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Buch lesen: «Les beaux messieurs de Bois-Doré», Seite 35

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LXVIII

Le bon marquis n'eut pas de peine à confesser Lucilio.

Celui-ci avoua avec candeur qu'il adorait la Morisque depuis longtemps, et que, depuis quelque temps, il croyait être aimé d'elle; mais, de sa plume concise, il résuma la situation.

D'abord, il avait craint d'attirer sur lui les persécutions auxquelles il n'avait échappé en France que par miracle. Puis, quand il lui avait paru prouvé que Richelieu, malgré toutes ses luttes contre la Réforme, avait pour politique inflexible de maintenir l'édit de Nantes en faveur de tout genre de liberté de conscience, il s'était décidé à attendre le mariage de Mario avec Lauriane ou avec quelque autre femme selon son cœur. Dans l'état d'espoir ou de regret, d'attente paisible ou de secrète agitation où pouvait se trouver son cher élève, il ne voulait pas lui donner l'égoïste et dangereux spectacle d'un mariage d'amour.

Le marquis approuva la généreuse prudence de son ami, mais il trouva un biais.

– Mon grand ami, lui dit-il, la Morisque a bientôt la trentaine, et vous, vous dépassez la quarantaine. Vous êtes donc encore assez jeunes pour vous plaire l'un à l'autre, et vos âges sont fort bien assortis; mais, sans vous offenser, vous n'êtes plus des adolescents pour laisser des pages blanches dans le livre de votre félicité! Profitez des belles années qui vous restent. Mariez-vous. Je ferai avec Mario un voyage pendant quelques mois, durant lesquels je lui dirai que j'ai eu seul l'idée d'un mariage de raison entre Mercédès et vous. J'inventerai des prétextes pour que vous n'ayez pu attendre notre retour, et, quand il vous reverra, son esprit sera tout habitué à cette nouvelle situation. Le mariage rend toutes choses sérieuses, et, d'ailleurs, je me fie à vous pour cacher vos lunes de miel derrière les épaisses nuées de la prudence et de la retenue.

Le marquis conduisit donc Mario à Paris. Il lui fit voir le roi à la cour, mais de loin; car le monde était bien changé depuis quinze ans que le bon Sylvain vivait dans ses terres. Les amis de sa jeunesse étaient morts, ou, comme lui, retirés du fracas de la société nouvelle. Le peu de grands personnages encore debout qu'il avait approchés autrefois se souvenaient de lui médiocrement, et, sans ses vieux atours, l'eussent à peine reconnu.

Cependant la figure intéressante et les modestes manières de Mario furent remarquées: on fit bon accueil aux beaux messieurs dans quelques maisons distinguées, on ne leur parla pas de les pousser plus haut; et, de fait, ils ne souhaitaient ni l'un ni l'autre bien vivement de se rapprocher du pâle soleil de Louis XIII.

Mario avait éprouvé une grande déception en voyant passer à cheval le fils effaré de Henri IV, et le marquis n'avait pas été encouragé par cette physionomie à poursuivre son dessein de ratification royale pour son titre de marquis.

De nouveaux édits paraissaient chaque jour contre les usurpations de qualités; édits peu respectés, car les nouveaux et anciens nobles continuaient à prendre des noms de terre fort contestables. Leur obscurité les garantissait. Bois-Doré fut forcé de reconnaître qu'il n'avait pas de meilleur refuge.

Et puis il lui fallait bien s'apercevoir aussi que l'on n'était pas plus beaux messieurs à Paris les uns que les autres, du moment que l'on n'était pas de la cour. On se retournait bien un peu, dans les promenades et à la place Royale, pour regarder le contraste de son étrange figure fardée avec la délicieuse fraîcheur de Mario, et, pendant quelque temps, le bonhomme, se croyant reconnu, souriait aux passants et portait la main à son feutre, prêt à accueillir des avances que l'on ne songeait point à lui faire. Cela lui donnait un grand air d'incertitude hébétée et de courtoisie banale qui prêtait à rire. Les dames assises, ou marchant l'éventail à la main, sous les jeunes arbres du Cours-la-Reine, se disaient:

– Quel est donc ce grand vieux fou?

