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Buch lesen: «Les beaux messieurs de Bois-Doré», Seite 29

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LV

Tout allait bien.

Macabre et ses acolytes, vaincus par le fier regard et le fier silence du majestueux cuisinier, étaient charmés, d'ailleurs, de pouvoir faire honneur à ses plats, et peut-être n'eût-il pas été forcé de se montrer de nouveau; mais une malheureuse distraction de sa part vint tout gâter.

La Proserpine laissa tomber l'éventail de plumes qu'elle portait à sa ceinture en compagnie d'une daguette et de deux pistolets; et, par une fatale habitude de galanterie dont il ne s'était jamais départi, même envers sa gouvernante, le marquis se baissa pour ramasser l'objet, qu'il présenta avec émotion, s'apercevant trop tard de sa bévue.

Il y eut un moment de surprise et d'incertitude dans les yeux de la Proserpine, un moment long comme un siècle; enfin, la dame s'écria en portant la main à ses pistolets:

– Je veux mourir de la grand'mort, si c'est là maître Pignoux!

– Quoi? qu'est-ce à dire? s'écria à son tour le Macabre. Arrive ici, vieux fricotier, et montre ton sale museau à la compagnie. Par la mort-diable! s'il y a ici quelque supercherie et qu'un vil gâte-sauce ait usurpé les fonctions de maître-queux, je prétends faire de son cuir une écumoire.

Le marquis n'écouta pas les menaces du brigand; il sentit que le moment de la crise était venu, et poussa Mario hors de la salle, en lui disant:

– Va donc en bas, toi! ma femme t'appelle!

Puis il se présenta résolûment en face de la Proserpine et la regarda avec cette suprême dignité que l'homme de cœur est seul capable d'invoquer contre de lâches adversaires.

Malgré le grotesque accoutrement de son maître, la servante Bellinde ne put se défendre d'un sentiment de respect et de remords. Elle tenait dans ses mains la vie de celui qu'elle voulait humilier et piller, mais non pas faire tourmenter et égorger. Elle hésita encore un instant, et dit:

– Ma foi, maître Pignoux, je vous reconnais à cette heure! mais par la mordi! vous êtes bien changé! Vous avez donc fait une grosse maladie?

– Oui, madame, répondit Bois-Doré touché de ce bon mouvement: j'ai eu beaucoup de fatigue dans ma maison depuis que j'ai été forcé de me séparer d'une personne qui me servait fort bien.

– Je sais de qui vous parlez, reprit la Bellinde. C'était un trésor que vous avez méconnu et jeté à la porte comme un chien. Oui, oui, je sais comment la chose s'est passée. Tout le tort est de votre côté, et, à présent, vous en êtes aux regrets! Mais il est trop tard, ma foi! elle ne vous servira plus!

– Elle fera bien de ne plus servir personne, si elle peut s'en dispenser; mais je me flatte que, en quelque situation qu'elle soit, elle n'a point oublié ma générosité envers elle. Je la quittai sans reproche et sans lésinerie, elle pourra vous le dire.

– Il suffit; nous parlerons de ça plus tard. Servez-nous bien, et, pour ce, retournez à votre ouvrage, mon vieux. Allez!

En sortant, Bois-Doré la vit parler bas à un de ses hommes.

– Nous sommes sauvés! dit-il à Mario dans l'escalier. Elle ne m'a pas trahi, et elle vient de donner l'ordre de nous laisser sortir!

Et, dans sa candeur, le marquis se dirigeait avec Mario vers la porte de la cuisine; mais il s'était bien trompé: la Proserpine avait, au contraire, renouvelé l'ordre du blocus.

Il fallait donc feindre encore et s'occuper de la confection de la fameuse omelette aux pistaches.

Une heure environ s'écoula sans apporter de changement à cette burlesque et tragique situation.

On faisait grand bruit dans la salle. Macabre criait, jurait et chantait. C'était tantôt de la gaieté brutale et tantôt de la colère.

Voici ce qui se passait:

Le lieutenant Saccage était un homme positif et net comme son nom. Il trouvait absurde que l'on se préparât à un coup de main qui exigeait une marche rapide et silencieuse, par un souper qu'il savait bien devoir dégénérer en orgie.

