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Buch lesen: «Les nuits mexicaines», Seite 6

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VIII
LE BLESSÉ

Un calme profond régnait dans la campagne; la brise nocturne s'était éteinte. Nul autre bruit que le susurrement continu des infiniment petits, qui travaillent sans cesse au labeur inconnu pour lequel ils ont été créés par la providence, ne troublait le silence de la nuit; le ciel d'un bleu sombre n'avait pas un nuage; une douce et pénétrante clarté tombait des étoiles, et les rayons lunaires inondaient le paysage de lueurs crépusculaires qui donnaient aux arbres et aux monticules dont ils allongeaient démesurément les ombres tranchées, des apparences fantastiques; des reflets bleuâtres semblaient filtrer dans l'atmosphère dont la pureté était telle, qu'on distinguait facilement le vol lourd et saccadé des coléoptères qui tournaient en bourdonnant autour des branches; çà et là des lucioles fuyaient comme des farfadets dans les hautes herbes qu'elles illuminaient au passage de lueurs phosphorescentes.

C'était, en un mot, une de ces tièdes et pures nuits américaines, ignorées dans nos froids climats moins favorisés du ciel, et qui plongent l'âme dans de douces et mélancoliques rêveries.

Tout à coup une ombre surgit à l'horizon, grandit rapidement et dessina bientôt la silhouette noire et indécise encore d'un cavalier; le bruit des sabots d'un cheval, frappant à coups hâtifs la terre durcie, ne laissa bientôt plus de doute à cet égard.

Un cavalier s'approchait effectivement; il suivait la direction de Puebla; à demi assoupi sur sa monture, il lui tenait la bride assez lâche, et la laissait à peu près se diriger à sa guise, lorsque celle-ci arrivée à une espèce de carrefour, au milieu duquel s'élevait une croix, fit subitement un écart et sauta de côté en dressant les oreilles et en reculant avec force.

Le cavalier, brusquement tiré de son sommeil ou ce qui est plus probable de ses réflexions, bondit sur la selle et aurait été désarçonné, si, par un mouvement instinctif, il n'avait pas ramené son cheval en pesant fortement sur la bride.

– ¡Hola! s'écria-t-il en relevant vivement la tête et en portant la main à sa machette, tout en regardant avec inquiétude autour de lui; que se passe-t-il donc ici? Allons, Moreno, mon bon cheval, que signifie cette frayeur? Là, là calme-toi, mon ami, personne ne songe à nous.

Mais bien que son maître le flattât en lui parlant, et que tous deux parussent vivre en fort bonne intelligence, cependant l'animal continuait à renâcler et à donner des marques de frayeur de plus en plus vives.

– Voilà qui n'est pas naturel, ¡vive Dios! Tu n'as pas coutume de t'effrayer ainsi pour rien; mon bon Moreno, voyons, qu'y a-t-il?

Et le voyageur regarda de nouveau autour de lui, mais cette fois plus attentivement et en abaissant son regard vers le sol.

– Eh! fit-il tout à coup en apercevant un corps étendu sur le chemin, Moreno a raison; il y a quelque chose là, le cadavre de quelque hacendero sans doute, que les salteadores auront tué pour le dépouiller plus à leur aise, et qu'ils auront abandonné ensuite, sans s'en soucier davantage; voyons donc cela.

Tout en se parlant ainsi à demi-voix, le cavalier avait mis pied à terre.

Mais comme notre homme était prudent et, selon toutes probabilités, accoutumé de longue date à parcourir les routes de la confédération mexicaine, il arma son fusil et se tint prêt à l'attaque comme à la défense, au cas où l'individu qu'il voulait secourir, s'aviserait de se lever à l'improviste, pour lui demander la bourse ou la vie, éventualité fort dans les mœurs du pays et contre laquelle il fallait avant tout se mettre en garde.

Il s'approcha donc du cadavre, et il le considéra un instant avec la plus sérieuse attention.

Il ne lui fallut qu'un coup d'œil pour acquérir la certitude qu'il n'avait rien à redouter du malheureux qui gisait à ses pieds.

