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Buch lesen: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I», Seite 21

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Le bruit que les eaux du Missouri, nommé sur les vieilles cartes Pekitanoni, font en se jetant dans celles du Mississipi, leur annonça de loin l'approche de cette rivière. Après une navigation de quarante lieues, depuis la rivière des Moines, ils passèrent celle de la Ouabache, ou de l'Ohio, qui baigne la contrée des Chouanons on Chaûnis. L'aspect du pays changea; au lieu de vastes prairies, ils ne virent plus que des forêts épaisses. Ils trouvèrent aussi une autre race d'hommes dont ils ne connaissaient point la langue; ils étaient sortis des terres de la grande famille algonquine, bornées par l'Ohio de ce côté-ci, et touchaient à la race mobilienne, dont les Chickasas, chez lesquels ils venaient d'entrer, formaient partie. Les Dahcotas, ou Sioux, habitaient le sud du fleuve. Ainsi les Français avaient besoin d'interprètes pour se faire entendre des deux côtés du Mississipi, où se parlaient deux langues-mères différentes de celles des Hurons ou des Algonquins, dont ils savaient la plupart des dialectes.

Ils continuèrent à descendre le fleuve jusqu'à la rivière des Arkansas vers le 33me. degré de latitude, région que le célèbre voyageur espagnol, Soto, venant du sud, avait, dit-on, visitée. Le calumet que le chef des Illinois leur avait donné les fit accueillir partout avec bienveillance; et les Indigènes envoyèrent dix hommes, dans une pirogue, pour les escorter jusqu'au village des Arkansas, situé à l'embouchure de la rivière dont l'on vient de parler. Le chef de cette bourgade vint au devant d'eux, et leur offrit du pain de maïs. La richesse de ces barbares consistait en peaux de bison, et ils avaient des haches d'acier, preuve qu'ils commerçaient avec les Européens. Ils ne pouvaient donc pas être loin des Espagnols et de la baie du Mexique. La chaleur du climat en était une nouvelle preuve; ils étaient parvenus dans les régions où l'on ne connaît l'hiver que par les pluies abondantes qui y règnent dans cette saison.

Ne doutant plus que le fleuve Mississipi ne se déchargeât dans la baie du Mexique, et non dans l'Océan Pacifique, comme rien jusqu'alors n'empêchait de le supposer, et d'ailleurs les munitions commençant aussi à leur manquer, ils ne crurent pas devoir avec cinq hommes seulement aller plus loin dans un pays dont ils ne connaissaient pas les habitans. Ils avaient constaté que ce fleuve ne coulait pas vers l'ouest, et que par conséquent il n'offrait point de passage à la mer des Indes: ce problème résolu, ils retournèrent sur leurs pas jusqu'à la rivière des Illinois qu'ils remontèrent et qui les conduisit à Chicago. Ils découvrirent dans cette navigation le pays le plus fertile du monde, arrosé par de belles rivières; des bois remplis de vignes et de pommiers; des prairies superbes couvertes de bisons, de cerfs, de canards, d'oies, de dindes sauvages et de perroquets d'une espèce particulière. Cette contrée d'une fertilité prodigieuse exporte aujourd'hui une immense quantité de blé, dont une partie, depuis l'ouverture des canaux du St. – Laurent, passe par le Canada pour les marchés de l'Europe. Marquette et Joliet prévoyaient-ils alors qu'un jour l'on pourrait descendre de Chicago à Québec dans le même bâtiment?

Toute cette contrée était habitée, comme on l'a déjà dit, par les Miâmis, les Mascontins, ou nation du feu, les Pouteouatamis et les Kikapous. Allouez et Dablon en avaient déjà visité une partie; Marquette de retour du Mississipi resta parmi les Miâmis au nord de la rivière des Illinois. Joliet descendit immédiatement à Québec pour porter la nouvelle de leur grande découverte à Talon qu'il trouva parti pour la France. L'encouragement que cet intendant avait donné à cette expédition, lui en fait à juste titre partager la gloire: on ne peut trop honorer la mémoire des hommes qui ont su utiliser, pour l'honneur et pour davantage de leur patrie, la position élevée que la fortune leur a faite dans l'Etat.

