pouvait réagir à temps.

Moins de deux secondes. C’était le temps moyen qu’il fallait à un attaquant pour courir sur sept mètres, soit la position de Stevens, vers sa cible. Le problème était que l’arme de Baker était déjà dégainée.

Mais pas celle de Stevens.

“Tu la vois ?” Zéro leva la clé USB coincée entre ses deux doigts, gardant bien sa paume invisible pour Baker.

“Lance-la,” demanda Baker. Derrière l’épaule du mercenaire, il vit marcher quelques passants qui discutaient et rigolaient en passant devant l’embouchure de l’étroite ruelle. Parmi eux, un jeune homme jeta un coup d’œil vers eux, mais il ne vit pas le Sig Sauer étant donné que Baker était de dos. Aussi, le jeune homme fronça brièvement les sourcils et continua sa promenade.

Il faut vraiment que je crée une distraction. Mais Zéro ne comptait pas appeler qui que ce soit, car il ne voulait mettre personne en danger.

L’une des mains de Baker quitta le pistoler et il la tendit, paume vers le haut, attendant que Zéro lui lance la clé USB.

Aussi, il s’exécuta. Il recourba son bras en arrière et jeta la clé USB vers Baker dans un mouvement qui la fit s’élever en arc de cercle. En lâchant la clé, il fit glisser le couteau à cran d’arrêt dans sa paume pour le saisir des doigts.

Puis il s’élança comme une flèche, ouvrant le couteau en même temps.

Alors que Baker quittait des yeux sa cible pour regarder la minuscule clé noire voler en arc de cercle dans les airs, Zéro courut depuis sa position… mais pas vers Baker. Il se rua comme un fou vers le type costaud.

 

Une virgule quatre secondes. Il avait effectué la Percée Tueller un millier de fois, s’étant entraîné pour ce scenario exact, et il s’en rappelait aussi clairement que si ça c’était passé hier. Un pistolet-radar de haute précision sur le terrain d’entraînement de la CIA l’avait chronométré à une moyenne d’une virgule quatre secondes pour atteindre une cible se trouvant approximativement à sept mètres.

La quantité de calculs mathématiques qui lui traversa l’esprit en un instant était impressionnante. Ce savoir avait toujours été là, ancré à la suite d’une somme insensée de gestes répétés et d’études, enfermé dans les tréfonds de son système limbique en attendant l’occasion de surgir à nouveau. La vitesse moyenne de réaction humaine allait d’une demi-seconde à trois-quarts de seconde. Même un professionnel comme Baker avait besoin d’au moins un quart de seconde entre deux tirs sur un pistolet semi-automatique comme le Sig Sauer. Et Zéro était une cible mobile.

Le costaud, Stevens, n’était pas rapide. Il avait à peine libéré son pistolet de son étui, les yeux involontairement écarquillés de surprise à cause de la vitesse à laquelle Zéro fondait sur lui. La lame de son couteau était déjà déployée. Zéro se pencha en avant sur les deux derniers mètres et sauta sur Stevens, enfonçant la pointe de son couteau dans sa gorge d’un mouvement net.

De sa main droite bandée, il prit appui sur la puissante épaule de Stevens et, alors que la lame du couteau ressortait, Zéro se propulsa pour contourner le corps massif du type. Deux coups de feu furent tirés derrière lui, thwip-thwip avec le pistolet équipé du silencieux, et atteignirent Stevens à la poitrine alors que Zéro atterrissait derrière lui. Une horrible douleur vive s’empara de sa main blessée, mais l’adrénaline était là à présent, coulant en lui tandis qu’il laissait tomber le couteau pour récupérer le pistolet de Stevens avant que ce dernier ne s’écroule à terre. Il le lui arracha de son gros poing et, à l’abri derrière son large bouclier humain, tira deux fois sur Baker.

Il était bon tireur de la main gauche, même s’il n’était pas aussi doué qu’avec la droite. L’un des tirs manqua sa cible. Une vitre éclata quelque part, au-delà de la ruelle. Le deuxième tir retentissant (le Beretta de Stevens n’était pas équipé d’un silencieux) s’enfonça dans le front de Baker.

La tête du mercenaire partit en arrière et son corps suivit le mouvement.

Zéro ne demanda pas son reste et ne s’arrêta même pas pour reprendre son souffle. Il se mit à courir de nouveau, récupéra la clé USB au sol, puis partit au pas de course dans la direction opposée pour quitter la ruelle. Il la mit dans sa poche avec le couteau ensanglanté et il emporta aussi le Beretta de Stevens. Il y avait ses empreintes dessus.