Macabre était un bandit adonné à tous les excès qui étaient le véritable but de ses courses. Il n'avait pas, comme son lieutenant, les qualités du spéculateur, et, si je ne craignais de profaner les mots, je dirais que, dans sa vie d'aventures, il portait une sorte d'ivresse qui en était la poésie sombre et brutale. Il était aussi bohémien que larron, mangeant tout et n'étant riche que par crises.

L'autre amassait froidement et plaçait à mesure. Il entendait les affaires, ne donnait rien au plaisir et s'amassait une fortune. De nos jours, il eût été un fripon mieux posé: il eût filouté en habit noir et vécu dans le monde, au lieu de courir les routes et de détrousser les passants.

Chaque siècle a son trafic, et, dans les guerres civiles du xvie et du xviie siècle, le brigandage s'était organisé en industrie régulière et en calculs positifs.

Saccage aspirait à se débarrasser du Macabre. Il n'eût osé l'attaquer de front; mais il faisait comme M. le Prince avec le roi de France. Il poussait son maître dans le danger, comptant qu'une arquebusade l'emporterait et lui ferait la place nette.

Dans cette prévision, il tâchait de plaire à la Proserpine, gardienne de la caisse et des bijoux, et la dame, tout en ménageant l'époux de rencontre, ne décourageait pas l'époux en herbe que les hasards de la guerre pouvaient lui rendre utile à un moment donné.

Ce système de coquetterie commençait à être visible pour Macabre, et il se sentait partagé entre le besoin de se laisser mener par le nez et celui d'administrer une solide correction à sa déesse.

Il eût voulu aussi, à chaque instant, casser les brocs sur la tête de son rival, et cependant il sentait combien l'activité et la constante lucidité de ce lieutenant lui étaient nécessaires, à lui qui ne pouvait se résigner à être sobre et à vivre sur le qui-vive.

Si bien que, fatigué de cette alternative de colères et de réconciliations qui se renouvelait à chaque repue, le capitaine prit le parti de noyer ses soucis dans le vin clairet des coteaux de La Châtre, et commença, après avoir beaucoup déraisonné, à éprouver l'invincible besoin de faire un somme, le nez sur son assiette, dans un reste de pâté.

Alors, seulement, Saccage put parler raison à la Proserpine.

– Vous voyez, ma Bradamante, lui dit-il, que cet ivrogne n'est bon à rien, et, si vous m'en croyez, nous le laisserons dormir ici tout son soûl et courrons piller le susdit manoir. Au retour, demain, nous reprendrons ici ce beau capitaine, qui ne servirait maintenant qu'à gêner notre expédition.

Proserpine nourrissait une idée toute fraîche éclose, idée hardie et bizarre, dont elle n'avait garde de faire part au lieutenant.

Elle feignit d'acquiescer à son désir de tout préparer pour le départ.

– Allez faire manger la troupe, répondit-elle; je vais veiller ce dormeur, et, s'il s'éveille, je le ferai boire pour qu'il reprenne son somme.

Saccage descendit à l'office, se fit livrer toutes les provisions en porc salé et conserves de gros gibier, puis passa à l'écurie, où ses hommes et ceux du capitaine s'étaient installés.

La distribution des vivres et surtout du vin fut faite sous ses yeux avec une prudente parcimonie; il veilla lui-même à ce que la garde fût bien montée. Les hommes de Proserpine étaient attablés dans la cuisine et soupaient joyeusement de la copieuse desserte des officiers.

Pendant ce temps, la lieutenante fit monter le maître-queux, qui la trouva chauffant ses grosses jambes bottées, dans une attitude masculine.

Ils étaient seuls, car le capitaine ronflait dans son pâté.

– Asseyez-vous là, marquis, et causons, dit-elle d'un air affable assez risible. Il faut que vous connaissiez votre situation et la mienne, et je vous ferai voir bien des choses en peu de mots, car le temps presse.

Le marquis s'assit en silence.

– Il faut vous dire, reprit la dame-brigand, que, lorsque vous me renvoyâtes incivilement de votre gentilhommière, j'entrai au service de madame de Gartempe, qui s'en allait dans le pays Messin de Lorraine, où elle a des biens de conséquence.