Marquette resta deux ans dans cette mission, et partit en 1675 pour Mackina à l'entrée du lac Michigan. Dans la route, il fit arrêter son canot à l'embouchure d'une petite rivière du côté oriental du lac, pour y élever un autel et célébrer la messe. Ayant prié ses compagnons de voyage de le laisser quelques instans seul, ils se retirèrent à quelque distance, et quand ils revinrent il n'existait plus.

Le découvreur du Mississipi fut enterré en silence dans une fosse que ses compagnons creusèrent dans le sable sur la lisière de la forêt et sur le bord de la petite rivière dont nous venons de parler, et à laquelle on a donné son nom. Les Américains de l'Ouest doivent, dit-on, élever un monument à cet illustre et pieux voyageur. Le nom de Joliet a été aussi donné à une montagne située sur le bord de la rivière des Plaines, un des affluens de celle des Illinois, et à une petite ville qui est à quelques milles de Chicago.

La nouvelle de la découverte du Mississipi fit une grande sensation dans la colonie, quoique l'on y fût accoutumé depuis longtemps à de pareils événemens; car il ne se passait pas d'années sans qu'on annonçât l'existence de nouvelles contrées et de nouvelles nations. Chacun se mit donc à calculer les avantages que l'on pourrait retirer du fleuve et de l'immense territoire que nos deux illustres voyageurs avaient légués à la France. L'on formait déjà en imagination de vastes projets. Le Mississipi tombait dans le golfe du Mexique, il n'y avait pas à en douter; les possessions françaises allaient donc avoir deux issues à la mer Atlantique, et embrasser entre leurs deux fleuves gigantesques, la plus belle et la plus large portion du nouveau continent.

Néanmoins tant que l'on n'aurait point descendu le Mississipi jusqu'à la mer, il resterait toujours des doutes quant à savoir dans quel océan, Atlantique ou Pacifique, il se jetait; car enfin l'on ne connaissait point les pays qu'il traversait depuis l'Arkansas en descendant, et les suppositions qu'on avait formées touchant la conformation de l'Amérique dans cette latitude, du côté du couchant, pouvaient bien être erronées. C'était un point qu'il restait à éclaircir; et celui qui se chargerait de cette tâche devait partager la gloire de Marquette et de son compagnon. Nous allons voir comment cela s'effectua.

«La Nouvelle-France comptait alors au nombre de ses habitans un Normand nommé La Salle (Robert Cavalier de), possédé de la double passion de foire une grande fortune et de parvenir à une réputation brillante. Ce personnage avait acquis dans la société des Jésuites, où il avait passé sa jeunesse, l'activité, l'enthousiasme, le courage d'esprit et de coeur, que ce corps célèbre savait si bien inspirer aux âmes ardentes, dont il aimait à se recruter. La Salle prêt à saisir toutes les occasions de se signaler, impatient de les faire naître, audacieux, entreprenant», voyageur enfin devenu aussi célèbre par ses malheurs et son courage indomptable pour les surmonter, que par ses découvertes, était depuis quelques années à Québec (1677), lorsque Joliet arriva de son expédition du Mississipi. Il avait l'esprit cultivée et étendu, et le rapport de celui-ci fut pour son génie un jet de lumière. Il forma de suite un plan vaste sur lequel il appuya sa fortune et sa renommée future, plan qu'il suivit jusqu'à sa mort avec une persévérance incroyable.

Il était venu en Canada avec le projet de chercher un passage au Japon et à la Chine par le nord ou par l'ouest de cette colonie; pauvre, il n'avait rien apporté avec lui que son énergie et ses talens, et cependant son entreprise exigeait de grands moyens. Il commença donc par se faire des amis et des protecteurs, et sut captiver les bonnes grâces du comte de Frontenac, qui aimait en lui la hardiesse des idées, l'esprit entreprenant et courageux, et ce caractère ferme et résolu qui le distinguait lui-même.

