Nur auf LitRes lesen

Das Buch kann nicht als Datei heruntergeladen werden, kann aber in unserer App oder online auf der Website gelesen werden.

Buch lesen: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I», Seite 23

Schriftart:

Mais tandis que tout le monde indiquait le remède à apporter au mal, il ne se trouvait personne capable de l'appliquer, et d'exécuter un projet qui demandait par-dessus tout de l'énergie et de la promptitude.

Pendant qu'on passait son temps à faire des suggestions, et à parler au lieu d'agir, les traitans anglais, attirés à Niagara et jusqu'à Michilimackinac, travaillaient avec ardeur à détacher des Français les Sauvages de ces contrées. Le marquis de Denonville, pour exclure ces traitans, et maîtriser les Iroquois, proposa en 1686 au ministère de bâtir un fort en pierre à Niagara, capable de contenir quatre à cinq cents hommes. Ce fort à la tête du lac Ontario, avec celui de Frontenac au pied, en face des cinq nations, devait rendre le Canada maître des lacs en temps de guerre comme en temps de paix, et placer les Iroquois à sa discrétion pour la chasse et la traite qu'ils faisaient au nord du St. – Laurent, leur propre pays étant épuisé de gibier. Cette exclusion aurait entraîné une perte de quatre cent mille francs pour la Nouvelle-York tous les ans. Quoique ce projet fût ajourné, le colonel Dongan n'en fut pas plutôt instruit qu'il protesta contre les grands approvisionnemens que l'on faisait à catarocoui, et contre la construction d'un fort à Niagara qu'il prétendait être dans les limites de la Nouvelle-York. Le gouverneur français répondit à toutes ces protestations, et observa, quant au dernier point, que l'Angleterre était mal fondée dans ses prétentions sur les terres des cinq cantons, et qu'on devait savoir que les Français en avaient pris possession même avant qu'il y eût des Anglais dans la Nouvelle-York, ce qui était vrai.

Le colonel Dongan n'en resta pas là; il convoqua une assemblée des députés de toute la confédération iroquoise à Albany, dans laquelle, après leur avoir dit que les Français se préparaient à leur faire la guerre, il les engagea à les attaquer sur le champ et à l'improviste, eux et leurs alliés qui seraient facilement vaincus n'étant point sur leurs gardes, et qu'à tout événement il ne les abandonnerait pas. Le P. Lamberville, qui était chez les Onnontagués, fut instruit de cette délibération; il se mit aussitôt en frais de combattre les suggestions de l'Anglais dans cette tribu, et cela avec assez de succès; et après avoir eu parole des chefs de ne consentir à aucune hostilité pendant son absence, il alla faire part de tout ce qu'il savait au marquis de Denonville. Dongan, informé de son départ, en devina le motif et pressa les cantons de prendre les armes. Il voulut aussi armer les Iroquois chrétiens du Sault-St. – Louis et du lac des Deux-Montagnes, et se faire remettre le P. Jacques, frère du P. Lamberville, qui était resté en otage dans le canton d'Onnontagué; mais il ne réussit dans aucune de ces tentatives. Dongan faisait alors en petit ce qu'on a vu faire depuis en grand à Pitt en Europe, il cherchait partout des ennemis à la France, ne pouvant la vaincre seul.

À la suite de l'entrevue d'Albany les cantons avaient attaqué les Outaouais dans l'anse de Sanguinam, sur le lac Huron, où ils faisaient la chasse; et les traitans anglais s'étant présentés au poste même de Michilimackinac pendant l'absence de M. de la Durantaye qui y commandait, avaient publié qu'ils donneraient leurs marchandises à bien meilleur marché que les Français. Le gouverneur à cette nouvelle se décida d'attaquer sans délai les Tsonnonthouans, entremetteurs de toutes ces menées, et les plus mal disposés des cinq cantons contre nous.

