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Buch lesen: «Le notaire de Chantilly», Seite 10

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XII

A la grille du jardin, une calèche s'arrêtait.

La grâce de sa forme, l'éclat de ses panneaux, et surtout la beauté des chevaux noirs qui l'avaient fait glisser sur la pelouse avec la rapidité d'une hirondelle, avaient attiré la curiosité des promeneurs. Tout est événement à Chantilly. Admirer la calèche parisienne était un plaisir comme un autre, plus vif qu'un autre, car c'était le dernier de la journée pour les habitants qui rentraient.

Quand ils virent Maurice descendre de la calèche, leur curiosité devint de la joie. Les uns tinrent à honneur de saisir la bride des chevaux, les autres de l'aider à franchir le marchepied; chacun s'ingénia pour lui témoigner la satisfaction qu'éprouvait le pays à le savoir possesseur de ce signe brillant des progrès de la fortune. Il distribuait des saluts à droite et à gauche, comme en userait un souverain populaire rentrant dans sa bonne capitale. Il fut reçu par sa femme, merveilleusement ébahie, et par son beau-frère Reynier, qui, du haut du perron, répétait avec orgueil à sa sœur: «Eh bien! trouverez-vous encore que les châles de cachemire sont trop longs?»

Maurice fut modeste: il ne dit pas que ces chevaux étaient anglais, de pur sang, ni qu'ils sortaient des écuries d'un pair d'Angleterre, ni qu'ils avaient gagné le prix du roi aux courses de New-Market.

Reynier affirma sur son honneur qu'ils coûtaient dix mille francs.

Léonide disait au fond de son cœur: – Nous avons des chevaux!

– C'est une surprise que je vous ai ménagée, Léonide; est-elle de votre goût? J'ai l'espoir que ceci vous aidera à patienter plus courageusement. Quand les heures vous sembleront longues, vous les abrégerez maintenant par des courses dans la forêt, par de plus fréquents voyages à Senlis, à Paris même.

Ces attentions de Maurice charmaient Léonide qui, dans ce moment, regretta sincèrement de ne pas l'aimer, tant elle éprouvait de la reconnaissance; mais la réflexion neutralisa sur ses lèvres cet élan du cœur: elle craignit de s'exposer au reproche d'ingratitude en payant son mari d'affectueuses paroles, qu'au premier jour elle aurait été forcée de démentir. Sa satisfaction fut muette; elle trouva peut-être un sourire pour remercier.

Pour terminer au plus vite une scène dont la contrainte l'importunait, Reynier, qui n'aimait pas le ménage en présence, regarda l'heure à sa montre et dit:

– Beau-frère, nous avons encore deux heures de lune; irons-nous faire un tour jusqu'aux étangs avec la calèche de Léonide?

Ces mots: la calèche de Léonide! prévinrent tout refus de la part de celle-ci; et, quelques minutes après, la calèche roulait dans les sombres allées du bois, ayant passé par le carrefour de Diane, illuminé de verres de couleur, tout harmonieux du bruit des flûtes et des violons, tout retentissant de la parole animée des danseuses.

C'était une nuit comme celle de la veille, limpide et calme.

Maurice se félicitait de cette clarté étendue sur les bois comme en plein midi, afin de mieux faire remarquer à sa femme et à son beau-frère que la coupe des tilleuls se continuait sans relâche sur un espace indéterminé; plus de cinquante arpents avaient été abattus depuis leur dernière promenade.

Après avoir allumé un cigare et croisé les bras, Victor abandonna son âme à la fumée.

