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Buch lesen: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome III», Seite 18

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Note 55:(retour) Manuscrit de Sanguinet, avocat de Montréal. – Journals of the provincial congress, provincial convention, committee of safety, &c, of the state of New-York, vol. II.

La population restant sourde à ses appels, le gouverneur proposa de lever des corps de volontaires pour servir jusqu'à la fin de la guerre. Il offrit les conditions les plus avantageuses: on promettait à chaque soldat 200 arpens de terre; cinquante de plus, s'il était marié, et cinquante pour chacun de ses enfans; son engagement durerait jusqu'à la fin des hostilités, et les terres ainsi données seraient exemptes de toutes charges pendant vingt ans. Ces offres ne tentèrent qu'un petit nombre d'individus, et Carleton crut devoir chercher ailleurs des secours. Il envoya des émissaires chez les sauvages, et s'adressa particulièrement aux cantons iroquois. Quinze années de paix avaient fortifié cette confédération: elle reprenait son ascendant sur les autres tribus indigènes; son exemple pouvait, les entraîner et procurer à la Grande-Bretagne d'autres auxiliaires. Mais il fallait de l'adresse et de puissans moyens de séduction pour déterminer les Iroquois à prendre part à une guerre où ils n'avaient aucun intérêt direct, aucun motif de préférence pour l'un ou l'autre parti. Les vieillards regardaient ces débats et les combats sanglans qui devaient s'en suivre, comme une expiation des maux que les Européens leur avaient faits. «Voilà, disaient-ils, la guerre allumée entre les hommes de la même nation: ils se disputent les champs qu'ils nous ont ravis. Pourquoi embrasserions-nous leurs querelles, et quel ami, quel ennemi aurions-nous à choisir? Quand les hommes rouges se font la guerre, les hommes blancs viennent-ils se joindre à l'un des partis? Non; ils laissent nos tribus s'affaiblir, et se détruire l'une par l'autre: ils attendent que la terre, humectée de notre sang, ait perdu son peuple et devienne leur héritage. Laissons-les, à leur tour, épuiser leurs forces et s'anéantir; nous recouvrerons, quand ils ne seront plus, les forêts, les montagnes et les lacs qui appartinrent à nos ancêtres.

C'était à-peu-près dans ce sens que M. Cazeau, partisan du congrès, leur parlait, ou leur faisait dire par ses émissaires: «C'est une guerre de frères; après la réconciliation, vous resteriez ennemis des uns et des autres.» Mais le chevalier Johnson, un nommé Campbell et M. de Saint-Luc les travaillaient dans un sens contraire, et ils se firent surtout écouter des jeunes gens. Campbell leur prodigua les présens; l'or fit son effet, et Johnson détermina la plupart des chefs de guerre à venir à Montréal pour prendre la hache. Ils s'obligèrent à entrer en campagne aux premières feuilles de l'année suivante, lorsque les Anglais auraient terminé les préparatifs de guerre qu'ils avaient commencés; et c'est pendant que le gouverneur était à Montréal, en juillet, qu'y arriva le colonel Guy Johnson avec un corps d'Iroquois pour lui représenter la nécessité de mettre les sauvages en mouvement, parce que ces peuples n'étaient pas accoutumés à rester long-temps inactifs en temps d'hostilités. Il lui répondit que ses forces régulières étaient très faibles, que le pays dépendait de la milice canadienne pour sa défense, qu'il espérait être capable d'en réunir bientôt un corps assez considérable, et qu'il fallait amuser les sauvages encore, ne jugeant pas prudent de sortir de la province pour le présent. 56

Note 56:(retour) Extracts from the Records of Indian Transactions under the superintendency of Colonel Guy Carleton, during the year 1775.