Afin de tromper cette tribu sur les préparatifs que l'on faisait pour l'attaquer, le P. Lamberville fut renvoyé chez les Onnontagués avec des présens pour les chefs qu'il pourrait conserver dans l'intérêt des Français. La présence de ce missionnaire vénéré, qui ignorait et les projets du gouverneur et le rôle qu'il lui faisait jouer, dissipa tous les soupçons que les avertissemens de Dongan leur avait inspirés; ils rappelèrent même les guerriers qu'ils avaient envoyés en course à la sollicitation de celui-ci. Dans le même temps les agens français s'efforçaient de reconquérir la bonne amitié des tribus des lacs, ébranlées par les intrigues de la Nouvelle-York. L'été de 1686 se passa ainsi en préparatifs pour la guerre et en négociations pour la paix. Les Iroquois ne pouvant rester longtemps tranquilles recommencèrent leurs courses; leurs bandes attaquèrent les alliés de la colonie, ce qui facilita les démarches que l'on faisait auprès des Miâmis, des Hurons et des Outaouais pour les engager, eux aussi, à reprendre les armes. Les cinq cantons n'ont en vue, écrivait le marquis de Denonville dans sa lettre du 8 novembre à M. de Seignelay, «que de détruire les autres Sauvages pour venir ensuite à nous. Le colonel Dongan caresse beaucoup nos déserteurs, dont il tire de grands services, et je suis moi-même obligé de les ménager jusqu'à ce que je sois en état de les châtier. J'apprends que les cinq cantons font un gros parti contre les Miâmis, et les Sauvages de la baie: ils ont ruiné un village de ceux-ci; mais les chasseurs ont couru sur eux et les ont bien battus; ils veulent avoir leur revanche. Ils ont fait depuis peu un grand carnage des Illinois, ils ne gardent plus aucune mesure avec nous, et ils pillent nos canots partout où ils les trouvent».

Les commandans des forts Michilimackinac et du Détroit avaient reçu ordre de mettre ces postes en état de défense, et d'y faire des amas de provisions pour la campagne de l'année suivante. Ils devaient descendre à Niagara avec les Canadiens et les Sauvages dont ils pourraient disposer. Tous ces ordres furent exécutés avec le plus grand secret.

Les renforts demandés par le gouverneur arrivèrent de France de bonne heure dans le printemps de 1687: c'était 800 hommes de mauvaises recrues commandés par le chevalier de Vaudreuil, maréchal des logis des mousquetaires, qui s'était distingué à la prise de Valenciennes (1677), et dont plusieurs descendans ont depuis gouverné la colonie. Une partie monta immédiatement à Montréal pour servir dans le corps qui se rassemblait dans l'île de Ste. – Hélène, sous les ordres de M. de Callières. Cette petite armée se trouva bientôt composée de 832 nommes de troupes réglées, d'environ 1000 Canadiens et de 300 Sauvages. «Avec cette supériorité de forces, Denonville eut pourtant la malheureuse idée de commencer les hostilités par un acte qui déshonora le nom français chez les Sauvages, ce nom que, malgré leur plus grande fureur, ils avaient toujours craint et respecté.» Peut-être crut-il aussi par ce procédé frapper les Iroquois de terreur. Quoiqu'il en soit, en envoyant, l'automne précédent, le P. Lamberville dans les cantons, il l'avait chargé d'inviter les chefs de ces tribus à se rendre au printemps à Catarocoui, afin de le rencontrer pour terminer leurs différends dans une conférence. Ces Sauvages, qui avaient une confiance sans borne dans leur missionnaire, le crurent; mais à peine eurent-ils mis le pied en Canada, qu'ils furent saisis, garrottés et envoyés en France pour servir sur les galères.