Léonide ne se lassait pas d'admirer la fougue obéissante, la fierté docile des chevaux, la légèreté de la calèche. Elle était dedans, mais son âme était dehors pour se regarder passer. Doucement fascinée par le balancement de la voiture, par ce souffle doux et continu qui, chargé de toutes les émanations de la nuit, frappe au visage, borde les lèvres d'une fraîcheur assoupissante, les oreilles d'un bruit de flûte éolienne, les yeux d'une frange de sommeil, Léonide ne voyait plus courir à droite et à gauche des arbres aux teintes monotones; mais tombée d'illusion en illusion, poursuivie par les rayonnements des lanternes, elle voyait les deux ailes de la rue de la Paix, étincelantes de lumière, d'or et de marbre; elle glissait au bord de vastes palais dont le sommet se perdait dans les nues; une double porte de ces palais s'ouvrait majestueusement: c'était celle de leur hôtel.

La calèche s'arrêta.

Ce n'était pas encore à la porte d'un hôtel de la rue de la Paix, mais à la dernière barrière des allées.

Victor descendit pour l'ouvrir, et les chevaux prirent le chemin incliné des étangs.

Tout autre que Maurice, son beau-frère et sa femme, eussent été saisis d'étonnement à l'aspect de ces étangs silencieux, sur la surface desquels des roseaux chevelus et des joncs inclinaient leurs tiges endormies, et où se réfléchissaient, la tête en bas, des bouquets pâles de peupliers, gigantesques pinceaux, qui, lorsque la brise les agitait, semblaient peindre, au fond d'une vaste toile, une lune courant entre des nuages.

Léonide demanda son manteau; elle avait froid.

A l'extrémité du premier étang se dessinait le château de la reine Blanche, ciselé par les rayons de la lune, qui l'argentaient de ses lueurs, comme un ex-voto à la vierge Marie: château que quelque géant a dû porter dans la main au retour des croisades; création d'une fée; château brodé à l'aiguille, découpé au ciseau, et qui ferait croire à ces reines enchantées des romans de chevalerie; le jour reine, la nuit petit poisson rouge dans le lac; car quelle reine véritable a pu, si mignonne, si naine, si gracieuse qu'elle fût, établir sa demeure dans le château de la reine Blanche? La cour d'un sylphe serait à l'étroit dans cette bonbonnière gothique; l'ombre d'un milan lui cache le soleil; et un coup d'aile des cygnes qui nagent à ses pieds pourrait le couvrir d'eau du perron au sommet des tourelles. Quelque jour un nid d'hirondelle l'entraînera dans sa chute.

Victor alluma un nouveau cigare.

Et, à mesure qu'ils approchaient au petit pas de l'escalier du château, placé à la tête de la première pièce d'eau, ils découvraient les cinq autres lacs figés, en long sillon lumineux, dans leurs chatons d'herbe verdâtre.

Maurice remarqua que les peupliers plantés au bord des étangs produisaient le plus joli coup d'œil: qu'ils avaient bien grandi depuis qu'il ne les avait vus.

Ces arbres sont la plus déplorable erreur de goût du prince de Condé ou de son intendant. Ils ont dépouillé les étangs de l'aspect sauvage qu'ils avaient avant cette malheureuse plantation. Toujours positif, Maurice estima qu'ils rapporteraient bientôt vingt sous par an de coupe.

Ils étaient descendus tous trois de la calèche.

– Victor, dit Maurice à son beau-frère, j'ai eu un rendez-vous à Écouen avec M. de La Haye: le brave homme est fort triste, sais-tu?

– Eh bien, répliqua Victor, que décide-t-il?

– Il abandonne le château et le reste du bois pour trente mille francs?

– Enfin! – Le maudit vieillard a été dur.

– Il n'y tenait plus, m'a-t-il assuré en pleurant: il serait mort dans six mois. J'ai été sur le point de rompre le marché, tant il me touchait par ses regrets. – M. de La Haye, Léonide, nous avait vendu la moitié de son parc, et s'était réservé celle où se trouve le château croyant pouvoir continuer son droit de chasse. Mais, en vertu d'un contrat que M. de La Haye ignorait, passé entre ses aïeux et la commune, nous l'avons empêché dans ce droit: alors…

– Je connais cette affaire-là, interrompit maladroitement Léonide.

Un regard significatif lui fut lancé.

– Et comment en avez-vous eu connaissance, Léonide?

