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Buch lesen: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I», Seite 17

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LIVRE IV

CHAPITRE I.
LUTTES DE L'ÉTAT ET DE L'ÉGLISE.
1663-1682

Le conseil souverain: division au sujet du syndic des habitations. – M. de Mésy suspend les conseillers de l'opposition. – Moyen étrange qu'il veut employer pour les remplacer. – Nouveaux membres nommés. – M. de Villeray passe en France pour porter les plaintes contre lui. – Il est révoqué; sa mort. – M. de Courcelles lui succède. – Arrivée de M. de Tracy, vice-roi, de M. de Courcelles et de M. Talon 1er. intendant, d'un grand nombre d'émigrans et du régiment de Carignan. – La liberté du commerce est accordée à la colonie, sauf certaines réserves. – Guerre contre les Iroquois. – Deux invasions de leurs cantons les forcent à demander la paix. – M. de Tracy repasse en France. – Le projet de franciser les Indiens échoue. – L'intendant suggère de restreindre l'autorité du clergé dans les affaires temporelles. – Travaux et activité prodigieuse de Talon; impulsion qu'il donne à l'agriculture et au commerce. – Licenciement du régiment de Carignan à condition que les soldats s'établiront dans le pays. – Talon passe en France. – Le gouverneur empêche les Iroquois d'attirer la traite des pays occidentaux à la Nouvelle-York; et apaise les Indiens prêts à se faire la guerre. – Mortalité effrayante parmi eux. – Talon, revenu en Canada, forme le vaste projet de soumettre à la France tout l'occident de l'Amérique. – Traité du Sault-Ste. – Marie avec les nations occidentales qui reconnaissent la suprématie française. – Fondation de Catarocoui (Kingston). – Le comte de Frontenac remplace M. de Courcelles: ses talens, son caractère. – Discours qu'il fait au conseil souverain. – Lois nombreuses décrétées touchant l'administration de la justice et d'autres objets d'utilité publique. – Suppression de la compagnie des Indes occidentales. – Division entre M. de Frontenac et M. Perrot gouverneur de Montréal; celui-ci est emprisonné au château St. – Louis. – Le clergé appuie M. Perrot. Le conseil souverain est saisi de l'affaire qui est finalement renvoyée au roi. – M. Duchesneau relève M. Talon. – Querelles avec M. de Pétrée au sujet de la traite de l'eau-de-vie. – Dissensions entre le gouverneur et M. Duchesneau: ils sont rappelés tous deux. – Rivalité de l'Eglise et du gouvernement. – Arrivée de M. de la Barre qui vient remplacer M. de Frontenac.

Nous avons laissé le gouverneur aux prises avec une partie de son conseil au commencement de l'avant-dernier chapitre. L'opposition que le prêtre de Charny, représentant M. de Pétrée, la Ferté, son beau frère, et d'Auteuil, faisaient à l'élection d'un syndic des habitations, élection recommencée par trois fois, acheva de brouiller tout à fait M. de Mésy et l'évêque.

Le premier, voyant «l'opiniâtreté de la faction», c'est ainsi qu'il s'exprime, demanda l'ajournement du conseil, où il s'était rendu, pour recevoir le serment du syndic élu. Mais s'étant ravisé, dans une séance subséquente il procéda à l'accomplissement de cette formalité, malgré les protestations de M. de Charny et des autres membres de l'opposition, auxquels il fut répondu que la convocation des assemblées publiques n'était pas de la compétence du conseil.

