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Buch lesen: «Les beaux messieurs de Bois-Doré», Seite 31

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– Assez, assez d'éloges, mon ami, reprit Bois-Doré en serrant la main de son carrosseux. Si tu apprends à ton jeune maître à désobéir, ne lui apprends pas, du moins, à jurer comme un païen.

– Ai-je donc désobéi, mon père? dit Mario; vous m'aviez défendu de courir sus aux bohémiens; mais vous ne m'aviez rien dit quant aux reîtres.

Le marquis prit son enfant dans ses bras et ne put s'empêcher de le montrer avec orgueil à ses amis, en leur racontant comment il avait tiré son oncle des mains du terrible Sanche.

– Allons, mon jeune héros, ajouta-t-il en l'embrassant encore, j'aurais beau vouloir vous tenir en laisse, vous voilà hors de page. Vous avez vengé de votre propre main, à onze ans, la mort de votre père, et gagné vos éperons de chevalier. Allez mettre un genou en terre devant votre dame; car vous avez conquis l'espoir de lui plaire un jour.

Lauriane embrassa Mario fraternellement sans hésiter, et Mario lui rendit ses caresses sans rougir.

Le moment n'était pas encore venu où leur sainte amitié pouvait se changer en un saint amour.

Tous deux retournèrent vers Mercédès après avoir rassuré le marquis sur le compte de Lucilio, qui était bon chirurgien et qui s'était déjà rendu auprès d'elle. Mario n'avait pas voulu se vanter d'avoir contribué à la délivrance de son ami, qui, à son tour, s'était fort bien battu à ses côtés.

La Morisque était si heureuse des soins du précepteur et du retour de Mario, qu'elle ne sentait point son mal.

Après ce pansement, Lucilio procéda à celui des blessés, et même à celui des prisonniers, que l'on se disposait à faire partir, sous bonne escorte, pour la prison forte de La Châtre.

Assis dans la basse-cour, autour d'un reste d'incendie, les reîtres avaient l'oreille bien basse; le capitaine Macabre, qui s'était battu ivre-mort et qui était fort blessé, ne songeait qu'à implorer du brandevin pour s'étourdir de sa déconfiture; la Bellinde avait eu si grand'peur dans la bataille, qu'elle en était comme hébétée: ce qui la préservait de sentir l'humiliation de se voir exposée aux mépris et aux reproches des domestiques et vassaux qu'elle avait si longtemps dédaignés et tancés.

Elle fut pourtant l'objet de quelques égards de la part des villageoises, à cause de son riche costume, dont elles étaient éblouies instinctivement.

Mais, quand Adamas sut la prétention qu'elle avait eue d'épouser le marquis et le projet qu'elle avait manifesté de torturer Mario, il la voua si bien à l'exécration générale, que le marquis dut se hâter de la faire partir pour la prison de ville. Il eut même l'humanité, en dépit d'Adamas, de lui laisser ses bijoux, sa bourse et un cheval pour la transporter.

Tous les autres chevaux des reîtres, qui étaient fort bons, et leurs équipages, ainsi que leurs armes et l'argent des officiers, furent distribués aux braves gens qui les avaient pris, sans que le marquis voulût rien garder pour lui-même de la dépouille de l'ennemi. Il s'occupa, en outre, de secourir au plus vite ses pauvres vassaux, pillés et houspillés par les bohémiens.

LIX

Chacun rentra chez soi dès qu'on eut vu partir les prisonniers, que M. Robin accompagna avec un grand renfort de gens des environs, attirés par le bruit de la bataille, un peu tardivement, mais du moins en temps utile pour permettre aux combattants d'aller prendre le repos dont ils avaient grand besoin.

Jean le Clope, arrivé des derniers et déjà entre deux vins, se fit joie et honneur de s'adjoindre à l'escorte. Il avait une vieille haine contre le capitaine Macabre, et avait perdu sa jambe dans une rencontre avec des reîtres.

Aussi entra-t-il dans la ville de La Châtre la tête haute, prenant des airs de capitaine Fracasse, et racontant à qui voulait l'entendre, que, de sa claire épée, il en tuait quatorze, comme dans la complainte.