– Hum! reprit-il en hochant la tête à plusieurs reprises, voilà un pauvre diable qui me semble être bien malade; s'il n'est pas mort, il n'en vaut guère mieux. Enfin! Essayons toujours de le secourir, bien que je craigne que ce soit peine perdue.

Après ce nouvel aparté, le voyageur, qui n'était autre que Dominique le fils du ranchero dont nous avons parlé plus haut, désarma son fusil qu'il appuya contre le rebord du chemin afin de l'avoir à sa portée en cas de besoin, attacha son cheval à un arbre et se débarrassa de son zarapé afin d'être plus libre de ses mouvements.

Après avoir pris toutes ces précautions doucement et méthodiquement, car c'était un homme fort soigneux en toutes choses, Dominique enleva les alforjas, ou doubles poches placées à l'arrière de sa selle, se les mit sur l'épaule et s'agenouillant alors auprès du corps étendu, il ouvrit son vêtement et lui appuya l'oreille contre la poitrine ouverte par une blessure béante.

Dominique était un homme de haute taille, robuste et parfaitement proportionné; ses membres bien attachés étaient garnis de muscles gros comme des cordes et durs comme du marbre; il devait être doué d'une vigueur remarquable jointe à une grande adresse dans tous ses mouvements qui ne manquaient pas d'une certaine grâce virile: c'était, en un mot, une de ces organisations puissantes peu communes dans tous les pays, mais comme on en rencontre plus souvent dans les contrées où les exigences d'une vie de lutte développent dans des proportions souvent extrêmes les facultés corporelles de l'individu.

Bien qu'il eût environ vingt-deux ans, Dominique en paraissait au moins vingt-huit. Ses traits étaient beaux, mâles et intelligents, ses yeux noirs bien ouverts regardaient en face, son front développé, ses cheveux châtains bouclés naturellement, sa bouche grande, aux lèvres un peu épaisses, sa moustache fièrement relevée, son menton bien dessiné et taillé carrément donnaient à son visage une expression de franchise, d'audace et de bonté, réellement sympathique, tout en lui imprimant un cachet d'indicible distinction. Chose singulière chez cet homme qui appartenait à l'humble classe des vaqueros, ses mains et ses pieds étaient d'une petitesse rare, ses mains surtout étaient d'un dessein aristocratique irréprochable.

Tel était au physique le nouveau personnage que nous présentons au lecteur et qui est appelé à jouer un rôle important dans la suite de ce récit.

– Allons, il aura de la peine à en revenir, s'il en revient, reprit Dominique en se redressant après avoir vainement essayé de sentir les battements du cœur.

Cependant il ne se découragea pas.

Il ouvrit ses alforjas et en sortit du linge, une trousse et une petite boîte fermant à clé.

– Heureusement que j'ai conservé mes habitudes indiennes, fit-il en souriant, et que je porte toujours avec moi mon sac à la médecine.

Sans perdre de temps il sonda la plaie, la lava avec soin. Le sang suintait goutte à goutte aux lèvres violacées de la blessure; il déboucha un flacon, versa sur la plaie quelques gouttes d'une liqueur rougeâtre contenue dans ce flacon; le sang s'arrêta aussitôt comme par enchantement.

Alors avec une adresse qui témoignait d'une grande habitude, il banda la blessure, sur laquelle il posa délicatement quelques herbes pilées et humectées avec la liqueur rouge que déjà il avait employée.

Le malheureux ne donnait aucun signe de vie, son corps continuait à conserver cette inerte rigidité des cadavres; cependant une certaine moiteur persistait aux extrémités, diagnostic qui faisait supposer à Dominique que la vie n'était pas complètement éteinte dans ce pauvre corps.

Après l'avoir pansé avec soin, il releva un peu le blessé et l'adossa à un arbre; puis il se mit à le frictionner avec du rhum mêlé d'eau, à la poitrine, aux tempes et aux poignets; ne s'arrêtant de temps en temps que pour examiner d'un œil inquiet son visage pâle et contracté.

Tout paraissait devoir être inutile: aucune contraction, aucun tressaillement nerveux n'indiquait le retour de la vie.