Cette opposition se composait des membres déjà nommés, de Villeray et du procureur général Bourdon. Ils tenaient pour M. de Pétrée, qui se trouvait ainsi avoir la majorité dans le conseil, le gouverneur n'ayant pour lui que le Gardeur et d'Amours. Le peuple était bien aussi pour ce dernier, mais le peuple était sans influence sur ce corps; de sorte qu'il ne restait plus à M. de Mésy d'autre alternative que de se soumettre à la volonté de son adversaire, ou de se faire une majorité en essayant les chances d'un coup d'état, dernier refuge d'une administration chancelante. Il prit ce dernier parti qui était plus conforme à son caractère, et il suspendit de leurs fonctions tous les membres partisans de M. de Pétrée, donnant pour raison que celui-ci les avait désignés à son choix, parcequ'il les connaissait pour être de ses créatures; et «qu'ils avaient voulu se rendre les maîtres et sacrifier les intérêts du roi et du public à ceux des particuliers».

Le roi, soit par défiance des gouverneurs, soit pour captiver la bonne volonté du clergé, soit enfin pour se conformer à l'esprit de la constitution politique du royaume, où le clergé comme corps formait un des pouvoirs de l'Etat conjointement avec la noblesse et le peuple, avait adjoint à ces mêmes gouverneurs le chef du sacerdoce, toujours si puissant, pour faire, comme nous l'avons déjà dit, la nomination annuelle des membres du conseil. Ce partage d'autorité jetait l'évêque dans l'arène politique, en même temps qu'il en faisait un égal, ou plutôt un rival et un observateur du chef du gouvernement de la colonie dans l'exercice de l'une des prérogatives les plus importantes de la couronne. Ce système défectueux devait être, et fut en effet, la cause d'une foule de difficultés.

M. de Mésy, en suspendant de sa propre et seule autorité la majorité des membres du conseil, avait violé l'édit constitutif de ce corps; car s'il n'en pouvait nommer les membres sans le concours de l'évêque, ce concours devait être aussi nécessaire pour les suspendre, et il lui avait été refusé.

Pour remplacer les conseillers interdits, il voulut employer un moyen qui doit nous paraître assez étrange, vu la nature du gouvernement d'alors, mais qui montre combien il désirait obtenir l'appui du peuple, en le faisant intervenir dans les affaires politiques. Il proposa de convoquer une assemblée publique pour procéder, par l'avis des habitans, à la nomination des nouveaux conseillers; et il motiva cet appel au peuple de manière à faire entendre qu'il avait été induit en erreur lors du premier choix, et que, ne connaissant pas encore assez les hommes et les choses dans la colonie, il avait besoin d'être éclairé par une expression solennelle de l'opinion publique.

Comme on devait s'y attendre, et à cause de la nature de la convocation, et à cause des accusations qu'elle comportait, M. de Pétrée refusa de donner son consentement 115; et l'assemblée n'eut pas lieu.

Note 115:(retour) «M. l'évêque se refuse à la sommation d'un procureur-général et des conseillers au lieu et place de ceux que le gouverneur prétend être interdits; que sa conscience, ni son honneur, ni sa fidélité au pouvoir du roi, ne le pouvaient permettre jusqu'à ce que les dits officiers du dit conseil fussent convaincus des crimes dont la dite ordonnance d'interdiction les accuse». Registre du conseil souverain.

Les choses en restèrent là jusqu'à la fin de l'année des conseillers, c'est-à-dire jusqu'à l'époque où il fallait renouveler leur nomination. Alors, le gouverneur, après avoir fait inviter au conseil M. de Pétrée, qui s'excusa de ne pouvoir s'y rendre, remplaça les membres suspendus par MM. Denis, de la Tesserie et Péronne Demazé. Il révoqua aussi le procureur-général Bourdon, qui était présent, et qui lui nia le droit de le destituer. En effet, l'édit de création du conseil en décrétant la nomination annuelle des membres, gardait le silence sur ce fonctionnaire. Le gouverneur lui ordonna de se retirer, et il nomma sur le champ à sa place M. Chartier de Lotbinière. Le greffier en chef, M. Peuvret, subit le même sort, et eut pour successeur M. Fillion, notaire.