Il montrait les plus grands prisonniers en disant de chacun en particulier:

– C'est moi qui ai pris celui-là.

Quand la place fut déblayée, il y eut encore bien du désordre dans le préau de Briantes.

Les bâtiments du rez-de-chaussée étaient toujours à l'état d'ambulance pour les hommes et pour les animaux. La salle à manger et la cuisine étaient ouvertes à quiconque voulait se chauffer, boire ou manger, et le marquis ne voulut pas seulement s'asseoir avant d'avoir pourvu aux besoins de tout le monde. Lucilio et Lauriane pansaient et remégeaient de leur mieux.

Ce tableau agité présentait des épisodes variés.

Ici, l'on criait et gémissait pendant l'extraction d'une balle; là, on riait et trinquait en se remémorant les exploits de la nuit; ailleurs, on pleurait les morts.

On vit de vieilles femmes insupportables faire beaucoup de bruit pour une chèvre qui ne se retrouvait pas, d'autres, qui avaient perdu leurs enfants et qui couraient, l'œil hagard, la poitrine trop oppressée pour avoir la force de les appeler.

Mario, alerte et compatissant, se mettait à la recherche, pendant qu'Adamas, toujours prévoyant, faisait creuser dans un champ voisin un grand trou pour enterrer les morts faits à l'ennemi. Ceux du pays furent traités avec plus d'honneur, et on se mit en quête de M. Poulain pour leur dire des prières en attendant l'inhumation.

On fêta les plus courageux. Presque tout le monde l'avait été à la dernière heure; cependant on retrouva tout le long du jour de pauvres hébétés, blottis encore sous des fagote ou dans des coins de hangar, où ils se fussent laissé brûler ou enfumer sans rien dire, tant la peur les avait saisis.

Au milieu de toutes ces scènes tragiques ou burlesques, Bois-Doré se multipliait avec le bon Guillaume pour veiller à tout.

En dépit des choses horribles ou navrantes qui se présentaient devant eux à chaque pas, ils avaient cet entrain un peu enivré qui suit toujours la fin heureuse d'une grande crise.

Ce que l'on avait à déplorer et à regretter était encore peu de chose au prix de tout ce qui eût pu arriver.

Le marquis était remonté à cheval pour vaquer plus vite à ses devoirs charitables, dans un équipage incompréhensible pour la plupart de ceux qui le voyaient passer.

Il avait encore son tablier de cuisine devenu haillon, il est vrai, et taché du sang de ses ennemis; si bien que plusieurs de ses vassaux crurent qu'il s'était ceint d'un lambeau d'étendard pour témoigner de sa victoire. Ses grandes moustaches avaient grillé dans l'incendie, et le mortier de toile de maître Pignoux, écrasé par le chapeau que Bois-Doré avait mis dessus à la hâte, lui descendait jusqu'aux yeux; on le croyait blessé à la tête, et chacun lui demandait avec sollicitude s'il avait beaucoup de mal.

Au moment où l'on jetait les premières pelletées de terre sur les cadavres, il y en eut un qui réclama.

C'était La Flèche, qui prétendait n'être pas tout à fait mort.

Les fossoyeurs improvisés n'étaient guère disposés à l'écouter, lorsque Mario passa non loin et entendit la discussion. Il accourut et donna l'ordre d'exhumer le misérable, à quoi l'on obéit avec répugnance; mais, malgré toute son autorité seigneuriale, le généreux enfant ne put décider personne à le transporter à l'ambulance.

Chacun s'enfuit sous divers prétextes, et Mario fut forcé d'aller chercher Aristandre, qui obéit sans murmurer, et retourna avec lui au lieu où, sur la terre humide et souillée, gisait le bohémien brisé.

Mais il n'était plus temps. La Flèche était perdu sans ressource; il ne râlait même plus; son œil dilaté et hagard annonçait qu'il touchait à sa dernière heure.

– Il est trop tard, monsieur, dit Aristandre à son jeune maître. Que voulez-vous! c'est bien moi qui l'ai aplati, et je conviens que je ne m'y suis point fait léger; mais ce n'est pas moi qui lui ai mis comme ça de la terre et des cailloux dans la bouche pour l'étouffer. Je n'aurais jamais songé à ça.