– Je le sais, dit le marquis; vous étiez là chez une dame fort qualifiée, et ce n'était point déroger. Comment se fait-il!..

– Que je l'aie si tôt quittée? Je m'étais mis la dévotion en tête chez vous, parce qu'on aime à faire le contraire de ce que font les gens qui nous commandent; et c'est pour cela que, trouvant ma grande dame trop exigeante pour ma conscience, je me tournai du côté des réformés, ce qui me servit à me faire chasser par elle, beaucoup plus durement que par vous, je le confesse!

»Sur ces entrefaites, il arriva au pays Messin un corps d'aventuriers de tous les pays, qui avaient servi ce brave capitaine que l'on appelle là-bas le bâtard de Mansfeld, et qui, battus sur l'autre rive du Rhin par les troupes catholiques de l'empereur cherchaient fortune en Alsace et en Lorraine.

»On avait grand'peur de ces gens-là, moi tout comme les autres; mais le hasard me fit rencontrer parmi eux quelqu'un que vous voyez ici, et qui, ayant sauvé une bonne somme, venait de congédier ses soldats et songeait à revenir à Bourges pour s'établir et vieillir en paix.

»Il se rappelait si bien le Berry, que la connaissance fut bientôt faite et qu'il m'offrit son cœur et sa main.

»Je ne sais pourquoi j'hésitai à me lier; mais en ce qui est très-assuré, mon cher marquis, c'est que votre château sera pris cette nuit et brûlé demain matin.

– C'est donc là véritablement le but de votre expédition? dit le marquis affectant un grand calme. Est-ce vous qui avez suggéré cette idée au capitaine Macabre? Je ne puis croire que vous soyez une personne vindicative et perverse à ce point.

– L'idée n'est pas venue de moi; mais, sans le vouloir, je l'ai suggérée à cet animal rapace, pour lui avoir imprudemment parlé de votre trésor. À peine sut-il le fait, qu'il m'accabla de questions, et moi, sans savoir où il voulait en venir, je lui donnai assez de détails pour le convaincre qu'il serait facile de s'en emparer.

»À mes paroles imprudentes se joignirent des lettres que j'eus aussi l'imprudence de lui montrer. L'une venait de M. Poulain; l'autre de Sanche. Tous deux me donnaient des nouvelles de M. d'Alvimar; tous deux me croyaient encore dans ce qu'ils appellent les bons principes, et, comme il est utile d'avoir des amis partout, je me gardais de leur faire savoir en quelle compagnie je me trouvais.

»Si bien, mon cher marquis, qu'un beau jour Macabre s'en alla en Alsace et y retrouva plusieurs de ses anciens reîtres; il en enrôla d'autres qui ne demandaient qu'à rentrer en campagne, et s'adjoignit le lieutenant Saccage, qui est un homme habile et infatigable, et, tout cela fait, il vint à Linières, d'où, avec quelques-uns des siens, il s'en alla, la nuit dernière, à Brilbault, donnant rendez-vous aux autres pour cette nuit à l'auberge isolée où nous voici.»

Bois-Doré écoutait avec grande attention, mais en cachant la surprise et l'inquiétude que lui causaient toutes ces découvertes.

En se rappelant les apparitions de Brilbault, il jeta machinalement les yeux sur la muraille de la salle où il se trouvait et vit se répéter la figure à gros nez crochu, à longue moustache et à morion empanaché du capitaine Macabre.

C'était bien là le profil qu'il avait vu à Brilbault, et nul doute que le recteur Poulain, qu'il avait cru y reconnaître, ne fût aussi de la partie. D'ailleurs, le marquis ne venait-il pas d'entendre de la bouche de Proserpine que d'Alvimar avait survécu au terrible duel de la Rochaille?

Il s'abstint de toute réflexion, et se contenta d'interroger la dame, qui le confirma dans toutes ses appréhensions.

D'Alvimar avait vu avec horreur le huguenot Macabre à son lit de mort.

Mais Sanche avait fait serment de se joindre aux reîtres, avec ceux des bandits bohémiens qui voudraient le suivre, aussitôt que d'Alvimar aurait rendu le dernier soupir.

