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Buch lesen: «Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles», Seite 4

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«Cette aventure est tenue secrète, mais ce secret sera mal gardé, avec tant de personnes dans la confidence. Les motifs que l'on donne à la peine du Roi sont à ranger dans la classe d'une foule d'autres bruits populaires qui ne méritent aucune créance. Je rapporte un fait, un fait affligeant, mais j'en ignore complètement la cause.»

Libelles, calomnies, vilenies répandues sur la Reine et sur lui-même, menaces ou outrage, rien ne manquait qui ne pût motiver les larmes du Roi… Et pendant que peu à peu s'effritait la monarchie de plus en plus chancelante, la santé du Dauphin donnait de très grandes inquiétudes.

CHAPITRE III

Intrigues de l'abbé de Vermond contre la duchesse de Polignac. – L'Assemblée des Notables projetée. – Soirée chez Mme de Polignac. – Bombelles chante devant la Reine. – Le duc de Fronsac. – Madame Élisabeth déjeûne chez les Bombelles. – Impatience du diplomate qui réclame une ambassade. – Chasses de Madame Élisabeth. – Bombelles en courses perpétuelles. – Comédie chez la duchesse de Mortemart. – Mort du maréchal de Biron. – Les Notables. – M. Necker. – Concert chez la comtesse d'Artois. – Le duc d'Orléans. – Le duc du Châtelet, colonel des Gardes françaises. – Le Code national de Bergasse. – Lettre du prince de Conti. – La brochure de d'Éprémesnil. —Mémoire des princes. – Considérations de Bombelles. – Réception de Boufflers à l'Académie française. – Fin de l'année 1788.

Passer quelques jours à Dangu chez le baron de Breteuil est pour M. de Bombelles une agréable distraction. En compagnie d'aimables hôtes, dont la comtesse de Matignon et le marquis de La Luzerne, il y oublie un instant les séances du Parlement. Le 1er octobre, il est parti le matin de Dangu avec M. de la Luzerne pour arriver à deux heures à Verneuil.

«Là, en ce joli pays riverain de la Seine, est située l'habitation de Mme de Sénozan, riche veuve d'un conseiller d'État, sœur de M. de Malesherbes, tante de Mmes de Montmorin, de Périgord et du marquis de la Luzerne.

«Mme de Sénozan est choyée par tous ses parents et tous ses parents sont ses amis. Elle se met à table à deux heures très précises, elle fait très bonne chère et m'a reçu comme l'ami d'un neveu qu'elle chérit.

«Le marquis de la Luzerne a des titres multipliés à la tendresse des siens; il leur rend beaucoup, il n'en dépend aucunement, il les honore par sa conduite, il les attache par la douceur de sa société.»

Après le repas, Bombelles est resté quelque temps à causer avec M. de Malesherbes et la Luzerne. «On n'a pas plus d'esprit et d'imagination que n'en a M. de Malesherbes; on n'est pas meilleur serviteur du Roi; mais comme, je l'ai déjà dit, ces qualités sont obscurcies par une distraction poussée à l'excès. Ce respectable vieillard m'a prêté sa voiture et quatre bons chevaux pour revenir à Versailles.»

Femme et enfants sont en bonne santé. Aucuns changements officiels pendant ces trois jours, mais les partisans de M. Necker craignent qu'il ne résiste pas aux cabales qui se déchaînent contre lui. Bombelles estime que les cabales ne seront pas seules cause de la non-réussite du ministre, il ne tardera pas à reconnaître son impuissance.

Une assemblée des Notables se réunira le 3 novembre, la nouvelle en est annoncée le 3 octobre. Précaution de Necker pour discuter à nouveau la question des trois ordres, celle des cahiers, et aussi l'élection des députés. C'était par le fait reculer l'époque de la réunion des États Généraux; cette mesure, approuvée par la plupart, fut blâmée par ceux qui se montraient pressés en besogne.

On colporte la nouvelle que la duchesse de Polignac tombée en disgrâce va être renvoyée; c'est Mme de Mackau qui a prévenu son gendre: Mme de Polignac lui serait reconnaissante de remonter, autant que faire se pourrait, à la source d'un propos tenu par M. Durival, premier commis des fonds des Affaires étrangères. Et Bombelles, maintenant au mieux avec les Polignac, de s'émouvoir d'un événement «affligeant pour les personnes qui désirent le bien».