Mais il n'y a rien de persistant comme la volonté de l'homme qui veut sauver son semblable; bien qu'il commençât sérieusement à douter du succès de ses efforts, cependant loin de se décourager, Dominique sentit redoubler son ardeur, résolu à n'abandonner la partie que lorsque bien définitivement il lui serait prouvé que tout secours était en pure perte.

C'était un tableau d'un effet saisissant que ce groupe formé sur cette route déserte pendant cette nuit calme et lumineuse, au pied de cette croix, signe de rédemption, par ces deux hommes dont l'un poussé par le saint amour de l'humanité s'acharnait, s'il est permis de parler ainsi, à prodiguer à l'autre les soins les plus fraternels.

Dominique cessa un instant ses frictions et il se frappa le front comme si une pensée subite venait tout à coup de surgir dans son cerveau.

– Où diable ai-je donc la tête? murmura-t-il, et fouillant dans ses alforjas qui semblaient inépuisables, tant elles contenaient de choses, il en retira une gourde bouchée avec soin.

Il entr'ouvrit avec la lame de son couteau les dents serrées du blessé, lui introduisit, après l'avoir débouchée, la gourde entre les lèvres, et lui versa dans la bouche une partie de ce qu'elle contenait, tout en examinant son visage avec anxiété.

Au bout de deux ou trois minutes, le blessé frissonna faiblement, et ses paupières remuèrent comme s'il eût essayé de les ouvrir.

– Ah! fit Dominique avec joie, cette fois, je crois que j'en aurai raison.

Et déposant la gourde près de lui, il recommença les frictions avec une nouvelle ardeur.

Un soupir faible comme un souffle s'exhala des lèvres du blessé, ses membres commencèrent bientôt à perdre un peu de leur raideur; la vie revenait doucement.

Le jeune homme redoubla d'efforts; peu à peu la respiration bien que faible et entrecoupée se fit plus distincte, les traits se détendirent et les pommettes des joues se plaquèrent de deux taches rouges; bien que les yeux demeurassent fermés, les lèvres du blessé s'agitaient comme s'il eût essayé de prononcer quelques paroles.

– Bah! fit Dominique avec un accent joyeux, tout n'est pas fini encore, il sera revenu de loin, s'il en réchappe, bravo! Je n'ai pas perdu mon temps! Mais qui diable lui a donné un si furieux coup d'épée? On ne se bat pas en duel au Mexique. Sur mon âme! Si je ne craignais pas de lui faire injure, j'assurerais presque que je connais l'homme qui a si joliment décousu ce pauvre malheureux; mais patience, il faudra bien qu'il parle, et alors il sera bien fin si je ne sais pas à qui il a eu affaire.

Cependant, la vie, après avoir longtemps hésité à rentrer dans ce corps qu'elle avait presqu'abandonné, avait commencé une lutte sérieuse contre la mort qu'elle obligeait de plus en plus à se retirer; les mouvements du blessé devenaient plus accentués et surtout plus intelligents: deux fois déjà ses yeux s'étaient ouverts pour se refermer presqu'aussitôt il est vrai, mais le mieux devenait sensible; il ne tarderait pas à reprendre connaissance, ce n'était plus qu'une question de temps.

Dominique versa un peu d'eau dans un gobelet, y mêla quelques gouttes de la liqueur contenue dans la gourde, et approcha le gobelet de la bouche du blessé; celui-ci ouvrit les lèvres et but, puis il poussa un soupir de soulagement.

– Comment vous sentez-vous? lui demanda le jeune homme avec intérêt.

Au son de cette voix inconnue, un frémissement convulsif agita tout le corps du blessé; il fit un geste comme pour repousser une image effrayante et murmura d'une voix sourde:

– Tuez-moi!

– Ma foi non! s'écria joyeusement Dominique, j'ai eu trop de peine à vous ressusciter pour cela.

Le blessé entr'ouvrit les yeux, jeta un regard égaré autour de lui et le fixant enfin sur le jeune homme, avec une expression d'indicible épouvante:

– Le masque! s'écria-t-il, le masque! Oh! Arrière! Arrière!