Et, si ces dames étaient femmes du monde où Bois-Doré avait reparu, ou bourgeoises du quartier où il s'était logé, il s'en trouvait parfois une pour répondre:

– C'est un gentilhomme de province qui se pique d'avoir été l'ami du feu roi.

– Quelque Gascon? Tous ont sauvé la France! ou quelque Béarnais? Ils sont tous frères de lait du bon Henri!

– Non, un vieux mouton de Berry ou de Champagne. Il y a des Gascons partout.

Le bon Sylvain était donc bien effacé dans cette foule oublieuse et pimpante, quelque effort qu'il fît pour y paraître aussi grand que sa taille. Il se disait, avec quelque dépit, que mieux vaut être le premier de son village que le dernier à la cour. Il est certain pourtant qu'avec un peu d'audace et d'intrigue, il eût pu y pousser Mario comme tant d'autres; mais il redouta quelque affront à propos de son problématique marquisat.

Il se résigna à faire le badaud de province, et se fût grandement ennuyé si Mario, toujours studieux et artiste sérieux dans ses goûts, ne l'eût entraîné à voir les monuments d'art et de science qui faisaient pour lui le principal attrait de la capitale du royaume.

Le plaisir et le profit que le jeune homme en retira consolèrent un peu le vieillard de ce qu'en lui-même il appelait un voyage manqué.

Il ne se vantait pas à Mario de toutes ses déceptions. Il avait toujours eu l'espoir de lui faire retrouver sa famille maternelle et de lui reconquérir par là quelque beau titre espagnol, avec un héritage quelconque.

Il avait maintes fois écrit en Espagne pour avoir des informations et pour en faire donner sur le compte de Mario, dans le cas où ladite famille y prendrait intérêt. Il n'avait jamais reçu que des réponses vagues, peut-être évasives.

À Paris, il s'était décidé à se rendre de sa personne à l'ambassade. Il y fut reçu par une manière de secrétaire intime qui lui répondit, en substance, que, sur ses fréquentes demandes, on avait enfin éclairci une affaire mystérieuse. La jeune dame enlevée et disparue appartenait, en effet, à la noble famille de Mérida, et Mario était le fruit d'un mariage clandestin que l'on pouvait contester.

La jeune femme n'avait laissé de droits à aucune fortune, et les parents ne se souciaient, en aucune façon, de reconnaître un jeune homme élevé par un vieux hérétique mal blanchi.

Le marquis, outré, se le tint pour dit et résolut de rendre oubli pour mépris à ces vaniteux Espagnols. Il lui en avait assez coûté d'assiéger les portes d'une ambassade dont, à titre d'ancien protestant et de bon Français, il haïssait l'enseigne.

Et cependant il était triste et confiait ses peines à son inséparable Adamas.

– Certes, lui disait-il, la plus douce et la plus honnête vie est celle de la noblesse sédentaire. Mais, si elle convient à ceux qui ont bien payé de leur personne, elle peut devenir pesante et même honteuse à un jeune cœur comme celui de Mario. L'ai-je fait élever avec de grands soins, avons-nous fait de lui, grâce à son génie précoce, un gentilhomme accompli et propre à toutes choses, pour l'ensevelir en une gentilhommière, sous prétexte qu'il n'a pas besoin de faire fortune et qu'il a le cœur doux et humain? Ne lui faudrait-il pas un peu de guerre et d'aventure, et, par quelque action d'éclat, conquérir ce marquisat que les idées de rangement universel du grand cardinal peuvent bien lui enlever d'un jour à l'autre? Je sais que l'enfant est bien jeune, et qu'il n'y a point de temps perdu encore; mais ses inclinations ne semblent tournées vers le beau savoir, et je me tracasse l'esprit du chemin qu'il y trouvera pour se distinguer.

– Monsieur, répondit Adamas, si vous croyez que votre fils sera plus manchot que vous à la bataille, c'est que vous ne le connaissez guère.

– Je ne connais pas mon fils?

– Eh bien, non, monsieur, vous ne la connaissez point: c'est un mystérieux qui vous aime tant, qu'il n'ose jamais avoir une idée pour vous tracasser ou une peine à vous faire partager. Mais je sais le fond du sac: Mario rêve de guerre autant que d'amour, et le temps est proche où, si vous ne devinez point ses ambitions, vous le verrez devenir triste ou malade.

