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Buch lesen: «Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles», Seite 2

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Il faut s'arracher aux entretiens avec M. de Brienne, aux proverbes joués par Mmes de Damas, de la Briche et de Montbreton et MM. de Vandœuvre et de Kergorlay, le marquis rentre à Versailles où l'attendent femme, enfants et sœurs. Le marquis est souffrant et morose: «Sans eux, souligne-t-il, j'irais passer mon congé et soigner ma santé dans quelque coin bien ignoré où je n'apprendrais que bien tard les malheurs de ma patrie.»

L'affaire de Bretagne continue et non dans la gamme douce. «On ne s'est pas tenu à l'emprisonnement des douze gentilshommes bretons; les gens de marque qui s'étaient rendus à l'Assemblée convoquée par eux à l'hôtel d'Espagne ont été disgrâciés. A la Cour même, le contre-coup se fait sentir. La duchesse de Praslin payant pour son mari a reçu l'ordre d'envoyer sa démission de dame du Palais; le duc de Chabot a perdu ses pensions, M. de la Fayette, son poste d'officier général divisionnaire, et M. de Boisgelin, frère de l'archevêque d'Aix, l'ami intime du principal ministre, a défense d'exercer sa charge de maître de la garde-robe du Roi, et l'ordre de traiter de cette place et de s'en défaire au plus tôt.» Ces exécutions amènent diverses réflexions de l'auteur du Journal: celle-ci doit être remarquée: «Quant à M. de la Fayette, bien des gens demandent pourquoi il veut être de tout étant intrinséquement si peu de chose

Ces mesures contre les protestataires bretons sont diversement jugées. «Le baron de Breteuil, las de signer des ordres dont l'exécution devient si funeste au peuple, si fâcheuse pour le Roi», est résolu à se retirer.

«J'ai été avec lui dîner à Saint-Cloud. Il m'a parlé de sa retraite comme en ayant balancé avec prudence tous les inconvénients, avec ceux de tirer une charrue trop mal attelée. Les dépenses faites à Dangu ont gêné la fortune de M. de Breteuil, mais il restreindra sa dépense. Il espère que Mme de Matignon renoncera aussi volontiers que lui aux charmes du souverain pouvoir. En cela je crains qu'il ne s'abuse…

«L'archevêque de Sens a été à neuf heures du soir au Petit Trianon. Le Roi l'y a suivi de près; mais, pendant que le principal ministre a été enfermé dans le cabinet de la Reine, le Roi est resté dans le salon. Lorsque la Reine y a paru, il était clair qu'elle venait de pleurer. Ses chagrins ne touchent pas malheureusement à leur terme et ses vrais serviteurs croyent qu'elle s'en est ménagé de nouveaux en se faisant admettre aux Comités, parce que depuis que l'on sait dans le public qu'elle y assiste, on lui impute toutes les décisions sévères qui s'y prennent». Bombelles, en l'espèce, a vu clair; cette impression des contemporains se perpétuera, plus ou moins justement.

De nouvelles rigueurs se préparaient cependant contre dix-huit députés qui allaient se rendre à Paris; dix-huit lettres de cachet étaient expédiées pour les empêcher de venir. Que va-t-il advenir de l'archevêque et de son frère dans cette crise qui menace tous les ministères?

Bombelles a rencontré son vieil ami Esterhazy, qui si souvent s'est entremis pour lui, il vient de causer une heure avec lui le 21 juillet, il a noté son impression dont nous garderons surtout les détails sur la Reine.

Esterhazy faisait partie du Conseil de la Guerre; il en prônait «un réellement stable et à l'abri des fluctuations, où l'on ne se bornât pas à lire rapidement une besogne faite sans l'avis d'aucun des membres du conseil, dont M. de Guibert fût le despote» et «où le duc de Guines ne vît que comme un échelon plus certain pour le porter au Ministère de la Guerre».