Ces discordes avaient leur contre-coup au dehors; le public tout en blâmant la violence de M. de Mésy, violence qui l'entraînait au delà des bornes de la légalité, inclinait pour lui cependant contre M. de Pétrée, que la question des dîmes rendait alors très impopulaire. Le clergé au contraire prit la défense de son chef, et les chaires retentirent de nouveau au bruit des disputes politiques.

Pendant ce temps là M. de Villeray était passé en France pour porter devant le roi les accusations de l'évêque, des conseillers suspendus et les siennes propres, contre le gouverneur. Elles furent accueillies par la métropole comme le sont en général celles qui viennent du parti le moins exigeant en fait de liberté dans une colonie.

Les velléités libérales de M. de Mésy, ses appels au principe électif et au peuple, eurent alors leur récompense. Louis XIV dut voir, et il vit en effet, d'un mauvais oeil cette conduite de son représentant, qu'il sacrifia sans hésitation et sans regret à la satisfaction du prélat. Ainsi celui-ci triomphait une seconde fois des gouverneurs de la colonie; mais la disgrâce de M. de Mésy sembla encore plus complète que celle du baron d'Avaugour.

Colbert tira néanmoins pour conclusion de toutes ces querelles, que les laïques ne se soumettraient jamais paisiblement au pouvoir que voulait s'arroger M. de Pétrée dans les affaires temporelles. Il crut donc qu'il fallait prendre de bonnes précautions pour mettre des bornes à la puissance des ecclésiastiques et des missionnaires supposé qu'on vérifiât qu'elle allait trop loin; et dans cette vue, il songea à choisir pour la colonie des chefs, qui fussent de caractère à ne donner aucune prise sur leur conduite, et à ne pas souffrir qu'on partageât avec eux une autorité, dont il convenait qu'ils fussent seuls revêtus 116.

Note 116:(retour) Charlevoix à qui nous empruntons ces dernières paroles, garde le silence sur le sujet réel de la dispute et sur tous les détails que nous venons de donner, qu'il ignorait probablement, et que nous n'avons trouvés, nous, que dans les registres du conseil souverain déposés aux archives de la province.

Cependant le Canada avait été concédé de nouveau à la compagnie des Indes occidentales «en toute seigneurie, propriété et justice» par l'édit du roi du mois de mai 1664. Cette compagnie gigantesque se trouva par cet acte maîtresse de toutes les possessions françaises dans les deux hémisphères. A sa demande, le roi nomma les premiers gouverneurs provinciaux et un vice-roi pour l'Amérique. Alexandre de Prouville, marquis de Tracy, lieutenant-général dans les armées, fut choisi pour remplir ce dernier poste, avec ordre de se rendre d'abord dans les îles du golfe du Mexique, et ensuite en Canada qu'il devait travailler à consolider au dedans et au dehors. C'est pendant qu'il se rendait en Amérique que les plaintes contre M. de Mésy étaient parvenues à la cour. On faisait demander en même temps, pour peupler le pays, des familles de la Normandie, de la Picardie, de l'île de France et des provinces circonvoisines, au lieu de celles du Sud, où il y avait beaucoup de protestans et moins de gens propres à la culture des terres.

Daniel de Rémi, seigneur de Courcelles, fut nommé pour remplacer M. de Mésy, et M. Talon, intendant en Hainaut, M. Robert, qui n'était, comme on l'a dit, jamais venu en Canada. Ils furent chargés conjointement avec le marquis de Tracy d'informer contre le gouverneur révoqué et de lui faire son procès; mais Dieu, observe le doyen du chapitre de Québec, termina tout heureusement par la pénitence et la mort du coupable, paroles d'une vengeance satisfaite, et qui montrent jusqu'où l'esprit du parti était monté.