– À Dieu ne plaise! s'écria le marquis. Je le veux interroger là-dessus dès demain!

Quand on dit demain, en pareille affaire, c'est dire que l'on recule, et le marquis recula, en effet. La faiblesse paternelle livra en lui un grand combat à l'orgueil paternel, et elle triompha. Mario n'était pas encore de force à supporter les fatigues de la guerre, et, d'ailleurs, la guerre que tout annonçait avec l'Angleterre ou l'Espagne semblait un peu ajournée par les grands efforts de Richelieu pour la création d'une marine française. On ne devait pas se presser; on avait le temps: on s'y trouverait bien assez tôt!

On retourna donc à Briantes à la fin de l'automne, et ou trouva Lucilio marié avec Mercédès.

Mario, en apprenant cette nouvelle à Paris, en avait témoigné plus de satisfaction que de surprise. Il avait depuis longtemps senti, dans l'air embrasé que lui soufflait involontairement sa Morisque, aussi bien que dans la suave mélancolie de Lucilio, et jusque dans le langage ardent et tendre de la sourdeline, les effluves de passion qui l'embrasaient parfois lui-même. Il eut le cœur pris dans un étau à la pensée de l'amour heureux; mais il avait un empire extraordinaire sur lui-même. Son père ne vivant que de sa vie, il s'était, de bonne heure, habitué à lui cacher ses émotions; et, quand Adamas lui reprochait de trop renfermer ses pensées:

– Mon père est vieux, répondait-il; il me chérit comme une mère chérit son enfant. C'est affaire à moi de ne point abréger ses jours par des soucis, et le ciel m'a donné charge de le faire vivre longtemps.

Lauriane vivait au fond du Poitou et donnait rarement de ses nouvelles; c'était dans un style affectueux et respectueux pour le marquis; mais elle traçait à peine le nom de Mario, comme si elle eût craint de se rappeler à son souvenir.

En revanche, elle s'exprimait avec une vive tendresse sur le compte de la Morisque, de Lucilio et des bons serviteurs de la maison. Il semblait que son affection, contenue avec ceux qui y avaient les premiers droits, eût besoin de prendre sa revanche avec les autres. Elle annonça même plusieurs fois, avec une sorte d'affectation, qu'on avait des projets de mariage pour elle, et que probablement elle ferait bientôt part d'une décision, souhaitant, disait-elle, de faire agréer son choix au marquis, qu'elle considérait comme un second père.

Ce qu'il y avait d'étrange dans ces mariages annoncés, c'est qu'elle y revenait tous les ans, comme à des projets renoués ou renouvelés, sans rien indiquer de ce qui pouvait intéresser ses amis à son choix, et comme si elle eût voulu leur faire entendre ceci au fond: «Je ne me marie pas, parce que ce n'est pas mon goût; mais gardez-vous de croire que je me garde pour vous autres.»

Telle était, en effet, son intention en écrivant ces lettres, et voici quelle était la situation de son esprit:

En la conduisant au loin pour se séparer bientôt d'elle, M. de Beuvre lui avait froissé le cœur en inventant de lui dire que le marquis et son héritier, consultés par lui à Bourges, avaient répondu avec beaucoup de froideur. Mario s'était montré très-fervent catholique en cette circonstance, il avait juré de ne jamais faire un mariage mixte.

Lauriane eût dû se méfier d'un père que la soif de l'or avait mordu jusqu'au fond des entrailles, et qui, pressé de s'éloigner, voulait à tout prix la décider à un prompt mariage. Elle refusa de se marier par dépit et à l'étourdie; mais elle promit d'y songer, et renonça fièrement, dans son âme, à l'ingrat Mario. Elle l'avait aimé à Bourges, aimé d'amour pour la première fois, après des années d'amitié calme. Et ce premier amour de sa vie, à peine avoué, à peine révélé à elle-même, il fallait en rougir de honte et le briser sans faiblir!