– Par moi, Maurice. Que veux-tu, ma sœur brûlait de savoir où en étaient tes affaires qu'elle avait le tort de croire mauvaises; je l'ai mise en quelques mots au courant des avantages de celle-ci. Ma sœur est discrète…

– Je n'en doute pas, Victor. Loin de te blâmer, je te remercie; seulement j'aurais désiré, en ma qualité de mari, ne pas être le second à lui faire part de cet heureux événement. Il ne me reste plus qu'à vous le confirmer, Léonide. Oui, le château de La Haye nous appartient ainsi que toutes ses dépendances…

– Et avec les armes des anciens possesseurs? s'informa en plaisantant Léonide.

– A quoi bon? pour que ces armes vous valussent les entrées à la cour?

– S'il y avait une cour, ajouta Victor, encore!

– Irons-nous habiter ce château, messieurs?

– Notre projet, répliqua Victor, qui vit l'air embarrassé de Maurice à cette demande de Léonide, est pour le moment de le démolir de fond en comble et d'en vendre les matériaux à la commune. C'est tout pierre et plomb: le profit sera immense.

– Mais ensuite, reprit Maurice, qui tenta de réparer sur-le-champ le coup trop vif qu'avait porté à sa femme le renseignement de Victor, nous bâtirons, à la place du château démoli, une maison de goût moderne, avec pavillon de chaque côté. J'ai en vue douze statues mythologiques du plus bel effet.

– Vous avez bien du goût, en vérité, messieurs. Vous arracherez aussi les arbres de haute futaie pour planter des betteraves; vous élèverez dans le parc, abattu sous la hache, des poules au lieu de cerfs. N'aurons-nous pas un beau chemin de fer au beau milieu de notre propriété?

– Vous nous raillez, ma sœur; mais est-ce en vérité une faute de démolir des châteaux que nous ne sommes ni assez nombreux en famille, ni assez riches, ni assez nobles, pour occuper, pour entretenir, pour illustrer? et de vendre, à la voie et au fagot, des forêts où, comme vous l'avez si malignement dit, nous ne saurions élever que des poules? Où sont nos apanages, nos majorats, nos aïeux? Nous sommes d'hier et nous ne serons plus demain; nous sommes des bourgeois et non des Montmorency; des industriels, ma sœur, et non des héros.

– Et faut-il être autre chose, reprit Maurice, pour être heureux? Ne regardons pas si haut, restons où nous sommes. Si nous n'avons pas de grands noms, nous n'avons pas non plus la charge de les soutenir; si nous ne possédons pas d'immenses fortunes héréditaires, nous savons mieux conserver celles que nous assure notre travail. Chaque âge a sa distinction; celle de l'époque est la richesse. Acquise avec probité, elle honore; et, à part quelques rares exceptions, elle est toujours la preuve d'une valeur réelle de l'âme ou de l'esprit. Laissez-moi croire, Léonide, que nous touchons personnellement à cet équilibre où l'aisance s'assied à côté du repos, la dignité auprès de l'accomplissement de raisonnables désirs.

Chaque parole de Maurice avait l'onction d'une croyance: il communiquait ses maximes d'honnête homme aussi profondément qu'il les sentait, et avec une précision qui dénotait chez lui la préoccupation de les réduire bientôt en pratique. Il s'essayait au sage emploi de son avenir, de peur d'en être plus tard enivré. Il semblait prendre envers lui et les autres l'engagement de n'être point surpris par l'éblouissement de la fortune, à l'heure prochaine où elle arriverait.