Il a couru sur-le-champ chez M. Durival, et dans une longue conversation roulant sur des généralités, il s'est rendu compte que si le fonctionnaire s'est permis ce langage, «il n'était que l'écho du sieur abbé de Vermond; celui-ci tenant toujours ses assises chez Mipue, le directeur des bâtiments de la Reine, y voit Durival et s'en empare pour plastron de sa bavarde loquèle, lorsqu'il se promène à pied autour de Versailles. L'abbé est le plus jactant des humains; non content de l'énorme crédit dont il abuse, il voudrait persuader que les choses les plus difficiles lui sont possibles». On peut supposer qu'il voudrait obtenir de la Reine le renvoi de Mme de Polignac; en cela d'accord avec l'archevêque de Sens, qui n'a pas perdu l'espoir de reprendre sa place dans le Conseil des ministres et voudrait écarter du château tout ce qui ne lui est pas servilement dévoué.

La duchesse de son côté a agi directement auprès de la Reine et a sollicité la faveur d'une explication. «Elle faisait une démarche, continue Bombelles, que la franchise et l'honnêteté de son caractère lui ont dictée et que la prudence lui défendait.»

La Reine s'est rendue chez Mme de Polignac, qui lui conta tout simplement les bruits qui se répandaient en pareille circonstance. Deux ans auparavant, Marie-Antoinette avait rassuré son amie «avec grâce et sentiment». Cette fois elle répliqua assez durement: «Ne dit-on pas aussi que tout le monde se ligue pour éloigner de moi M. l'abbé de Vermond?»

Pour une autre que la duchesse, cette réponse aurait signifié une très prochaine disgrâce… «Je persiste à croire, opine Bombelles, que la Reine a pris des engagements trop forts pour pouvoir renvoyer sans motifs connus la gouvernante des Enfants de France. Elle se bornera à lui donner des dégoûts qui auront un terme; la Reine sera forcée d'en revenir à Mme de Polignac. Un fou, un sot, des fripons l'ont trompée, la trompent encore; mais cela ne peut durer. Cela aurait déjà cessé si Mme de Polignac mettait plus d'adresse dans sa conduite.»

Quelques jours après, M. de Bombelles fait des réflexions sur le Parlement qui accumule impertinences sur prétentions. «Les jeunes gens des Enquêtes disent publiquement que si le Roi, assisté de ses notables, procède à une convocation des États Généraux qui ne convienne pas à nos seigneurs du Parlement de Paris, ils convoqueront eux-mêmes, et de leur propre autorité, la nation.»

«L'arrêt du Conseil d'État rendu le 5 pour l'Assemblée des Notables, au 3 novembre prochain, a été publié aujourd'hui; toutes ses intentions sont sagement présentées et tendent à prouver combien le Parlement a été impopulaire en voulant qu'on s'en tînt à la forme de convocation des États Généraux de 1614, pour appeler ceux qui se tiendront en 1789.

«Le Roi dit qu'après cent soixante-quinze ans d'interruption des États généraux et après de grands changements survenus dans plusieurs parties essentielles de l'ordre public, elle ne pouvait prendre trop de précautions, non seulement pour éclairer sûrement ses déterminations, mais encore pour donner au plan qu'elle adoptera la sanction la plus imposante. Qu'animé d'un pareil esprit et cédant à l'amour du bien, Sa Majesté a considéré comme le parti le plus sage d'appeler auprès d'elle, pour être aidée de leurs conseils, les mêmes notables assemblés par ses ordres au mois de janvier 1787, et dont le zèle et les travaux ont mérité son approbation et obtenu la confiance publique.

«Sa Majesté se réserve de remplacer par des personnes de même qualité et condition ceux d'entre les notables de l'Assemblée de 1787 qui sont décédés, ou qui se trouveraient valablement empêchés.»