Dans le mois de septembre il eut intention d'aller au secours de St. – Jean, s'il pouvait réunir assez d'habitans des districts des Trois-Rivières et de Montréal; mais on a déjà pu voir qu'il ne devait pas espérer de les trouver disposés pour cela. Les paroisses de la rivière Chambly allant plus loin qu'elles n'avaient d'abord pensé, étaient déjà emportées par le torrent, et s'étaient déclarées pour les Américains; elles avaient même envoyé des émissaires dans toutes les paroisses pour les engager à en faire autant, et à ne point s'opposer à ceux qui venaient pour renverser l'oppression britannique. Presque tout le district des Trois-Rivières refusa de marcher à l'ordre du gouverneur. Les royalistes, au nombre de quelques centaines, répondirent seuls à son appel en se rendant à Montréal; mais celui-ci paraissant douter de leur fidélité, la plupart s'en retournèrent dans leurs foyers. Les habitans de Chambly ayant joint les insurgés américains commandés par les majors Brown et Levingston, détachés par le général Montgomery pour prendre le fort qu'il y avait au milieu d'eux, on se présenta devant la place, qui fut lâchement livrée après un jour et demi de siége, par le major Stopford, quoique les murailles n'eussent pas été endommagées, que la garnison, nombreuse comparativement, n'eût pas perdu un seul homme, et que ce poste fût abondamment pourvu de tout. 57 Il livra ses armes et ses drapeaux aux vainqueurs, qui trouvèrent dans le fort 17 bouches à feu et une grande quantité de poudre, dont le général Montgomery manquait presque totalement. Cette conquête inattendue mit ce général en état de continuer plus vigoureusement le siège de St. – Jean, que, sans cela, il aurait été peut-être obligé de lever. Après la prise de Chambly, les habitans de ce lieu allèrent renforcer son armée. Ainsi cette guerre, par la division des Canadiens, prenait le caractère d'une guerre civile. La majorité des Anglais tenait dans l'automne, ouvertement ou secrètement, pour la cause américaine. Une partie nombreuse des habitans des campagnes l'avait embrassée ou faisait des voeux pour son succès; les autres, en plus petit nombre, voulaient rester neutres. Le clergé et les seigneurs seuls, avec une portion de la bourgeoisie, restèrent attachés franchement à l'Angleterre, et l'influence cléricale réussit à maintenir la majorité des Canadiens dans la neutralité. Aussi l'on peut dire que c'est le clergé qui fut, à cette époque, le véritable sauveur des intérêts métropolitains dans la colonie.

Note 57:(retour) Journal tenu pendant le siége du fort St. – Jean par un de ses défenseurs, M. Antoine Foucher.

Le gouverneur, voulant secourir à tout prix St. – Jean, misérable bicoque où une partie de la garnison n'avait que des barraques en planches pour se mettre à l'abri, mais qui était cependant la clef de la frontière de ce côté-là, ordonna au colonel McLean, qui commandait à Québec, de lever des milices et de monter à Sorel, où il irait le joindre. Cet officier arriva au lieu fixé avec environ 300 hommes, la plupart Canadiens, et qui commencèrent aussitôt à déserter. Le gouverneur avait réuni aussi près de lui environ 800 hommes, sous les ordres de M. de Beaujeu; mais au lieu de descendre à Sorel, il voulut traverser à Longueuil sur la rive droite du St. – Laurent, en présence d'un petit corps d'Américains avantageusement placé; mais craignant ensuite la défection de ses troupes, il n'osa pas effectuer son débarquement, et après avoir reçu quelques coups de fusils et de canon en passant près du rivage, il se retira, laissant aux mains de l'ennemi les Canadiens et les sauvages qui avaient sauté témérairement à terre sans être sûrs d'être soutenus. Le colonel McLean qui avait reçu ordre en même temps de marcher vers St. – Jean, s'avança jusqu'à St. – Denis; mais trouvant partout les ponts rompus et les paroisses soulevées, il jugea à propos de rétrograder jusqu'au point d'où il était parti, et où ses gens, gagnés par les émissaires de Chambly, l'abandonnèrent presque tous; ce qui l'obligea de se retirer au plus vite à Québec, après avoir fait enlever les armes et les poudres qu'il y avait à Sorel et aux Trois-Rivières. Le fort St. – Jean n'ayant plus d'espoir d'être secouru, s'était rendu le 3, après 45 jours de siège; et la garnison, au nombre de 500 hommes, sortit avec les honneurs de la guerre et demeura prisonnière, le vainqueur permettant aux officiers des troupes et aux volontaires canadiens de garder leurs armes comme un témoignage honorable de leur courage.