Elle eut cependant quelques doutes; mais, si son père ne lui jura pas qu'il n'exagérait rien, il put au moins lui donner sa parole d'honneur qu'il avait proposé les fiançailles au marquis, et que celui-ci avait éludé l'offre sous prétexte que Mario était encore trop jeune pour se mettre l'amour en tête. Lauriane était trop pure pour comprendre les dangers qu'elle eût pu courir en retournant à Briantes. Elle se rappela qu'au moment de la quitter Mario, que l'on disait indisposé, avait haussé les épaules et détourné la tête en disant: «Vous faites trop d'état d'une crampe. Je ne sens plus aucun mal.»

Elle répéta donc à son père ce qu'elle lui avait dit avec sincérité quelque temps auparavant, à savoir qu'elle n'avait jamais regardé ce mariage comme possible, et elle l'encouragea à partir comme il le souhaitait, en lui jurant qu'elle épouserait le prétendant convenable qui ne lui inspirerait pas d'aversion.

Mais ce prétendant ne se rencontra pas. Tous ceux que madame de la Trémouille lui présenta lui déplurent.

Elle trouvait en eux le positivisme qui avait envahi son père comme une passion, mais elle l'y trouvait à l'état de calcul froid et un peu cynique. Les beaux jours de la Réforme s'en allaient, dissous comme l'ancienne société du siècle précédent. La Réforme n'était héroïque que dans les grandes persécutions, et Richelieu, écrasant, par la fatale nécessité des choses, les restes du parti, n'avait rien d'un persécuteur. La France criait aux protestants par sa bouche: Tenez-vous-en à la liberté religieuse, sortez de la politique. Tournez-vous avec nous contre l'ennemi du dehors! Les protestants avaient voulu être une république, et ils étaient une Vendée.

Sauf les puritains de France (le groupe terrible, héroïque, indomptable, qui se rencontra et s'immola dans la Rochelle deux ans plus tard), les protestante français étaient alors disposés à se rallier au principe de l'unité française; mais plusieurs étaient résolus à ne se rallier qu'après une victoire qui ferait de bonnes et durables conditions à leur parti.

Or, parmi ceux qui raisonnaient bien, mais qui allaient être entraînés à raisonner mal et à choisir entre l'alliance étrangère et l'écrasement final, la noblesse était généralement moins pure d'intentions que le peuple et la bourgeoisie. Elle faisait ses réserves personnelles: les plus haut placés voulaient se faire acheter, et traduisaient leurs besoins de liberté religieuse en besoins de places et d'argent.

Au milieu de ces nombreuses défections qui se déclaraient tous les jours, ou qui se tenaient dans une honteuse expectative, Lauriane se sentit indignée. Elle s'était fait de l'honneur du parti une idée plus chevaleresque. Elle était forcée maintenant de reconnaître que son père, dont l'avidité l'avait tant humiliée, ne faisait qu'un peu plus tard ce que la plupart des gens de son âge avaient fait toute leur vie, ce que la plupart des jeunes gens étaient pressés de faire à leur tour. Encore M. de Beuvre était-il des meilleurs; car il n'avait pas l'idée de trahir son drapeau. Il se dépêchait seulement de faire ses affaires avant qu'il fût renversé.

Une exception pouvait se rencontrer pour Lauriane. Il y avait des exceptions, puisqu'elle-même en était une. Elle n'en rencontra pas, peut-être parce que, rêveuse et distraite, elle ne sut pas la chercher.

La jeunesse et la beauté sont fières à juste titre. Elles attendent qu'on les découvre, et ne découvrent rien elles-mêmes, dans la crainte d'avoir l'air de s'offrir.

LXIX

Bien que nous ayons fait jusqu'ici notre possible pour suivre nos personnages dans la vie de noblesse sédentaire que nos renseignements nous permettaient d'étudier un peu, nous voici forcé de franchir encore un peu de temps, et de chercher les beaux messieurs de Bois-Doré assez loin de leur paisible manoir.

C'était en 1629, le 1er mars, je crois. Le mont Genèvre, couvert de frimas, offrait le spectacle d'une animation extraordinaire sur ses deux versants, et jusqu'à l'entrée du défilé appelé le Pas de Suse.

C'était l'armée française en marche sur le duc de Savoie, c'est-à-dire sur l'Espagne et l'Autriche, ses bonnes alliées.