– De la terre et des cailloux? répondit Mario en regardant avec horreur et surprise le bohémien, qui étouffait. Il parlait tout à l'heure! il aura donc mordu la boue en se débattant contre la mort?

Et, comme il se penchait vers le misérable pour essayer de le soulager, La Flèche, qui avait déjà la pâleur des trépassés, fit un effort du bras comme pour lui dire: «C'est inutile; laisse-moi mourir en paix.»

Puis son bras s'étendit avec l'index ouvert, comme s'il indiquait son meurtrier, et resta ainsi roidi par la mort, qui avait déjà éteint son regard.

Les yeux de Mario suivirent instinctivement la direction que désignait ce geste effrayant, et ne vit personne.

Sans doute, le bohémien avait eu en expirant une hallucination en rapport avec sa triste et méchante vie.

Mais Aristandre fut frappé des traces d'un petit pied, toutes fraîches, sur la terre argileuse.

Ces traces entouraient le cadavre et présentaient comme un piétinement auprès de sa tête, puis elles s'éloignaient dans la direction que son bras montrait encore.

– Il y a des enfants bien terribles? dit le bon carrosseux en faisant remarquer ces traces à Mario. Je sais bien que ces bohémiens ne valent pas des chiens, et c'est peut-être le petit à ce pauvre Charasson qui, voyant que vous vouliez sauver ce mal mort, aura voulu, lui, l'achever comme cela pour venger la mort de son père. C'est égal, c'est une invention du diable, et l'on a bien raison de dire que le mal fait pousser le mal.

– Oui, oui, mon bon ami, répondit Mario épouvanté. Tu comprends, toi, qu'un mourant n'est plus un ennemi. Mais regarde donc là-bas dans le buisson: n'est-ce pas la petite Pilar qui se cache?

– Je ne sais pas, dit Aristandre, ce que c'est que la petite Pilar; mais je connais cette petite drôlesse pour celle que j'ai fait sauver cette nuit. Tenez, la voilà qui se sauve plus loin. Elle court comme un vrai chat maigre; la reconnaissez-vous, à présent?

– Oui, dit Mario, je la connais trop, et je vois bien que le démon est en elle. Laissons-la fuir, carrosseux, et puisse-t-elle s'en aller bien loin d'ici!

– Allons, monsieur, ne restez pas dans ce vilain endroit, reprit Aristandre; je vas remettre en terre la guenille de ce mécréant: car, de vrai, les chiens et les corbeaux le flairent déjà, et M. le marquis n'aimerait pas à voir traîner ça sur ses terres.

Mario, brisé de fatigue, alla prendre un peu de repos.

Quand il eut dormi une heure sur un fauteuil, à côté de sa chère Morisque, qui feignit de reposer aussi pour le tranquilliser, il se remit à donner des soins, des secours et des consolations dans le château et dans le village, avec l'aimable et dévouée Lauriane.

Le marquis, après avoir fait à la hâte un peu de toilette, recevait la visite du lieutenant de la prévôté.

En compagnie de MM. d'Ars et de Coulogne, il exposait les faits aux magistrats chargés d'en faire bonne et prompte justice.

LX

La journée s'avançait.

La fatigue avait ramené le calme dans le village et dans le manoir. Mario et Lauriane, en revenant de leur tournée, éprouvèrent le besoin de respirer un peu dans le jardin, le seul endroit de l'enclos qui n'eût pas été profané par des scènes de violence et de désolation.

Tout en racontant avec détail à sa jeune amie ses aventures particulières, qu'elle n'avait pas encore eu le loisir de bien comprendre, Mario arriva avec elle au palais d'Astrée, dans ce labyrinthe où il avait passé une heure si agitée, la nuit précédente.

Le temps était doux. Les deux enfants s'assirent sur les marches de la petite chaumière.

Mario, sans être malade, avait un peu de fièvre dans la tête. De si violentes émotions l'avaient comme mûri soudainement, et Lauriane, en le regardant, fut frappée de l'expression de fermeté mélancolique qui avait changé son doux et limpide regard.