«Ne pouvant seul parer à ces abus, il s'est mis à couvert des résultats en protestant contre tout ce qui se faisait sans sa participation. Il n'a donné cette protestation qu'après l'avoir lue à la Reine, et être bien certain que le Roi en avait connaissance. Cela fait, il a prié qu'on agréât sa démission; mais Leurs Majestés n'ayant pas voulu l'accepter, il s'est retranché pour le courant des délibérations derrière sa protestation et s'est attaché particulièrement à la partie des hôpitaux militaires qui lui a été confiée. Son opposition n'a point déplu à la Reine qui continue à la traiter avec la plus grande bonté, et qui disait il y a peu de temps à Mme la duchesse de Polignac: «Je ne me connais que deux véritables amis dans le monde, c'est vous et le comte Esterhazy.» On conçoit que le comte Valentin, fier de cette confidence, se soit empressé d'en faire part à Bombelles. Celui-ci, nous le savons, admirait fort l'intelligence et le dévouement à ses amis que témoignait Esterhazy, il avait à se louer des bons offices du colonel hongrois, il ne lui venait pas à l'idée que sa conduite en toute occasion pût être autre chose que désintéressée. Nous avons vu ailleurs28, nous verrons dans un chapitre postérieur que, si Esterhazy était capable de sincère et grand dévouement à un moment donné, il partageait avec les autres hommes ce défaut commun de ne pas négliger ses intérêts chaque fois qu'il en trouvait l'occasion.

Sur la situation politique la Reine avait donné aussi ses impressions à Esterhazy. «Sa Majesté, continuait Bombelles, confiait à ce loyal favori il n'y a pas plus de quatre jours, en se promenant avec lui à Trianon, combien elle était malheureuse d'avoir choisi pour ministre principal un homme qui, désigné comme doué d'un mérite éminent, se rendait odieux à la nation; combien il était cruel pour elle de se voir détestée en ne voulant que le bien de la France; de voir en même temps son fils aîné dans le plus triste état et son frère humilié dans tous ses projets. «Connaissez-vous, ajouta-t-elle, une femme plus à plaindre que moi!»

Et Bombelles qui a oublié ses anciens griefs contre la Reine – longtemps soupçonnée par lui d'avoir, pour raisons autrichiennes, entravé ou au moins retardé son avancement de diplomate – Bombelles, en veine de dévouement attendri, ajoute cette phrase: «Il est aisé de concevoir combien cette princesse, foncièrement bonne et aimable, doit souffrir de tant de chagrins réunis.»

Avec sa femme, le marquis est allé à Beauregard rendre visite au marquis de Sérent que les affaires de Bretagne menacent de dépouiller de ses fonctions de gouverneur auprès des fils du comte d'Artois. Il a trouvé les Sérent assez ennuyés et dépités, pas encore découragés, car ils savent le frère du Roi décidé à les défendre. Le lendemain 22 juillet, «Mgr le comte d'Artois a eu une prise très vive avec Mgr l'archevêque de Sens, relativement à M. le marquis de Sérent. L'archevêque lui ayant dit qu'on pourrait trouver un autre homme pour élever Mgrs les ducs d'Angoulême et de Berry, Mgr le comte d'Artois lui a répondu que l'estime qu'il avait pour le gouverneur de ses enfants ne lui permettait pas de les confier en d'autres mains, et qu'ils suivraient le marquis de Sérent dans l'exil qu'on ordonnerait et que c'était à Mgr l'archevêque de Sens à voir s'il voulait outrer assez les choses pour exiler, par contre-coup, les petits-fils de France».

Ainsi monté, le prince court chez le Roi chez qui il reste trois quarts d'heure en conversation. «Il en est sorti fort rouge, mais, en somme, ayant gain de cause, puisqu'il paraît décidé que l'on ne sévira pas autant qu'on le voulait dans la personne du marquis de Sérent. Mais on ne sait pas positivement s'il est exilé à Beauregard ou s'il a simplement défense de paraître à la Cour.»

Les événements de Dauphiné ne laissent pas d'inquiéter aussi. «Le maréchal de Vaux29 qu'on y a envoyé est personnellement respecté; mais ayant voulu exercer les pouvoirs que la grande patente de commandement donne sur le civil comme sur le militaire, on lui a observé que les bourgeois ne pouvaient être soumis à l'autorité que d'après l'enregistrement de sa grande patente, et que le Parlement ne pouvant s'assembler, cet enregistrement était impossible à effectuer. Il a fallu en conséquence renvoyer à Grenoble M. de Tonnerre qui en revenait et n'était plus qu'à vingt lieues de Paris. On réglera le pouvoir de ces deux commandants, ou on ne réglera rien, laissant aller tout cela comme cela pourra aller30».