– La commotion cérébrale a été forte, murmura le jeune homme; il est en proie à une hallucination fiévreuse qui, si elle persistait, pourrait amener la folie. Hum! Le cas est grave! Comment faire pour remédier à cela?

– Bourreau! reprit faiblement le blessé, tue-moi.

– Il y tient à ce qu'il paraît; cet homme est tombé dans quelque guet-apens affreux, son esprit troublé ne lui rappelle que la dernière scène de meurtre dans laquelle il a joué un rôle si malheureux; il faut couper court à cela, et lui rendre le calme nécessaire à sa guérison, sinon il est perdu.

– Ne le sais-je pas bien que je suis perdu? dit le blessé qui avait entendu cette dernière parole, tue-moi donc sans me faire souffrir davantage.

– Vous m'entendez, señor, répondit le jeune homme; fort bien, alors écoutez-moi sans m'interrompre: je ne suis pas un des hommes qui vous ont mis dans l'état où vous vous trouvez; je suis un voyageur, que le hasard ou plutôt la providence a conduit sur cette route, pour vous venir en aide, et je l'espère pour vous sauver; vous me comprenez bien n'est-ce pas? Cessez donc de vous forger des chimères, oubliez s'il est possible, quant à présent du moins, ce qui s'est passé entre vous et vos assassins, je n'ai d'autre désir que celui de vous être utile; sans moi vous seriez mort; ne rendez pas plus difficile la tâche déjà si dure que je me suis imposée; votre salut désormais dépend de vous seul.

Le blessé fit un brusque mouvement pour se relever, mais ses forces le trahirent, il retomba avec un soupir de découragement.

– Je ne puis, murmura-t-il.

– Je le crois bien, blessé comme vous l'êtes; c'est un miracle que l'affreux coup d'épée que vous avez reçu ne vous aie pas tué raide; ne vous opposez donc pas davantage à ce que l'humanité m'ordonne de faire pour vous.

– Mais si vous n'êtes pas assassin, qui donc êtes vous? lui demanda le blessé avec inquiétude.

– Qui je suis, moi? Un pauvre diable de vaquero qui vous a trouvé ici agonisant et qui a été assez heureux pour vous rendre à la vie.

– Et vous me jurez que vos intentions sont bonnes?

– Je vous le jure, sur mon honneur.

– Merci, murmura le blessé.

Il y eut un silence assez long.

– Oh! Je veux vivre, reprit le blessé avec une énergie concentrée.

– Je comprends ce désir, il me semble tout naturel de votre part.

– Oui, je veux vivre, car il faut que je me venge.

– Ce sentiment est juste, la vengeance est permise.

– Vous me sauverez, vous me le promettez, n'est-ce pas?

– Du moins ferai-je tout ce qu'il me sera possible pour cela.

– Oh! Je suis riche, je vous récompenserai.

Le ranchero hocha la tête.

– Pourquoi parler de récompense? dit-il; croyez-vous donc que le dévouement puisse s'acheter; gardez votre or, caballero; il me serait inutile, je n'en ai pas besoin.

– Cependant il est de mon devoir…

– Pas un mot de plus sur ce sujet, je vous en prie, señor, toute insistance de votre part serait pour moi une mortelle injure; je fais mon devoir en vous sauvant la vie, je n'ai droit à aucune récompense.

– Agissez donc à votre guise.

– Promettez-moi d'abord de ne pas soulever d'objection à ce que je jugerai convenable de faire dans l'intérêt de votre salut.

– Je vous le promets.

– Bien; de cette façon nous nous entendrons toujours. Le jour ne tardera pas à paraître; nous ne devons pas demeurer ici plus longtemps.

– Mais, où irai-je? Je me sens si faible qu'il m'est impossible de faire le plus léger mouvement.

– Que cela ne vous inquiète pas; je vous mettrai sur mon cheval et en le faisant marcher au pas, il vous portera sans trop de secousses en lieu sûr.

– Je m'abandonne à vous.

– C'est ce que vous pouvez faire de mieux; voulez-vous que je vous conduise à votre demeure?

