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Buch lesen: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I», Seite 16

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D'autres assurent que cette situation particulière même nécessite une dépendance complète de la part des curés; que la subordination serait plus difficile si un curé ne pouvait être destitué qu'après un jugement en forme, qui ne pourrait jamais s'obtenir qu'à la suite de longs débats et de beaucoup de scandale peut-être; que toutes les paroisses attachées à leurs pasteurs seraient comme autant de petites républiques, qui réclameraient dans l'occasion une liberté intolérable, et qu'elles auraient d'autant plus de chance d'obtenir, qu'elles seraient favorisées par les protestans, &c. Dans l'état actuel des choses tout cela est évité, et si un ministre manque à ses devoirs, l'évêque remédie au mal avec promptitude et sans éclat. Par ce moyen l'harmonie qu'on voit régner parmi les catholiques n'est presque jamais troublée.

Sans entrer dans l'appréciation de ces deux systèmes, nous devons dire que les Canadiens auront naturellement plus de confiance dans celui qui a été consacré par l'expérience des peuples et des siècles, que dans un autre qui sera tout à fait contraire à l'esprit de leurs institutions politiques; car ils doivent désirer avant tout que leurs ministres et leurs autels soient autant que possible hors des atteintes de l'intimidation. D'après l'alliance intime qui existe entre leur religion, leurs lois et leur nationalité 112, ils ont droit de réclamer aussi qu'un rempart infranchissable environne les institutions nationales qu'ils tiennent de leurs pères.

Note 112:(retour) On se plaint que le couvent des Ursulines se dénationalise. L'on peut dire à ce sujet, que tant que nos institutions conventuelles, qui sont des fondations privées françaises, se renfermeront dans la nationalité canadienne, elles pourront espérer de se conserver; mais une fois qu'elles sortiront de là, elles subiront probablement le sort du collége du roi de Toronto. Il n'y a que le grand attachement des Canadiens pour elles qui les rende encore pour ainsi dire inviolables.

Nous avons parlé plusieurs fois du séminaire de Québec, auquel M. de Pétrée voulait faire jouer un grand rôle dans son plan de gouvernement ecclésiastique. Cet utile établissement fondé par lui, comme on l'a dit en 1663, fut doté richement en terres qu'il acheta dans le pays, et qu'il affranchit des dîmes, faveur qu'il prit sur lui, mais nous ne savons avec quel droit, d'accorder aussi à toutes celles des communautés religieuses. Bientôt il l'unit avec celui des missions étrangères de Paris. Cette union exista jusqu'à la conquête.

Cinq ans après l'établissement de ce séminaire, qui était un grand séminaire, il en établit un petit pour donner aux enfans les élémens de la grammaire et les conduire jusqu'à la théologie. Cette nouvelle création, qui excita la jalousie du collège des Jésuites, a rendu, surtout depuis l'extinction de ces derniers, des services éminens au pays, et a mérité à son auteur une éternelle reconnaissance. Plus de trois cents élèves y reçoivent aujourd'hui une éducation classique.

En parlant du gouvernement ecclésiastique du Canada, il nous semble nécessaire de dire quelque chose sur la manière dont les biens affectés au culte sont administrés, comme les temples, les cimetières, les presbytères, etc. Cette partie fort importante du service religieux, nous révèle d'ailleurs une organisation administrative très-ancienne, et appuyée sur les principes qui font aujourd'hui la base de gouvernemens autrement plus vastes et plus compliqués que celui d'une paroisse. L'Eglise catholique a fourni des modèles et des principes de plus d'un genre à l'organisation sociale moderne; mais aussi il fut une époque où elle avait besoin d'autant et de plus de liberté que les peuples aujourd'hui. Ce qu'elle imagina alors pour sa conservation et sa sûreté est ce qu'il y a de préférable dans la vieille organisation catholique; ce qu'il y a de plus libéral dans le sens actuel du mot. L'on voudra bien nous pardonner ces réflexions à l'occasion des humbles fabriques; nous avons voulu seulement montrer un exemple d'un fait d'ailleurs assez commun que des plus petites choses proviennent souvent les plus grandes.