Favorisé par Courcelles et Talon, en arrivant dans le pays il établit un comptoir pour la traite près de Montréal, à Lachine, nom qu'on prétend avoir été donné à ce lieu par allusion satirique à l'entreprise qu'il avait formée d'aller en Asie par le Nord-Ouest. Il visite pour son commerce le lac Ontario et le lac Erié. La découverte du Mississipi le trouva comme on vient de le dire à Québec. Saisissant avec avidité le moment où tout le Canada était encore dans l'excitation causée par cet événement, il communiqua ses vues au comte de Frontenac. Il se flattait qu'en remontant jusqu'à la source du fleuve nouvellement découvert, il pourrait trouver un passage qui le conduirait à l'Océan, objet principal de son ambition; dans tous les cas, la découverte de son embouchure ne serait pas sans gloire ni sans avantage. Voulant faire en même temps une entreprise de commerce et de découverte, il jugea que le fort de Frontenac lui était nécessaire pour servir de base à ses opérations. Fortement recommandé par son protecteur, il passa en France; le marquis de Seignelay qui avait remplacé son père, le grand Colbert, dans le ministère de la marine, le reçut très bien et lui fit obtenir tout ce qu'il désirait. Le roi l'anoblit, lui accorda le fort de Frontenac à condition qu'il le rebâtirait en pierre, et lui donna enfin tous les pouvoirs nécessaires pour faire librement le commerce et pour continuer les découvertes commencées. Cette concession équivalait à un commerce exclusif avec les cinq nations.

La Salle, animé d'une vive espérance et le cour plein de joie, partit de la Rochelle le 14 juillet 1678, emmenant avec lui trente hommes, marins et ouvriers, des ancres, des voiles, etc. pour équiper des navires sur les lacs. En arrivant à Québec, il s'achemina vers Catarocoui sans perdre de temps, avec les marchandises qu'il apportait pour trafiquer avec les Indiens. Sa brûlante énergie donna de l'activité à tout. Dès le 18 novembre, le premier brigantin qu'on eût encore vu sur le lac Ontario, sortait du port de Catarocoui (Kingston) à grandes voiles chargé de marchandises et d'objets nécessaires pour la construction d'un fort et d'un nouveau vaisseau à Niagara, second poste dont son entreprise nécessitait l'établissement. Cette première navigation fut assez heureuse. Lorsqu'on arriva à la tête du lac Ontario, les Sauvages de ces quartiers restèrent longtemps dans l'étonnement et l'admiration devant le navire; tandis que de leur côté les Français qui n'avaient pas vu la chute de Niagara, ne pouvaient cacher leur profonde surprise à l'aspect de tout un fleuve se précipitant d'un seul bond dans un abîme de 160 pieds, avec un bruit qui s'entend à plusieurs lieues de distance.

Cependant la Salle fit débarquer et transporter la cargaison du brigantin au pied du lac Erié, pour commencer la construction du fort et du vaisseau. Mais lorsque les Indigènes virent s'élever le fort, ils commencèrent à craindre et à murmurer. Afin de ne point s'attirer ces barbares sur les bras, la Salle se contenta de le convertir en une habitation entourée de simples palissades, pour servir de magasin. On établit dans l'hiver un chantier à deux lieues au-dessus de la chute, et l'on construisit un bâtiment de soixante tonneaux. Ces travaux se faisaient sous les ordres immédiats du chevalier de Tonti, que le prince de Conti, ami de la Salle, lui avait recommandé. Cet Italien avait eu une main emportée d'un éclat de grenade, dans les guerres de la Sicile, et il s'en était fait mettre une de fer couverte ordinairement d'un gant, dont il se servait avec facilité; les Sauvages le redoutaient beaucoup et l'appelaient bras de fer. Il fut très utile à la Salle auquel il demeura toujours fidèlement attaché. Il a été publié sous son nom un ouvrage sur la Louisiane qu'il a désavoué.