Avant d'expirer, M. de Mésy dont ses ennemis ont cherché à outrer tantôt les emportemens et tantôt la faiblesse, écrivit une lettre au vice-roi dont une partie se trouve dans les procès-verbaux du conseil souverain, dans laquelle il proteste que dans tout ce qu'il a fait, il n'a été guidé que par l'intérêt de sa majesté, et le désir d'avancer le bien-être de la colonie. Vous éclaircirez, dit-il, bien mieux que moi les choses que j'aurais pu faire savoir au roi touchant la conduite de M. de Pétrée et des Jésuites dans les affaires temporelles. Je ne sais néanmoins si je ne me serais point trompé en me laissant un peu trop légèrement persuader par les rapports qu'on m'a faits sur leur compte. Je remets toutefois à votre prudence et à vos bons examens le règlement de cette affaire. (Voir la lettre de M. de Mésy, Appendice C.)

Il laissa les rênes du gouvernement jusqu'à l'arrivée de M. de Courcelles à M. de la Potherie, auquel l'on refusa le droit de siéger au conseil, par suite d'une interprétation fort rigoureuse, ce nous semble, des pouvoirs de délégation du gouverneur défunt.

Pendant que ceci se passait, des commandemens avaient été reçus de la cour afin de faire tous les préparatifs nécessaires pour la guerre que l'on voulait pousser avec vigueur contré les Iroquois. Une levée des habitans du pays fut ordonnée, et le régiment de Carignan, qui venait d'arriver en France de la Hongrie où il s'était beaucoup distingué contre les Turcs, reçut ordre de s'embarquer immédiatement pour l'Amérique.

Le marquis de Tracy arriva à Québec dans le mois de juin (1665), venant de la baie du Mexique, où il avait repris Cayenne sur les Hollandais, et remis plusieurs îles de l'archipel au pouvoir du roi. Il débarqua au milieu des acclamations de la population qui l'accompagna jusqu'à la cathédrale; l'évêque de Québec vint processionnellement le recevoir à la tête de son clergé sur le parvis, et le conduisit au pied du choeur où un prie-dieu lui avait été préparé. Le pieux vice-roi le refusa et voulut s'agenouiller humblement sur le pavé nu de la basilique. Après le chant du Te Deum, le prélat le reconduisit avec les mêmes honneurs. Toutes les autorités de la colonie allèrent ensuite lui présenter leurs hommages.

Quatre compagnies du régiment de Carignan étaient déjà débarquées; il en arriva encore de juin à décembre vingt autres avec leur colonel, M. de Salières. Les vaisseaux qui les amenaient, portaient aussi M. de Courcelles et M. Talon, un grand nombre de familles, d'artisans et d'engagés; des boeufs, des moutons, et les premiers chevaux qu'on ait vu dans le pays. Ce noble animal excitait particulièrement l'admiration des Sauvages, qui s'étonnaient de le voir si traitable et si souple à la volonté de l'homme.

Dès que le vice-roi eut reçu ses renforts, il songea à mettre un terme aux déprédations que continuaient de faire les Iroquois, et à exécuter les ordres de la cour; mais cette tâche était difficile dans l'état où se trouvait le pays. Il fit élever, pour commencer, trois forts sur la rivière Richelieu qui était la route que suivaient ordinairement ces barbares, et où l'on avait déjà construit quelques ouvrages plusieurs années auparavant; il les plaça l'un à Sorel, l'autre à Chambly, et le troisième à trois lieues plus loin, et y laissa pour commandans des officiers dont ces lieux tiennent leurs noms. D'autres postes fortifiés furent encore établis peu de temps après à Ste. – Anne et à St. – Jean. Ces petits ouvrages en imposèrent d'abord aux Iroquois, mais ils se frayèrent bientôt de nouvelles routes et l'on put s'apercevoir qu'un bon fort jeté dans le coeur de la confédération, leur eût inspiré une terreur plus durable et plus salutaire, en même temps qu'il eût paralysé leurs mouvemens. Néanmoins cette année-là les récoltes se firent assez tranquillement.