Le système suivi par les fabriques paroissiales de France fut adopté dans ce pays; et il y subsiste encore pour servir de modèle à toutes les autres sectes religieuses, et même aux catholiques de la langue anglaise, en ce qui regarde la régie des biens de la paroisse ecclésiastique. Cette administration se divise en deux branches, toutes deux sous le contrôle de l'évêque diocésain. L'une, temporaire et n'existant que pour un objet spécial, comme lorsqu'il s'agit de bâtir une église, etc., et de prélever une contribution sur les paroissiens, est une espèce de commission dont les membres portent le nom de syndics ou échevins d'église. L'autre, permanente et uniforme, est chargée de la recette des revenus, de la régie et de l'entretien des biens de cette église, et s'appelle oeuvre et fabrique. Les membres qui la composent sont le curé et les marguilliers, et leurs droits et leurs pouvoirs sont également définis par les lois.

Les marguilliers sont élus pour trois ou quatre ans d'exercice, selon le nombre de ceux qui sont en activité de service et siégent au banc d'oeuvre, un sortant tous les ans. Tant que dure cet exercice, ils sont désignés sous le nom de nouveaux marguilliers; lorsqu'il expire, ils tombent dans la catégorie des anciens. Chacun d'eux devient à son tour le marguillier en charge et comptable dans sa dernière année de présence au banc d'oeuvre. Dans la généralité des paroisses ils sont élus par les anciens et nouveaux marguilliers seulement, sur la convocation du curé; dans les autres par les fabriciens et par les principaux habitans. A Québec ces assemblées furent générales dans l'origine; mais M. de Pétrée, toujours peu ami du suffrage populaire, ordonna en 1660 que les anciens et nouveaux marguilliers seuls feraient ces élections. Quoiqu'il ne paraît pas qu'il eût le pouvoir de faire une pareille ordonnance, elle a néanmoins toujours été observée jusqu'à ce jour. Les marguilliers en charge sortans sont obligés de rendre compte de leur gestion dans une assemblée de fabrique où le curé tient la première place (arrêt du conseil souverain, 1675); et dans ses visites l'évêque diocésain, ou un grand vicaire à sa place, a droit de se faire représenter ces comptes. Enfin les marguilliers ne peuvent accepter aucune fondation sans l'avis du curé, ni aliéner les biens des fabriques sans nécessité et sans avoir accompli les formalités indiquées par la loi. Prises dans leur ensemble les fabriques, ou les paroisses ecclésiastiques, sont donc de véritables corporations sous le contrôle salutaire de l'évêque.

Lorsqu'il s'agit de réparations considérables ou de constructions nouvelles, les fabriciens doivent obtenir au préalable la permission de l'évêque et le consentement de la majorité de la paroisse assemblée, surtout s'il faut lever une contribution pour exécuter ces travaux. Alors les paroissiens dans une assemblée générale élisent des syndics qui sont chargés de concert avec le curé de faire une répartition de la somme requise entre les habitans, en observant certaines formes obligées dans la confection des rôles. C'est par eux aussi que se fait le prélèvement et l'emploi de ces deniers, dont ils sont obligés de rendre compte ensuite aux contribuables.