Les succès inespérés qui couronnaient ainsi la cause des Américains dès son début, leur coûtèrent à peine quelques soldats, en comptant même ceux qu'ils perdirent à la Longue-Pointe près de Montréal, lorsque le colonel Allen et le major Brown voulurent surprendre cette ville, à la tête de 300 hommes, en l'attaquant des deux côtés à la fois et en profitant des intelligences qu'ils avaient dans ses murs. Cette entreprise hardie manqua faute de pouvoir coordonner les mouvemens. Allen seul put traverser dans l'île à la tête de 110 hommes, et ayant été rencontré par le major Carden, sorti de Montréal avec 300 volontaires canadiens et une soixantaine de soldats, et miliciens anglais, 58 il fut cerné, battu et fait prisonnier, avec une partie de ses gens, et lui-même envoyé en Angleterre chargé de chaînes. Pendant le combat les généraux Carleton et Prescott se tenaient dans la cour des casernes de la ville avec le reste des troupes, le sac sur le dos, afin de s'embarquer pour Québec si les royalistes étaient battus. Cette victoire ne retarda néanmoins la retraite du gouverneur que de quelques jours. Car le général Montgomery n'avait pas été plutôt maître de St. – Jean qu'il avait poussé ses troupes en avant vers Montréal, Sorel et les Trois-Rivières. Elles marchèrent avec tant de rapidité qu'elles faillirent le surprendre sur plusieurs points de sa route. La défection des habitans et la retraite du colonel McLean l'avaient laissé presque sans défenseurs au milieu de cette ville. Se voyant abandonné, il s'était jeté sur quelques petits bâtimens qu'il y avait dans le port avec une centaine d'officiers et soldats et quelques habitans pour la capitale; mais cette petite flottille ayant été arrêtée par des vents contraires à La Valtrie, à quelques lieues de Montréal, et le danger augmentant, il dut se déguiser en villageois et monter sur la berge d'un caboteur, le capitaine Bouchette, pour continuer rapidement sa route au milieu de la nuit. Il ne s'arrêta que quelques heures en passant aux Trois-Rivières, où il parut en fugitif comme le colonel McLean quelques jours auparavant, et seulement accompagné du chevalier de Niverville et de M. de Lanaudière, et en repartit au moment où les Américains allaient y entrer. 59

Note 58:(retour) Memoir of colonel Ethan Allen. – Une trentaine de marchands anglais seulement voulurent marcher, les autres refusèrent: Mémoires de Sanguinet-«C'est là, dit ce royaliste, où l'on reconnut le plus ouvertement les traîtres.» -(Manuscrit).

Note 59:(retour) Journal tenu aux Trois-Rivières en 1775-6 par M. Bedeaux, notaire et royaliste. – (Manuscrit).

Pendant que le gouverneur était en fuite, Montréal avait ouvert ses portes au général Montgomery, à qui les faubourgs protestèrent de leur sympathie pour la cause de la révolution.