– Dès ce matin, ajouta Proserpine, Macabre est retourné à Thevet, où nous l'attendions, Saccage et moi, avec nos gens, et où nous étions campés hors la ville sans vouloir effrayer ni maltraiter personne. C'est ainsi que, grâce à la prudence et à la bonne discipline de nos aventuriers, nous avons pu faire plus de cent lieues à travers la France, sans être forcés de livrer bataille. Nous nous faisions passer pour des volontaires vendus au roi, et nous montrions un faux brevet. De cette manière, ceux de nos gens qui voudront aller chercher fortune dans le camp huguenot ou ailleurs pourront gagner le Poitou. Macabre compte leur donner carrière, sauf à tirer de son côté avec vos dépouilles, s'il voit nos cavaliers s'aventurer dans de trop mauvaises affaires. Donc, mon cher marquis, nous voici en mesure de vous ruiner, et, pour votre malheur, vous êtes venu vous jeter ici dans les mains de gens bien décidés à vous ôter la vie.

– C'est-à-dire que mon sort est dans les vôtres, répondit le marquis, et vous me le dites pour me faire comprendre la reconnaissance que je vous dois. Comptez, Bellinde, qu'elle ne se bornera point à des paroles, et que, si vous renoncez également à faire marcher sur Briantes, vous y trouverez plus de profit qu'à partager mes dépouilles avec cette bande de larrons.

– Pour cela, je vous l'ai dit, marquis, ce n'est pas moi qui dirige; mais je puis vous aider à vous débarrasser du capitaine, et faire entendre raison au lieutenant, qui aime mieux l'argent que les coups.

– Donc, c'est ma rançon et celle de mon château que vous voulez. Évaluez d'abord celle de ma personne, laquelle est, je le confesse, sans défense, en votre pouvoir. Quant au château…

– Quant au château, vous pensez qu'une fois libre, vous le défendrez! Aussi ne serez-vous point libre avant que nous en soyons sortis, à moins que…

– À moins que je ne paye?

– À moins que vous ne signiez, monsieur le marquis! car votre seing est sacré pour qui, comme votre fidèle Bellinde, connaît l'honneur d'un gentilhomme tel que vous.

– Que voulez-vous donc que je signe? dit le marquis, facilement résigné toutes les fois qu'il s'agissait d'argent.

La Proserpine garda un instant le silence. Son visage prit une expression de malice diabolique, et cependant il s'y peignit, en même temps, une anxiété singulière, comme si elle eût rougi quelque peu de ses exigences.

– Allons, allons, lui dit le marquis, parlez et finissons vite, avant que votre compagnon s'éveille.

– Mon compagnon n'est pas mon époux, vous le savez, monsieur le marquis, reprit la lieutenante en minaudant. Il est fort laid et fort bête… et, bien que vous ne soyez pas plus jeune que lui, vous avez encore des agréments… auxquels je n'ai pas toujours été aussi insensible que je le paraissais.

– Quelles folies me contez-vous là, ma pauvre Bellinde?.. Allons, trêve de plaisanteries… Concluons!

– Je ne plaisante pas, marquis! J'ai toujours eu la passion d'être une femme de qualité, et, s'il faut conclure, voici mon unique et dernier mot: Soyez libre! pas de rançon! Partez, courez défendre votre manoir, si je ne puis empêcher qu'on l'attaque, et, quel que soit le résultat de l'affaire, vous tiendrez la parole que vous allez m'écrire de me prendre pour votre femme légitime et légataire universelle.

– Ma femme, vous! s'écria le marquis en reculant de stupeur; y songez-vous? ma légatrice! quand Mario…

– Ah! nous y voilà! c'est le beau petit qui est l'achoppement. Mais soyez tranquille, j'aurai des bontés pour lui, s'il se conduit avec moi comme il le doit, et, à ma mort, votre bien pourra lui revenir, pourvu que je sois contente de lui.

– Bellinde, vous êtes folle! dit le marquis en se levant; à moins que tout ceci ne soit un jeu…

– Ce n'est point un jeu, et, mort de ma vie! dit-elle en se levant aussi, si vous n'écrivez tout de suite ce que j'exige, j'éveille le capitaine et je fais monter mes gens!