Pendant que le vice-roi prenait ainsi des mesures pour mettre la colonie à l'abri des ennemis, M. Talon, resté à Québec, s'occupait de l'administration inférieure, examinant et appréciant tout, afin d'en faire rapport à Colbert. La mort de M. de Mésy ayant mis fin aux accusations portées contre lui, et débarrassé la nouvelle administration d'une affaire difficile, elle put s'occuper de suite de choses plus utiles pour le pays. L'intendant avait des vues élevées et de l'indépendance dans le caractère: il jugea au premier coup-d'oeil de quelle importance le Canada était pour la métropole, et il réclama la liberté du commerce pour les colons qui avaient déjà fait des représentations à cet égard par leur syndic M. Jean Le Mire au conseil souverain (1668). Il insista sur leur émancipation de la compagnie des Indes occidentales qui voulait faire peser sur eux un affreux monopole. Si sa majesté, dit-il dans son rapport du mois d'octobre 1665, veut faire quelque chose du Canada, il me paraît qu'elle ne réussira, qu'en le retirant des mains de la compagnie; et qu'en y donnant une grande liberté de commerce aux habitans, à l'exclusion des seuls étrangers 117. Si au contraire elle ne regarde ce pays que comme un lieu propre à la traite des pelleteries et au débit de quelques denrées qui sortent de son royaume, elle n'a qu'à le laisser entre les mains de la compagnie. Mais en ce cas, elle pourrait compter de le perdre; car sur la première déclaration que cette compagnie y a faite d'abolir toute liberté commerciale, et d'empêcher les habitans de rien importer eux-mêmes de France, même pour leur subsistance, tout le monde a été révolté. Au reste une pareille politique enrichirait, il est vrai la compagnie, mais ruinerait les colons canadiens, et serait par cela même un obstacle à l'établissement du pays.

Note 117:(retour) Une lettre du conseil souverain à M. Colbert qui se trouve au long dans ses procès-verbaux de 1668, contient entre autres choses la même recommandation.

Ces représentations si sages ne furent pas sans effet. Dès le 8 avril suivant, par un arrêt du conseil du roi, la compagnie abandonna à la colonie la traite des pelleteries avec les Sauvages telle qu'elle lui avait été concédée par l'ancienne société, et lui rendit la liberté du commerce avec la France, se réservant le droit du quart sur les castors, du dixième sur les orignaux et la traite de Tadoussac, mais encore s'obligeant de payer, pour cette réserve, les juges ordinaires, dont, suivant M. Gaudais, la subvention se montait à 48,950 livres, monnaie d'alors.

Il était grandement temps que cette réforme commerciale s'effectuât. Tout était tombé dans une langueur mortelle. Le conseil souverain avait été obligé de faire réglemens sur réglemens pour satisfaire les habitans qui poussaient de grandes clameurs; et d'une ordonnance à l'autre le commerce s'était trouvé soumis à un véritable esclavage. Le conseil voulut limiter, par exemple, par un tarif le prix des marchandises dont la compagnie des Indes occidentales avait le monopole, et qui étaient devenues d'une cherté excessive; tout de suite elles disparurent du marché, et l'on ne pouvait s'en procurer à quelque prix que ce fût. Cet état de choses, qui ne pouvait durer sans remettre en question l'existence de la colonie, cessa dès que le commerce avec les Indigènes et avec la France redevint libre, tant il est vrai que là où il n'y a pas de liberté, il ne peut y avoir de négoce.

Sur la fin de l'année, trois des cinq cantons de la confédération iroquoise envoyèrent des députés avec des présens pour solliciter la paix. Le chef Garakonthié en formait partie; c'était, comme on sait, un ami des Français. Le marquis de Tracy lui montra beaucoup d'amitié, et la paix fut conclue à des conditions honorables pour les deux parties. Les députés s'en retournèrent dans leur pays chargés de présens. Les Agniers et les Onneyouths étaient restés chez eux. L'on prit immédiatement les moyens d'aller porter la guerre au milieu de ces tribus, pour les châtier de leurs brigandages et les forcer à demander aussi la paix. Deux corps de troupes commandés, l'un par le gouverneur, M. de Courcelles, et l'autre par M. de Sorel, se mirent en marche dans le cours de l'hiver.