Faisant trêve à la politique, il est des moments bien rares où l'on se ressouvient à la Cour de l'ancienne gaieté. «Ce soir (6 octobre), écrit Bombelles, étant chez Mme de Polignac, j'avais apporté à Mme de Guiche un air d'allemande qu'elle avait trouvé joli; je le lui faisais exécuter au piano, tandis que la Reine, de moitié avec Mme de Luynes, jouait au tric-trac avec le baron de Bezenval. La partie finissait, et la Reine, instruite par le baron de la facilité que j'ai de mettre des rimes en musique, a voulu que j'improvisasse en chantant et en m'accompagnant. Depuis longtemps je ne m'étais trouvé aussi embarrassé: me refuser à ce que désirait la Reine était maussade parce que le baron de Bezenval insistait sur ce qu'il appelait mon talent. Dire ou chanter des platitudes, enfin me présenter en bouffon ne m'eût fait aucun plaisir. J'ai rassemblé plus d'assurance qu'à moi n'appartient; j'ai eu le succès dû à la complaisance sans prétention, la Reine a paru s'amuser beaucoup; les jeunes femmes, Mmes de Guiche et de Polastron, riaient de tout leur cœur; à les en croire, je serais resté à les divertir jusqu'à minuit. Mais je me suis retiré aussitôt que cela m'a paru faisable, laissant la société plus prévenue en ma faveur que je n'étais content d'avoir été mis en jeu dans un genre qui nuit plus qu'il ne sert.»

Le duc de Fronsac étant venu souper un soir à Montreuil, Bombelles en trace ce portrait: «Ce jeune homme, qui a voyagé avec un applaudissement général sous le nom de comte de Chinon, arrive encore en ce moment de Pologne; il désirait de servir comme volontaire dans une armée de l'Empereur, mais ce zèle pour apprendre son métier n'a pas obtenu de Sa Majesté Impériale ce que M. de Fronsac en attendait, et il est avantageux pour l'effet que son nom et son existence dans une armée étrangère eût pu faire à Constantinople que son projet ait échoué.

«M. de Fronsac n'aura, je crois, ni l'esprit de son grand-père, ni la platitude de son père; il paraît animé par des sentiments dignes de sa position. Il est du nombre des jeunes gens trompés par la frénésie du moment, qui ne parlent que de la nécessité de mettre des bornes au despotisme, mais au moins il s'exprime en bons termes, raisonne assez juste, et annonce dans ce qu'il dit plus d'instruction que n'en ont les péroreurs qui me pourchassent et m'excèdent partout.»

Le 8, Madame Élisabeth est venue déjeuner à la petite «bicoque» de Montreuil. Elle avait promis cette faveur à Bitche, et celui-ci «ne l'aurait pas tenue quitte de sa promesse. On vous laisse à penser si ce déjeuner intime fut gai; on entend Madame Élisabeth taquinant ses amis et les enfants, s'abandonnant à la plus charmante «sensibilité», témoignant une fois de plus à ses dévoués son affection si enveloppante, les caresses de sa charmante gaieté.

Elle s'arrachait ainsi pour quelques heures aux absorbantes préoccupations de la politique, aux inquiétudes que donnait la santé du Dauphin. On veut se faire des illusions sur son état plutôt que l'on ne s'en fait en réalité.

Bombelles a été faire visite, à Meudon, au duc et à la duchesse d'Harcourt, mais le Dauphin était déjà retiré. «Malgré le bien qu'on dit toujours de son état, il paraît qu'on est moins pressé de le montrer et que les gens qui ne veulent pas le flatter croient que le prince ne passera pas l'hiver.» Les prévisions étaient justes, comme nous le verrons.

Comme le 9, le marquis revenait de Saint-Cloud où il était allé dîner chez la comtesse d'Artois, sa femme lui conte la conversation que sa Princesse a eue avec la Reine en allant à Meudon. Elle a plaidé la cause de l'ambassadeur «au vert» et dont le grand désir serait d'échanger son ambassade nominale de Lisbonne contre une autre, surtout celle de Constantinople, quand, d'une façon ou d'une autre, M. de Choiseul-Gouffier quitterait ce poste62.

Tout cela, Madame Élisabeth l'a dit à la Reine. «Sa Majesté n'a pas nié qu'elle eût fait cette promesse, mais elle a paru douter que M. de Choiseul fût au moment de revenir, et elle a ajouté: «Dieu sait si M. de Montmorin n'aura pas ses petits protégés.»