Chacun s'agite et se trouble des événements provinciaux, dont la répercussion peut être immense; on commente la retraite de M. de Breteuil, que Bombelles n'est pas sans sentir très vivement. Le marquis a été questionné chez le Nonce où il a dîné avec les ambassadeurs, et il n'a pu que confirmer une nouvelle maintenant vraie. «J'ai passé la soirée avec M. le baron de Breteuil, écrit-il le lendemain 23, à Saint-Cloud. Il est aussi calme, aussi touchant, aussi noble que ferme dans sa résolution; avant de remettre sa démission, il désirait d'en prévenir la Reine qui lui a refusé une audience par une lettre faite pour raviser un des meilleurs serviteurs qu'aura jamais cette Princesse. Il lui a répondu dans les meilleurs termes sans insister pour la voir, et en prenant congé d'elle par écrit.

«La Reine s'est ravisée, car le lendemain, ayant quitté dès le matin son pavillon du Mail, Breteuil s'est rendu à Versailles, et là il reçoit une lettre obligeante de la Reine qui lui donne audience entre une heure et deux au Petit Trianon.

«M. de Breteuil s'est rendu avant au lever du Roi et lui a remis sa démission. Le Roi a écouté avec intérêt et bonté tout ce que le plus fidèle et le plus zélé de ses ministres lui a dit en se retirant. Au sortir de cette audience, M. le baron de Breteuil a été faire ses adieux au principal ministre, au garde des sceaux et aux autres ministres et secrétaires d'État. Il est entré dans son cabinet avec le calme d'un homme qui vient de se conduire noblement et qui a bien pesé d'avance ses démarches.»

Après signature des lettres dont l'expédition ne souffrait pas de délai, après les adieux «remarquables en amabilité et en raison faits à ses commis», – il a cherché à les consoler ainsi que nombre de ses gens qui fondaient en larmes, – Breteuil est parti pour Trianon avec Bombelles. Il a rapporté à la Reine les sceaux de sa maison qu'elle lui avait confiés31. Pendant les quelques minutes qu'a duré l'audience, Marie-Antoinette lui a proposé de rester dans le Conseil, bien qu'il eût donné sa démission de secrétaire du Roi, mais Breteuil refusa tout en remerciant avec respect. «La Reine, lorsqu'il s'est retiré, lui a dit de toujours s'adresser à elle pour tout se qu'il pourrait désirer.»

A Saint-Cloud les visites affluent. C'est d'abord le comte de Montmorin, M. de Lamoignon, des personnages politiques, des gens de Cour… même la comtesse du Barry. Le vertueux Bombelles éprouve un peu d'humeur à voir «le ton d'intimité de quelques femmes de la société du baron avec cette ancienne maîtresse de Louis XV. Elle n'a plus de beauté et n'a pas acquis, comme on me l'avait pourtant assuré, du maintien». Le soir, la duchesse de Praslin est venue, «mais elle n'a pas eu avec le ministre retiré, le ton de gens qu'un mutuel contentement rapproche… Mme de Bombelles qui avait été obligée de passer la journée à Versailles est arrivée au pavillon pour souper. M. de Breteuil avait eu l'attention de l'aller voir en retournant de Trianon à Saint-Cloud. C'est dans ce moment que n'ayant plus à craindre que l'attendrissement de ses vrais amis diminuât un peu de sa fermeté que nous nous sommes livrés sans scrupule à toute notre sensibilité».

Bombelles doit énormément à Breteuil: c'est lui qui a protégé ses débuts de jeune diplomate, il s'est montré avec constance le conseil dévoué, l'ami chaud du ménage, il est juste que leurs témoignages de regret et de considération se montrent à la hauteur des services rendus et de l'amitié affichée. Mais Bombelles ne se contente pas des démonstrations verbales, il aime à écrire sa reconnaissance, et son Journal amplifie encore: «Je perds dans le conseil le seul homme qui eût à cœur d'y faire approuver ma besogne. Je porterai peut-être la peine de mon attachement à un ministre dont la conduite est une censure importune de celle de ses confrères; mais quelque chose qui m'arrive ou puisse m'arriver en mal, jamais la malice, l'injustice ou les fausses préventions ne pourront, en me conduisant bien, me faire autant de mal que l'amitié et les soins paternels de M. le baron de Breteuil ne m'ont fait de bien. C'est maintenant qu'il connaîtra ceux qui lui sont véritablement dévoués; c'est maintenant qu'il me sera vraiment doux de lui consacrer l'hommage d'une juste, mais vive reconnaissance.»