– Si vous ne m'aviez souvent exprimé, continua-t-il, combien le séjour de la province vous est fade, c'est ici, à Chantilly, que je vous proposerais de vivre, sans rompre pourtant, – j'aime trop vos habitudes, Léonide, – avec Paris et les amis que nous y comptons. Connaissez-vous une résidence plus calme, une vie meilleure? Tout s'y trouve. Pour vous, la compagnie; pour moi, le repos; pour nous trois, la santé. Cherchez un plus beau ciel: il faudrait aller en Italie; des campagnes plus riantes: si je ne suis point trompé dans mes espérances, j'en aurai une à deux pas de Chantilly; et pour vous, toute pour vous, ma Léonide. Une fois ma fortune faite, maître de choisir mes occupations et mes loisirs, ou je garderai mon étude, mais pour n'y traiter que certaines affaires, ou je la vendrai pour m'adonner exclusivement à l'entretien de quelque ferme-modèle.

Léonide se tourna pour livrer passage à un bâillement qui l'étouffait.

– Contenez-vous, ma sœur, ne le contredisez pas; vous gâteriez mon affaire, et c'est le moment d'en parler.

– Je ne vous ai jamais dit, Maurice, – c'est une justice que vous me devez, – que j'aimais le genre d'existence dont vous faites le tableau. Je reviendrai peut-être un jour de cette prévention contre la province; jusque-là, il serait mal de vous laisser croire à un changement dans mes goûts. Mais, résignée à tous les délais de la fortune, et cherchant, tant qu'ils dureront, à ne pas vous importuner de mes antipathies, je me plierai avec docilité à votre vie simple, à votre passion pour la retraite. J'y gagnerai de souffrir un peu moins; et qui sait si, par une de ces modifications dont il y a plus d'un exemple, vous ne finirez point par penser comme moi? Qui sait si vous ne vous lasserez point de ce qui vous avait d'abord séduit, ou si moi je ne me verrai point entraînée, par la force de l'habitude, à aimer ce que j'avais haï?

– Bien, ma sœur, très-bien! ma foi, je me suis dit cela très-souvent aussi, avec cette différence cependant, que je suis plus porté à croire meilleurs les goûts de Maurice. La province ne gâte rien: jugez-en. Nous avons dîné l'autre jour à Senlis; on nous a servi du turbot; nous avons bu du vin de Champagne frappé, de l'eau de Seltz! J'avais presque envie de demander des ananas.

– Victor, ce n'est pas précisément là ce que j'entends par la vie de province; nous ne nous comprenons pas. Je la veux plus simple, tout aussi bonne. Mener en province le train de Paris, c'est se créer des jouissances incomplètes au milieu de deux genres d'existence qui s'excluent.

– Tu exclus le vin de Champagne?

– Je n'exclus rien; mais je veux qu'on soit de la province, si on l'habite; qu'on se résigne à ne pas y désirer ce qu'elle ne produit pas. Les mœurs ont leurs climats. Les réminiscences avivent les regrets, ébranlent les meilleures résolutions: c'est vouloir même se ruiner plus vite qu'à Paris, que de transformer la province en une serre-chaude où, à force d'or, au lieu de feu, on fait éclore des jouissances exotiques pâles et sans saveur.

– Soit, Maurice! nous ne boirons du vin de Champagne que le dimanche, mais frappé: c'est champêtre.

– Mais, reprit Maurice plein de joie de se voir compris ou du moins toléré pour la première fois de sa vie par son beau-frère réuni à sa femme, mais je m'arrangerai de manière à ne perdre aucun des avantages de la province. Elle offre des dédommagements que vous méritez. Victor, tu aimes la chasse, nous chasserons; vous peignez, Léonide, les points de vue ne vous manqueront pas. – En automne vous peindrez. Ici, le printemps est délicieux par ses eaux; nous irons à la pêche; nous pêcherons ici même, dans les étangs.

Victor se frotta hypocritement les mains.

– Et en hiver, dans la saison où nous entrons, nous donnerons des soirées. Et pourquoi n'en donnerions-nous pas dès à présent? l'idée m'en vient. Croyez-moi, le bonheur est un peu dans l'habitude. Ces bonnes figures de provinciaux, à force d'être vues, perdent en naïveté ce qu'elles gagnent en franchise, en bonté, en bon sens. J'en ai l'expérience, il y a des cœurs d'amis, des dévouements à toute heure et jusqu'à la mort, sous ces coupes grossières d'habits. Oui, Léonide, oui, Victor, – car toi aussi tu as besoin d'être prêché, – je ne désespère pas de votre salut commun, et, si je ne craignais de vous effrayer de mes espérances, je vous dirais qu'après un an de l'existence que je vous ménage, vous ne voudrez plus retourner à Paris.