Effrayés, les Onneyouths s'empressèrent d'envoyer des ambassadeurs à Québec, pour conjurer l'orage. Ils étaient aussi, dit-on, chargés des pleins pouvoirs des Agniers, dont les bandes continuaient cependant la guerre, et venaient de massacrer encore trois officiers qu'ils avaient surpris, dont un neveu du vice-roi. Malgré cela, la négociation aurait probablement réussi, sans l'insolence barbare d'un chef Agnier qui s'était joint à la députation, et qui étant à table un jour chez le marquis de Tracy, leva le bras en disant que c'était ce bras qui avait tué son neveu. Ce propos excita l'indignation de tous les assistans. Le vice-roi lui répondit qu'il ne tuerait plus personne, et à l'instant même des gardes l'entraînèrent hors de la salle, et il fut étranglé par la main du bourreau. Cette justice qui ne peut être justifiée que par la nécessité où l'on était d'en imposer à ces barbares par la frayeur, ne laissa pas, toute sommaire qu'elle était, que d'avoir un bon effet.

Cependant M. de Courcelles, ignorant ce qui se passait dans le capitale, parvint chez les Agniers après une marche pénible de 700 milles au milieu des forêts et des neiges, se tenant toujours à la tête de ses troupes et portant ses provisions et ses armes comme le dernier des soldats. La milice canadienne qui s'est tant distinguée depuis par sa bravoure, par la patience avec laquelle elle supportait les fatigues, et par la hardiesse de ses expéditions, commence à paraître ici sur la scène du monde. Elle était commandée dans cette campagne par la Vallière, St. – Denis, Giffard et le Gardeur, tous braves gentilshommes.

L'on trouva toutes les bourgades du canton désertes. La plupart des guerriers qui ne s'attendaient pas à une invasion dans cette saison de l'année, étaient à la chasse; et les femmes, les enfants et les vieillards avaient pris la fuite à la première apparition des Français. De sorte qu'on ne put tirer la vengeance que l'on méditait d'eux; cependant cette brusque attaque, faite au sein de l'hiver, causa de l'étonnement chez les Iroquois, étonnement que la campagne entreprit contre eux l'été suivant changea en une terreur salutaire.

Le marquis de Tracy quoiqu'âgé de soixante et quelques années, voulut commander lui-même en personne cette nouvelle expédition, forte de 600 soldats de Carignan, de presque tous les habitans capables de porter les armes, puisqu'on y comptait 600 Canadiens, et d'une centaine de Sauvages.

L'armée, retardée dans sa marche par le passage des rivières et les embarras de forêts épaisses qu'on était obligé de traverser, épuisa ses provisions avant d'atteindre l'ennemi; et sans un bois de Châtaigniers qu'elle rencontra sur son chemin et dont les fruits la sustentèrent, elle allait être obligée de se débander pour trouver de quoi vivre.

Les Agniers n'osèrent pas attendre les Français, qui traversèrent tambour battant, drapeaux déployés, tous leurs villages. Au dernier, ils firent un instant mine de vouloir livrer bataille; mais à la vue de nos préparatifs pour le combat, le coeur leur manqua et ils prirent la fuite. L'on pilla leurs provisions dans les cabanes et dans les caches sous terre, où l'on savait qu'ils en conservaient de grandes quantités, surtout de maïs; l'on en emporta ce que l'on put, et le reste fut détruit ainsi que toutes les bourgades du canton qui devinrent la proie des flammes.

Ces pertes abattirent l'orgueil de ces barbares accoutumés depuis longtemps à faire trembler leurs ennemis. Ils vinrent demander humblement la paix à Québec; et c'était tout ce que l'on voulait: nous n'avions intérêt qu'à maintenir la bonne intelligence entre toutes les nations indiennes. Elle fut signée en 1666 et dura jusqu'en 1684, alors que les Anglais, maîtres depuis quelques années de la Nouvelle-Belgique, commencèrent à faire une concurrence active aux Canadiens dans la traite avec les Indigènes, et à travailler à leur détacher les Iroquois.