Voilà une vraie profession de foi. Si hyperbolique qu'elle puisse sembler, Bombelles l'écrit comme il la pense; il donnera plus tard mainte preuve de son attachement à Breteuil, comme Breteuil ne manquera pas une occasion de protéger Bombelles, de le pousser dans les voies politiques jusque dans l'émigration. On appellera Bombelles le Sosie de Breteuil, parce que leurs actes et leurs dires s'entr'aideront et se complèteront. Nous verrons même en quoi le fait d'être inféodé à la politique royaliste de Breteuil aliénera à Bombelles et les faveurs des Princes et la bonne volonté de ceux qui suivaient leur sillon…

Dans sa tristesse de voir s'éloigner le ministre de la maison du Roi, Bombelles n'en oublie pas d'autres préoccupations. Au dîner de Saint-Cloud où sont venus le comte de la Luzerne32, les ducs de Saulx33 et de Céreste34 et beaucoup d'autres personnes de marque, chez la maréchale de Duras où le marquis a soupé, tandis que Mmes de Bombelles et de Louvois se consacrent à Mme de Matignon, le sujet presque unique de l'entretien est la question de l'assemblée du Dauphiné. Le maréchal de Vaux ayant dû reculer, il sera difficile de s'opposer à ce que les Dauphinois gardent la forme ancienne de leurs Parlements. Deux jours après, des nouvelles complémentaires arrivent. L'assemblée de Grenoble a déclaré que si le Roi ne retire pas ses édits elle pourvoiera elle-même «à sauver les peuples des inconvénients de ces édits. On est partagé sur la conduite du maréchal de Vaux…; cinquante mille livres ont été donnés à la ville de Grenoble pour réparer les dommages occasionnés par l'émeute35».

En Béarn il y eut aussi des désordres. Le duc de Guiche, comme représentant des Gramont, la plus illustre famille du pays, a été envoyé par le Roi. Un grand nombre de nobles et de paysans allèrent à la rencontre du duc, avec des démonstrations de joie et de vénération en portant au milieu d'eux, comme un palladium, le berceau de Henri IV. Le Béarn ne proclama pas son indépendance comme le faisait craindre l'état d'exaspération où se montraient ses habitants, mais l'envoyé du Roi n'obtint pas que les édits nouveaux fussent acceptés.

CHAPITRE II

Continuation du Journal. – La députation de Bretagne et le Roi. – Les ambassadeurs de Tippoo-Saheb à Trianon. – Chute de Loménie de Brienne. – Facéties des Parisiens à ce sujet. – Les dessous de la disgrâce. – La duchesse de Polignac. – Disgrâce de Lamoignon. – Emeute à ce sujet. – Le Parlement et la Cour. – Prodrômes d'événements graves. – Tristesse de Louis XVI.

Le Journal continue, entremêlant assez agréablement pour le lecteur faits politiques et nouvelles de Cour.

Une députation de Bretagne est venue réclamer la liberté de ceux qui les avaient précédés et en même temps le rétablissement du Parlement breton. Le Roi a reçu les députés des commissions intermédiaires et leur a fait une réponse «qui, souligne Bombelles, n'est approuvée que par les coopérateurs de la besogne présente».

«J'ai lu le mémoire que vous m'avez remis; j'avais lu ceux qui l'avaient précédé; vous n'auriez pas dû me les rappeler. J'écouterai toujours les représentations qui me seront faites dans les formes prescrites.

«L'assemblée qui a député douze gentilshommes n'était point autorisée; aucune permission ne m'avait été demandée. Ils ont eux-mêmes convoqué à Paris la plus irrégulière des assemblées: j'ai dû les punir. Le moyen de mériter ma clémence est de ne pas perpétuer en Bretagne, par de pareilles assemblées, la cause de mon mécontentement. Les commissions qui vous ont chargés de me demander le rétablissement de mon Parlement de Bretagne ne pouvaient pas prévoir la conduite qu'il vient de tenir. Elles n'auraient pas sollicité pour lui une marque de confiance lorsqu'il me porte à lui en donner de mon animadversion.

«Mais ces punitions personnelles que le bon ordre et le maintien de mon autorité exigent, n'altèrent en rien mon affection pour la province de Bretagne. Vos États seront assemblés dans le mois d'octobre. C'est par eux que doit me parvenir le vœu de la province. J'entendrai leur représentation et j'y aurai l'égard qu'elles pourront mériter.