– Mon Mario, lui dit-elle, je crains que tu n'aies mal. Tu as eu peur et courage, fatigue et force, joie et chagrin tout ensemble dans cette abominable nuit; mais tout cela est passé. Maître Jovelin répond de Mercédès, et elle jure qu'elle ne souffre guère. Tu as sauvé la vie de notre cher papa Sylvain, et vengé la mort de ton pauvre père. Tout cela te fait grand et brave garçon, à cette heure; mais il faut ne pas rester soucieux, et plutôt songer à remercier Dieu du bon secours qu'il t'a donné en cette affaire.

– J'y songe bien, ma Lauriane, répondit Mario; mais je songe aussi à une chose que mon père m'a dite ce matin, après quoi tu m'as embrassé en disant: «Oui, oui;» et cette chose me revient à présent. Je ne l'ai pas comprise, et il faut que tu me l'expliques. Mon père a dit que j'avais conquis l'espoir de te plaire. Est-ce donc que, jusqu'à ce jour, je ne te plaisais point?

– Si fait, Mario; tu me plais grandement, puisque je t'aime beaucoup.

– À la bonne heure! Mais, quand mon père dit quelquefois en riant que je serai ton mari, est-ce que tu crois que cela pourrait arriver?

– Vraiment je n'en sais rien, Mario, et ne le crois guère. Je suis plus vieille que toi de deux ou trois ans, et, quand tu seras un jeune homme, je serai quasiment une vieille demoiselle.

– Et cependant, Lauriane, Adamas m'a dit que tu avais déjà été mariée à ton cousin Hélyon, qui avait trois ou quatre ans de plus que toi. Est-ce qu'il te reprochait d'être trop jeune pour lui?

– Mais oui, quelquefois, avant notre mariage, quand nous nous querellions en jouant.

– Eh bien, moi, je trouve qu'il avait tort; je trouve que tu n'es ni jeune ni vieille, et je te trouverai toujours bien, parce que je t'aimerai toujours comme je t'aime à présent.

– Tu n'en sais rien, Mario; on dit qu'on change de cœur en changeant d'âge.

– Cela n'est point vrai pour moi. Je trouve toujours ma Mercédès jeune et aimable, et, depuis que je suis au monde, je me plais toujours avec elle. Tiens, mon père est vieux, à ce qu'on dit; moi, je m'amuse plus avec lui qu'avec Clindor, et je ne trouve point d'âge non plus entre maître Lucilio et nous. Est-ce que tu t'ennuies de moi, parce que je suis le plus jeune de nous deux?

– Non pas, Mario; tu es bien plus raisonnable et plus gentil que les autres enfants de ton âge, et tu es déjà plus savant que moi, dans les leçons que nous prenons ensemble.

– Dis-moi, Lauriane, est-ce que tu me trouves plus gentil que ton autre mari?

– Je ne dois pas dire cela, Mario. Il était mon mari, et tu ne l'es pas.

– C'est donc que tu l'aimais, parce qu'il était ton mari?

– Je ne sais pas: je ne l'aimais pas beaucoup quand il n'était que mon cousin; je le trouvais trop fol et trop meneur de vacarmes. Mais, quand on nous eut conduit ensemble à l'église réformée et qu'on nous eut dit: «Vous voilà mariés, vous ne vous verrez plus que dans sept ou huit ans, mais votre devoir est de vous aimer;» j'ai répondu: «C'est bien;» et j'ai prié pour mon mari tous les jours, en demandant à Dieu de me faire la grâce de l'aimer quand je le reverrais.

– Et tu ne l'as jamais revu! Est-ce que tu as eu du chagrin quand il est mort?

– Oui, Mario. C'était mon cousin, j'ai pleuré beaucoup.

– Et, si je mourais, moi qui ne te suis ni cousin ni mari, tu ne pleurerais donc pas?

– Mario, dit Lauriane, il ne faut pas parler de mourir: on dit que cela porte malheur quand on est jeune. Je ne veux point que tu meures, et je te dis encore que je t'aime beaucoup.

– Mais tu ne veux pas me promettre que je serai ton mari?