La ville des Trois-Rivières, dépourvue de soldats, suivit l'exemple de Montréal. Les citoyens envoyèrent des députés demander au général américain d'être traités de la même manière que les habitans de cette dernière ville. Cet officier général répondit par écrit qu'il était mortifié qu'ils fussent dans des appréhensions pour leurs propriétés; qu'il était persuadé que les troupes continentales ne se rendraient jamais coupables même d'une imputation d'oppression; qu'il était venu pour conserver non pour détruire, et que si la Providence continuait à favoriser ses armes, il espérait que cette province heureuse jouirait bientôt d'un gouvernement libre. Une partie de la population anglaise se joignit alors aux insurgés, et les Canadiens, ralliés à la révolution, désarmèrent les royalistes de cette petite ville. Les Américains descendant à Québec dans la flottille prise à La Valtrie, rencontrèrent le corps du colonel Arnold à la Pointe-aux-Trembles. Le colonel Arnold qui trahit ensuite la cause de sa patrie, avait été marchand de chevaux. Il tenait de la nature un corps robuste, un esprit ardent et un coeur inaccessible à la crainte. Dans les circonstances fâcheuses où il s'était souvent trouvé, il avait acquis une profonde connaissance des hommes et des choses; ce qui compensait chez lui ce qui pouvait lui manquer du côté de l'éducation. Une grande réputation de courage et de talens militaires le fit choisir par Washington pour commander le corps qui devait se détacher de son armée devant Boston, et pénétrer par les rivières Kénébec et Chaudière jusqu'à Québec, suivant le plan dont on a parlé ailleurs. Ses instructions étaient semblables à celles du général Montgomery, politiques, péremptoires et pleines d'humanité. «On lui défendit de troubler sous aucun prétexte la tranquillité des Canadiens et de choquer leurs préjugés. On lui ordonna de respecter leurs observances religieuses, de leur payer libéralement tous les objets dont il pourrait avoir besoin, et de punir avec rigueur les soldats qui commettraient quelques désordres. Il devait poursuivre et harceler les troupes anglaises, mais éviter de vexer le peuple, et de ne rien faire qui pût le rendre hostile à la cause américaine.» (Vie de Washington, etc.) Il mit six semaines pour passer la chaîne des Alléghanys et se rendre de Cambridge à Québec, sous les murailles duquel, après avoir traversé le fleuve au Foulon, il parut, le 13 novembre, dans les plaines d'Abraham avec 650 hommes seulement, sur plus de 1000, infanterie, artillerie et carabiniers, avec lesquels il était parti. Obligé de traverser un pays complètement sauvage et de suivre des rivières remplies de rapides et d'embarras, il n'avait pu surmonter tous ces obstacles qu'en sacrifiant la plus grande partie de ses munitions et de son bagage, et en se réduisant à vivre de fruits sauvages et de feuilles d'arbres. Arrivé à la source de la rivière Kénébec, il renvoya les malades et tous ceux qui ne se sentaient pas la force ou le courage de le suivre, plus loin. Trop faible pour attaquer Québec seul, il remonta la rive gauche du St. – Laurent jusqu'à la Pointe-aux-Trembles pour opérer sa jonction avec Je général Montgomery qui descendait suivi seulement de quelques centaines d'hommes. Les deux corps réunis ne formant encore qu'environ 1000 à 1200 soldats, se rapprochèrent aussitôt de la capitale canadienne, qu'ils investirent dans les premiers jours de décembre.