Nous avons dit que dans la plupart des paroisses de ce pays, les élections de marguilliers se faisaient par les anciens et nouveaux seulement. Il y a quelques années plusieurs localités du Canada prièrent la législature de passer une loi afin de rendre les assemblées de fabrique pour l'élection des marguilliers générales. Cette question en apparence si minime, si indifférente en elle-même, causa une agitation profonde dans le pays, et faillit amener une division entre les Canadiens, qui aurait été bien à déplorer. Ce qui occasionna principalement cette effervescence, ce fut l'attitude que prit le clergé d'un bout de la province à l'autre au premier bruit de cette mesure; cent vingt-trois curés répondirent à la chambre représentative et se prononcèrent plus ou moins fortement contre le projet. C'était plus qu'il n'en fallait pour troubler la conscience de la pieuse population canadienne. Le gouvernement en lutte avec la chambre depuis longues années se garda bien d'appuyer les paroissiens; et le parti anglais, quoique en général mal disposé contre nos anciennes institutions, ou indifférent à leur égard, se montra tout à coup en cette occasion l'ami zélé des fabriciens et soutint le clergé. Comme l'on devait s'y attendre, la mesure échoua devant toutes ces oppositions, non sans laisser des germes de rancune et de mécontentement dans les esprits. Depuis ce temps là, l'ancien ordre de chose n'a pas été inquiété. Il faut avouer aujourd'hui que cette mesure fut amenée intempestivement, et qu'elle fut inspirée plus par mauvaise humeur, résultat d'une lutte politique prolongée et aride que par besoin senti, pressant; car dans toutes les paroisses les fabriciens sont tirés de la classe la plus respectable des habitans, et il est très rare que leurs gestions ne soient pas marquées au coin d'une bonne économie et de la plus parfaite honnêteté.

L'histoire du gouvernement ecclésiastique nous conduit naturellement à parler des autres institutions religieuses placées sous sa surveillance, et qui sont pour ainsi dire des annexes du sacerdoce.

La charité ou l'amour des lettres a fondé tous les grands établissemens destinés à l'instruction de la jeunesse, ou au soulagement de l'humanité souffrante. Comme on l'a déjà dit, le collège de Québec est dû à la libéralité du Jésuite de Rohaut; l'Hôtel-Dieu à celle de la duchesse d'Aiguillon, nièce du cardinal de Richelieu, qui y envoya des hospitalières de Dieppe en 1639; l'Hôtel-Dieu de Montréal à madame de Bullion et Mlle. Manse; le couvent des Ursulines à madame de la Peltrie. Il en fut de même encore de l'Hôpital général établi à Québec vers 1692 par M. de St. – Vallier, pour remplacer le bureau des pauvres que les citoyens de la ville avaient établi quatre ans auparavant, parce qu'il était défendu de mendier.

Mais si tous ces monastères durent leur origine à des personnes puissantes, qui pouvaient en même temps aider leurs fondations de leur bourse, et leur assurer la protection du gouvernement, l'institution de la congrégation de Notre-Dame pour l'éducation des jeunes filles du peuple, n'eut point cet avantage; elle fut l'oeuvre d'une personne plus humble; la soeur Bourgeois, native de Troyes en France, était une pauvre religieuse inconnue, sans influence, sans amis et sans fortune. Ayant visité le Canada une première fois, elle y revint en 1659, et jeta à Montréal les fondemens de cette congrégation si utile à tout le pays. Quoiqu'elle n'eût que dix francs, dit-on, quand elle commença son entreprise, son dévouement et son courage lui méritèrent l'encouragement des personnes riches ici et en France, où elle fit plusieurs voyages 113. La congrégation possède aujourd'hui de vastes écoles dans les villes et dans les campagnes. Ces écoles, dans lesquelles on enseigne à lire et à écrire, ont fait plus de bien dans leur humble sphère qu'on n'eût pu en attendre de fondations beaucoup plus ambitieuses. Il est à jamais regrettable qu'une institution de cette nature n'ait pas été formée en même temps pour l'éducation des garçons. Le respect dont les soeurs de la congrégation ont été l'objet dans tous les temps de la part du peuple, est une preuve de leur mérite et de leur utilité. Leur digne fondatrice en Canada fut récompensée de ses nobles travaux par une longue vieillesse; elle mourut en 1700, entourée de la vénération et des regrets des Canadiens.

Note 113:(retour) Vie de la vénérable soeur Bourgeois, etc.