– Et on ne dit pas non, appuya Victor d'un ton pitoyablement feint.

– Seulement, interrompit Léonide, permettez-moi de douter que nous arriverons sans obstacles à cet état dont vous nous avez présenté une si flatteuse image. Je crois que vous n'avez pas calculé toutes les résistances extérieures.

– Lesquelles, Léonide?

– Mon Dieu! il y en a mille. Par exemple, vous parliez de donner des soirées: y viendra-t-on? ne serons-nous pas trop haut placés pour les uns, trop bas pour les autres? n'allons-nous pas éveiller de petites jalousies?

– Erreur, Léonide! Il y aura empressement à venir. Je tiens si bien à vous convaincre, que lundi, à ma première soirée, j'aurai M. Clavier, lui qui n'a assisté à aucune fête depuis celle de l'Être-Suprême.

– Je vous arrête à votre première invitation: celui-là, permettez-moi de le croire, vous ne l'aurez pas.

– Nous aurons M. Clavier et mademoiselle Caroline de Meilhan, je vous le jure, et cela, lundi.

– Mais c'est demain lundi, Maurice.

– Demain, soit. Vous tiendrez le piano avec votre frère; j'organiserai une bouillotte; M. Anastase ouvrira l'écarté. Je me réserve l'ennui de faire de la politique avec ceux qui ne joueront pas. Au fond, je ne suis pas fâché d'avoir de ces réunions: elles couvriront mes absences de Chantilly. En me voyant de plus près, on ne remarquera pas qu'on me voit moins souvent. Mes voyages ont été l'objet de l'attention.

Victor, qui sentit poindre un sujet de conversation qu'il n'affectionnait guère, éternelle répétition des regrets de Maurice, de ne pouvoir exclusivement s'attacher aux soins de son étude, ralentit la marche, puis il s'arrêta pour rester en arrière de Léonide et de son mari. Ils passèrent.

Quand ils furent loin de lui, Victor revint sur ses pas et alla frapper à la porte du garde-chasse pour qu'on lui prêtât un marteau. Un des chevaux boitait et paraissait souffrir d'un fer qui s'était faussé à la descente du chemin des étangs.

Une fenêtre s'ouvre, et une voix de femme dit à Reynier: «Il ne fallait pas vous déranger, monsieur: sur un petit mot de vous, mon mari l'aurait rapportée lui-même à Chantilly. Quand nous nous sommes aperçus que vous l'aviez oubliée, vous n'étiez pas encore au haut de la montée; mais il était si tard que nous n'avons pas couru après vous.»

Reynier comprit tout de suite qu'il était pris pour un autre: il ne jugea pas à propos de tirer de l'erreur la femme du garde-chasse.

– Tenez, ajouta celle-ci, voilà! Bonne promenade! que je vous souhaite: la chose ne vous sera pas d'une grande utilité cette nuit.

La femme du concierge tendit le bout d'une ombrelle, en refermant la croisée, qu'elle n'avait tenue qu'à demi ouverte en parlant à Victor.

– Que veut dire ceci? Mais c'est de la dernière élégance! Oubliée ici, dans la nuit! – l'ombrelle d'une femme qu'on a cru restituer à son cavalier! – Je garderai cette ombrelle jusqu'à demain. Léonide éclaircira le mystère. Quant au cheval, il boitera: tant pis!

Allons à leur rencontre, maintenant.

Victor ordonna au cocher d'aller au petit pas, le long des étangs.

– Et vous avez donc de mauvaises nouvelles à lui apprendre? répétait Léonide à Maurice.