Le gouverneur y était entré le 19 du mois précédent, après avoir manqué une troisième fois d'être pris à la Pointe-aux-Trembles, où il avait voulu mettre pied à terre, et où il n'eut que le temps de se sauver pour échapper aux troupes du colonel Arnold qui entraient dans ce village. Il trouva la population de la ville partagée en deux camps, et fort indécise sur le parti qu'elle devait embrasser. Il y avait eu déjà plusieurs assemblées publiques. Le 12 novembre il s'en était tenu une dans la chapelle du palais épiscopal, pour discuter la question de savoir si l'on devait défendre la ville. Le colonel McLean qui arrivait, apprit en débarquant qu'elle délibérait encore; il entra dans la chapelle et trouva un nommé Williams, le premier signataire de la pétition des marchands anglais de 74 au roi, qui tâchait, du haut de la chaire où il était monté, de persuader aux habitans de livrer la ville aux armes du congrès; le colonel McLean le fit descendre, dissuada l'assemblée de suivre un aussi lâche conseil et la congédia. Le bruit courait alors que les citoyens anglais avaient préparé une capitulation pour l'offrir au colonel Arnold. Aussitôt que le gouverneur fut rentré dans Québec, il employa tous ses soins pour mettre cette ville en état de défense, et encourager les citoyens à faire leur devoir envers leur roi et envers leur patrie. Il assembla la milice bourgeoise et en parcourut les rangs en commençant par les Canadiens qui occupaient la droite, et auxquels il demanda s'ils étaient résolus de se défendre en bons et loyaux sujets; tous répondirent affirmativement par des acclamations; les miliciens anglais en firent ensuite autant. Mais comme il restait encore quantité de gens mal affectionnés qui désiraient le succès de la révolution, le gouverneur ordonna, le 22 novembre, à tous ceux qui ne voulaient pas prendre les armes de sortir de la ville, désirant se mettre à l'abri de la trahison et se débarrasser des bouches inutiles. Quantité de marchands anglais, Adam Lymburner à leur tête, se retirèrent à l'île d'Orléans, à Charlesbourg et dans d'autres campagnes en attendant, pour crier vive le roi ou vive la ligue, le résultat de la lutte.

LIVRE XII

CHAPITRE I.
L'ARMÉE AMÉRICAINE DEVANT QUÉBEC.
1775-1776

Situation désespérée de la cause métropolitaine en Canada; Québec seul reconnaît la domination anglaise. – Préparatifs de défense. – Changement graduel qui s'opère dans l'esprit des Canadiens défavorable aux républicains. – Attaque de Québec le 31 décembre: Montgomery est tué. – Le congrès envoie des secours et fait une nouvelle adresse aux Canadiens. – Arrivée de Franklin, Chase et Carroll, pour les inviter à se joindre à la confédération. – Conduite du peuple dans cette circonstance mémorable. – Les républicains manquent de tout et sont décimés par les maladies. – Le gouverneur reçoit des secours. – Le siége de Québec est levé. – Les Américains, battus près des Trois-Rivières, évacuent le Canada. – Ils sont plus heureux dans le sud, où la campagne se termine à leur avantage. – Proclamation de leur indépendance le 4 juillet 1776. – Débats dans le parlement britannique. – Fameuse campagne du général Burgoyne dans la Nouvelle-Yorke: combats de Huberton, Benington, Freeman's farm, etc. – L'armée anglaise, cernée à Saratoga, met bas les armes. – Invitations inutiles du congrès et du comte d'Estaing, amiral des flottes françaises, pour engager les Canadiens à se joindre à la nouvelle république.

L'arrivée subite du gouverneur à Québec, où bien des gens craignaient et d'autres désiraient qu'il fût tombé au pouvoir des Américains, ne fit que confirmer la situation désespérée de la cause anglaise en Canada. Le territoire renfermé dans l'enceinte des murailles de la capitale était, à-peu-près, tout ce qui reconnaissait encore la suprématie de la métropole, sauf toujours le clergé, les seigneurs et la plupart des hommes de loi, qui tenaient fermement pour elle et qui étaient répandus dans les villes et les campagnes où ils paraissaient alors perdus dans la foule, mais dont les moyens d'influence étaient assez puissans pour diriger plus tard la volonté populaire dans toutes les parties du pays selon leur sympathie ou leurs intérêts. Mais, pour le moment, les royalistes au dehors de Québec étaient réduits au silence.