«Vos privilèges seront conservés. En me témoignant fidélité et soumission, on peut tout espérer de ma bonté, et le plus grand tort que mes sujets puissent avoir auprès de moi, c'est de me forcer à des actes de rigueur et de sévérité; mon intention est que vous retourniez demain à vos fonctions.»

Laissons les députés de Bretagne préparer leur troisième mémoire. Refusons-nous à de trop longues considérations sur ces résistances des assemblées provinciales désireuses de reprendre leur ancienne influence; par prudence, ne prenons pas parti dans un différend où le Roi défend son pouvoir absolu – ce qui est son droit – et où les représentants des classes privilégiées défendent en même temps leurs privilèges et les revendications du peuple, – toutes les classes alors s'unissant contre le Gouvernement; – notons seulement ces murmures et ces revendications plus ou moins âpres suivant les provinces, étonnons-nous moins, en résumé, en écoutant les bruits de 1788, des clameurs que nous entendrons l'année suivante.

Le marquis continue à marquer sur son Journal les visites intéressantes qu'il ne cesse de faire. Il n'a pas oublié la princesse de Vaudémont36: «Je l'ai trouvée non dans un boudoir de jolie femme, mais dans un cabinet de livres; elle a su mettre à profit de longues et extraordinaires maladies pour se donner par une belle instruction un genre de ressources qui ne nous manquent jamais.»

Chez la duchesse de la Vauguyon, il a conduit le 3 août le chevalier d'Alméida et un autre Portugais de marque, don Fernando de Lima. «Sa fille mariée au petit prince de Listenois, beaucoup plus jeune qu'elle, est jolie, agréable, et moins gesticulante que sa mère dont elle a la charmante physionomie et la belle taille. J'ai renouvelé connaissance avec le prince de Bauffremont qui, autrefois connu sous le nom de chevalier de Listenois, faisait les délices de la Cour de Lunéville, du temps où le bon, l'aimable Roi Stanislas fixait autour de lui tout ce qui ne se trouve plus auprès des plus grands monarques, c'est-à-dire nombre de gens de mérite et beaucoup d'un bon esprit37

Tout ce qui touche le baron de Breteuil a le don d'inspirer notre narrateur. Aussi s'étend-il volontiers sur les marches et contre-marches de son protecteur. Nous n'ignorons rien de ses projets comme de ses faits et gestes. Avant de partir pour Dangu il a mis de l'ordre dans sa maison, réformé les dépenses extraordinaires. Il n'a gardé positivement que les gens qu'il lui fallait, mais il s'est occupé en père de famille à placer tous les autres. Son chef de cuisine entrait dans son premier plan de réforme. Il avait été sur le point de le renvoyer à Vienne à cause de son excessive cherté. «Ce cuisinier s'était corrigé quant à la partie économique, et lorsque M. le baron a voulu se séparer de lui, il a dit à son maître: «C'est chez vous, c'est par vous que j'ai gagné tout ce que je possède, je pourrais aujourd'hui vous servir pour rien, souffrez que je ne vous quitte pas, je connais vos goûts. Je les étudierai de plus en plus, et je vous serai, par mes soins, moins dispendieux que quiconque dirigerait votre cuisine.» M. le baron s'est trouvé sans défense contre ce langage touchant, et le sieur Chandelier, car il mérite qu'on le nomme, continuera à bien nourrir son maître et ses amis.» Voilà donc un cuisinier rare, qui, grâce à Bombelles, passe à la postérité… au moment où par un arrêt du Conseil le Roi suspendait la Cour plénière et convoquait les États généraux pour le 1er mai 178938.

Voici qu'un petit événement va distraire la Cour et la Ville et dissiper un moment les nuages qui assombrissent l'horizon: l'arrivée à Paris des ambassadeurs de Tippoo-Saheb, sultan Bahadour de Mysore, qui venaient réclamer notre appui contre les Anglais.

A la suite d'un long voyage coupé d'arrêts à l'Ile de France, au cap de Bonne-Espérance, à Malaga, ils sont débarqués à Toulon le 8 juillet. Après avoir excité la curiosité sur tout le parcours, à Marseille, à Lyon, à Fontainebleau, ils ont été magnifiquement reçus à Paris. On les attend à Versailles le 8 août, les dames de la Cour se sont mises en frais particuliers, la sage Mme de Bombelles a commandé à Mlle Bertin un «pouf» de haut goût, le marquis s'est rendu lui-même chez la fameuse modiste pour lui recommander d'être exacte à livrer la coiffure choisie…

«Tout Versailles a été occupé aujourd'hui, écrit M. de Bombelles le 9, de l'arrivée des ambassadeurs indiens à Trianon39, et un grand nombre de Parisiens sont arrivés pour voir demain l'audience qui sera donnée à ces ambassadeurs.