M. de Tracy repassa en France l'année suivante (1667) après avoir mis la compagnie des Indes occidentales en possession des droits qui lui avaient été reconnus par l'arrêt du 8 avril 1666. Le gouvernement de cet actif vieillard, aidé de M. Talon, fut marqué par deux événemens qui eurent des conséquences heureuses pour la colonie, savoir: la conclusion de la paix avec la confédération iroquoise, qui laissa jouir le Canada pendant longtemps d'une profonde tranquillité, et lui permit de faire les découvertes les plus brillantes dans l'intérieur du continent, découvertes dont nous parlerons ailleurs; et l'abolition du monopole que la nouvelle compagnie y avait organisé, et qui avait eu l'effet de nous placer dans la plus funeste servitude.

L'on avait formé à Paris le projet de franciser les Indiens, et M. Talon avait été chargé par la cour d'engager les missionnaires à entreprendre cette oeuvre difficile, en instruisant les enfans dans la langue française, et en les façonnant à la manière de vivre des Européens. Toutes les tentatives échouèrent. Le marquis de Tracy fit à cet égard des représentations dont Colbert reconnut la sagesse, et l'on abandonna un projet qui ne présentait en effet que des dangers.

Malgré la réorganisation du conseil souverain auquel furent nommés de nouveau tous les anciens membres suspendus par M. de Mésy, et M. le Barrois, agent de la compagnie des Indes occidentales, et malgré le rétablissement de MM. Bourdon et de Peuvret dans leurs charges respectives de procureur-général et de greffier en chef du conseil, ce qui semblait donner complètement gain de cause au parti de M. de Pétrée, le ministère n'en chercha pas moins à restreindre l'autorité du clergé dans les affaires temporelles, et à suivre les conseils que le gouvernement local lui adressait, lorsqu'ils lui paraissaient dictés par la raison et une prudence éclairée 118.

Note 118:(retour) On peut voir à ce sujet le Mémoire que Talon adressait à Colbert en 1667, et que la Société littéraire et historique a publié en 1840 dans sa Collection de mémoires et relations sur les premiers temps du Canada.

La religion a joué un grand rôle dans l'établissement du Canada; et ce serait manquer de justice que de ne pas reconnaître tout ce qu'elle a fait pour lui, même dans les temps les plus critiques. Le missionnaire a marché côte à côte avec le défricheur dans la forêt pour le consoler et l'encourager dans sa rude tâche; il a suivi et quelquefois devancé le traitant dans ses courses lointaines et aventureuses; il s'est établi au milieu des tribus les plus reculées pour y annoncer la parole de Dieu, y répandre la civilisation, et on l'a vu tomber héroïquement sous la hache des barbares qui avaient déclaré une guerre mortelle et à ses doctrines et aux nations qui avaient eu le malheur de les recevoir.

Le dévouement du missionnaire catholique a été enfin sans borne dans l'accomplissement de cette tâche sainte; jamais ce dévouement ne sera surpassé.

Mais si son influence est indispensable au début de la civilisation; si la religion est nécessaire aux peuples civilisés dont elle est le bien le plus précieux, l'expérience semble prouver aussi que le clergé doit autant que possible se tenir éloigné des affaires et des passions du monde, afin de conserver ce caractère de désintéressement et d'impartialité si nécessaire à ceux qui sont établis pour instruire les hommes sur leurs devoirs moraux, ou pour les juger.

Talon paraît avoir été pénétré de cette vérité, et tout en entourant le clergé de respect et de considération, et tout en inspirant ces sentimens au peuple, il traçait les bornes qui ne devaient pas être dépassées par les ecclésiastiques. Mais il fallut encore une longue expérience, et des collisions souvent répétées pour convaincre la cour de la sagesse de cette politique, la cour, elle, accoutumée à voir ce corps puissant jouer un si grand rôle dans l'Etat depuis l'origine de la monarchie.