La nouvelle de cette trahison, désapprouvée hautement dans toute la province, poussa au comble de la fureur les Iroquois, qui ne songèrent plus qu'à en tirer une vengeance dont on se souviendrait longtemps. L'on trembla pour le P. Lamberville instrument innocent de cette action. Les anciens d'Onnontagué le firent appeler. – «Tout nous autorise à te traiter en ennemi, lui dirent-ils, mais nous ne pouvons nous y résoudre. Nous te connaissons trop, ton coeur n'a point eu de part à l'insulte qu'on nous a faite. Nous ne sommes pas assez injustes pour te punir d'un crime que tu détestes autant que nous et dont tu n'as été que l'instrument innocent. Mais il faut que tu nous quittes. Tout le monde ne te rendrait peut-être pas justice ici. Quand la jeunesse aura entonné le chant de guerre, elle ne verra plus en toi qu'un perfide qui a livré nos chefs à un rude et indigne esclavage; elle n'écoutera plus que sa fureur à laquelle nous ne serions plus les maîtres de te soustraire.» Après ce discours dont la simplicité n'est égalée que par la grandeur et la noblesse du sentiment qui l'inspire, ces Sauvages donnèrent au missionnaire des conducteurs qui prirent par des routes détournées, et ne le quittèrent qu'après l'avoir mis hors de danger. Un autre Jésuite, le P. Millet, qui se trouvait aussi alors dans les cantons, fut adopté par une femme qui l'arracha de cette manière au supplice du feu.

Le roi de France, dès que cette nouvelle lui parvint, s'empressa de désavouer la conduite du gouverneur, que semblait autoriser cependant une lettre que ce monarque avait fait adresser à M. de la Barre, dans laquelle il lui ordonnait d'envoyer les prisonniers iroquois aux galères, les regardant comme des sujets révoltés. Mais l'on n'avait point suivi ces injonctions dans le temps; et dans le cas actuel, loin de s'y être conformé, l'on s'était emparé des chefs de cette nation par un guet-apens odieux; l'on avait violé dans leurs personnes le caractère sacré et inviolable d'ambassadeurs. L'on s'empressa donc de les renvoyer en Canada pour détruire les funestes effets de cette perfidie, tant par rapport à la religion, que par rapport à la guerre; car, comme dit très bien Charlevoix, il devenait plus difficile de subjuguer entièrement une nation, qu'un coup d'un si grand éclat devait nous rendre irréconciliable et porter aux plus grands excès de fureur; et des deux côtés l'on courut aux armes.

L'armée campée dans l'île de Ste. – Hélène se mit en marche le onze de juin sur quatre cents berges ou canots. M. Denonville en avait pris le commandement. Les Canadiens, divisés en quatre bataillons, étaient sous les ordres immédiats de Dugué, Berthier, Verchères et Longueuil. Le nouvel intendant, M. de Champigny, qui avait succédé à M. de Meules, accompagna l'armée, qui débarqua le dix juillet à la rivière aux Sables sur le bord du lac Ontario, au centre des ennemis, où elle se forma un camp palissadé. Le même jour, elle fut rejointe par la Durantaye, Tonti et de Luth, qui amenaient environ 600 hommes de renfort du Détroit, et une soixantaine de prisonniers anglais que le premier avait faits sur le lac Huron, où ils les avaient rencontrés s'en allant traiter à Michilimackinac, en contravention au traité conclu entre les deux couronnes 137.

Note 137:(retour) Smith (History of New-York) prétend que cette attaque était une infraction du traité de Whitehall de 1686, par lequel il avait été convenu que la traite avec les Sauvages serait libre aux Anglais et aux Français. Nous ne trouvons rien de semblable dans le traité en question, qui contient au contraire cette clause expresse: «V. Et que pour cet effet les sujets et habitans, marchands, capitaines de vaisseaux, pilotes et matelots des royaumes, provinces et terres de chacun des dits rois respectivement, ne feront aucun commerce ni pêche dans tous les lieux dont l'on est ou l'on sera en possession de part et d'autre dans l'Amérique; c'est à savoir, que les sujets de sa Majesté très-chrétienne ne se mêleront d'aucun trafic, ne feront aucun commerce et ne pêcheront point dans les forts, rivières, baies, etc., ou autres lieux qui sont ou seront ci-après possédés par sa Majesté britannique en Amérique; et réciproquement les sujets de sa Majesté britannique ne se mêleront d'aucun trafic, etc. Mémoires des commissaires du Roi, &c. Vol. II p. 126.