– Aussi les lui tairai-je en partie. Aurais-je jamais le courage de lui apprendre que sa mère a été arrêtée et traduite devant la cour d'assises de Poitiers, où l'on instruit son procès et le sien, à lui, pauvre Édouard!

– Que lui direz-vous, pourtant?

– Je ne lui cacherai pas les ordres rigoureux arrachés enfin à la faiblesse du ministère pour écraser son parti, qu'au mystère des meneurs, je crois disposé à tenter une résolution désespérée, et dans laquelle, – mon opinion s'en réjouit, mon amitié s'en alarme, – ce parti périra.

– Effrayez-le; oui, – dites-lui tout cela: car il brûle de nous quitter pour prendre sa part de périls dans les dernières luttes de son parti. Parlez-lui moins pourtant des dangers personnels qu'il courrait que de la déception de ses espérances, et surtout de la position plus aggravante où il placerait sa mère, en aigrissant la justice. Je crains, – des soupçons qui sont presque des certitudes me font concevoir cette crainte, – qu'il n'ait pas renoncé, malgré vos prières et mes sollicitations, à sortir la nuit pour se promener dans le bois.

– Quelle imprudence! – C'est qu'il nous compromet autant que lui; Léonide; mes preuves en amitié, grâce au ciel, sont acquises; mais je vous avoue que j'eusse désiré lui être utile dans d'autres circonstances et pour d'autres motifs que ceux qui l'ont fait mon hôte. Son opinion me contrarie, oui, elle me rend parfois suspect à la mienne. Dans l'état actuel de la Vendée, en présence des troubles de cette contrée, si sanglants et si difficiles qu'on se prend à douter parfois de la sûreté de nos nouvelles institutions, j'entends ma conscience qui me conseille de remettre au ministre le dépôt du colonel Debray, ce terrible plan de campagne. Le moment de cette restitution me semble venu.

L'élan communicatif que la nuit, le lieu, certaines dispositions expansives, imprimaient à la conversation, et peut-être ce besoin impérieux chez l'homme, de partager tout ce dont il charge sa faiblesse, amour, amitié, ambition, entraînaient Maurice à ouvrir son âme, à solliciter un conseil de Léonide. Partout où il y a une place pour une peine, il y en a une pour la femme: on peut être heureux sans elles; sans elles on ne saurait souffrir. Elles sont là, à la première larme, à la première douleur; dès que le cœur se plaint, elles répondent.

– Qui sait, continua Maurice, irrésistiblement amené à livrer le sien, afin qu'un trait de lumière y pénétrât, s'il n'y a pas dans ces funestes papiers un remède décisif aux agitations de l'Ouest, le secret des forces de la rébellion, celui de leur anéantissement! – Vivre avec ce secret au fond de la poitrine, c'est souffrir les remords d'une trahison, c'est en commettre une peut-être, au profit d'une opinion que je ne partage pas et à l'avantage d'une dynastie dont le retour serait la ruine de mes croyances.

Avec vous, Léonide, il m'est permis de pleurer sans honte sur ma générosité et de la maudire. Ces sortes de secrets sont à vous et à moi; ils sont de ceux que la sainte communauté du mariage fait un devoir de peser en famille. Ils touchent à l'honneur du foyer. Eclairez-moi, mon amie. La conscience spontanée des femmes a des lumières plus vives que la raison égoïste des hommes. Elles ont décidé, quand nous hésitons encore. Dois-je, Léonide, restituer ces papiers, ce plan du colonel Debray au ministre? A ma place que feriez-vous, la main sur le cœur?

Léonide porta sa main à l'endroit où elle avait caché le plan du colonel Debray.