L'activité de la Salle redoublait à mesure que la réalisation de ses desseins semblait devenir plus probable. Il envoya dans l'hiver Tonti et le franciscain Hennepin, devenu célèbre par ses voyages en Amérique, en ambassade chez les Iroquois pour rendre ces barbares favorables à son entreprise; il les visita lui-même ensuite, ainsi que plusieurs autres nations avec lesquelles il voulait établir des relations commerciales.

La Salle fut le premier fondateur européen de Niagara, et le premier aussi qui construisit un navire sur le lac Erié. Le Griffon, c'est le nom qu'il donna à ce vaisseau, voulant, disait-il, faire voler le griffon par dessus les corbeaux par allusion à ses ennemis que ses projets avaient rendus fort nombreux, fut lancé sur la rivière Niagara en 1679, au milieu d'une salve d'artillerie, des chants du Te Deum et des cris de joie des Français, auxquels vinrent se mêler ceux qu'arrachait la surprise superstitieuse des Indigènes, qui appelaient les premiers Otkon, c'est-à-dire, esprits perçans.

Le 7 août de la même année, le Griffon armé de 7 pièces de canon et chargé d'armes, de vivres et de marchandises, portant en outre trente deux hommes, et deux missionnaires, entra dans le lac Erié au milieu des détonations de l'artillerie et de la mousqueterie, dont le bruit frappait pour la première fois les échos de ces contrées désertes et silencieuses. La Salle triomphant de l'envie de ses ennemis et de tous les autres obstacles inhérens à son entreprise, salua de son bord, au bout de quelques jours de passage, avec un secret plaisir les rives du Détroit, dont l'aspect enchanta tous ses compagnons: chaque point de vue leur sembla autant de lieux de plaisance et de belles campagnes. «Ceux, dit Hennepin, qui auront le bonheur de posséder un jour les terres de cet agréable et fertile pays, auront de l'obligation aux voyageurs qui leur en ont frayé le chemin, et qui ont traversé le lac Erié pendant cent lieues d'une navigation inconnue». C'est la Salle qui donna en passant au lac qu'il y a vers le milieu du Détroit, le nom de Ste. – Clair. Le 23 août, il entra dans le lac Huron, et arriva cinq jours après à Michilimackinac après avoir essuyé une grosse tempête. Les naturels en voyant s'élever à l'horison le vaisseau couvert de sa haute voilure blanche, furent tout interdits, et le bruit du canon acheva de les jeter dans une épouvante extraordinaire.

Le chef français couvert d'un manteau d'écarlate bordé de galon d'or, et suivi d'une garde, alla entendre la messe par terre à la chapelle des Outaouais: il y fut reçu avec beaucoup de politesse et de considération.

Le Griffon continuant son voyage, jeta enfin l'ancre heureusement dans la baie des Puans, sur la rive occidentale du lac Michigan, dans le mois de septembre. Telle fut la première navigation d'un vaisseau de haut bord sur les lacs du Canada. Les partis que La Salle entretenait dans ces contrées pour faire la traite, lui ayant ramassé un chargement de pelleteries, il renvoya son navire avec une riche cargaison à Niagara, afin de payer ses créanciers. Le Griffon fit voile le 18 septembre, et l'on n'en a plus entendu parler depuis. Cette perte considérable ne fut pas de moins de 50,000 à 60,000 francs.