L'éducation des jeunes garçons fut abandonnée entièrement à la direction du clergé, qui fut le seul corps enseignant à peu d'exception près avec les religieux sous la domination française. Le gouvernement ne s'occupa jamais de cet objet si important, si vital. Soit politique, soit désir de plaire au sacerdoce, en lui léguant l'enseignement, il laissa le peuple dans l'ignorance; car alors, il faut bien le reconnaître, les clergés comme les gouvernemens sous lesquels ils vivaient, considéraient l'instruction populaire comme plus dangereuse qu'utile. Le Canada fut encore moins exempt de ce préjugé funeste que plusieurs autres pays. Il n'y fut jamais question de plan général d'éducation; il n'y eut jamais d'écoles publiques dans les paroisses, qui restèrent plongées dans les ténèbres; et chose inouïe, l'imprimerie ne fut introduite en Canada qu'en 1764, ou 156 ans après sa fondation.

Les maisons d'éducation, nécessairement peu nombreuses étaient en général confinées aux villes. Les séminaires de Québec et de Montréal ouvrirent des classes pour les enfans. Les Récollets firent aussi l'école dans leur monastère. Mais les Jésuites étaient ceux qui, par état, devaient se placer à la tête de l'enseignement et lui donner de l'impulsion. Ils furent moins heureux en Canada qu'ailleurs; leurs classes furent de tout temps peu considérables; on n'y comptait qu'une cinquantaine d'élèves du temps de l'évêque de St-Vallier. Aucun d'eux n'a laissé un nom dans les lettres. Contens d'une certaine mesure de connaissances suffisantes pour le courant des emplois, ils n'ont produit en aucun genre de science des hommes profonds: il faut même convenir qu'il y avait peu de secours, peu de livres, et peu d'émulation. Le gouvernement se donnait bien de garde de troubler un état de choses qui rendait les colons moins exigeans, moins ambitieux, et par conséquent plus faciles à conduire, car l'ignorance et l'esclavage existent toujours ensemble. Telle est en peu de mots l'histoire de l'éducation en Canada durant le premier siècle et demi de son existence: c'est la page la plus sombre de nos annales; et nous en sentons encore les pernicieux effets. La métropole fut punie la première de son oubli coupable et impolitique à cet égard; si le peuple eût été plus éclairé lorsque la guerre de 1755 éclata, il aurait été plus industrieux, plus riche, plus populeux, et il aurait pu en conséquence opposer une résistance non pas plus longue, car la guerre dura six ans et avec acharnement, mais plus efficace et plus heureuse, à ses ennemis.

Le gouvernement ecclésiastique a conservé jusqu'après la conquête à peu près la forme qui lui avait été donnée lors de l'érection de l'évêché de Québec. Quoique relevant immédiatement du St. – Siége, les prélats canadiens furent toujours pris dans le clergé de France, de même que les curés. La politique de la métropole de ne choisir que des sujets nés dans son sein pour remplir les emplois publics de ses possessions d'outre-mer, afin d'être plus sûre de leur fidélité, s'étendait jusqu'au sanctuaire, comme on l'a observé ailleurs; de sorte qu'il y eût peu de prêtres canadiens sous l'ancien régime, et que le sacerdoce servait ici les vues exclusives et soupçonneuses de la politique.

Après cela il n'est pas étrange que ce clergé, ainsi composé, ait introduit à sa suite en Amérique les idées, les prétentions et l'esprit inquiet et turbulent de celui de France, constitué en pouvoir politique et par conséquent accoutumé à se mêler activement des affaires de l'Etat. Chacun sait que par suite de cette position, ce clergé, d'ailleurs si illustre, a pris part à toutes les grandes révolutions qui ont agité cet ancien peuple, au grand détriment de la religion. Une pareille conduite, vu les élémens de la société américaine, ne pouvait se prolonger au-delà d'un certain terme en Canada, terme que la conquête est venue précipiter. Depuis cet événement, les prêtres et les évêques étant devenus insensiblement canadiens, cet esprit a heureusement disparu. Nulle part aussi le clergé n'est plus influent ni plus aimé que dans ce pays. Sa sagesse l'éloignera toujours sans doute de l'arène politique où s'agitent tant d'intérêts et tant de passions; arène dans laquelle d'ailleurs il ne pourrait descendre sans compromettre gravement sa mission. Le grand exemple de la France, au dernier siècle, est là pour prouver la vérité de cette assertion. En outre, l'accablante majorité des populations protestantes dans cette partie du continent, où l'ardeur des méthodistes n'est pas moins grande que celle des plus zélés catholiques, lui fait une loi d'agir avec la plus grande prudence et la plus grande réserve. Le martyre obtenu dans des luttes entre des chrétiens, ne doit être à aucun titre désirable; et les proclamations journalières de triomphes d'un autel sur l'autre, dans un pays où il y en a tant, sont des actes qui annoncent plus de fanatisme que de saine raison.