– Eh! qu'est-ce que cela te fait, Mario, que je sois ta femme? Tu ne sais pas seulement si tu voudras te marier quand tu seras en âge.

– Ça me fait, Lauriane! Je ne veux pas d'autre femme que toi, parce que tu es bonne et que tu aimes tous ceux que j'aime. Et, comme tu dis qu'on doit aimer son mari, je vois que tu m'aimeras toujours si nous sommes mariés: au lieu que, si tu es mariée avec un autre, tu ne penseras plus à m'aimer. Alors, moi, j'aurai un grand chagrin, et j'ai envie de pleurer rien que d'y songer.

– Et voilà que tu pleures tout de bon! dit Lauriane en lui essuyant les yeux avec son mouchoir. Allons, allons, Mario, je te dis que tu as mal, ce soir, et qu'il te faut souper et bien dormir; car tu te fais des peines pour ce qui n'est point encore, au lieu de te réjouir de celles que tu as surmontées cette nuit.

– Ce qui est passé est passé, dit Mario; ce qui est à venir… Je ne sais pas pourquoi j'y pense aujourd'hui; mais j'y pense, et c'est malgré moi.

– Tu as été trop secoué!

– Peut-être bien! Pourtant, je ne me sens point las; et je ne sais pas non plus pourquoi j'ai pensé à toi toute la nuit, dans tous les moments où je me suis trouvé en grand péril, ainsi que mon père. «Si nous périssons tous les deux, me disais-je, qui donc sauvera ma Lauriane?» Vrai, je songeais à toi autant et peut-être plus qu'à ma Mercédès et à tous les autres. Tiens, c'est surtout quand j'ai rencontré Pilar que j'ai pensé à toi.

– Et pourquoi cette méchante fille te faisait-elle penser à ta Lauriane?

Mario réfléchit un instant et répondit:

– C'est que, vois-tu, quand j'étais en voyage avec les bohémiens, je jouais et causais souvent avec cette petite, qui sait l'espagnol et un peu l'arabe, et qui me faisait peine, parce qu'elle avait l'air malade et malheureux. Mercédès et moi, nous étions bons pour elle tant que nous pouvions, et elle nous aimait. Elle appelait Mercédès ma mère, et moi mon petit mari. Et, quand je disais: «Non, je ne veux pas,» elle pleurait et boudait, et, pour la consoler, j'étais obligé de lui dire: «Oui, oui, c'est bon!»

»Cette nuit, elle nous a rendu service, j'en conviens; elle a couru très-diligemment avertir MM. Robin et Guillaume, comme je le lui avais commandé; mais elle ne m'en a pas moins fait horreur; car j'ai connu qu'elle était cruelle et sans aucune religion.

»Alors, ce nom de mari, qu'elle m'avait souvent donné malgré moi, me soulevait le cœur, et je me souvenais d'avoir accordé avec toi en riant, et je voyais, d'un côté de moi, le diable sous sa figure, et, de l'autre, le bon ange gardien sous la tienne.»

Comme Mario parlait ainsi, une pierre détachée de la petite chaumière tomba si près de Lauriane, qu'un peu plus elle l'eût blessée.

Les deux enfants se hâtèrent de s'éloigner, pensant que la chaumière se dégradait d'elle-même; et il s'en allèrent rejoindre le marquis, lequel les attendait pour dîner.

LXI

Cependant on avait vainement appelé et cherché M. Poulain pour assister les mourants de sa paroisse; on ne le trouva point.

Son logis avait été pillé par les bohémiens, de préférence à tout autre. Sa servante avait été fort maltraitée et gardait le lit, demandant au ciel le retour de M. le recteur, dont elle ne pouvait donner aucune nouvelle. Depuis deux jours et deux nuits, il avait disparu.

Enfin, dans la soirée, comme M. Robin allait se retirer avec Guillaume d'Ars et son monde, laissant tous deux leurs blessés aux bons soins du marquis, on vit arriver Jean Faraudet, le métayer de Brilbault, qui demandait à faire à son maître une communication importante.

Voici ce qu'il raconta, et, en même temps, nous dirons ce qui s'était passé la veille à Brilbault, où nous n'avons point eu le loisir de suivre les nombreux personnages réunis là de concert, pour cerner et envahir le vieux manoir.