Cependant La Salle après le départ de son vaisseau, continua sa route jusqu'au village de St. – Joseph au fond du lac Michigan, où il lui avait donné ordre de monter à son retour de Niagara. Il emmenait avec lui une trentaine d'hommes de différens métiers avec des armes et des marchandises. Rendu dans ce village, il fit bâtir dans les environs une maison et un fort pour la sûreté de ces marchandises, et en même temps pour servir de retraite à ses gens; il lui donna le nom de Fort des Miâmis. Cette fortification occupait la cime d'une montagne escarpée en forme de triangle, baignée de deux côtés par la rivière des Miâmis, et défendue de l'autre par une profonde ravine. Il fit baliser soigneusement l'entrée de la rivière dans l'attente du vaisseau sur la sûreté duquel dépendait en partie le succès de son entreprise, et il envoya deux hommes expérimentés à Michilimackinac pour le piloter dans le lac. Mais après l'avoir attendu longtemps, il commença à craindre quelque malheur. Quoique très inquiet de ce retard, l'hiver approchant il se décida à pénétrer chez les Illinois; et laissant dix hommes pour garder le fort, il partit accompagné de Tonti, de Hennepin avec deux autres missionnaires, et d'une trentaine de suivans. Il remonta la rivière des Miâmis, et après beaucoup de fatigues et de dangers, arriva vers la fin de décembre dans un village indien situé sur la rivière des Illinois, probablement dans le comté qui porte aujourd'hui son nom. La tribu était absente à la chasse du bison, et le village complètement désert.

Les Français continuèrent à descendre la rivière, et ne découvrirent les Illinois qu'au lac Peoria, qu'Hennepin appelle Pimiteoni, où il y en avait un camp nombreux. Ce peuple de moeurs douces et pacifiques, les reçut avec une généreuse hospitalité, et leur frotta les jambes, selon son usage lorsqu'il recevait des étrangers qui arrivaient d'une longue marche, avec de l'huile d'ours et de la graisse de taureau sauvage pour les délasser. La Salle lui fit des présens et contracta une alliance durable avec lui. Ce fut avec un plaisir extrême que cette nation apprit que les Français venaient pour fonder des colonies sur son territoire. Comme les Hurons du temps de Champlain, elle était exposée aux invasions des Iroquois; les Français seraient donc aussi pour elle un allié utile contre ces barbares avides et ambitieux, tandis qu'à son tour la Salle pourrait compter sur les dispositions bienveillantes de ce peuple. Les Illinois font leurs cabanes de nattes de jonc plat, doublées et cousues ensemble. Ils sont de grande stature, forts, robustes, adroits à l'arc et à la flèche; mais quelques auteurs les représentent comme errans, paresseux, lâches, libertins et sans respect pour leurs chefs. Ils ne connaissaient point l'usage des armes à feu lorsque les Français parurent au milieu d'eux.

Déjà les hommes de la Salle commençaient à murmurer, et disaient que puisqu'on ne recevait point de nouvelles du Griffon, c'est qu'il s'était perdu. Le découragement gagna ainsi une partie de sa troupe, et six hommes désertèrent dans une nuit. L'entreprise qui avait eu un commencement heureux, semblait maintenant tendre vers un dénouement contraire. Depuis quelque temps des obstacles naissaient chaque jour sous les pas de la Salle, et il fallait toute sa force d'âme pour les surmonter, et toute son éloquence pour rassurer sa petite colonie, à laquelle il fut enfin obligé de promettre la liberté de retourner en Canada au printemps, si les choses ne recevaient point de changement favorable. Afin d'occuper les esprits, et éloigner d'eux l'ennui et les mauvaises passions de l'oisiveté, il se détermina à bâtir un fort sur une éminence qu'il trouva à quatre journées au dessous du lac, sur la rivière des Illinois, et qu'il nomma le Fort de Crèvecoeur, pour marquer la rigueur de sa destinée et les angoisses cuisantes qui déchiraient alors son âme. Il mit aussi une barque en construction afin de descendre le Mississipi, tant il s'opiniâtrait à son dessein: les difficultés augmentaient son énergie.