Cette ville ne renfermait alors qu'une population de 5,000 âmes. La garnison, composée de 1,800 hommes, dont 550 Canadiens, était un mélange de soldats, de miliciens et de matelots, abondamment pourvu de munitions de guerre et de bouche pour huit mois. Les fortifications avaient été considérablement augmentées depuis la dernière guerre; et depuis le commencement des hostilités on n'avait pas cessé de les perfectionner. Les murailles, du côté de la campagne, étaient munies de banquettes, de parapets et d'embrasures garnies de canon et de quelques batteries de mortiers. Du côté de la rivière St. – Charles et du fleuve, régnaient, sur le bord du cap au-dessus de la basse-ville, des palissades ou des murs hérissés de grosses batteries. La basse-ville elle-même était défendue, au centre, du côté du rivage, par des batteries placées sur les quais, et vers ses deux extrémités, par des barricades. Au bout de la rue Champlain, dans un endroit qui se trouve aujourd'hui au-dessous de la citadelle, l'on avait placé deux barrières à quelque distance l'une de l'autre, avec du canon, pour fermer le sentier étroit qu'il y avait entre le pied de la falaise et le fleuve. A l'extrémité opposée, le bout des rues St. – Pierre et Sault-au-Matelot avait été barricadé à la rue St. – Jacques qui les coupe à angle droit du pied du cap au rivage, et le quai où se terminait cette barricade était couvert d'artillerie. A une centaine de toises plus loin, une autre barrière avait été élevée dans la vieille rue Sault-au-Matelot, seule et étroite issue existant alors entre le cap et la rivière St. – Charles pour communiquer du Palais à la basse-ville. Plus de 150 bouches à feu étaient en batterie dans la haute et basse-ville dans les premiers jours de décembre. Si les assiégeans avaient été plus nombreux, il aurait fallu une garnison de sept ou huit mille hommes pour défendre Québec; mais celle qui s'était renfermée dans la ville était plus que suffisante pour repousser les forces de l'ennemi. En effet, celui-ci fut presque toujours moins nombreux que la garnison; et l'on ne sait ce qui étonne le plus dans ce siège, ou de la hardiesse inconsidérée du général Montgomery, ou de la prudence craintive du général Carleton.

Le colonel Arnold n'eut pas été plutôt renforcé par les troupes de Montgomery, que, sans attendre ce général qui marchait plus lentement, il reparut devant Québec à la tête de 900 Américains et des Canadiens du colonel Levingston. La fidélité des classes supérieures à la cause métropolitaine laissait le peuple canadien sans chefs; de sorte qu'il se trouvait conduit dans cette occasion par des étrangers. Le général Montgomery, en atteignant son armée, fit investir complètement la ville et occupa Beauport, la Canardière, et Ste. – Foy où il établit son quartier-général. Il y a raison de croire que son dessein n'était pas de faire un siège dans les règles, et de prendre la place après en avoir détruit les murailles, car il n'avait ni artillerie de siége, ni ingénieurs capables de conduire une pareille opération. Son but était plutôt de tâcher d'enlever Québec par un coup de main: et la batterie de 5 mortiers qu'il fit élever à St. – Roch ainsi que celle de 5 pièces de canon et d'un mortier qu'on érigea du côté du chemin St. – Louis, à 700 verges des murailles, n'avaient pour but probablement que de couvrir son camp et mieux voiler son dessein.