– Ma demeure? s'écria le blessé avec un effroi mal dissimulé et en faisant un mouvement comme s'il eût essayé de fuir; vous me connaissez donc, vous savez où j'habite?

– Je ne vous connais pas, j'ignore où votre maison est située. Comment saurais-je ces détails, moi qui avant cette nuit ne vous avais jamais vu?

– C'est vrai, murmura le blessé en se parlant à lui-même, je suis fou! Cet homme est de bonne foi. Puis s'adressant à Dominique: Je suis un voyageur, lui dit-il d'une voix entrecoupée et à peine distincte; je viens de la Veracruz, je me rendais à México, lorsque j'ai été assailli à l'improviste, dépouillé de ce que je possédais et laissé pour mort au pied de cette croix où vous m'avez si providentiellement rencontré; de domicile, je n'en ai pas d'autre en ce moment que celui qu'il vous plaira de m'offrir! Voilà toute mon histoire, elle est simple comme la vérité.

– Qu'elle soit vraie ou non, cela ne me regarde pas, señor; je n'ai pas le droit de m'immiscer malgré vous dans vos affaires; dispensez-vous donc, je vous prie, de me donner des renseignements que je ne vous demande pas, dont je n'ai que faire et qui, dans l'état où vous êtes, ne peuvent que vous être nuisibles, d'abord en vous obligeant à une trop grande tension d'esprit, et ensuite en vous forçant à parler.

En effet, ce n'avait été que grâce à une puissance de volonté extrême que le blessé était parvenu à soutenir une si longue conversation; la secousse qu'il avait reçue était trop forte, sa blessure trop grave pour que, malgré tout le désir qu'il en avait, il lui fût possible de discuter plus longtemps, sans risquer de tomber dans une syncope plus dangereuse que celle dont il avait été si miraculeusement tiré par son généreux sauveur; déjà il sentait battre ses artères, un nuage s'étendait sur sa vue, des bourdonnements sinistres se faisaient dans ses oreilles, une sueur glacée perlait à ses tempes; ses pensées, dans lesquelles il avait éprouvé tant de difficultés à remettre un peu d'ordre et de suite, commençaient à lui échapper de nouveau, il comprit qu'une résistance plus prolongée de sa part serait une folie, il se laissa aller en arrière avec découragement et poussant un soupir de résignation:

– Ami, murmura-t-il d'une voix faible, faites de moi ce que vous voudrez; je me sens mourir.

Dominique suivait ses mouvements d'un œil inquiet, il se hâta de lui faire boire quelques gouttes de cordial dans lequel il avait versé une liqueur soporifique; ce secours fut efficace, le blessé se sentit renaître à la vie.

Il voulut remercier le jeune homme.

– Taisez-vous, lui dit vivement celui-ci, vous n'avez que trop parlé déjà.

Il l'enveloppa avec soin dans son manteau et l'étendit sur le sol.

– Là, reprit-il, vous voici bien ainsi, ne bougez plus et essayez de dormir, tandis que j'aviserai aux moyens de vous enlever d'ici au plus vite.

Le blessé n'essaya aucune résistance; déjà le somnifère qu'il avait bu agissait sur lui, il sourit doucement, ferma les yeux, et bientôt il fut plongé dans un sommeil calme et réparateur.

Dominique le regarda un instant dormir avec la plus entière satisfaction.

– J'aime mieux le voir ainsi que comme il était à mon arrivée, dit-il joyeusement; ah tout n'est pas fini encore: maintenant il s'agit de partir et cela au plus vite, si je ne veux en être empêché par les importuns qui ne tarderont pas à affluer sur cette route.

Il détacha son cheval, lui remit la bride et l'amena tout auprès du blessé; après avoir fait une espèce de siège sur le dos de l'animal avec quelques couvertures auxquelles il ajouta son zarapé, dont il se dépouilla sans hésiter, il souleva le blessé dans ses bras nerveux avec autant de facilité, que si, au lieu d'être un homme de haute taille et d'une corpulence assez forte, il n'eût été qu'un enfant, et il le posa doucement sur le siège où il l'accommoda de son mieux, tout en ayant soin de le soutenir pour éviter une chute qui aurait été mortelle.