L'armée s'ébranla le 12 vers le soir pour aller chercher les ennemis. M. de Callières commandait l'avant-garde. Il fit une chaleur excessive le lendemain; et le soldat eut à souffrir beaucoup de la soif. Le pays où elle s'avançait est montagneux et entrecoupé de ravines et de marais, et favorable par conséquent aux ambuscades; il fallait marcher avec une grande circonspection. Les Iroquois furent informés de l'arrivée des Français par deux Sauvages qui avaient déserté dans la nuit de leur camp à la rivière aux Sables, et donné l'alarme aux Tsonnonthouans, qui, sur ce premier avis, brûlèrent leur village et prirent la fuite; mais le premier moment de frayeur passé, ils résolurent de profiter des avantages du terrain. Ils placèrent trois cents hommes dans un ruisseau coulant entre deux collines boisées, en avant de leur bourgade, et cinq cents autres dans un marais couvert de broussailles épaisses qui était au pied à quelque distance, et dans cette position ils attendirent les Français.

Ceux-ci se fiant à certains indices trompeurs, semés sur leur route exprès par l'ennemi, précipitaient leur marche dans un vallon étroit et rempli d'arbres touffus, croyant le surprendre tranquille dans sa bourgade, quand leur avant-garde, très-éloignée du corps de bataille, arriva près du ruisseau. Les Iroquois qui y étaient cachés, avaient reçu ordre de laisser passer toute l'armée française et de l'assaillir par derrière; cette brusque attaque devait la jeter dans la seconde et principale ambuscade dans le marais. Heureusement que ces barbares prirent cette avant-garde pour l'armée entière, et croyant en avoir bon marché comme elle était presque toute composée d'Indiens, ils poussèrent leur cri et firent feu. A cette attaque inattendue par des hommes qu'ils ne voyaient pas, la plupart des Sauvages alliés lâchèrent le pied et le désordre se communiqua, dans le premier moment de surprise, aux troupes du corps de l'armée, composées d'hommes qui n'étaient pas accoutumés à combattre dans les bois. Mais les Sauvages chrétiens et les Abénaquis tinrent fermes; et Dugué à la tête de quelques uns des bataillons de milice rétablit le combat. Les ennemis entendant alors les tambours battre la charge, l'épouvante s'empara d'eux à leur tour, et ils abandonnèrent leur position et s'enfuirent vers ceux qui étaient embusqués dans le marais, et qui, atteints aussi d'une terreur panique, disparurent en un clin d'oeil, laissant derrière eux leurs couvertes et des armes. La perte fut peu considérable du côté des Français; les les Iroquois eurent quarante cinq tués et une soixantaine de blessés. L'on coucha sur le champ de bataille crainte de nouvelle surprise.

Le 14, l'armée parvint à la bourgade incendiée sur la cime d'une petite montagne, qui paraissait de loin couronnée de nombreuses tours qui se dessinaient sur le ciel d'une manière pittoresque; c'étaient des greniers dans lesquels il y avait encore une grande quantité de blé qu'on n'avait pas eu le tems de brûler, besogne dont le vainqueur s'acquitta pour eux. Du reste, il n'y avait rien d'entier dans le village que le cimetière et les tombeaux. L'on pénétra ensuite plus avant dans le pays, que l'on ravagea pendant dix jours. L'on brûla 3 à 400 mille minots de maïs, et l'on tua un nombre prodigieux d'animaux. On n'y rencontra pas une âme. Toute la population se retirait chez les Goyogouins, ou passait au delà des montagnes dans la Virginie. Un grand nombre de personnes périrent de misère dans les bois. Ce désastre réduisit de moitié la nation des Tsonnonthouans, et humilia profondément l'orgueilleuse confédération dont elle faisait partie.

Cependant au lieu de marcher contre les autres cantons, comme tout le monde s'y attendait, surtout les Sauvages alliés, et d'anéantir la puissance des Iroquois tandis qu'ils étaient encore terrifiés, le gouverneur, laissant sa conquête inachevée, se rapprocha de la rivière Niagara, où il fit élever un fort et laissa pour le garder cent hommes sous les ordres du chevalier de Troye. La maladie s'étant mise dans cette petite garnison, elle périt toute entière; de sorte que ce fort ne fût plus bientôt qu'un grand tombeau au milieu d'une forêt.