– A votre place je ne le rendrais pas, moi: Debray ne l'a pas osé, pourquoi l'oseriez-vous? votre opinion est la sienne: eh bien! qu'elle soit tout aussi scrupuleuse; celui qui lui confia ce plan était son ami, mais était-il le vôtre? Debray craint de faillir à la mémoire de cet ami, et n'avez-vous pas à redouter pour le même fait d'attenter à la vie d'Édouard? Placé entre ses devoirs de dépositaire et ses principes politiques, Debray suppose donc que vous n'avez pas vos devoirs, vos principes aussi? Sans doute il n'a pas pensé cela. Qu'importe? S'il a cru que dans votre position vous étiez plus libre que lui dans la sienne, il s'est trompé: le contraire étant, vous n'accepterez point une solidarité devant laquelle il a reculé lui-même, êtes-vous allé au-devant de cette confidence? le service qu'il vous a demandé, – n'exagérez pas votre délicatesse, – Maurice, est un de ceux qu'on ne rend qu'avec réflexion. Parce qu'il vous a dit: Voilà mon secret, êtes-vous obligé de lui répondre: Voilà le mien? – Mais si vous aviez beaucoup de missions semblables, votre vie, votre bonheur, votre repos, dépendraient et seraient à la merci de tous les embarras dont la commodité des autres se dépouillerait sur vous. Il vous faudrait avoir de la délicatesse, de la fidélité, de la justice pour tous ceux qui ne voudraient pas avoir le souci d'exercer ces qualités à leurs dépens. Croyez-moi, laissez dormir dans l'oubli les papiers du colonel Debray, et ne répugnez pas à sauver un ami peut-être. Préférez cette joie réelle au stérile orgueil d'obéir aux ordres tyranniques de l'opinion. D'ailleurs l'opinion ne saurait exiger de vous ce qu'elle n'impose qu'à un autre. Vous devez beaucoup à la famille d'Édouard: votre fortune, votre rang dans le monde, ce que vous êtes enfin, est son ouvrage. S'il vous restait des appréhensions, je les ai levées; si des remords surviennent, j'en accepte d'avance la moitié, Maurice.

– Que vous m'avez soulagé d'un énorme poids, Léonide! Vous avez appelé pour me convaincre des raisons que je n'osais accueillir! Tout ce que vous m'avez dit en faveur d'Édouard, je le pensais. – Mais le plus impénétrable silence là-dessus. – Voici Victor. – Pourquoi n'êtes-vous pas toujours aussi bonne pour moi, Léonide?

– Si vous me confiiez plus souvent vos affaires, Maurice…

Victor les rejoignit.

– Écoutez-bien, pèlerins égarés:

Je vais vous raconter l'histoire de cette ombrelle verte et blanche.

Et Reynier commença son épisode au bruit des roues broyant les feuilles tombées.

............ .

En rentrant, Léonide remit à Maurice la lettre de Jules Lefort.

Quand il l'eut parcourue, il dit: – Mon amie, vous irez au bal de Senlis; j'ai depuis trois jours votre invitation dans ma poche. Il n'ajouta rien.

– Quelle contrariété! pensa Léonide, moi qui ai tant fait pour qu'il ne me permît pas d'aller à ce bal!

– Je ne sais trop si j'userai de votre complaisance, Maurice.

Je verrai… je ne ne m'engage pas. Un bal, c'est si fatigant, les routes sont si mauvaises l'hiver! Le colonel Debray n'est d'ailleurs plus ici pour m'accompagner jusqu'à Senlis.

– Oh! vous êtes parfaitement libre, Léonide, reprit Maurice, qui aurait été enchanté d'un refus de sa femme, mais qui pour tout au monde eût craint de paraître le provoquer.

– Eh bien! puisque cela ne vous contrarie pas, je n'irai pas à ce bal cette année.

– Vous avez tort, dit Maurice d'un ton qu'il eût désiré rendre fâché, mais puisque telle est votre volonté, qu'elle s'accomplisse.

Maurice courut sur-le-champ s'enfermer dans son cabinet pour écrire.

– Il fait part au mari d'Hortense de mon refus d'aller au bal de Senlis: c'est où je l'attendais; Hortense ira donc à ce bal. – Et moi!

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12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
28 September 2017
Umfang:
420 S. 1 Illustration
Rechteinhaber:
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