Le roi et le cardinal gravissaient la montagne en dépit d'un froid rigoureux. On hissait le canon à travers les neiges. C'était une de ces grandes scènes que le soldat français a toujours su si bien jouer dans le cadre grandiose des Alpes, sous Napoléon comme sous Richelieu, et sous Richelieu comme sous Louis XIII, sans s'amuser à faire dissoudre les roches, comme on l'attribue au génie d'Annibal, et sans employer d'autre artifice que la volonté, l'ardeur et la gaieté intrépides.

Dans un de ces sentiers que la neige piétinée creusait parallèlement sur le chemin, deux cavaliers se trouvèrent monter cote à côte l'escarpement de la montagne qui plonge vers la France.

L'un était un jeune homme de dix-neuf ans, robuste et d'une souplesse de mouvements agréables à voir sous le gracieux costume de guerre de l'époque. Ce jeune homme était, quant aux couleurs, habillé à sa fantaisie. Son équipement et ses armes, autant que son isolement, annonçaient un gentilhomme faisant la campagne en volontaire.

Mario de Bois-Doré, on pense bien que je ne m'occupe pas ici d'un autre, était le plus beau cavalier de l'armée. Le développement de sa force juvénile n'avait rien ôté à l'adorable douceur de sa physionomie intelligente et généreuse. Son regard était celui d'un ange pour la pureté; mais la barbe naissante rappelait pourtant que ce garçon au céleste regard n'était qu'un simple mortel, et cette jeune moustache accusait doucement le pli d'un sourire un peu nonchalant, mais d'une bienveillance cordiale à travers sa mélancolie.

Une magnifique chevelure brune, d'un ton doux et bouclée naturellement, encadrait largement le visage jusqu'à la naissance du cou et retombait en une grosse mèche (la cadenette était plus que jamais de mode) jusqu'au-dessous de l'épaule. La face était finement rosée, mais plutôt pâle que vermeille. Une distinction exquise de type, aidée tout naturellement d'une exquise distinction de manières et d'habillement, était le principal caractère de cette apparition, qui n'appelait point le regard, mais dont le regard avait peine à se détacher quand il l'avait rencontrée.

Telle fut l'impression du cavalier que le hasard venait de placer auprès de Mario.

Ce cavalier avait une quarantaine d'années; il était maigre et blême avec des traits assez réguliers, des lèvres fort mobiles, un œil perçant et, au total, une expression de ruse tempérée par un penchant sérieux à la réflexion. Il était costumé d'une façon assez problématique, tout en noir et en courte soutanelle, comme un prêtre en voyage, mais armé et botté en militaire.

Son cheval sec et agile allongeait le pas tout autant que l'ardente et généreuse monture de son compagnon.

Les deux cavaliers s'étaient salués en silence, et Mario avait ralenti son cheval pour laisser le pas au voyageur, plus âgé que lui.

Le voyageur parut sensible à une si scrupuleuse courtoisie, et refusa de dépasser le jeune homme.

– Au fait, monsieur, dit Mario, je crois que nos chevaux vont de même, ce qui prouve la bonté de l'un et de l'autre, car j'ai de la peine à soumettre le mien à une allure qui ne laisse pas tous les autres en arrière, et j'ai dû donner de l'avance à mes compagnons de route pour ne point arriver avant eux au sommet du passage.

– Ce qui est défaut chez votre magnifique bête est qualité chez la mienne, répondit l'inconnu. Comme je voyage presque toujours seul, j'avance sans que personne ait à me reprocher d'épuiser ma monture. Mais puis-je vous demander, monsieur, où j'ai eu l'honneur de vous voir? Votre agréable figure ne m'est point tout à fait nouvelle.

Mario regarda attentivement le cavalier et lui dit:

– La dernière fois que j'eus l'honneur de vous voir, c'était à Bourges, il y a quatre ans, au baptême de monseigneur le duc d'Enghien.

– Alors vous êtes, en effet, le jeune comte de Bois-Doré?

– Oui, monsieur l'abbé Poulain, répondit Mario en portant encore une fois la main à son feutre empanaché.

– Je suis heureux de vous retrouver tel que vous êtes, monsieur le comte, reprit le recteur de Briantes; vous avez grandi en taille, en bonne mine et aussi en mérite, je le vois à vos manières. Mais ne m'appelez point abbé; car, hélas! je ne le suis point encore, et il est possible que je ne le sois jamais.