Les résultats de cette campagne ne furent point du tout proportionnés aux préparatifs qu'on avait faits, ni aux espérances qu'on avait conçues. Un général plus habile eut terminé la guerre avec elle; ses heureux commencemens le faisaient augurer; mais le gouverneur s'arrêta trop longtemps dans le canton conquis lorsqu'il en restait d'autres à vaincre; mais il s'arrêta au milieu de sa conquête pour bâtir un fort inutile à son plan; mais il n'avait, ni l'activité, ni la célérité propres à faire valoir ce premier succès. Tandis qu'il réfléchissait comme si le temps n'eût pas pressé la campagne se trouva finie sans aucun avantage permanent. Comme on l'a déjà dit, le défaut de vigueur a caractérisé tout le cours de l'administration de M. Denonville. Peu de gouverneurs ont tant écrit, tant fait de suggestions que lui, la plupart très sages sur le Canada, et peu l'ont laissé dans un état aussi déplorable lorsqu'on a été obligé de le rappeler. L'administrateur, le gouvernant, doit être essentiellement un homme d'action, s'occupant plutôt à mettre en pratique des moyens possibles et réalisables, qu'à en suggérer sans cesse de toutes sortes, sans se donner le temps d'en faire l'application.

La retraite des Français fut le signal des invasions des Iroquois, sanglantes représailles qui répandirent un juste effroi dans toute la colonie. La rage dans le coeur, ces barbares portèrent le fer et le feu dans tout le Canada occidental. Le colonel Dongan les animait avec art. Il promit de les soutenir, mais il y mit pour condition qu'ils ne devaient pas aller à Catarocoui, ni recevoir de missionnaires français. Il offrit des Jésuites anglais aux Iroquois du Sault-St. – Louis, et leur promit, s'ils voulaient se rapprocher de lui, de leur donner un territoire plus avantageux que celui qu'ils occupaient. Il voulut aussi se porter médiateur entre les parties belligérantes, et à cet effet il fit des propositions, au nom des cantons, qu'il savait bien que les Français rejetteraient. Il alla jusqu'à dire au P. Le Vaillant de Guesles, qu'ils ne devaient point espérer de paix qu'à ces quatre conditions: 1°. qu'on ferait revenir de France les Sauvages qu'on y avait envoyés pour servir sur les galères, 2°. qu'on obligerait les Iroquois chrétiens du Saul-St. – Louis et de la Montagne à retourner dans les cantons, 3°. qu'on raserait les forts de Niagara et de Catarocoui, 4°. qu'on restituerait aux Tsonnonthouans tout ce qu'on avait enlevé dans leurs villages. Il invita ensuite les anciens des cantons de le rencontrer, et leur dit que le gouverneur français demandait la paix; il leur expliqua les conditions qu'il exigeait, et ajouta; «Je souhaite que vous mettiez bas la hache, mais je ne veux point que vous l'enterriez, contentez vous de la cacher sous l'herbe. Le roi mon maître m'a défendu de vous fournir des armes si vous continuez la guerre; mais si les Français refusent mes conditions, vous ne manquerez de rien. Je vous fournirai de tout plutôt à mes dépens, que de vous abandonner dans une aussi juste cause. Tenez vous sur vos gardes de peur de quelque nouvelle trahison de la part de l'ennemi, et faites secrètement vos préparatifs pour fondre sur lui par le lac Champlain et par Catarocoui quand vous serez obligé de recommencer la guerre.

Les Indiens des lacs s'étaient de leur côté beaucoup refroidis pour les Français; les Hurons de Michilimackinac surtout entretenaient des correspondances secrètes avec les cantons, quoiqu'ils se fussent battus contre eux dans la dernière campagne. Ces nouvelles jointes à l'épidémie qui éclata dans le Canada après le retour de l'armée, et qui y causa de si grands ravages, firent abandonner au gouverneur le projet de porter une seconde fois la guerre chez les Iroquois, dont les bandes avaient déjà insulté le fort de Frontenac, et celui de Chambly qui, assiégé tout à coup par les Agniers et les Mahingans, n'avait dû son salut qu'à la promptitude avec laquelle les habitans étaient accourus à son secours. Cela n'était que les signes avant-coureurs des terribles irruptions des années suivantes.