– Faites-moi donc massacrer, si bon vous semble, répondit Bois-Doré: je ne me prêterai jamais à votre fantaisie! Mais sachez que je ne me laisserai point égorger comme un mouton et que…

Le marquis, dégainant son couteau, s'était élancé vers la porte pour recevoir les assassins, que Bellinde, étranglée de dépit, s'efforçait en vain d'appeler, lorsque le Macabre se leva tout à coup en trébuchant, et lança à la tête de son épouse un broc qui l'eût tuée, s'il eût eu la main plus assurée.

– Détestable carogne! s'écria-t-il en la poursuivant par la chambre; ah! tu veux épouser ton vieux marquis? Tu me crois sourd peut-être, et tu ne sais pas que le capitaine Macabre ne dort que d'un œil et d'une oreille! Reste-là, toi, marquis! Je ne t'en veux point, car tu as refusé les offres de cette damnée Putiphar. Reste, dis-je! Aide-moi à attraper la diablesse! Je lui veux tordre le cou en bonne forme et faire un tambour de sa peau!

Malgré ces séduisantes invitations, le marquis, laissant les deux amants aux prises, s'était élancé dans l'escalier, et Mario, effrayé du bruit qui se faisait dans la salle haute, s'était aussi élancé vers lui. Mais ils ne purent ni remonter ni descendre.

D'un côté, Proserpine, poursuivie par le Macabre, qui l'assommait à coups de bâton de chaise, roulait sur eux dans l'escalier, de l'autre, les reîtres de la lieutenante accouraient pour apaiser cette scène conjugale.

Ce fut bientôt fait.

La Proserpine, échevelée, se releva et se jeta au milieu d'eux, qui, sans respect pour le capitaine, le saisirent assez brutalement, l'emportèrent dans la salle et l'y enfermèrent en se moquant de ses cris et de ses menaces.

La lieutenante, habituée à ces orages, ne fut pas longtemps non plus à se remettre.

À peine eut-elle avalé un verre de genièvre de Marche, que lui présenta un de ses pages, qu'elle chercha d'un œil d'oiseau de proie sa victime, réfugiée dans un coin.

– Le cuisinier, le cuisinier! s'écria-t-elle. Amenez devant moi le cuisinier.

LVI

On amena le marquis et Mario, qui s'attachait à lui avec désespoir.

Bellinde reconnut l'enfant du premier coup d'œil, et sa figure, blêmie par la peur, s'empourpra d'une joie féroce.

– Mes amis, s'écria-t-elle, nous tenons le sanglier et le marcassin, et il s'agit ici d'une belle rançon pour nous, mais pour nous seuls, entendez-vous? et sans partager avec les Allemands (elle appelait ainsi les reîtres du capitaine), ni avec M. Saccage et ses Italiens! À nous, à nous seuls le Bois-Doré et son petit, et vive la France, tudieu! Une plume, du papier, de l'encre; vite! il faut que le marquis signe sa rançon! Je connais son avoir et je vous réponds qu'il ne m'en cachera rien! Mille écus d'or pour chacun de ces braves, entends-tu, marquis? et pour moi, la parole que je t'ai demandée.

– Pour toi, méchante femme, toute ma fortune, s'écria le marquis, pourvu que mon fils ait la vie sauve. Donnez, donnez la plume!

– Non pas, reprit la Proserpine. Ce n'est pas seulement ton bien que je veux, c'est ton nom, et tu vas signer la promesse de mariage.

Le marquis n'eut pas cru que cette diablesse oserait déclarer ses prétentions devant témoins.

Mais, bien loin d'en être scandalisés, les reîtres applaudirent comme à un très-bon tour, et le sang monta au visage de Bois-Doré, révolté du rôle abject et ridicule qui lui était assigné.

– Vous en demandez trop, madame, dit-il en levant les épaules; prenez mon or et mes terres, mais mon honneur…

– C'est ton dernier mot, vieux fou? Alors, ici, camarades! une corde, et donnez-moi l'estrapade à ce marmot!