Lorsque le jeune homme se fut assuré que le blessé se trouvait dans une position aussi commode que le permettaient les circonstances, et surtout les moyens insuffisants de transports dont il disposait, il fit partir son cheval dont il tint la bride à la main, sans quitter toutefois la place qu'il avait prise auprès du blessé qu'il continua à soutenir d'aplomb sur la selle, et il s'éloigna définitivement se dirigeant vers le rancho où nous l'avons précédé d'une heure environ pour y introduire l'aventurier.

IX
DÉCOUVERTE

Dominique marchait tout doucement, maintenant d'une main ferme le blessé couché sur la selle de son cheval, veillant sur lui comme une mère veille sur son enfant; n'ayant qu'un désir, celui d'atteindre le rancho le plus tôt possible, afin de donner à cet inconnu, qui sans lui serait mort si misérablement, tous les soins que nécessitait l'état précaire dans lequel il se trouvait encore.

Malgré l'impatience, qu'il éprouvait, malheureusement il lui était impossible de hâter le pas de son cheval de crainte d'accident à travers les chemins ravinés et presque impraticables qu'il était contraint de traverser; aussi fût-ce avec un sentiment indicible de plaisir que, arrivé à deux ou trois portées de fusil du rancho, il aperçut plusieurs personnes accourant vers lui.

Bien qu'il ne les reconnût pas tout d'abord, cependant sa joie fut grande, car pour lui c'était un secours qui lui venait, et bien qu'il n'eût certes pas voulu en convenir, il en reconnaissait pour lui et surtout pour le blessé l'extrême nécessité, car depuis plusieurs heures déjà, il cheminait cahin-caha, à travers des sentiers la plupart du temps presque impraticables, contraint de surveiller constamment cet homme qu'il avait par un miracle incompréhensible sauvé d'une mort certaine et que le moindre oubli pouvait tuer raide.

Lorsque les hommes qui accouraient vers lui ne se trouvèrent plus qu'à quelques pas, il s'arrêta et leur cria d'un air joyeux comme un homme charmé d'être débarrassé d'une responsabilité qui lui pèse:

– Eh! Venez donc! ¡Caray! Il y a longtemps déjà que vous auriez dû être ici.

– Qu'est-ce à dire, Dominique, répondit en français l'aventurier, quel besoin si pressant avez-vous donc de nous?

– Eh! Cela vous crève les yeux, il me semble; ne voyez-vous pas que j'amène un blessé?

– Un blessé! s'écria Olivier en faisant un bond de tigre et se trouvant presque immédiatement auprès du jeune homme; de quel blessé parlez-vous donc?

– Pardieu! De celui que j'ai assis, tant bien que mal, sur mon cheval et que je ne serais pas fâché de voir dans un bon lit, dont, soit dit entre nous, il a le plus grand besoin; car s'il vit encore, c'est, sur mon âme, grâce à un miracle incompréhensible de la Providence.

L'aventurier, sans lui répondre, enleva brusquement le zarapé jeté sur le visage du blessé et l'examina pendant quelques minutes, avec une expression d'angoisse, de douleur, de colère et de regret impossible à décrire.

Son visage, subitement pâli, avait pris des teintes cadavéreuses, un tremblement convulsif agitait tous ses membres, ses regards fixés sur le blessé semblaient lancer des éclairs et avaient une expression étrange.

– Oh! murmurait-il d'une voix basse et saccadée par l'orage qui grondait au fond de son cœur, cet homme! C'est lui! C'est bien lui, il n'est pas mort!

Dominique ne comprenait rien à ce qu'il entendait; il regardait Olivier avec étonnement, ne sachant ce qu'il devait penser des paroles qu'il prononçait.

– Ah, ça! dit-il enfin avec une explosion de colère, qu'est-ce que cela signifie? Je sauve un homme, Dieu sait comment, à force de soins, à travers mille difficultés, je parviens à amener ici ce pauvre malheureux qui, sans moi, caray, je puis le dire, serait mort comme un chien et voilà comment vous me recevez?