– Je le sais que M. le Prince n'a jamais voulu entendre à votre nomination; mais je pensais…

– Que j'avais trouvé mieux que l'abbaye de Varennes? Oui et non! En attendant un titre quelconque, j'ai réussi à quitter le Berri, et le hasard m'a attaché à la fortune du cardinal par le service du père Joseph, auquel je me suis dévoué corps et âme. Je puis vous dire, entre nous, que je suis un de ses messagers; et voilà pourquoi j'ai un bon cheval.

– Je vous en fais mon compliment, monsieur. Le service du père Joseph ne peut être qu'un travail de bon Français, et la fortune du cardinal est le destin de la France.

– Dites-vous bien ce que vous pensez, monsieur Mario? dit l'ecclésiastique avec un sourire de doute.

– Oui, monsieur, sur mon honneur! répondit le jeune homme avec une franchise qui triompha des soupçons de l'agent diplomatique. Je ne souhaite point que M. le cardinal sache qu'il a, en mon père et en moi, deux admirateurs de plus; mais faites-nous la grâce de nous croire assez bons Français pour vouloir servir de nos corps et de nos âmes, aussi bien que vous, si nous pouvons, la cause du grand ministre et du beau royaume de France.

– Je crois en vous très-fermement, reprit M. Poulain, mais moins en monsieur votre père! Par exemple, il ne vous envoya point, l'an passé, au siège de la Rochelle! Vous étiez encore bien jeune, je le sais; mais de plus jeunes que vous y étaient, et vous dûtes ronger votre frein en manquant au glorieux rendez-vous de toute la jeune noblesse de France.

– Monsieur Poulain, répondit Mario avec quelque sévérité, je vous croyais lié à mon père par la reconnaissance. Tout ce qu'il a pu faire pour vous, il l'a fait, et, si l'abbaye de Varennes a été sécularisée au profit de M. le Prince, vous ne pouvez en accuser mon père, lequel a été largement frustré dans cette affaire.

– Oh! je n'en doute point! s'écria M. Poulain; je m'en rapporte au prince de Condé pour savoir embrouiller les comptes! aussi je ne m'en prends qu'à lui. Quant à votre père, sachez, monsieur le comte, que je l'aime et l'estime toujours infiniment. Loin d'avoir la pensée de lui nuire, je donnerais ma vie pour le savoir rattaché, sans arrière-pensée, à la cause catholique.

– Mon père n'a pas eu besoin de se rattacher à la cause de son pays, monsieur! C'est vous dire qu'il embrasse chaudement celle du cardinal contre tous les ennemis de la France.

– Voire contre les huguenots?

– Les huguenots ne sont plus, monsieur! Laissons en paix les morts!

M. Poulain fut encore frappé de la dignité d'expression de ce visage si doux. Il sentit qu'il n'avait pas affaire à un jeune homme ambitieux et frivole comme les autres.

– Vous avez raison, monsieur, dit-il. Paix à la cendre des Rochelois, et que Dieu vous entende, afin qu'ils ne revivent point à Montauban et ailleurs. Puisque votre père est si bien revenu de son indifférence religieuse, espérons qu'il vous permettra, au besoin, de marcher contre les rebelles du Midi.

– Mon père m'a toujours permis et me permettra toujours de suivre mon inclination; mais sachez, monsieur, qu'elle ne sera jamais de marcher contre les protestants, à moins que je ne voie la monarchie en grand péril. Jamais, par ambition ou par gloriole, je ne tirerai l'épée contre des Français; jamais je n'oublierai que cette cause, jadis glorieuse, aujourd'hui infortunée, a mis Henri IV sur le trône. Vous avez été nourri dans l'esprit de la Ligue, M. Poulain, et aujourd'hui vous le combattez de toutes vos forces. Vous avez été du mal au bien, du faux au vrai; moi, j'ai vécu et je mourrai dans le chemin où l'on m'a mis: fidélité à mon pays, horreur des intrigues avec l'étranger. J'ai moins de mérite que vous, n'ayant point eu lieu de me convertir; mais je vous jure que je ferai de mon mieux, et que, tout en respectant la liberté de conscience chez les autres, je tomberai de toute ma force sur les alliés de M. de Savoie…

– Vous oubliez que ce sont aujourd'hui les alliés de la Réforme.