Madame Élisabeth lui a répondu: «Si vous daignez véritablement vous intéresser à M. de Bombelles, M. de Montmorin saura très bien qu'il n'a rien de mieux à faire que de se conformer à ce que vous voudrez.

« – Ne croyez pas cela, a dit la Reine, vous ne savez pas combien il est entêté.

« – Soit, a répliqué Madame Élisabeth, mais je ne connais à M. de Bombelles qu'un concurrent raisonnable. C'est M. de Moustier, et la Reine conviendra qu'à tous égards M. de Bombelles a droit aux préférences.

« – Ah! pour cela, oui, a réparti Sa Majesté avec un peu plus de chaleur, mais la santé de M. de Bombelles n'aurait-elle pas à souffrir du climat de Turquie comme de celui de Lisbonne?

«Enfin la Reine a promis d'envoyer chercher M. de Montmorin et de lui demander que je sois désigné le successeur de M. le comte de Choiseul-Gouffier.

«Madame Élisabeth n'a pu s'empêcher de conclure que la Reine embarrassée désirerait que je puisse obtenir une bonne ambassade, mais hors de portée des intérêts de la Cour de Vienne. L'abbé de Vermond soufflé par M. de Mercy et stimulé par ses préventions contre tout homme qui n'est pas l'aveugle serviteur du cabinet autrichien, m'a sûrement rendu suspect à la reine, en disant que j'avais un éloignement très prononcé pour tout ce qui tenait au système de notre alliance. D'un autre côté Sa Majesté serait portée à me faire du bien, parce qu'elle m'honore de quelque estime et qu'elle aime particulièrement Mme de Bombelles. Nous verrons le dénouement de tout ceci: je l'attendrai avec résignation. Je ferai usage des bonnes voies, j'en dois la certitude au bien de mes enfants… Ainsi pense leur excellente mère et, quand je suis de son avis, je puis m'enorgueillir de mon opinion.»

Avec résignation! Est-ce bien le mot qui convient. Bombelles supporte mal les longues attentes, nous le savons. Entre Ratisbonne et le Portugal, long espace de temps où il a rongé son frein, réclamant une ambassade, tentant démarche sur démarche, faisant agir Esterhazy et la comtesse Diane, le baron de Breteuil et Madame Élisabeth. Il en est de même maintenant que sa santé semble rétablie et que quelques mois de séjour à Versailles, bien que coupés de déplacements, lui semblent outrageusement longs. La politique intérieure le remplit de dégoût; les événements en gestation l'effraient. Alors qu'il en est temps encore, il voudrait être mis à même de représenter dignement et utilement son pays… et en même temps d'acquérir à ses enfants l'aisance qui leur fait, pour le présent, totalement défaut.

La conversation entre la Reine et Madame Élisabeth pouvait avoir d'importants résultats, à la condition qu'une suite lui fût donnée sans perdre de temps. Bombelles a couru chez la duchesse de Polignac. Celle-ci est d'avis que, pour «rappeler Sa Majesté à toute la force de ses promesses», il fallait saisir un moment où l'abbé de Vermond serait absent de Paris.

De plus la gouvernante des Enfants de France a rendu compte à Bombelles des observations d'un autre genre qu'elle avait soumises à la Reine. Elle lui a dit que «dans ces circonstances-ci, il était temps qu'elle reprît son rôle, celui de tenir avec dignité une cour et de ne pas venir toutes les après-midi se confondre dans un salon où l'habitude de la voir familièrement diminuait du respect qu'elle devait inspirer, que, dans l'absence de la Reine, elle s'occuperait mieux de lui gagner les esprits par ses manières aimables, attentives et soutenues d'une grande représentation». Il faut lire ces lignes avec soin: c'est tout un programme adroit de Mme de Polignac qui, par crainte de se voir un jour abandonée, demande à la Reine de faire ses visites plus rares – avec l'espoir que son système sera apprécié, non adopté, et qu'il en découlera au contraire un rapprochement efficace entre elle et sa royale amie, rapprochement qui semble nécessaire après les menées sourdes de l'abbé de Vermond.