«Ils se sont fait longtemps attendre, ce qui a quelque peu impatienté les courtisans. Aucune recherche n'avait été négligée pour leur rendre encore plus agréable la plus belle, la plus magnifique des habitations. La grande salle était ornée d'un superbe tapis de la Savonnerie, de forme circulaire, autour duquel étaient des coussins de velours cramoisi avec galons, glands, riches franges d'or.»

Leurs Excellences ont été reçues dans cette espèce de divan. Une foule énorme demandait à entrer, et il fallut toute la fermeté des suisses du Roi pour maintenir l'ordre. Les officiers des Gardes Françaises, de garde à Versailles, demandèrent à voir les ambassadeurs. Après eux, M. de Bombelles fit entrer sa femme et ses enfants.

«Le troisième des ambassadeurs, nommé Mouchan Osman-Khan, a été fort aimable pour cette petite famille. Ce négociateur longtemps employé par Heydin Aly et, depuis, par Tippoo-Saheb, se distingue en toutes choses de ses collègues. Les deux autres, et particulièrement Mohamed Dervich Khan sont ombrageux, jaloux et mécontents. Ils ont tout fait changer dans les appartements qui leur étaient préparés et n'ont montré toute la soirée que de l'humeur. Non seulement ils n'ont remercié personne des soins pris pour les établir comme des souverains, mais encore ils n'ont parlé à qui que ce soit des remerciements dus à la bonté du Roi. Le fait est que ces gens sont gâtés depuis qu'ils ont perdu de vue leur pays, et que, de mieux en mieux; on les traite trop bien.»

Ils se plaignent de la nourriture aussi bien que du logement, et pourtant on avait respecté leurs rites apportant poissons et autres animaux tout vivants. Les officiers de la maison du roi finirent par les laisser grogner à leur aise, et ce n'a été que de ce moment qu'ils ont paru écouter les avis d'Osman Khan en devenant moins difficiles à contenter.

Le 10, les trois ambassadeurs sont partis à onze heures du matin de Trianon. Ils sont entrés dans la grande cour du palais de Versailles dans trois carrosses attelés chacun de six chevaux et à la livrée du Roi, ils ont passé entre deux haies de gardes formées des Gardes françaises et des Suisses, les tambours battant l'appel.

«Descendus de leurs voitures dans la cour des Princes, le sieur Delaunay, commissaire de la Marine, les a conduits par l'escalier des Princes et la salle des Cent Suisses qui étaient en haie, la hallebarde à la main, dans un appartement particulier, pour y attendre le moment où le roi serait prêt à les recevoir.»

L'audience qui devait avoir lieu à midi se trouva retardée par un caprice des ambassadeurs. Ils avaient émis la prétention d'être assis; il fallut un certain temps pour les faire renoncer à leur ridicule demande et leur citer tous les exemples d'audience solennelle, «où jamais les représentants de quelque souverain que ce fût n'avaient pu obtenir une distinction qui n'était pas accordée aux frères du Roi.

D'abord la Reine est entrée, arrivant par les appartements attenant au salon d'Hercule et a été prendre place longtemps avant que le Roi parût.

Il était midi trois quarts lorsque Sa Majesté, accompagnée de Monsieur, de Mgr le comte d'Artois, des ducs d'Angoulême, de Bourbon, d'Enghien, des princes de Condé et de Conti, s'est rendue dans la salle d'audience. Le trône qui sert à la cérémonie du Saint-Esprit était placé sur une estrade élevée de huit marches et adossé à la cheminée. L'on avait construit deux tribunes dans l'embrasure de la porte qui donne dans le salon de la chapelle et dans la fausse porte correspondante. Le reste du salon était garni de gradins pour les ambassadeurs et les seigneurs et les dames de la Cour. Ceux-là et celles-ci étaient placés non suivant leur rang, mais au fur et à mesure qu'ils arrivaient.»