– Dites de M. de Rohan! M. de Rohan achève par là de tuer son parti, voilà pourquoi je vous ai dit: Paix aux morts!

– Allons, dit l'affidé du père Joseph, je vois que, comme le bon marquis, vous êtes un esprit romanesque, et que vous vous guiderez, à son exemple, par le sentiment. Puis-je, sans indiscrétion, vous demander des nouvelles de monsieur votre père?

– Vous allez le voir en personne, monsieur. Il sera content de vous saluer. Il marche en avant, et, dans un quart d'heure, nous serons près de lui.

– Que me dites-vous? M. de Bois-Doré, à soixante-quinze ou quatre-vingts ans…

– Marche encore contre les ennemis et les assassins de Henri IV. Cela vous étonne, monsieur Poulain?

– Non, mon enfant, répondit l'ex-ligueur devenu, par la force des choses, continuateur et admirateur politique du Béarnais; mais je trouve qu'il s'y prend tard!

– Que voulez-vous, monsieur! Il ne voulait pas marcher tout seul: il attendait l'exemple du roi de France.

– Allons, s'écria M. Poulain en souriant, vous avez réponse à tout! Il me tarde de saluer la belle vieillesse du marquis! Mais il est impossible de trotter ici. Veuillez encore me donner des nouvelles d'un homme à qui je dois la vie: maître Lucilio Giovellino, autrement dit Jovelin, le grand sourdelinier.

– Il est heureux, grâce au ciel! Il a épousé sa meilleure amie, et, à eux deux, ils nous rendent le service de gouverner notre maison et nos biens en notre absence.

– Votre meilleure amie… Parlez-vous de Mercédès, la belle Morisque? J'aurais cru que vous lui préfériez, avec d'autres sentiments, il est vrai, une amie plus jeune et plus belle encore.

– Parlez-vous de madame de Beuvre? reprit Mario avec une franchise qui faisait ressortir la curiosité insinuante de M. Poulain; il m'est facile de vous répondre comme je répondrais à toute la terre. C'est là, en effet, une personne que j'ai aimée avec ardeur dans mon enfance et que je respecterai toute ma vie; mais son amitié pour moi est fort tranquille, et vous pouvez m'interroger sur son compte sans aucun détour.

– N'est-elle point mariée encore?

– Je n'en sais rien, monsieur. En voyage depuis quelques mois, nous n'avons guère de nouvelles de nos amis éloignés.

M. Poulain examina Mario à la dérobée. Il avait le calme d'un cœur brisé, mais non l'affaissement d'une âme épuisée.

– Ignorez-vous, dit le recteur, que M. de Beuvre était sur la flotte anglaise devant La Rochelle?

– Je sais qu'il y fut tué, et que Lauriane ne dépend plus que d'elle-même.

– Elle était en Poitou lorsque le duc de la Trémouille, après l'abandon des Anglais, alla abjurer l'hérésie au camp du roi.

– Elle ne l'y suivit pas, monsieur! dit vivement Mario. Elle demanda à partager la captivité de l'héroïque duchesse de Rohan, qui refusait de se soumettre, et, n'ayant pu obtenir cette grâce, elle s'apprêtait à revenir en Berri quand nous avons quitté notre province.

– Je savais tout cela, dit M. Poulain, qui paraissait être, en effet, au courant de toutes choses.

– Si vous ne le saviez pas, reprit Mario, je ne regrette pas de vous l'avoir dit. Vous ne voudriez pas donner au prince de Condé un nouveau prétexte pour confisquer les biens de madame de Beuvre?

– Non, certes! dit l'ex-recteur en riant tout à fait et même avec une sorte de bonhomie. Vous raisonnez bien, et l'on peut, sans trop de danger, être aussi sincère que vous l'êtes, quand on connaît son monde. Mais ayez toute confiance en moi, qui ai ouvertement rompu avec les jésuites, à mes risques et périls!

M. Poulain disait vrai.

Il était, quelques moments après, en présence du marquis de Bois-Doré, et l'entrevue fut, de part et d'autre, fort civile, presque amicale.

Altersbeschränkung:
12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
28 September 2017
Umfang:
630 S. 1 Illustration
Rechteinhaber:
Public Domain