Les dispositions avaient été si bien prises, que personne n'avait manqué au rendez-vous, si ce n'est M. de Bois-Doré, dont l'absence ne fut point remarquée d'abord, tous les conjurés pour cette expédition étant disséminés par petits groupes, lesquels ne communiquèrent entre eux que dans l'obscurité, aux abords de la mystérieuse masure.

Ladite masure, explorée de fond en comble, fut trouvée silencieuse et déserte. Mais on y vit des traces d'occupation récente dans la partie du rez-de-chaussée où le marquis n'avait osé pénétrer seul: les cheminées, avec un reste de braise; des haillons par terre et des débris de repas.

On avait découvert aussi un passage souterrain qui aboutissait à une assez longue distance en dehors de l'enceinte. Ces passages existaient dans tous les manoirs féodaux. Ils étaient déjà presque tous comblés à l'époque de notre récit; mais les bohémiens avaient su déblayer celui-ci et en masquer la sortie assez adroitement.

On n'avait pas poussé plus loin les recherches, non-seulement parce qu'on les jugea inutiles, l'ennemi étant déjà déguerpi, mais encore parce que l'on commença à s'inquiéter de M. de Bois-Doré et à le chercher aux alentours. On s'alarmait sérieusement, lorsque la petite bohémienne arriva et rendit compte des faits.

Il y eut encore du temps de perdu en incertitudes graves. M. Robin pensait que le marquis était tombé dans quelque embûche, et il s'obstina à le chercher, tandis que M. d'Ars, trouvant les assertions de l'enfant assez vraisemblables, se décidait à partir pour Briantes avec son monde. Une heure plus tard, M. Robin, prenait le parti d'en faire autant.

Quand ils furent tous éloignés, le métayer du Brilbault, qui avait reçu l'ordre de continuer à explorer le château, cédant à la fatigue, disait-il, et probablement encore plus à un reste de frayeur, avait remis l'ouvrage au lendemain.

– Quand le jour fut grand, je m'en y fus (c'est Jean Faraudet qui parle), et, après avoir bien tourné et viré, de bout en bout, les vieux bois et gravois, j'avisis une logette que je n'avais pas encore vue, et j'y trouvis un homme mieux lié qu'une gerbe; car il avait les mains et les pieds attachés, et encore la bouche morte dans un bouchon de paille qui lui faisait corde bien subtilement tordue à l'entour de la tête. Aussi bien l'homme paraissait tout mort de la tête aux pieds. Je l'aveignis et le portis en mon logis, où, étant délié et soulagé, un peu de brandevin le fit revenir.

– Et quel était cet homme? demanda le marquis, croyant qu'il s'agissait de d'Alvimar; vous ne le connaissiez point?

– Si fait bien, monsieur Sylvain, répondit le métayer; je l'avais bien déjà vu! C'était M. Poulain, le recteur de votre paroisse. Il a été plus de quatre heures sans pouvoir souffler le mot, à cause qu'il s'était estraminé à se vouloir débattre dans ses liens. Ça n'a été qu'au petit jour qu'il nous a dit:

« – Je ne veux rien dire qu'à la justice. Je ne suis point fautif de ce qui a pu arriver, j'en jure mon chrême et mon baptême!»

Il a eu la fièvre tout le jour durant, et battait la campagne. Enfin, à ce soir, il s'est senti mieux et a souhaité revenir chez lui, où je l'ai ramené en croupe derrière moi, sur ma jument poulinière, en parlant sauf respect.

– Allons l'interroger, dit Guillaume en se levant.

– Non, répondit le marquis, laissons-le dormir. Il en a aussi grand besoin que nous-mêmes. Et que nous révélerait-il que nous ne sachions trop maintenant? Et de quoi le pourrions-nous accuser? Il a été assister M. d'Alvimar mourant, c'était son devoir. En apprenant ce qui se complotait là-bas contre moi, s'il n'a pas menacé de le trahir, tout au moins il a refusé de s'y associer. Et voilà pourquoi les bohémiens l'ont garrotté et bâillonné.