La Reine en effet reçut fort bien les avis de la duchesse. Elle lui fit cette seule objection: «Que si elle la voyait moins souvent, le public l'attribuerait à du refroidissement et qu'elle serait fâchée de donner lieu à ces sots propos. Mme de Polignac répondit à la Reine qu'elle ne les craignait pas, tant que Sa Majesté lui conserverait ses bontés… qu'elle en attendait de la voir le matin, tous les jours et le plus souvent possible, pourvu que cela ne fût pas au milieu de la foule.»

Pendant ce temps de Brienne s'entête à conserver son poste à la Guerre, il n'y a plus de raison pour qu'il le quitte de bonne grâce; le Roi a cassé dans son conseil tout ce qui s'était fait au Parlement contre l'archevêque de Sens et M. de Lamoignon.

«M. Necker laisse baisser ses actions et celles de la place en suivant le tarif. On voit beaucoup depuis quelque temps un de ses grands amis, M. de Couziers63, évêque d'Arras, prélat d'un vrai mérite. Il toisait le soir les quatre secrétaires d'État, et je voyais à sa mine qu'il les trouverait de petite proportion. La mort d'un autre évêque, Hay de Bouteville, évêque de Grenoble, a fait beaucoup de bruit. Il n'avait que quarante-sept ans, et l'on suppose qu'il est mort de mort violente, que, las de la vie, il s'est tué d'un coup de fusil64

La Reine se déciderait-elle à parler à Montmorin, et si elle lui parlait y mettrait-elle cette chaleur à laquelle les ministres ne résistent pas? M. de Bombelles n'était pas assez persuadé pour ne pas essayer, en mettant sa femme en avant, de réchauffer les bonnes dispositions de la souveraine.

Mme de Polignac s'y est prêtée de bonne grâce. La Reine devant se trouver chez elle après le dîner, le 12, elle en a informé la marquise en la prévenant qu'elle lui ménagerait une audience.

«En effet cela s'est passé ainsi, relate le Journal. Sa Majesté accueillit parfaitement Mme de Bombelles, lui parla de mes petits talents, de ce que j'étais, suivant elle, fort aimable; elle a ajouté qu'elle s'occuperait avec plaisir de mon avancement et de me procurer le poste de Constantinople.»

La Reine s'est montrée très simple et bienveillante. Elle est entrée dans le détail des motifs de famille qui portent le marquis à désirer un poste avantageux; elle s'attendrit par degré quand Mme de Bombelles déroule assez habilement son cahier de desiderata. Pour la jeune femme elle-même, elle témoigne de l'estime en laquelle elle la tient, ajoutant que «quoiqu'il fût très simple que Madame Élisabeth s'intéressât au ménage, Mme de Bombelles ne pouvait pas hésiter à parler directement à une souveraine qui avait pour elle la plus tendre amitié». Enfin la Reine prodigua à Angélique «les promesses les plus formelles, les caresses les plus aimables et les expressions les plus touchantes».

Une audience comme celle-là apportait la gaieté. Aussi, en s'installant dans le nouvel appartement que son mari vient de faire aménager, Mme de Bombelles témoigna-t-elle la plus grande joie. Des parents, des amis, les Raigecourt, Mme de Fournès65, MM. de Ginestous et d'Agoult sont venus passer la soirée et souper; on a fait de la musique, et une heure du matin sonnait sans que personne s'en doutât.

Il n'était pourtant pas question pour Mme de Bombelles de dormir la grasse matinée, car le matin même, avant neuf heures, elle courait déjà les bois des environs de Versailles, et bientôt, s'éloignant au grand galop, elle a encore suivi sa princesse à ses chasses fatigantes dont elle est revenue à six heures du soir.

Laissons le marquis faire des visites à Saint-Germain à la présidente de Novion, à la comtesse de la Marck, à Beauregard, au marquis et à la marquise de Sérent, accompagner sa sœur Travanet à la comédie italienne, pousser jusqu'à Villiers où la comtesse de Polignac a acheté la terre de M. du Lau et arrangé avec grand goût un vrai «palais de Diane»; il court chez la duchesse de Polignac, il court chez le baron de Breteuil, chez M. de Brienne, chez M. de la Luzerne. Les nouvelles de carrière ne sont pas ce qu'il souhaiterait, car il n'aura pas Constantinople, M. de Montmorin ayant allégué la cherté du poste. On fait espérer autre chose à Bombelles, mais cette déconvenue l'attriste, et il ne manque pas de la consigner dans son Journal.