Le tableau que le gouverneur fait de cette lutte indienne 138, peint vivement la situation de nos ancêtres, les dangers qu'ils ont courus et le courage avec lequel ils les bravaient. «Les Sauvages, dit-il, sont comme des bêtes farouches répandues dans une vaste forêt, d'où ils ravagent tous les pays circonvoisins. On s'assemble pour leur donner la chasse, on s'informe où est leur retraite, et elle est partout; il faut les attendre à l'affut, et on les attend longtemps. On ne peut aller les chercher qu'avec des chiens de chasse, et les Sauvages sont les seuls lévriers dont on puisse se servir pour cela; mais ils nous manquent, et le peu que nous en avons ne sont pas gens sur lesquels on puisse compter; ils craignent d'approcher l'ennemi, et ont peur de l'irriter. Le parti qu'on a pris, a été de bâtir des forts dans chaque seigneurie, pour y réfugier les peuples et les bestiaux; avec cela les terres labourables sont écartées les unes des autres, et tellement environnées de bois, qu'à chaque champ il faudrait un corps de troupes pour soutenir tes travailleurs».

Note 138:(retour) Lettre à M. de Seignelay du 10 août 1688.

L'hiver (1687-8) se passa en allées et venues et en conférences inutiles pour la paix, qui se prolongèrent dans l'été. Les cantons envoyèrent des députés à Montréal, qui furent escortés jusqu'au lac St. – François par douze cents guerriers de la confédération. Une escorte aussi redoutable porta l'épouvante dans l'île de Montréal, et semblait autoriser la hauteur avec laquelle ils parlèrent au gouverneur. Cependant, contre toute attente, on crut un instant que la paix allait se faire; les députés d'Onnontagué, d'Onneyouth et de Goyogouin acceptèrent les conditions que Denonville leur proposa: 1º. que tous ses alliés y seraient compris, 2º. que les cantons d'Agnier et de Tsounonthouan lui enverraient aussi des députés pour signer la paix, 3º. que toute hostilité cesserait de part et d'autre, 4º. qu'il pourrait en toute liberté ravitailler le fort de Catarocoui. Une trêve fut conclue sur le champ. Cinq Iroquois restèrent en otages jusqu'à la fin de la négociation. Pendant que ces conférences avaient lieu, diverses troupes de barbares erraient sur différens points du pays et commettaient des assassinats et des brigandages; mais elles disparurent insensiblement de la colonie.

Tous les alliés du Canada ne voyaient pas cependant cette paix du même oeil. Les Abénaquis firent une irruption dans le canton des Agniers et jusque dans les habitations anglaises où ils levèrent des chevelures. Les Iroquois du Sault et de la Montagne les imitèrent; mais les Hurons de Michilimackinac que l'on avait cru opposés à la guerre, furent ceux-là même qui mirent le plus d'obstacles à la paix et qui la traversèrent avec le plus de succès.

Pendant qu'on négociait, un Machiavel né dans les forêts, dit l'auteur de l'histoire philosophique des deux Indes, Kondiaronk, nommé le Rat par les Français, qui était le Sauvage le plus intrépide, le plus ferme, et du plus grand génie, qu'on ait jamais trouvé dans l'Amérique septentrionale, arriva au fort de Frontenac avec une troupe choisie de Hurons, résolu de faire des actions éclatantes et dignes de la réputation qu'il avait acquise. Le gouverneur ne l'avait gagné qu'avec peine; car il avait été d'abord contre nous, on lui dit qu'un traité était entamé et fort avancé, que les députés des Iroquois étaient en chemin pour le conclure à Montréal, et qu'ainsi il désobligerait le gouverneur français s'il continuait les hostilités.