Guillaume objecta que M. Poulain était un dangereux recteur pour la seigneurie de Briantes, et qu'il fallait tout au moins menacer de le compromettre dans l'affaire des reîtres pour le tenir soumis ou éloigné.

Le marquis refusa absolument de tourmenter un homme qui lui semblait assez puni par le traitement brutal dont il avait souffert et le risque qu'il avait couru de périr oublié et réduit au silence dans une geôle.

Eh quoi! dit-il, nous sommes venus à bout, par la grâce de Dieu, de quarante reîtres bien équipés et munis d'un canon; d'une bande d'adroits et agiles larrons; d'un terrible incendie et du plus infâme guet-apens, et nous songerions à tirer vengeance d'un pauvre prêtre qui ne peut plus rien contre nous!

Le marquis oubliait qu'il n'était pas encore quitte de tout danger.

M. le Prince, parti en toute hâte pour rejoindre la cour, pouvait n'y être pas bien reçu, revenir soudainement et passer sa mauvaise humeur sur les seigneurs de sa province.

Il fallait donc s'occuper, au moins, de ne pas laisser, entre soi et lui, un avocat dangereux de la cause d'Alvimar.

C'est de quoi Lucilio, fit, dès le lendemain, aviser le marquis, lequel courut aussitôt chez M. Poulain comme pour s'informer de sa santé.

Le recteur, qui ne pouvait encore quitter son fauteuil, tant il avait souffert du froid, de la gêne et de la peur, essaya de lui dire qu'une chute de cheval l'avait accommodé de la sorte et retenu vingt-quatre heures chez un de ses confrères.

Mais Bois-Doré alla droit au fait et lui parla avec une fermeté douce et généreuse, sans manquer à lui montrer les notes du journal de d'Alvimar et la manière dont ce défunt ami y parlait de lui et de M. le Prince.

M. Poulain ne lutta pas contre ces révélations. Son orgueil était fort abattu par les anxiétés atroces où il s'était trouvé plongé.

– Monsieur de Bois-Doré, dit-il en soupirant et en essuyant la sueur froide qui baignait encore son front au souvenir de ces angoisses, j'ai vu la mort de près, et je croyais ne pas la craindre; mais elle m'est apparue sous une si laide et si cruelle forme, que j'ai fait le vœu de me retirer dans un cloître si je sortais de ce mur glacé où l'on m'avait enterré vivant. M'en voilà sorti, et je me sens bien pressé de ne plus prendre parti pour ou contre aucune personne et aucun intérêt de ce monde. Je vais donc songer uniquement à mon salut dans une profonde retraite, et, s'il vous plaisait m'allouer une cellule dans l'abbaye de Varennes, dont vous êtes possesseur fiduciaire, je ne souhaiterais rien de plus.

– Soit, répondit Bois-Doré, à la condition que vous me donnerez, sur ce qui s'est passé à Brilbault, de sincères éclaircissements. Je ne vous fatiguerai point de questions inutiles: je sais les trois quarts de ce que vous savez vous-même. Je ne souhaite connaître qu'une chose: c'est si M. d'Alvimar vous a confessé l'assassinat de mon frère.

– Vous me demandez là de trahir le secret de la confession, répondit M. Poulain, et je m'y refuserais, comme c'est mon devoir, si M. d'Alvimar, sincèrement repentant à sa dernière heure, ne m'eût chargé de tout révéler après sa mort et celle de Sanche, laquelle il ne croyait pas si proche qu'elle l'a été. Sachez donc que M. d'Alvimar, issu par sa mère d'une noble famille, et autorisé par le secret de sa naissance à porter le nom de l'époux de sa mère, était, en réalité, le fruit d'une coupable intrigue avec Sanche ancien chef de brigands devenu cultivateur.

– En vérité! s'écria le marquis. Vous m'expliquez là, monsieur le recteur, les dernières paroles de Sanche. Il prétendait me sacrifier à la mémoire de son fils! Mais comment ceci entrait-il dans la confession de M. d'Alvimar, à moins qu'il ne se crût obligé à faire celle des autres?