Voici des nouvelles moins personnelles. Le maréchal de Biron est si malade qu'il a fait remettre le 25 sa démission de commandant des Gardes françaises du Roi par M. d'Agoult, le nouveau major. «Sa Majesté ne l'a pas acceptée et a écrit une lettre charmante au moribond.» Les maréchaux de Castries et de Stainville sont sur les rangs. M. Necker appuie les prétentions du maréchal de Castries, mais la reine «a de terribles préventions» et porte «de toute sa volonté» le duc de Châtelet. Cependant le maréchal de Biron, en envoyant sa démission au roi, a fait prévenir le maréchal de Broglie de cette démarche, voulant par là le désigner pour le successeur qu'il souhaiterait d'avoir. «Mais le maréchal de Broglie n'est pas assez en faveur pour que l'on puisse se flatter que le choix du roi tombe sur lui.»

Mme de Bombelles est malade le 27. La chasse à courre de la semaine précédente n'était peut-être pas très indiquée, puisqu'elle se croit grosse et est hors d'état de se lever pour donner à souper à Mmes de Grille, de Grouchy et d'Alton et au marquis de la Luzerne. Mme de Mackau et la marquise de Louvois ont dû faire les honneurs.

Un jour à Saint-Cyr, un autre à Fontenoy, château du duc d'Ayen, qui est loué par le marquis de Chabanais, retour par Nangis et Lagrange, autre château de la duchesse d'Ayen66; dîner chez Mme de Sigy à Lourps, arrivée à Everly chez la duchesse de Mortemart. Là il y avait nombreuse compagnie: la duchesse d'Harcourt et ses trois petites filles, la marquise et la comtesse de Rougé, tous les Mortemart, l'abbé de Tressan, la princesse de Broglie, la marquise de Colbert-Maulevrier. On répète une comédie qui sera jouée dans quelques jours, puis Bombelles se met au piano pour accompagner Mlle de Mortemart, qui chante des airs charmants… On apprend dans la soirée la mort du maréchal de Biron et la nomination du duc du Châtelet comme commandant du régiment des Gardes françaises.

Le lendemain 31, à huit heures et demie du matin, «le son des cors, les voix des chiens et les cloches du château ont appris à ses habitants que l'on allait célébrer par une grande chasse la Saint-Hubert». Le marquis n'étant pas veneur ne suivra pas le laisser courre, mais il assiste au déjeuner. Par un temps superbe, il a vu partir Mme de Rougé, jolie comme Diane. «Un brillant uniforme, une tenue recherchée donnaient de la magnificence et de l'élégance à l'ensemble des chasseurs, le plaisir régnait dans leurs yeux.»

Bombelles est resté au château avec la comtesse de Rougé et la marquise de Mortemart, qui lui font visiter les changements apportés dans le parc. Les arbres autrefois y venaient à regret; ils croissaient dans des terrains trop secs ou submergés; une rivière bien dessinée a reçu les eaux superflues et arrose les parties qui avaient besoin de l'être. Le duc de Mortemart a fait construire des écuries qui approchent de la beauté de celles de Chantilly; son avant-cour est vraiment royale, et lorsqu'il aura fait au corps du château ce qu'il se propose, ce sera la plus noble des habitations.»

La journée s'est passée, les chasseurs sont revenus triomphants. «Un bon souper leur a fait oublier leurs fatigues, et il était une heure du matin qu'ils exigeaient encore de moi de chanter en improvisant. J'ai terminé ce concert impromptu par ce couplet arrangé sur l'air: «Il n'est qu'onze heures au cadran du village».

 
Il est une heure au cadran du village,
La raison dit qu'il faut aller coucher,
L'amour heureux n'est pas fait pour mon âge,
Peut-on vous voir sans se laisser toucher.
De plus en plus je deviendrais moins sage.
A mon secret craignez de m'arracher.
 