En parlant ainsi, l'odieuse fille montrait un grand croc de fer planté à la voûte de la cuisine et qui servait à suspendre les poids du tournebroche.

En un clin d'œil, on se saisit de Mario, qui cria au marquis:

– Refuse! refuse, mon père! je supporterai tout!

Mais le marquis était incapable de supporter, une seconde, la pensée de voir torturer son enfant.

– Donnez-moi la plume, cria-t-il, je consens! je signe tout ce que vous voudrez!

– Donnons-lui toujours un ou deux sauts d'estrapade, dit l'un des bandits en commençant à attacher Mario; ça rendra l'écriture du vieux plus coulante.

– Oui, faites! répondit la Proserpine. Ce méchant enfant a bien mérité…

Le marquis devint furieux; mais il s'apaisa aussitôt en regardant son pauvre enfant, qui pâlissait de terreur, malgré son courage.

Il n'y avait pas à faire résistance. Mario était tenu en joue.

Bois-Doré tomba aux pieds de la Proserpine.

– Ne faites pas souffrir mon enfant! s'écria-t-il; je cède, je me soumets, je vous épouse; que voulez-vous donc de plus que ma parole?

– Je veux ton seing et ton scel, répondit la Proserpine.

Le marquis prit la plume d'une main tremblante, et, sous la dictée de cette furie, il écrivit:

«Moi, Sylvain-Jean-Pierre-Louis Bouron du Noyer, marquis de Bois-Doré, je promets et jure à demoiselle Guillette Carcat, dite Bellinde et dite Proserpine…»

En ce moment, une effroyable rumeur se fit entendre, et les reîtres de Proserpine s'élancèrent vers la porte.

C'étaient les Allemands du capitaine qui, appelés par lui de la fenêtre, accouraient pour le délivrer. La garde était montée par les Italiens de Saccage, qui avaient ordre de ne laisser entrer ni sortir personne.

Ces trois corps étant toujours en querelle comme leurs chefs, ceux-ci les maintenaient en les séparant. Mais, cette fois, ce fut impossible; Saccage, que les cris de Macabre avaient attiré aussi, et qui pensait que la Proserpine voulait en finir avec son tyran, s'efforçait d'empêcher que les Allemands ne lui portassent secours. Quant aux Français de la lieutenante, ils ne voulaient ni des uns ni des autres, et ils commencèrent tous à se colleter, sans faire encore usage de leurs armes, mais en s'injuriant avec fureur et se gourmant des pieds et des poings.

Ce vacarme était accompagné au bris des meubles dans la salle haute, où Macabre se débattait comme un diable pour se délivrer, et des cris aigus de la Proserpine, qui encourageait ses gens et commençait à craindre pour sa vie, s'ils avaient le dessous.

On pense bien que le marquis n'attendit pas l'issue de la lutte pour songer à la fuite. Il ne fit qu'un saut vers son fils pour le délier; mais la corde était si artistement nouée, que dans son trouble, il ne pouvait parvenir à la défaire.

– Coupez! coupez! disait madame Pignoux.

Mais la main du vieillard était agitée d'un mouvement convulsif. Il craignait de blesser l'enfant avec le couteau.

– Laissez-moi donc faire! dit Mario en les repoussant.

Et, avec adresse et sang-froid, il défit le nœud.

Le marquis le prit dans ses bras et suivit l'hôtesse et sa servante, qu'il vit courir vers l'office.

En s'élançant au dehors, il faillit tomber sur le seuil: un corps était étendu en travers; c'était celui du Bréchaud. Il était mort; mais près de lui gisaient deux reîtres, l'un transpercé d'une broche à rôtir, l'autre à moitié décapité par le tranche-lard. Jacques s'était vengé, et il avait dégagé le passage. Sa laide mais énergique figure avait une expression effrayante: elle semblait contractée par un rire de triomphe, et montrait ses crocs espacés comme si elle eût voulu mordre.

Le marquis vit rapidement qu'il n'y avait plus rien à faire pour le pauvre brèche-dents. Il tenait Mario serré contre sa poitrine et courait comme il pouvait.

– Mets-moi à terre, lui disait l'enfant, nous courrons mieux. Je t'en prie, mets-moi à terre!