– M. d'Alvimar dut m'avouer sa situation vis-à-vis de Sanche pour m'arracher le serment de ne point livrer au bras séculier celui qu'avec honte et douleur il appelait l'auteur de ses jours. Il l'appelait aussi l'auteur de son crime et de ses infortunes.

»C'était cet homme cruel et pervers qui l'avait rendu complice de la mort de votre frère, qui en avait eu la première pensée, et qui l'avait frappé au cœur pendant que d'Alvimar se résignait à l'aider et à profiter du crime.

»Il n'est que trop vrai que l'unique but de cet assassinat, dont les auteurs ne connaissaient pas la victime, fut le désir de s'emparer d'une somme et d'une cassette de bijoux que votre frère avait imprudemment laissé voir, la veille, dans une hôtellerie.

»À cette époque de sa vie, M. d'Alvimar était fort jeune, et si pauvre, qu'il doutait de pouvoir faire les frais de son voyage jusqu'à Paris, où il espérait trouver des protections. Il était ambitieux: c'est là un grand péché, je le reconnais, monsieur le marquis; c'est la pire tentation de Satan.

»Sanche nourrissait et excitait chez son fils cette ambition maudite. Il eut à vaincre sa répugnance; mais il triompha en lui montrant que ce meurtre se présentait comme une occasion sûre qui ne se retrouverait point, et le mettrait à l'abri de la nécessité de s'avilir en implorant la pitié d'autrui.

»Lorsque M. d'Alvimar me fit cette confession, Sanche était présent et baissa la tête sans chercher à s'excuser. Tout au contraire, quand j'hésitai à donner l'absolution à un forfait qui ne me paraissait pas suffisamment expié, Sanche s'accusa avec énergie, et je dois vous avouer qu'il y avait comme de la grandeur dans la passion de cette âme farouche pour le salut de son fils.

»Je pensais dès lors avoir affaire à deux chrétiens, coupables tous deux, mais tous deux repentants; mais Sanche me remplit d'horreur et d'épouvante aussitôt que son fils eut rendu l'âme.

»C'était une scène affreuse, monsieur, et que je n'oublierai de ma vie!

»La salle basse où nous étions, dans ce château délabré, n'avait qu'une cheminée, et, bien que le local fût vaste, nous étions à l'étroit dans l'espace où l'on pouvait se retrancher contre le froid qui tombait de la voûte effondrée.

»M. d'Alvimar n'avait pour lit que de la paille, et pour couverture que son manteau et celui de Sanche. Il était si épuisé par deux mois d'agonie, qu'il ressemblait à un spectre.

»Cependant, Sanche l'avait habillé de son mieux pour lui faire recevoir les derniers secours de la religion, et ce gentilhomme distingué et résigné, au milieu d'une horde de bohèmes, païens et infâmes, contristait le cœur et la vue.

»Ces mécréants, mécontents d'assister à une cérémonie chrétienne, hurlaient, juraient et vociféraient d'une façon dérisoire, pour ne point entendre les prières de la sainte Église, qui leur sont exécrables. Il paraît qu'il en a toujours été ainsi durant les derniers temps de là déplorable existence de M. d'Alvimar en ce lieu.

»Chaque nuit, Sanche essayait de profiter de leur sommeil pour réciter à son fils les prières que celui-ci réclamait; mais, aussitôt que l'un des bohémiens s'en apercevait, tous, hommes, femmes et enfants, s'adonnaient au vacarme pour étouffer sa voix et ne laisser pénétrer dans leurs propres oreilles aucune des paroles saintes de nos rites.

»Ce fut donc au milieu de cette bacchanale effrayante, où Sanche, par son autorité (fondée sur ce qu'il avait quelque argent caché dont il leur faisait part peu à peu), venait quelquefois à bout de rétablir un instant de silence, que j'administrai le malheureux jeune homme.

»Il mourut réconcilié avec Dieu, je l'espère; car il marqua beaucoup de regret de son crime, et me pria de rétablir la vérité auprès de M. le Prince, si celui-ci, abusé autant que je l'avais été moi-même sur les circonstances et les causes de votre duel, venait à vous inquiéter pour ce fait.

Altersbeschränkung:
12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
28 September 2017
Umfang:
630 S. 1 Illustration
Rechteinhaber:
Public Domain