Les dissensions religieuses qui ont éclaté en France au sujet des libertés de l'Eglise gallicane, n'ont guère troublé les populations du Canada. Le St. – Siége en faisant relever de lui l'Eglise canadienne, l'avait soustraite aux avantages que le génie de Bossuet avait arrachés au pape pour celle de France, et l'avait désintéressée dans ces débats dès lors étrangers pour elle.

Mais le Jansénisme, avec sa dialectique rigide et son front sévère, pénétra, lui, un instant sur nos bords, et en agita en passant la surface religieuse, jusqu'alors si calme et si douce. Personne n'aurait cru que même l'ombre d'une hérésie eût pu l'obscurcir et s'y arrêter. C'est pourtant ce qui arriva. D'abord quelques livres infectés des doctrines de Pascal et d'Arnault s'y glissèrent clandestinement, et y répandirent leur venin; ensuite de leurs adeptes s'y introduisirent de la même manière, malgré la vigilance du clergé. M. Varlet, évêque de Babylone et archevêque déposé d'Utrecht, passa par le Canada pour se rendre dans les missions du Mississipi. Il laissa après lui des prosélites à l'hérésie. M. de Villermaula, du séminaire de Montréal, M. Thibout, curé de Québec, M. Glandelet, doyen du chapitre, eurent le malheur de penser comme l'auteur des lettres provinciales!

En 1714, un religieux inconnu, parut tout à coup en Canada, et proclama l'intention d'y fonder un monastère pour s'y renfermer le restant de ses jours. L'on observa que quelque chose de mystérieux et de gêné enveloppait la conduite de cet étranger, qui se retira durant quelque temps dans les forêts de Kamouraska, où il s'éleva une cabane à la manière des anachorètes. Cachant soigneusement ses principes et son nom, il y vivait en ermite, se prosternant devant tous ceux qu'il rencontrait et leur baisant les pieds avec grand accompagnement de paroles édifiantes. Mais le Canada n'est pas un pays favorable aux ermites; un hiver de six mois, et quatre pieds de neige sur le sol en chasseront toujours les mystiques contemplateurs du désert. Sous prétexte que sa cabane avait pris feu, l'inconnu fut bien aise d'abandonner sa retraite pour aller vivre à Québec, dont tant d'institutions religieuses et monacales devaient lui rendre le séjour agréable. Il trouva moyen de s'introduire dans les principales familles et dans les couvens, qu'il fréquentait avec une grande assiduité, lorsqu'une lettre d'Europe arrive au gouverneur. Cette lettre dévoila tout. Il fut reconnu pour Dom George François Paulet, bénédictin corrompu par les pernicieuses maximes jansénistes, et redemandé par le supérieur de son monastère, dont il s'était secrètement échappé.

De ce moment toutes les portes lui furent fermées. En vain voulut-on l'engager à se soumettre à la constitution unigenitus, ferme dans sa croyance comme le grand Arnault et le P. Quesnel, dont il avait été le disciple, il s'y refusa constamment. Ne pouvant fléchir ce coeur endurci, l'évêque l'excommunia. Partout fui et persécuté, il fut enfin banni du Canada comme hérétique 114.

Note 114:(retour) Histoire de l'Hôtel-Dieu. Mémoires sur la vie de M. de Laval. Gazette d'Amsterdam du 14 avril 1719.