Le lendemain, des voisins en grand nombre sont venus assister à un spectacle vraiment charmant: L'Optimiste, pièce nouvelle, a été jouée par le duc de Mortemart. Ses trois filles y avaient des rôles qu'elles ont rendus avec grâce, avec intelligence. «Celui de l'optimiste semble avoir été fait pour le duc de Mortemart. Chaque trait de ce caractère heureux convient singulièrement bien au sien, et tout vient prouver que le Ciel n'a rien oublié en s'occupant de son bonheur. L'aigreur de sa femme ne lui paraît pas aussi insupportable qu'elle le serait à un homme qui prend tout en bonne part. Il n'y a encore que le duc de Mortemart qui puisse s'arranger aussi bien des fantaisies sans nombre et sans mesures de la duchesse Pauline. Elle se couche quand il se lève, elle ne se met jamais à table que le soir, et là, mangeant à peine, elle réserve son appétit pour se faire servir à minuit, à une heure, dans sa chambre, ce qui nourrirait quatre gros mangeurs. L'an passé, elle fut quatre mois absente sans donner à âme qui vive de ses nouvelles. De tout cela le bon duc s'arrange sans murmurer une seule fois.»

Après quatre jours de plaisirs mondains qui lui font oublier préoccupations politiques et de carrière et semblent lui être très agréables, M. de Bombelles se met en route et descend à Paris dans son nouveau logement de la rue de Matignon où il jouit du voisinage de Mme de Louvois. Le lendemain 4, il est à Versailles, à l'heure où Mme de Bombelles rentre de la chasse avec Madame Élisabeth. A peine le temps d'embrasser sa femme et le marquis se remet en mouvement pour prendre langue et s'informer de la manière dont on pourra voir et entendre ce qui se passera à l'Assemblée des Notables. «M. le duc d'Orléans, qui s'est déclaré d'avance pour y apporter des dispositions peu dignes d'un prince du sang, a déjà fait parler de lui en faisant la sotte plaisanterie de dire à un Anglais qu'il était not able. Able en Anglais veut dire capable, et not ne pas, non; c'est ainsi qu'il s'est désigné comme incapable de concourir aux vues sages et bienfaisantes dont son Roi et le chef de sa maison sont animés.»

Le 5. – «A dix heures du matin, les Notables67 paraissent tour à tour; les évêques en habits pontificaux, les seigneurs en habits de chevaliers et de maires et autres membres du tiers ordre dans les habits adoptés par les différentes villes. Les élus de la noblesse dans les pays d'État ont leurs habits particuliers; les maires ou échevins de quelques villes ont l'habit de chevalier qui, aux couleurs près, est le même que celui des Ordres du Saint-Esprit, de Saint-Lazare et de Saint-Michel. La salle des Menus est aussi belle, aussi spacieuse que bien et simplement décorée: le dais, le trône du Roi, la vaste estrade qui contenait la noblesse, le parquet où était le clergé et le Tiers Ordre, rien ne manquait d'emplacement, ni de dignité. Autour des barrières qui dessinaient l'enceinte, étaient des places en nombre suffisant pour contenir, bien répartis, plus de douze cents spectateurs ou spectatrices. L'indécision a laissé gratuitement plus de huit cents places vacantes.

«Le Roi n'est arrivé qu'à midi trois quarts; il s'est rendu à l'Assemblée avec tout le cortège qu'il a sauvé des réformes faites, avec plus de précipitation que d'utilité réelle. Le discours prononcé par Sa Majesté a été imprimé; celui de son Garde des Sceaux l'est à la suite, ainsi que celui de son ministre des Finances.

«M. Necker, assis au bout de la table, où siégeaient les quatre secrétaires d'État, a lu avec emphase une longue harangue dont il eût dû taire les phrases oratoires. Ses amis, ses partisans ont élevé aux nues un discours qui ne fera pas germer sur notre terre la graine qu'y voudrait semer le citoyen de Genève, toujours répétant que le Roi déférait entièrement aux avis de MM. les Notables. M. Necker leur a fait leur leçon avec une pédanterie extrême; il leur a taillé un travail qui, pour le bien faire, les obligerait à siéger deux ou trois mois. Il a donné l'éveil sur la manière dont le Tiers État devait se faire représenter, et toujours on remarque combien il est stimulé par le désir d'acquérir une popularité sur laquelle il s'affermisse, avec une telle puissance que celle du Roi et des grands de l'État ne puissent, réunis, ébranler le piédestal du grand homme.