– Oui, oui, réjouis-toi, lui dit l'aventurier avec un accent amer, tu as commis une bonne action; je t'en félicite, Dominique, mon ami; elle te profitera, sois-en sûr, et cela avant longtemps.

– Vous savez que je ne vous comprends pas, s'écria le jeune homme.

– Eh! Qu'est-il besoin que tu me comprennes, pauvre garçon! répondit-il en haussant avec dédain les épaules; tu as agi selon ta nature, sans réflexion, et sans arrière-pensée, je n'ai pas plus de reproches à t'adresser que d'explications à te donner.

– Mais enfin, quoi? Que voulez-vous dire?

– Connais-tu cet homme?

– Ma foi, non; pourquoi le connaîtrai-je?

– Je ne te demande pas cela; puisque tu ne le connais pas, comment se fait-il que tu nous l'amènes ainsi au rancho, sans dire gare?

– Mon Dieu, par une raison bien simple: je revenais de Cholula, lorsque je l'ai trouvé couché en travers du chemin, râlant comme un taureau agonisant. Que pouvais-je faire? L'humanité ne me commandait-elle pas de lui porter secours? Est-il permis de laisser ainsi mourir un chrétien sans essayer de lui venir en aide?

– Oui, oui, répondit ironiquement Olivier, tu as bien agi; certes, je suis loin de te blâmer. Comment donc! Un homme de cœur ne saurait rencontrer un de ses semblables navré aussi cruellement, sans lui porter secours. Puis, changeant de ton subitement et haussant les épaules avec pitié: est-ce donc au milieu des peaux-rouges parmi lesquels tu as si longtemps vécu que tu as reçu de telles leçons d'humanité? ajouta-t-il.

Le jeune homme voulut répondre, il l'arrêta brusquement.

– Il suffit; maintenant le mal est fait, lui dit-il, il n'y a plus à y revenir. López le conduira dans le souterrain du rancho, là il le soignera; va, López, ne perds pas de temps, emmène cet homme pendant que moi je causerai avec Dominique.

López obéit, le jeune homme le laissa faire; il commençait à comprendre que peut-être son cœur l'avait trompé et qu'il s'était trop facilement laissé entraîner à un sentiment d'humanité envers un homme qui lui était parfaitement inconnu.

Il y eut un assez long silence: López s'était éloigné avec le blessé et déjà il avait disparu dans le souterrain.

Olivier et Dominique, arrêtés en face l'un de l'autre, demeuraient immobiles et pensifs. Enfin l'aventurier releva la tête.

– As-tu causé avec cet homme?

– Un peu, oui, à bâtons rompus.

– Que t'a-t-il dit?

– Pas grand chose de sensé, il m'a parlé d'une attaque dont il avait été victime.

– Voilà tout?

– Oui, à peu près.

– T'a-t-il dit son nom?

– Je ne lui ai pas demandé.

– Mais, enfin il a dû te dire qui il est.

– Oui, je crois; il m'a dit qu'il était arrivé depuis peu à la Veracruz et qu'il se rendait à México, lorsqu'il avait été attaqué à l'improviste et dépouillé par des hommes qu'il n'a pu reconnaître.

– Il ne t'a rien dit autre chose, sur son nom ou sa position?

– Non, pas un mot.

L'aventurier demeura un instant pensif.

– Écoute, reprit-il, et ne prends pas en mauvaise part ce que je vais te dire.

– De vous, maître Olivier, j'entendrai tout, car vous avez le droit de tout me dire.

– Bien, te rappelles-tu comment nous nous sommes connus?

– Certes, j'étais un enfant alors, misérable et chétif, mourant de faim et de misère dans les rues de México, vous avez eu pitié de moi, vous m'avez habillé et nourri; non content de cela, vous m'avez vous-même enseigné à lire, à écrire, à calculer; que sais-je encore!

– Passe, passe.

– Puis, vous m'avez fait retrouver mes parents, ou du moins les personnes qui m'ont élevé, et que, à défaut d'autres, j'ai toujours considérés comme étant ma famille.

– Bien, après.

– Dam, vous savez cela aussi bien que moi, maître Olivier.

– C'est possible, mais je veux que tu me le répètes.