«Au milieu des factions du calvinisme et des querelles du Jansénisme, dit l'auteur du siècle de Louis XIV, il y eut encore une division en France sur le Quiétisme. C'était une suite malheureuse des progrès de l'esprit humain dans le siècle de ce monarque, que l'on s'efforçât de passer presqu'en tout les bornes prescrites à nos connaissances; ou plutôt, c'était une preuve qu'on n'avait pas fait encore assez de progrès.»

Cette secte, car on lui a donné ce nom, se jeta dans la spiritualité; elle atteignit l'illustre auteur du Télémaque, qui, sans tomber dans les rêveries de madame Guyon, avait néanmoins du penchant pour la contemplation et les idées mystiques. Il paraît que plusieurs personnes furent imbues de son esprit en Canada. On assure que madame d'Aillebout, la femme du gouverneur, s'était vouée à Jésus-Christ dès sa jeunesse, inspirée par le culte intérieur, et l'amour pur et désintéressé, et que, malgré son mariage, elle conserva jusqu'à la fin de ses jours sa pureté virginale. Devenue veuve, elle fut recherchée en mariage par le gouverneur, M. de Courcelles, et par M. Talon, intendant; mais à l'exemple de la fondatrice du Quiétisme, elle refusa constamment les partis les plus avantageux. Cette femme qui avait de grands biens, les partagea entre l'Hôpital général et l'Hôtel-Dieu où elle mourut. «Dieu lui avait donné, dans le langage de ces rêveurs, l'esprit de prophétie, le don des larmes, le discernement des esprits et plusieurs autres grâces gratuites».

Le tremblement de terre de 1663 fut le plus beau temps du Quiétisme en Canada. Ce phénomène, en effet, mit en mouvement l'imagination ardente et mobile de ses adeptes; les apparitions furent nombreuses, singulières, effrayantes, et les prophéties se multiplièrent. Jamais l'on n'aurait tant vu de prodiges si l'on en croit les relations monacales du temps; non des prodiges rians et agréables comme en rêvent les heureux habitans des contrées méridionales où croissent l'aloès et l'oranger; mais des apparitions sombres et menaçantes comme en voient les tristes imaginations des enfans du Nord, nés au milieu des frimats et des tempêtes.

La supérieure de l'Hôtel-Dieu et la célèbre Marie de l'Incarnation, supérieure des Ursulines, partagèrent ce délire de la dévotion; mais la dernière est celle qui donna le plus d'éclat dans ce pays au culte de la spiritualité, pieuse chimère qui affecta pendant longtemps plusieurs intelligences tendres et romanesques, surtout parmi les personnes du sexe. Le clergé se contenta d'observer une réserve respectueuse devant ce phénomène moral, n'osant blâmer ce que quelques uns pouvaient prendre pour de saintes inspirations, et d'autres, pour des illusions innocentes causées par un excès de fausse piété.

Depuis que le Canada jouit d'institutions libres, le clergé a mérité l'attachement du peuple, en se mettant à la tête de l'éducation si négligée, comme on l'a vu, sous l'ancien régime; et en embrassant franchement et sans arrière-pensée, l'esprit d'une liberté qui est le fruit de la civilisation, et qui n'a jamais été contraire aux doctrines évangéliques, quoique des intérêts rien moins que religieux aient voulu les interpréter autrement dans quelques pays européens, et aient en conséquence attiré sur les catholiques la haine des sectes protestantes. On ne peut trop persuader aux chrétiens de ce continent, séparés de l'Eglise de Rome, que les catholiques sont aussi favorables qu'eux à toutes les institutions propres à assurer le bonheur et à rehausser la dignité de l'homme; et qu'ils sont aussi attachés qu'eux à cette liberté pour la conquête de laquelle la France, l'Espagne, le Portugal, et l'Amérique du Sud, tous pays catholiques, ont fait tant de sacrifices.

L'on dira dans son lieu ce que notre clergé a fait pour l'instruction de la jeunesse, objet de sa sollicitude, lors même que le gouvernement et le peuple ne s'en occupaient encore que très faiblement, ou demeuraient dans une coupable indifférence à cet égard.