Ayant besoin de gréement pour ce vaisseau, et ne sachant encore ce qu'était devenu le Griffon qui devait lui apporter les choses qu'il avait jugées nécessaires à son entreprise, il prit la résolution désespérée de retourner lui-même à pied au fort de Frontenac, dont il était éloigné de douze à quinze cents milles, pour faire acheminer ces objets vers le Mississipi. Il chargea avant de partir le P. Hennepin de descendre dans ce fleuve pour remonter aussi haut que possible vers sa source, et examiner les contrées qu'il arrose dans ses régions supérieures; et après avoir donné le commandement du fort à Tonti, il se mit en marche lui-même le 2 mars 1680, armé d'un mousquet et accompagné de quatre Français et d'un Sauvage, pour Catarocoui 133.

Note 133:(retour) Charlevoix, en suivant la relation supposé de Tonti, est tombé dans plusieurs erreurs sur l'expédition de la Salle à la rivière des Illinois, que l'on reconnaîtra facilement. Hennepin, témoin oculaire, est ici la meilleure autorité, corroborée qu'elle est par les lettres et la relation du P. Zénobe Mambré. Voir: Premier établissement de la Foi dans la Nouvelle-France.

Hennepin s'était mis en chemin cependant le 29 février. Il descendit la rivière des Illinois jusqu'au Mississipi, fit diverses courses dans cette région, puis remonta le fleuve jusqu'au dessus du Sault-St. – Antoine et tomba entre les mains des Sioux. Pendant sa captivité, ces barbares s'amusaient à lui faire écrire des mots de leur langue qu'il avait commencé à étudier: ils appelaient cela mettre du noir sur du blanc. Quand ils le voyaient consulter le vocabulaire qu'il s'était fait des termes de leur idiome, pour leur répondre, ils se disaient entre eux: il faut que cette chose blanche soit un esprit, puisqu'elle lui fait connaître tout ce que nous lui disons. Combien d'hommes civilisés sont encore sauvages pour des choses encore plus simples et plus faciles, et mettent dans leur ignorance sans cesse obstacle à des inventions et à des pratiques utiles.

Au bout de quelques mois les Sauvages permirent aux trois captifs français de retourner parmi leurs compatriotes, sur la promesse qu'ils leur firent de revenir l'année suivante. Un des chefs leur traça la route qu'ils devaient suivre sur un morceau de papier, et cette carte, dit Hennepin, nous servit aussi utilement que la boussole aurait pu le faire. Ils parvinrent, par la rivière Ouisconsin qui tombe dans le Mississipi, et la rivière aux Renards qui coule vers le côté opposé, à la mission de la baie du lac Michigan.

Telle fut l'expédition du P. Hennepin, qui reconnut, lui, le Mississipi depuis l'embouchure de l'Ohio jusqu'au Sault-St. – Antoine en remontant vers sa source, et qui entra probablement dans le Missouri un des grands affluens de ce fleuve. En revenant, il ne fut pas peu étonné de rencontrer vers le Ouisconsin, sur les bords du Mississipi, des traitans conduits par un nommé de Luth qui l'avaient probablement devancé dans ces régions lointaines.