Toutefois une surprise n'était pas chose facile sur une ville si bien fortifiée et défendue par une garnison vigilante. Le désir de terminer par une action d'éclat les succès qui avaient couronné ses armes depuis qu'il était entré en Canada, et dont les rapports avaient rempli de joie toutes les colonies insurgées, put seul lui faire mépriser les obstacles que présentait son entreprise. Mais il fallait du temps pour attendre l'occasion; et outre l'insuffisance de ses forces, il manquait d'argent et de vivres. Les soldats, peu accoutumés au climat rigoureux du pays, étaient mal nourris et mal vêtus, et furent bientôt en proie à la petite vérole, qui continua de les décimer tout l'hiver. Le besoin d'argent, de vivres et de vêtemens augmenta donc ses difficultés; la division qui se mit entre le colonel Arnold et ses officiers les aggrava. Les Canadiens qui avaient tout perdu dans la guerre précédente par le papier-monnaie, refusèrent de recevoir celui du congrès. La rigueur d'un hiver prématuré effraya les troupes; il dut se hâter de mettre fin au siège, soit en le levant, soit en brusquant un assaut. Les habitans de la campagne qui tenaient pour la cause de l'indépendance, commençaient aussi à se refroidir. Ils ne connaissaient rien des démarches de deux marchands de Montréal, Price et Walker, qui avaient prétendu, de leur plein gré, les représenter au congrès américain. L'instinct populaire, si délicat en fait d'honneur national, était blessé du rôle presqu'humiliant que jouaient les Canadiens. Ils s'aperçurent que petit à petit les Américains s'emparaient de l'autorité; qu'ils décidaient de tout sans presque les consulter; qu'ils nommaient les officiers pour commander les secours envoyés à l'armée assiégeante, convoquaient les assemblées, etc. Quelques-uns commencèrent même à regarder comme une faute d'avoir laissé entrer dans le pays, et se répandre au milieu d'eux, des troupes en armes, à la merci desquelles ils se trouvaient sans moyen de protection. C'était là en effet une de ces fautes qu'on ne tarde jamais de regretter. Toutes ces réflexions les remplissaient d'inquiétude mêlée de honte. Les hommes opposés au congrès profitèrent habilement de toutes ces circonstances pour augmenter l'éloignement qui se manifestait parmi le peuple pour la cause de la révolution. L'apparence des troupes du colonel Arnold déguenillées et presque nues, et leur petit nombre, la conduite arbitraire de quelques-uns de leurs officiers, le moindre fait, enfin, devenait pour eux un sujet de critique ou de sarcasme qu'ils tournaient contre les Congréganistes, comme ils nommaient ceux des Canadiens qui partageaient les idées du congrès. La prudence du général Montgomery contribua beaucoup, tant qu'il vécut, à empêcher l'explosion de ces sentimens chez le peuple, qui se disait déjà tout bas qu'il vaut mieux obéir à des compatriotes, quelque soit la forme du gouvernement, que d'être à la discrétion de l'étranger pour sa liberté. Montgomery montrait beaucoup d'adresse pour ménager les différentes classes, et surtout pour ne point alarmer les intérêts les plus sensibles, ceux qui sont basés sur des privilèges. Quoiqu'il sût leurs sentimens, il montra les plus grands égards à ceux qui en jouissaient et surtout au clergé; et comme s'il eût ignoré ses efforts pour nullifier les effets de la propagande révolutionnaire, il fit respecter partout la religion et ses ministres. Il promettait que le libre exercice des cultes serait garanti, et que les biens religieux seraient respectés. Il assurait au peuple qu'une convention provinciale, composée de représentans librement élus, serait convoquée pour établir telle forme de gouvernement qu'elle jugerait la plus convenable pour le pays. Le peuple avait d'abord été séduit par cette déclaration. Mais les classée privilégiées s'étaient alarmées, et leur agitation finit bientôt par influer de la manière la plus efficace sur les événemens, en persuadant aux habitans que tout cela n'était qu'une illusion à laquelle ils se repentiraient, avant long-temps, d'avoir ajouté foi. Pour arrêter la défection, Montgomery ne voyait de remède que dans la prise de Québec et la destruction du foyer de royalisme qui s'y était conservé. Il crut donc devoir précipiter la fin du blocus; et il se prépara à profiter de la première nuit favorable qui s'offrirait pour tenter l'escalade. Celle du 30 au 31 décembre parut propice pour l'entreprise; elle était fort obscure, et il tombait une neige épaisse poussée par un gros vent dont le bruit empêchait de rien entendre de loin. Avant de marcher à l'assaut, il harangua ses troupes qui formaient à peine 13 à 1400 hommes effectifs. Avec une pareille disproportion de forces, il ne pouvait compter, pour réussir, que sur une surprise; et déjà, depuis plusieurs jours, le gouverneur connaissait par des déserteurs le projet des assiégeans, et tous; les postes de Québec avaient redoublé d'attention. Montgomery divisa ses troupes en quatre, corps: le premier, composé des Canadiens du colonel Levingston, devait faire une fausse attaque contre la porte St. – Jean; le deuxième, commandé par le major Brown, devait menacer la citadelle; et tandis que les mouvemens de ces deux divisions attireraient l'attention de la garnison à la défense de la haute-ville, les deux autres corps chargés de la véritable attaque, devaient pénétrer dans la basse-ville, et de la basse-ville dans la haute, que l'on pensait ouverte de ce côté. Le colonel Arnold se chargeait d'enlever, à la tête d'environ 450 hommes venus de St. – Roch, les barricades et les batteries du Sault-au-Matelot; le général Montgomery se réservait la dernière colonne et, la plus forte pour enlever la barrière de Près-de-Ville, et entrer dans la place par la rue Champlain. A deux heures du matin, toutes les troupes étaient sous les armes; les unes avaient mis sur leurs chapeaux de petites branches de pruche pour se reconnaître au milieu des ennemis; les autres, des écriteaux avec ces mots: Liberté ou la mort. Elles allèrent se placer aux différens postes qui leur avaient été assignés. Le général Montgomery descendit par la côte du Foulon, et s'avança avec sa colonne en suivant le rivage jusqu'à l'anse des Mères, où il s'arrêta pour donner le signal auquel toutes les colonnes devaient se mettre en mouvement. Il était près de quatre heures du matin. Deux fusées furent lancées, et aussitôt plusieurs signaux que se firent les assaillans, rendus à leurs points d'attaque, furent aperçus de la ville par les sentinelles qui donnèrent l'alarme. Dans le même moment, les troupes qui défendaient les remparts du côté de la campagne, reçurent un feu de mousqueterie très vif, qui commença vers le Cap-aux-Diamans et fut bientôt suivi par celui des Canadiens rangés en face de la porte St. – Jean. La garnison y répondit avec vivacité; et le colonel Caldwell, avec une partie de la milice anglaise, fut envoyé pour renforcer les troupes qui défendaient le rempart au-dessus de la porte St. – Louis.