Le Rat étonné, se posséda néanmoins, et quoiqu'il crût qu'on sacrifiait sa nation et les alliés, il ne lui échappa point une seule plainte. Mais il était vivement offensé de ce que les Français faisaient la paix sans consulter leurs alliés, et il se promit de punir cet orgueil outrageant. Il dressa une ambuscade aux députés des diverses nations indiennes disposées à traiter; les uns furent tués, les autres faits prisonniers. Il se vanta après ce coup d'avoir tué la paix. Quand ces derniers lui dirent le sujet de leur voyage, il fit semblant de montrer le plus grand étonnement, et leur assura que c'était Denonville qui l'avait envoyé à l'anse de la Famine pour les surprendre. Poussant la feinte jusqu'au bout, il les relâcha tous sur le champ, excepté un seul qu'il garda pour remplacer un de ses Hurons tués dans l'attaque. Il se rendit ensuite avec la plus grande diligence à Michilimackinac, où il fit présent de son prisonnier au commandant, M. de la Durantaye, qui ne sachant pas qu'on traitait avec les Iroquois, fit passer ce malheureux Sauvage par les armes. L'Iroquois protesta en vain qu'il était ambassadeur, le Rat fit croire à tout le monde que la crainte de la mort lui avait dérangé l'esprit. Dès qu'il eût été exécuté, le Rat fit venir un vieux Iroquois, depuis longtemps captif dans sa tribu, et lui donna la liberté pour aller apprendre à ses compatriotes, que tandis que les Français amusaient leurs ennemis par des négociations, ils continuaient à faire des prisonniers et les massacraient. Cet artifice, d'une politique vraiment diabolique, réussit au gré de son auteur; car quoi qu'on parût avoir détrompé les Iroquois sur cette prétendue perfidie du gouverneur, ils ne furent pas fâchés d'avoir un prétexte pour recommencer la guerre. Les plus sages cependant qui voulaient la tranquillité, avaient gagné à faire envoyer de nouveaux députés en Canada, mais comme ils allaient partir, un exprès du chevalier Andros, qui avait remplacé le colonel Dongan dans le gouvernement de la Nouvelle-York, arriva et défendit aux Iroquois de traiter avec les Français sans la participation de son maître. Il leur dit que le roi de la Grande Bretagne les prenait sous sa protection.

Ce gouverneur qui avait embrassé en tout la politique de son prédécesseur, relativement aux Iroquois, écrivit en même temps au marquis de Denonville, que ces Indiens dépendaient de la couronne d'Angleterre, et qu'il ne leur permettrait de traiter qu'aux conditions proposées par le colonel Dongan. Toutes les espérances de paix s'évanouirent alors, et la guerre recommença avec acharnement. Elle fut d'autant plus durable que l'Angleterre, après sa rupture avec la France arrivée à peu près vers ce temps-ci, à l'occasion du détrônement de Jacques II, se trouva naturellement et ouvertement l'alliée des cantons.

Tandis que le chevalier Andros se donnait pour le maître et le protecteur des nations iroquoises, il cherchait à détacher les Abénaquis de l'alliance de la France; mais ce peuple s'exposa plutôt aux plus grands périls que d'abandonner la nation qui lui avait communiqué les lumières de l'Evangile; il forma toujours du côté de l'est une barrière qui ne put jamais être franchie par toutes les forces de la Nouvelle-Angleterre, qu'il attaqua au contraire peu de temps après, et qu'il força par ses irruptions à solliciter le secours des Iroquois, secours néanmoins qui lui fut refusé dans les conférences tenues à ce sujet, en septembre 1689 à Albany, entre les commissaires de Massachusetts, Plymouth et Connecticut et les envoyés des cinq nations.

La déclaration d'Andros et la conduite des Iroquois, tout en remplissant la colonie d'appréhensions sinistres relativement à ces derniers, dont on avait raison de craindre les brigandages et la barbarie, inspirèrent un de ces projets, fruit de l'énergie que donne à un peuple une situation désespérée; c'était de se jeter sur les colonies anglaises, et d'attaquer le mal dans sa racine. Le chevalier de Callières, après avoir communiqué un plan pour la conquête de la Nouvelle-York au marquis de Denonville, passa en France pour le proposer au roi, comme l'unique moyen de prévenir l'entière destruction du Canada.