Tandis que Hennepin explorait le haut du Mississipi, les affaires de la Salle empiraient de jour en jour à Crèvecoeur où commandait Tonti. Mais pour bien comprendre la cause des événemens qui obligèrent celui-ci à évacuer finalement ce poste, et celle des obstacles qui surgirent autour de la Salle, il est nécessaire de dire quelque chose de sa position en Canada, et des craintes qu'y excitaient dans le commerce les grands projets qu'il formait sans cesse touchant les contrées de l'Ouest. Arrivé dans le pays, comme je l'ai dit, sans fortune, mais avec une vaste ambition et des recommandations qui lui donnèrent accès auprès des personnes en autorité, et dont il cultiva l'amitié avec le plus grand soin, il devint bientôt l'objet de leur faveur spéciale, tandis que ses projets de découvertes et de colonisation excitaient contre lui l'envie des hommes médiocres et la jalousie des traitans, qui tremblèrent pour leurs intérêts. Cette crainte n'était pas en effet chimérique, puisqu'il obtint, avec la concession du fort de Frontenac, le privilége exclusif de la traite dans la partie supérieure du Canada. Ce monopole si injudicieusement donné, ameuta contre lui et les marchands et les coureurs de bois. Pendant qu'il était encore sur la rivière des Illinois, les premiers firent saisir tout ce qu'il possédait et avait laissé à leur portée; ils lui firent éprouver par là de grandes pertes en affaiblissant son crédit. De leur côté les derniers indisposaient contre lui les tribus sauvages, et intriguaient auprès de ses propres gens pour les faire déserter et pour faire manquer l'entreprise de leur chef 134. Ils excitèrent ainsi les Iroquois et les Miâmis à prendre les armes contre les Illinois ses alliés, par des correspondances qu'ils entretenaient chez ces peuples. Rien n'égalait l'activité de ces traitans; ils suivaient la Salle à la piste, ils faisaient une espèce de concurrence sourde à son privilège chez toutes les nations sauvages, et semaient par tous les moyens que l'intérêt peut suggérer, des obstacles à l'accomplissement de ses desseins. A cette opposition intérieure, venaient se joindre les intrigues des colonies anglaises, qui voyaient naturellement d'un mauvais oeil les découvertes et l'esprit d'agrandissement des Français; aussi encouragèrent-elles les Iroquois à fondre sur leurs alliés dans la vallée du Mississipi. Il n'est donc pas surprenant si, ayant à lutter contre une opposition aussi nombreuse et aussi formidable, la Salle n'a pu exécuter qu'une partie d'un plan qui était d'ailleurs au-dessus des forces d'un simple individu, et s'il a à la fin entièrement succombé.

Note 134:(retour) Leclerc et Zénobe Mambré: – «L'entreprise qui devait être soutenue par toutes les personnes bien intentionnées pour la gloire de Dieu et pour le service du roi, avait produit des dispositions et des effets bien contraires, dont on avait déjà imprimé les sentimens aux Hurons, aux Outaouais de l'Ile, et aux nations voisines pour leur causer de l'ombrage: le sieur de la Salle y trouva même encore les 15 hommes qu'il avait envoyés au printemps (1679) prévenus à son désavantage, et débauchés de son service; une partie de ses marchandises dissipée, bien loin d'avoir poussé aux Illinois, pour y faire la traite suivant l'ordre qu'ils en avaient, le sieur de Tonti qui était à leur tête ayant fait inutilement tous ses efforts pour leur inspirer la fidélité».

Cependant Tonti qu'il avait été chargé de la garde du fort de Crèvecoeur, travaillait à s'attacher les Illinois en parcourant leurs bourgades. Ayant appris que les Miâmis voulaient se joindre aux Iroquois pour les attaquer, il se hâta d'enseigner aux nouveaux alliés des Français l'usage des armes à feu pour les mettre sur un pied d'égalité avec ces deux nations qui avaient adopté le fusil. Il leur montra aussi la manière de se fortifier avec des palissades, et érigea sur un rocher de deux cents pieds de hauteur, baigné par une rivière qui coule au pied, un petit fort. Il était ainsi occupé à ces travaux lorsque presque tous les hommes qu'il avait laissés à Crèvecoeur, travaillés par quelques mécontens qui réveillèrent leur ennui et leurs soupçons, pillèrent les munitions et les vivres et désertèrent.

Il n'y avait plus à en douter maintenant, les ennemis de la Salle avaient réussi à armer les cinq nations, qui parurent à l'improviste dans le pays des Illinois dans le mois de septembre (1680), et jetèrent ce peuple mou et faible dans la plus grande frayeur. Cette invasion mettait dans le plus grand danger les Français. Tonti s'empressa d'intervenir, et l'on fit une espèce de paix, que les envahisseurs, voyant la crainte qu'on avait d'eux, ne se firent aucun scrupule de violer; ils commirent des hostilités, déterrèrent les morts, dévastèrent les champs de maïs, etc. Les Illinois, retraitant vers le Mississipi, se dissipèrent peu à peu et laissèrent les Français seuls au milieu de leurs ennemis. Tonti n'ayant avec lui que cinq hommes et deux Récollets, résolut d'abandonner la contrée. Les débris de cette petite colonie partirent sans provisions, dans un méchant canot d'écorce, se reposant sur la chasse et sur la pêche pour vivre en chemin.