Mais la marquis croyait entendre armer derrière lui les terribles pistolets à pierre, et il voulait faire de son corps un rempart à son fils.

Il se décida à le laisser courir aussi quand il se vit hors de portée; et tous deux se hâtèrent vers le taillis où se cachait le toit demi-écroulé de l'ancienne hôtellerie.

Chemin faisant, ils virent courir aussi madame Pignoux et sa servante. Ces deux vieilles leur firent peine. Mais les appeler, c'était les perdre et se perdre avec elles. Elles coupèrent à travers champs, se dirigeant vers quelque cachette apparemment connue d'elles comme un bon refuge.

Les beaux messieurs de Bois-Doré sautèrent sur leurs chevaux et se gardèrent bien de descendre le Terrier par la route. Ils enfilèrent un de ces chemins étroits et bordés de hauts buissons de prunelliers qui serpentent entre les enclos.

La bataille des reîtres pouvait cesser brusquement. Ils étaient bien montés et capables de serrer de près leur proie; mais le galop léger de Rosidor et de Coquet faisait peu de bruit sur la terre détrempée, et le chemin qu'ils suivaient se croisant avec les autres, les poursuivants devaient se séparer en plusieurs groupes pour chercher à les atteindre.

Il s'agissait avant tout, de gagner du terrain; aussi les Bois-Doré ne songèrent-ils d'abord qu'à dérouter l'ennemi en s'enfonçant au hasard dans ce dédale de traînes boueuses qui s'encaissaient de plus en plus, à mesure qu'elles touchaient au fond de la vallée.

Au bout de dix minutes de triple galop, le marquis arrêta son cheval et celui de Mario.

– Halte! lui dit-il, et ouvre ta fine oreille. Sommes-nous poursuivis?

Mario écouta, mais le bruit des naseaux de son cheval essoufflé l'empêchait de bien entendre.

Il sauta à terre, s'éloigna de quelques pas et revint.

– Je n'entends rien, dit-il.

– Tant pis! répondit le marquis; ils ont fini de se battre, et ils doivent penser à nous. Vite à cheval, mon enfant, et courons encore. Il faut gagner Brilbault, où sont nos amis et notre monde.

– Non, mon père, non, reprit Mario, qui était déjà en selle. Il n'y a plus personne à cette heure à Brilbault. C'est à Briantes qu'il faut courir par la traverse. Oh! je vous en prie, mon père, n'hésitez pas et ne doutez pas que je n'aie raison. Je suis bien assuré de ce que je vous dis.

Bois-Doré céda sans comprendre. Ce n'était pas le moment de discuter.

Ils gagnèrent en droite ligne le hameau de Lacs, à travers la grande plaine fromentale qui, appartenant tout entière à la seigneurie de Montlevy, n'était pas, à cette époque, divisée en plusieurs lots garnis de haies.

C'était marcher à la grâce de Dieu, en pays découvert et sans pouvoir aller vite; car, en beaucoup d'endroits, les chevaux entraient jusqu'aux genoux dans la terre labourée.

Nos fugitifs firent cependant la moitié du trajet sans entendre aucune bande de cavaliers sur le chemin, qu'ils suivaient à peu près parallèlement, à une distance de deux ou trois portées d'arquebuse.

C'était, dans la pensée du marquis, un assez mauvais signe. La querelle des reîtres n'avait pas dû se prolonger jusque-là. Du moment que les Allemands auraient vérifié que Macabre n'était pas assassiné, mais seulement enfermé pour cause d'ivresse, tout devait s'apaiser, et la Proserpine n'était pas femme à oublier les captifs, dont elle espérait tout au moins une bonne rançon.

– Si l'on ne descend pas sur nous par la route frayée, pensait le marquis, c'est que l'on nous a vus traverser la plaine, c'est que l'on nous attend aux abords de la taille de Veille, par les chemins creux que la Bellinde peut fort bien connaître. Peut-être ces coquins sont-ils plus près de nous que nous ne pensons; car le brouillard s'épaissit, et je commence à ne plus savoir si ces ombres que je vois là-bas sont des têteaux de chêne ou des cavaliers au repos qui nous attendent.