Il exposa à ce monarque que l'histoire du passé devait convaincre que la Nouvelle-York soutiendrait toujours les prétentions des cantons, et que ceux-ci ne feraient par conséquent jamais de paix solide avec les Français tant qu'ils auraient cet appui; que le seul moyen de conserver le Canada, c'était de s'emparer de cette province. Qu'on me donne, disait-il, treize cents soldats et trois cents Canadiens, j'y pénétrerai par le lac Champlain. Orange (Albany) n'a qu'une enceinte de pieux, non terrassée, et un petit fort à quatre bastions où il n'y a que 150 soldats; cette ville contient trois cents habitans. Manhatte (New-York) en a quatre cents divisés en huit compagnies, moitié cavalerie et moitié infanterie. Elle n'a qu'un fort de pierre avec du canon. Cette conquête rendrait maître d'un des plus beaux ports de l'Amérique ouvert en toutes saisons, et d'un pays fertile jouissant d'un climat superbe. Le roi approuva ce projet; mais il voulut en confier l'exécution à un autre qu'au marquis de Denonville, que sa campagne chez les Tsonnonthouans avait fait juger, et dont la conduite depuis avait déterminé le rappel. Il était temps en effet que l'on mît dans des mains plus habiles les rênes du gouvernement canadien abandonnées à des administrateurs décrépits et incapables depuis le départ de M. de Frontenac: une plus longue persistance dans la politique des deux derniers gouverneurs pouvait compromettre d'une manière irréparable l'avenir de la colonie.

Les derniers jours de l'administration de M. Denonville furent marqués par des désastres inouïs, et qui font de cette époque une des plus funestes des premiers temps du Canada.

Contre toute attente, depuis plusieurs mois le pays jouissait d'une tranquillité profonde, que des bruits sourds qui circulaient ne purent troubler, quoiqu'on se prît quelquefois à s'étonner de ce calme dans lequel, sans la lassitude générale, l'on aurait pu voir quelque chose de sinistre. L'on dormait sur la croyance que la paix ne serait pas interrompue avant que des indices certains annonçassent le péril. D'ailleurs l'esprit s'était familiarisé depuis longtemps avec les irruptions passagères des Indiens; et comme le marin qui, insoucieux de la tempête, s'endort tranquillement sur l'élément perfide sur lequel il a passé sa vie, les premiers colons du Canada s'étaient accoutumés aux dangers que présentait le voisinage des barbares, et ils vivaient presque dans l'oubli de la mort qui pouvait fondre sur eux à l'instant qu'ils y penseraient le moins.

L'on était rendu au 24 août, et rien n'annonçait qu'il dût se passer d'événement extraordinaire, quand soudainement 1400 Iroquois traversent le lac St. – Louis dans la nuit, au milieu d'une tempête de pluie et de grêle qui favorise leur dessein, et débarquent en silence sur la partie supérieure de l'île de Montréal. Avant le jour, ils sont déjà placés par pelotons, en sentinelles à toutes les maisons sur un espace que des auteurs portent à sept lieues. Tous tes habitans y étaient plongés dans le sommeil, sommeil éternel pour un grand nombre. Les barbares n'attendent plus que le signal qui est enfin donné. Alors s'élève un effroyable cri de mort; les maisons sont défoncées et le massacre commence partout; on égorge hommes, femmes et enfans; et l'on met le feu aux maisons de ceux qui résistent afin de les forcer à sortir, et ils tombent entre les mains des Sauvages qui essayent sur eux tout ce que la fureur peut inspirer. Ils déchirent le sein des femmes enceintes pour en arracher le fruit qu'elles portent; ils mettent des enfans tout vivans à la broche et forcent leurs mères à les tourner pour les faire rôtir. Ils s'épuisent pendant de longues journées à inventer des supplices. Quatre cents personnes de tout âge et de tout sexe périrent ainsi sur la place, ou sur le bûcher dans les cantons où on les emmena. L'île fut inondée de sang, et ravagée jusqu'aux portes de la ville de Montréal.