Cependant Montgomery s'était mis en mouvement. Il marchait à la tête de sa colonne suivi immédiatement de ses aides-de-camp et de plusieurs autres officiers. Le sentier par lequel il cheminait, situé entre le fleuve et un rocher presque perpendiculaire, et à peine assez large pour laisser passer un homme de front, était presqu'impraticable à cause des glaçons que la marée y avait accumulés et de la neige qui tombait. Il atteignit néanmoins avec sa colonne qui était très étendue et qui suivait, en serpentant, les sinuosités du sentier, la première barrière de Près-de-Ville, et la franchit sans difficulté; mais la seconde était défendue par une batterie masquée de sept pièces de canon et par une garde de 50 hommes dont 31 Canadiens, commandée par le capitaine Chabot (Manuscrit de Sanguinet). Les artilleurs, rangés près de leurs pièces, attendaient, la mèche allumée, l'apparition de l'ennemi. Montgomery fut surpris en voyant ce poste si bien préparé à le recevoir. Il s'arrêta un instant, à 50 verges de la batterie, comme pour se consulter avec ceux qui le suivaient, puis tous ensemble ils s'élanceront vers la barricade. Lorsqu'ils n'en furent qu'à quelques pas, le capitaine Chabot donna l'ordre de faire feu aux pièces chargées à mitrailles. Des cris et des gémissemens suivirent cette décharge. Le poste continua quelque temps à tirer; mais ne voyant ni n'entendant plus rien, il cessa en restant toujours sur ses gardes pour repousser toute nouvelle attaque qui serait faite. Le général Montgomery, ses deux aides-de-camp, et plusieurs autres officiera et soldats étaient tombés sous ce feu d'enfilade. Le colonel Campbell, sur qui retombait le commandement de la colonne, voyant la confusion et la frayeur dans laquelle étaient ses soldats, sans tenter de donner l'assaut à la barrière, sans même tirer un coup de fusil, ordonna aussitôt la retraite, qui fut une véritable fuite.