Cependant la paix, qui était rétablie au dedans et au dehors, favorisait l'intendant dans ses projets d'amélioration à la réalisation desquels il travaillait avec une ardeur extraordinaire; il ne cessait pas de vanter à Colbert tous les avantages qu'on pourrait retirer du pays si on savait les utiliser. La colonie du Canada, écrivait-il encore, peut aider par ses productions à la subsistance des Antilles, et leur devenir un secours assuré si celui de France venait à leur manquer; elle pourrait leur fournir de la farine, des légumes, du poisson, des bois, des huiles, et d'autres choses qu'on n'a pas encore découvertes.

A mesure qu'elle recevra des accroissemens, elle pourra, par ses peuples naturellement guerriers et disposés à toutes sortes de fatigues, soutenir le partie française de l'Amérique méridionale, si l'ancienne France se trouvait hors d'état de le faire, et cela d'autant plus aisément qu'elle aura elle-même des vaisseaux. Ce n'est pas tout, continuait l'intendant, si son commerce et sa population augmentent, elle tirera de la mère-patrie tout ce qui pourra lui manquer, et par ses importations du royaume elle contribuera à l'accroissement du revenu du roi, et accommodera les producteurs français en achetant le surplus de leurs marchandises.

Au contraire, si la Nouvelle-France n'est pas soutenue, elle tombera entre les mains des Anglais, ou des Hollandais ou des Suédois; et l'avantage que l'on perdra en perdant cette colonie, n'est pas si peu considérable que la compagnie ne doive convenir que cette année il passe de la nouvelle en l'ancienne France pour près de cinq cent cinquante mille francs de pelleteries.

Par toutes ces raisons, comme par celles qui sont connues dont on ne parle pas, ou qui sont cachées et que le temps fera seul découvrir, l'on doit se convaincre que le Canada est d'une utilité inappréciable.

L'intendant dont tous les actes nous révèlent un homme à vues larges, à connaissances positives, avait l'oeil à tout, embrassait tout, donnait de la vie à tout. Entre autres soins, il faisait faire des recherches métallurgiques. En venant de France, il s'était fait débarquer lui-même à Gaspé, où il découvrit du fer. L'année suivante, en 1666, il avait envoyé un ingénieur, M. de la Tesserie, à la baie St. – Paul, lequel rapporta en avoir trouvé une mine très abondante; il espérait même y trouver du cuivre et peut-être de l'argent. Lorsque M. Talon passa en France, deux ans après, il engagea Colbert à faire continuer ces explorations. M. de la Potardière fut en conséquence envoyé en Canada, où on lui présenta des épreuves de deux mines que l'on venait de découvrir aux environs des Trois-Rivières. Ayant visité les lieux, il déclara qu'il n'était pas possible de voir des mines qui promissent davantage, soit pour la bonté du fer, soit pour l'abondance. Ce fer est en effet supérieur à celui de la Suède.

Talon qui était par dessus tout un homme essentiellement pratique, ne s'en tenait pas à des recherches, à des études, à des rapports. Il fonda ou encouragea une foule d'industries, fit faire de nombreux essais de culture, établit de nouvelles branches de commerce, noua des correspondances avec la France, les Antilles, Madère, et d'autres places dans l'ancien et le nouveau monde, ouvrit des pêches de toutes sortes de poissons dans le St. – Laurent et ses nombreux affluens. La pêche du loup-marin fut encouragée, et bientôt elle produisit de l'huile non seulement pour la consommation du pays, mais encore pour l'exportation en France et dans les Antilles, colonies avec lesquelles il voulait établir un commerce très actif, et où il fit passer du poisson, des pois, du merrain et des planches, le tout cru du pays.