Il arrêta encore Mario pour lui faire part de ses appréhensions.

Mario regarda les arbres, et dit:

– Marchons! marchons! il n'y a point là de cavaliers.

Les fugitifs reprirent leur course. Mais, comme ils passaient le long de la taille qui, à cette époque, s'étendait jusqu'à la métairie d'Aubiers, ils se trouvèrent subitement pressés par un groupe de cavaliers qui débouchaient à leur droite et qui leur criaient: «Halte!» d'une voix retentissante.

C'étaient bien des voix françaises, mais les aventuriers de la Bellinde étaient Français.

Le marquis hésita un instant. Ces gens, encore couverts par l'obscurité du bois, n'étaient pas faciles à reconnaître, tandis que les Bois-Doré étaient assez loin de la lisière pour ne devoir pas échapper à leurs regards.

– Marchons toujours! lui dit Mario. Si ce ne sont point des ennemis, nous le verrons bien!

– Vive Dieu! répondit le marquis, ce sont les reîtres, car ils nous suivent! Courons, courons, mon cher enfant.

Et il pensa en lui-même:

– Que Dieu donne des jambes à mes pauvres chevaux!

Mais les chevaux avaient trop couru dans la terre grasse pour n'avoir pas perdu leur première ardeur, et ceux qui les poursuivaient le serrèrent bientôt de si près, qu'à tout moment le marquis croyait entendre siffler les balles à ses oreilles. Il perdait du temps à vouloir, en dépit de Mario, se tenir derrière lui pour recevoir la première décharge.

Un cavalier mieux monté que les autres l'atteignit presque et lui cria:

– T'arrêteras-tu, larron, et faudra-t-il que je te tue?

– Dieu soit loué, c'est Guillaume! s'écria Mario; je reconnais sa voix!

Ils tournèrent bride, et ne furent pas peu surpris de voir Guillaume s'élancer sur eux et faire mine de jeter le marquis à bas de son cheval.

– Hé! mon cousin! dit Bois-Doré, ne me reconnaissez-vous point?

– Ah! qui diable vous reconnaîtrait dans cet équipage? répondit Guillaume. Qu'est-ce que vous avez donc là de blanc sur la tête, mon cousin, et quelle sorte de jupon portez-vous flottant sur la cuisse? Je voulais avoir de vos nouvelles; puis, vous voyant de près, je croyais bien reconnaître votre cheval et celui de Mario. Mais je m'imaginais voir en vous des voleurs qui emmenaient vos montures, peut-être après vous avoir assassinés! Est-ce donc là Mario? Vraiment, vous êtes accoutrés d'une étrange façon tous les deux!

– Il est vrai, dit le marquis en se rappelant son tablier de cuisine et son bonnet de toile, dont il n'avait encore eu ni le loisir ni la pensée de se débarrasser; je ne suis point équipé en homme de guerre, et vous m'obligerez, mon cousin, de me faire donner un chapeau et des armes, car je n'ai au flanc qu'un couteau de cuisine, et nous pouvons avoir bataille d'un moment à l'autre.

– Tenez, tenez, dit Guillaume en lui passant son propre chapeau et les armes de son meilleur domestique, faites vite, et ne nous arrêtons point; car il paraît que votre château est en danger.

Bois-Doré crut que Guillaume était mal renseigné.

– Point! dit-il; les reîtres étaient encore à Étalié, il y a une demi-heure.

– Les reîtres à Étalié? s'écria Guillaume. En ce cas, nous ne risquons rien de courir, si nous ne voulons être pris entre deux feux!

Il n'y avait pas d'explications à échanger; on reprit, en grande hâte, la plaine jusqu'à Briantes.

Le long du chemin, la troupe de Guillaume se grossissait des gens de Bois-Doré, lesquels, après de vaines recherches à Brilbault, avaient reçu les avis de la petite bohémienne, et revenaient à tout hasard, n'ajoutant pas beaucoup de foi à son message, et pensant que c'était quelque ruse de ses camarades pour dérouter les investigations.

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12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
28 September 2017
Umfang:
630 S. 1 Illustration
Rechteinhaber:
Public Domain