«Tout tend de partout à compter le Roi pour rien, et les vœux de M. Necker pourraient bien n'être pas très différents de ceux que formait l'archevêque de Sens; celui de devenir le «Maire du Palais».

«Après ces discours, Monsieur, frère du Roi, en a prononcé un comme premier noble du royaume. L'archevêque de Narbonne a pris ensuite la parole pour dire de grandes trivialités. Le premier président du Parlement de Paris s'est permis d'annoncer, de la manière la moins équivoque, toutes les oppositions que la magistrature continuera de mettre à tout ce qui tendrait à rétablir une entière harmonie entre les corps de l'Etat.

«Ce discours a été blâmé comme il devait l'être. Ce n'était pas le lieu, ni le moment de le prononcer, mais il indique le désespoir où sont les Cours souveraines d'avoir été prises au mot, lorsqu'elles se sont laissées influencer par quelques insensés, en demandant les Etats Généraux.

«Il se pourrait maintenant que les Parlements et les pays d'anciens États, après avoir demandé, comme des frénétiques, l'Assemblée des Etats Généraux, missent à leur réunion des entraves qui tourneront au profit de l'autorité royale et que le bien sortît de ce triste chaos, en confiant ensuite, et avec une sage adresse, aux États provinciaux le soin d'assurer la dette publique et de diminuer les embarras du Royaume.

«L'Assemblée a duré un peu plus d'une heure.»

Le 8 novembre, la comtesse d'Artois donne un concert à Versailles, et M. de Bombelles y est convié comme amateur de musique. Il a gardé sa franche opinion, car il ne nous cache pas que «le concert eût été charmant par le choix de la musique si, d'une part, l'orchestre de la chapelle du Roi savait aller ensemble et en mesure, et si, de l'autre, des chanteuses protégées n'eussent pas excédé l'auditoire par leur mince talent de société.» Marie-Antoinette s'est aussi fait entendre, et le marquis note ceci: «Quoique la Reine ne rende pas toujours des sons d'une bien scrupuleuse justesse, elle en forme de très agréables et chante avec une grande méthode; elle s'est très bien tirée du beau final de la Frescatana.»

Pendant l'entr'acte, des glaces ont été servies dans la chambre à coucher de la comtesse d'Artois. La Reine a été fort aimable pour les assistants, qui d'ailleurs n'étaient pas nombreux, car outre les officiers et dames de la maison de la princesse et Bombelles, il n'y avait là que les ducs de Mortemart et d'Harcourt, M. de Castelnau, MM. de Sérent et de la Bourdonnaye qui conduisaient leurs élèves les ducs d'Angoulême et de Berry. «Ce dernier paraît aimer la musique. M. le duc d'Angoulême nous a avoué qu'il n'aimait sans distinction que ce qui faisait du bruit.»

62.Choiseul-Gouffier demeura, en fait, à Constantinople jusqu'en 1792. On sait que c'était un archéologue distingué.
63.Joua un rôle dans les conseils de Coblentz. Voir infra.
64.Voir aussi le Journal de Hardy.
65.Philippine-Thérèse de Broglie, mariée à Henri de Faret, marquis de Fournès, colonel du régiment de Royal-Champagne (cavalerie); dame de compagnie de Madame Elisabeth.
66.Château qu'habitera plus tard La Fayette, gendre de la duchesse d'Ayen.
67.Rappeler les notables pour leur soumettre les questions relatives à la composition et à la forme des Etats Généraux, convoquer des conseillers qui s'étaient montrés impuissants dix-huit mois auparavant pour demander à leurs préjugés des lumières sur les temps nouveaux, était un acte impolitique et dénué de sens. Par le fait, cette réunion ajournait celle des Etats Généraux, «elle rendait à l'effervescence, à l'intrigue le temps qu'on avait d'abord jugé prudent de leur enlever.» (Voir Todière, op. cit., p. 170.)