– Comme il vous plaira: un jour vous êtes venu au rancho, vous m'avez emmené avec vous et vous m'avez conduit en Sonora et au Texas, où nous avons chassé le bison; au bout de deux ou trois ans, vous m'avez fait adopter par une tribu Comanche, et vous m'avez quitté en m'ordonnant de demeurer dans les prairies et de mener l'existence de coureur des bois, jusqu'à ce que vous me fassiez transmettre l'ordre de revenir près de vous.

– Fort bien, je vois que tu as bonne mémoire; continue.

– Je vous ai obéi et je suis demeuré parmi les Indiens, chassant et vivant avec eux; il y a six mois, vous-même êtes arrivé au bord du Río Gila où je me trouvais alors, et vous m'avez dit que vous veniez me chercher et que je devais vous suivre. Je vous suivis donc sans vous demander une explication dont je n'avais pas besoin; est-ce que je ne vous appartiens pas corps et âme?

– Bon, et tu es toujours dans les mêmes sentiments?

– Pourquoi en aurai-je changé? Vous êtes mon seul ami.

– Merci, tu es donc résolu à m'obéir en tout?

– Sans hésiter, je vous le jure.

– Voilà ce dont je voulais être certain, maintenant, écoute-moi à ton tour; cet homme que tu as si bêtement, passe-moi le mot, si bêtement dis-je, secouru, t'a menti du premier au dernier mot qu'il t'a dit. L'histoire qu'il t'a faite n'est qu'un tissu d'impostures: il n'est pas vrai qu'il soit arrivé depuis quelques jours seulement à la Veracruz, il n'est pas vrai qu'il se rende à México, il n'est pas vrai enfin qu'il ait été attaqué et dépouillé par des inconnus. Cet homme, je le connais, il est au Mexique depuis près de huit mois, il habite Puebla, il a été condamné à mort par des hommes qui avaient le droit de le juger et qu'il connaît parfaitement; il n'a pas été attaqué à l'improviste, on lui a mis une épée dans la main, et on lui a laissé la faculté de se défendre, faculté dont il a profité, il est tombé dans un combat loyal; enfin, il n'a pas été dépouillé parce qu'il n'avait pas affaire à des voleurs de grand chemin, mais à d'honnêtes gens.

– Oh! Oh! fit le jeune homme, ceci change la question.

– Maintenant, réponds à ceci: t'es-tu engagé vis-à-vis de lui?

– Qu'entendez-vous par là?

– Cet homme, lorsqu'il a repris connaissance et que la parole lui est revenue, a imploré ta protection, n'est-ce pas?

– C'est vrai, maître Olivier.

– Bon, et que lui as-tu répondu, toi?

– Dam, vous comprenez, qu'il m'était assez difficile d'abandonner ce pauvre diable dans l'état où il était, après surtout ce que j'avais fait pour lui.

– Bien, bien, alors?

– Alors, dam, je lui ai promis de le sauver.

– C'est-à-dire de le guérir?

– C'est ainsi que je l'entends.

– Pas autre chose?

– Pour cela, non.

– Et lui as-tu promis seulement?

– Non je lui ai donné ma parole.

L'aventurier fit un geste d'impatience.

– Mais en supposant qu'il guérisse, reprit-il, ce qui entre nous me semble douteux, dès qu'il sera en bonne santé te considéreras-tu comme complètement dégagé envers lui?

– Oh! Pour cela oui, maître Olivier, complètement.

– Allons, il n'y a que demi-mal alors.

– Vous savez que je ne vous comprends pas du tout?

– Sois donc satisfait, Dominique; apprends que tu n'as pas eu la main heureuse pour ta bonne action.

– Parce que?

– Parce que l'homme que tu as secouru et auquel tu as prodigué des soins si dévoués, est ton ennemi mortel.

– Mon ennemi mortel, cet homme? s'écria-t-il avec un étonnement mêlé de doute; mais je ne le connais pas plus qu'il ne me connaît.

Altersbeschränkung:
12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
28 Mai 2017
Umfang:
450 S. 1 Illustration
Rechteinhaber:
Public Domain

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