Tandis qu'ils descendaient par le côté nord le lac Michigan, la Salle le remontait par le côté sud avec un renfort d'hommes et des agrès pour son brigantin. Il ne trouva en conséquence personne au poste qu'il avait établi sur la rivière des Illinois. Cela lui fit perdre une autre année, qu'il passa en diverses courses: il visita un grand nombre de tribus, entre autres les Outagamis et les Miâmis, qu'il réussit à détacher de l'alliance des cinq nations, qui après le départ de Tonti, avaient à ce qu'il paraît chassé une partie des Illinois au-delà du Mississipi chez les Osages. Il retourna ensuite à Catarocoui et à Montréal pour mettre ordre à ses affaires qui étaient fort dérangées. Il avait fait des pertes considérables 135. Il réussit cependant à s'entendre avec ses créanciers, auxquels il laissa la liberté du commerce dans les immenses pays qui dépendaient de sa concession du fort de Frontenac, et reçut même d'eux en retour de nouvelles avances pour continuer ses découvertes. Il abandonna le plan trop vaste qu'il avait formé d'établir des forts et des colonies sur divers points de sa route en gagnant la mer. Prévoyant même des embarras, il prit le parti de continuer son voyage dans les esquifs légers et rapides des Indigènes.

Note 135:(retour) «Un vaisseau chargé de vingt deux milles livres de marchandises pour son compte venait de périr dans le golfe St. – Laurent; des canots montant de Montréal au fort de Frontenac, chargés pareillement de marchandises, s'étaient perdus dans les rapides. Il disait qu'à l'exception de M. le comte de Frontenac, il semblait que tout le Canada eût conjuré contre son entreprise; que l'on avait déhanché ses gens qu'il avait amenés de France, dont une partie s'était échappée avec ses effets par la Nouvelle Hollande, et qu'à l'égard des Canadiens qui s'étaient donnés à lui, l'on avait trouvé moyen de les dégoûter et de les détacher de ses intérêts». Dans tous ses malheurs, dit un missionnaire, je n'ai jamais remarqué en lui la moindre altération, paraissant toujours dans son sang froid et sa possession ordinaire, et je le vis plus résolu que jamais de continuer son ouvrage et de pousser sa découverte».

Il repartit donc avec Tonti et le P. Mambré, 24 Français et 18 Sauvages aguerris, tant Mahingans ou Loups qu'Abénaquis, les deux peuples les plus braves de l'Amérique, et atteignit le Mississipi le 6 février (1682).

Comme Marquette il s'abandonna au courant du grand fleuve. La douceur du climat et la beauté du pays réveillaient, à mesure qu'il avançait, ses anciennes espérances de fortune et de gloire. Il reconnut les Arkansas et d'autres tribus visitées par Marquette, et il traversa, en approchant de la mer, une foule de nations qui le considéraient avec surprise, entre autres les Chicasaws, les Taensas, les Chactas, et enfin les Natchez rendus si célèbres par les écrits de Chateaubriand. S'étant arrêté plusieurs fois, il ne parvint à l'embouchure du fleuve que vers le 9 avril, qu'il aperçut enfin l'Océan se déployer majestueusement devant lui sous le beau ciel chaud dés régions voisines du tropique. Un cri d'enthousiasme et de triomphe s'échappa de sa bouche! Il avait donc atteint le but de plusieurs années de soucis, de travaux et de dangers, et assuré par sa persévérance une noble conquête à sa patrie. Il prit solennellement possession de la vallée du Mississipi pour la France, et donna le nom de Louisiane à cette contrée en l'honneur de Louis XIV, nom conservé aujourd'hui au riche Etat situé sur le golfe du Mexique, dont la Nouvelle Orléans, fondée par un de nos compatriotes, est la capitale.