Quelque part, retentit une alarme automobile. Les éclats de verre qu’il avait entendus devaient provenir d’une vitre de voiture. Il espéra que personne n’avait été blessé.

La poitrine du mercenaire massif se levait et s’abaissait. Il était encore en vie. Mais Zéro ne pouvait pas se payer le luxe de l’achever ou d’attendre qu’il trépasse. De plus, avec le coup de couteau à la gorge et les deux balles dans la poitrine, il serait mort dans quelques secondes.

Non loin de là, des gens se mirent à crier d’effroi tandis que Zéro sprintait pour atteindre le bout de l’allée, fourrant le flingue dans son pantalon en même temps. Il tourna à l’angle et regarda autour de lui avec un air confus, tentant d’arborer une mine aussi choquée que tous les autres passants.

Alors qu’il se dépêchait de quitter le secteur, il entendit le cri d’une femme qui venait certainement de découvrir les deux corps dans l’étroite ruelle, puis une forte voix masculine cria, “Que quelqu’un appelle le neuf-cent-onze !”

Ils devaient mourir. Il n’y avait pas d’autre solution. Il l’avait su dès l’instant où il avait accidentellement prononcé le nom de Baker et dévoilé ainsi son jeu. Il l’avait su quand il leur avait montré la clé USB récupérée à la banque.

Étrangement, il n’avait aucun remord. Il n’y avait pas de “et si ?” il aurait pu ou pas les dissuader de prendre la clé USB ou leur expliquer son point de vue. C’était eux ou lui et il avait décidé que ce ne serait pas lui. Ils avaient choisi leur camp et c’était le mauvais.

Toute la scène, du lancer de la clé USB jusqu’à sa fuite de la ruelle s’était déroulée en l’espace de quelques secondes. Mais il pouvait visualiser clairement chaque instant comme une vidéo en slow-motion dans son esprit. Le plus étrange avait été quand Baker avait tiré tout près de sa tête et que la balle avait atteint le mur en brique. Zéro ne s’était pas dit que la balle l’avait raté de peu et que Baker aurait bien pu le tuer. Il n’avait pas pensé à ses filles. Au lieu de ça, il avait été parfaitement conscient de la nature dichotomique de son esprit savant face à ses souvenirs redécouverts. Zéro était cool, calme et pensait, peut-être par orgueil, par expérience ou un mix entre les deux, qu’il avait encore le contrôle de la situation.

C’était une sensation bizarre. Et le pire, c’était à quel point c’était effrayant et excitant en même temps. Est-ce vraiment qui je suis ? Reid Lawson était-il un mensonge ? Ou ai-je vécu ma vie pendant deux ans avec seulement les parties les plus faibles de ma psyché ?

Zéro marcha à pas rapides jusqu’à l’immeuble suivant, traversa la rue en direction de la boutique du fleuriste, puis retourna directement à sa voiture. Il vit qu’une foule de voyeurs s’était rassemblée à l’angle de la ruelle, beaucoup choqués ou même en pleurs à la vue des deux corps morts.

Personne ne faisait attention à lui.

Il conduisait tranquillement en respectant les limitations de vitesse et en faisant bien attention de ne pas griller de stop ou de feu. La police était très certainement déjà en route et la CIA saurait dans un moment que des coups de feu avaient été tirés et que deux hommes avaient été abattus à quelques mètres de la banque où s’était rendu Zéro selon le rapport de la Division.

La question était de savoir ce qu’ils allaient faire ensuite. Il n’y avait rien sur la scène du crime qui pouvait réellement le lier à ça. Et la personne qui avait envoyé la Division à ses trousses, Riker présumait-il, ne pourrait pas l’admettre ouvertement. Toutefois, il avait besoin d’une aide, et plus grande que celle qu’il pouvait demander à ses amis agents. Ils étaient certainement surveillés eux aussi. Si la chasse était ouverte sur l’Agent Zéro, alors il allait avoir besoin d’alliés. Et des puissants.

Mais d’abord, il devait mettre ses filles en sécurité.

Dès qu’il se sentit à une distance sûre de la scène macabre dans la ruelle, il s’arrêta à l’arrière d’une station-service. Il balança le pistolet, le couteau et la clé du coffre-fort dans une benne à ordure à l’odeur infame, puis il retourna à la voiture et passa un appel. Il n’y eut que deux sonneries avant que Mitch réponde en marmonnant.

“J’ai besoin d’une extraction tout de suite, Mitch. Il faut qu’on se retrouve quelque part.”

“Meadow Field,” dit immédiatement le mécanicien. “Tu connais ?”

“Oui.” Meadow Field était un aéroport abandonné à environ trente kilomètres au sud. “J’y serai.”