«Un hasard heureux, continue Bombelles, avait placé le plus en vue les plus jeunes et les plus jolies femmes; un hasard plus heureux encore m'ayant fait rencontrer le duc de Polignac et ses enfants, il m'a permis de joindre les miens aux siens, et nous avons attrapé une embrasure de fenêtre où le petit peuple a vu aussi bien que possible.»

Dans la tribune de gauche se tient la Reine avec Madame, Madame fille du Roi et le duc de Normandie; dans la tribune de droite se placent la comtesse d'Artois, Madame Élisabeth et le duc de Berry. Les princes à droite et à gauche gardaient les avenues de ces tribunes resplendissantes de brocarts et de draperies d'or. Grands officiers présents et gentilshommes de la Chambre se tenaient derrière. Entre les cinq premières et les trois dernières marches étaient les ministres, les secrétaires d'État et le contrôleur général, M. Lambert.

Cependant l'archevêque de Sens avait monté d'un pas trop délibéré toutes les marches de l'estrade. Le maréchal de Duras dut le prier de redescendre à sa place en qualité de ministre, «parce que sa primatie ne lui vaut rien dans les cérémonies de la Cour, fût-il même premier ministre, au lieu de n'être que ministre principal».

Le Roi est monté sur son trône et donne l'ordre d'aller chercher les ambassadeurs indiens. Ceux-ci ont traversé tous les grands appartements remplis de spectateurs, entre deux haies de gardes du Corps. Les ambassadeurs s'avançaient sur la même ligne.

Il ne nous est fait grâce d'aucun détail.

«Les ambassadeurs sont conduits au salon d'Hercule. Alors Mohamed-Dervich-Khan a remis au Roi leur lettre de créance et tous les trois ont présenté à Sa Majesté, sur des mouchoirs, vingt et une pièces d'or, ce qui est, dans l'usage de l'Inde, l'hommage du plus profond respect.

«Sa Majesté a accepté une de ces pièces de chacun d'eux; ensuite Mohamed-Dervich-Khan a prononcé une harangue qui a été traduite et répétée par M. Rufin. J'étais à portée de l'entendre, si M. Rufin ne l'eût prononcée qu'à basse voix, parce qu'elle renfermait plusieurs phrases peu obligeantes pour les Anglais, et que les ambassadeurs des cours d'Europe avaient quitté leur place pour tâcher d'attraper le sens de la harangue de leurs confrères indiens.

«Après la réponse du Roi, les ambassadeurs firent leurs trois révérences, ils se sont arrêtés et demandèrent la permission de jouir un instant du spectacle imposant qu'offrait le salon d'Hercule. Enfin, en se retirant, ils ont salué une quatrième fois le Roi, qui a poussé la bonté jusqu'à permettre que la suite des ambassadeurs entrât dans la salle d'audience.»

Les ambassadeurs pensèrent-ils à saluer la Reine? Plusieurs personnes ont cru que leur quatrième salut avait été pour elle. Bombelles n'en est pas bien sûr. «Ces personnages fêtés outre mesure» ne lui disent rien qui vaille.

Au même moment une autre solennité se préparait à Suresnes où Mme la comtesse d'Artois devait couronner celle de trois rosières qui obtiendrait le premier prix de bonne conduite.

M. de Bombelles a été prié de se mettre aux ordres de la princesse qui est arrivée en grand cortège à Suresnes; il se trouve dans la seconde voiture avec Mmes de Montmorin, de Caulaincourt, de Montvel et de Coetlogon.

MM. de Vintimille, de Vérac et de Chabrillan étant absents, c'est le marquis qui donne la main à Mme la comtesse d'Artois pour la conduire de sa voiture à la tribune qui avait été ornée pour elle. «L'abbé Fauchet a fait un discours ampoulé pour célébrer la fête de la rosière. La plus laide des trois a obtenu la couronne… Nous mourrions de chaleur à l'église; un froid humide nous attendait dans le bois et, revenu à Saint-Cloud, j'étais transi…»

L'archevêque de Sens tient à faire acte de principal ministre et a convié, le 11, tout ce qui marque à Versailles à un grand festin donné en l'honneur des ambassadeurs indiens. «Rien n'était magnifique», remarque Bombelles, qui compare avec les dîners d'apparat offerts par le baron de Breteuil aux États de Languedoc et de Bretagne. Il étalait un tout autre luxe quoique tous ses appointements et les grâces du Roi réunis à sa fortune personnelle formassent un revenu bien inférieur à celui qui n'a jamais suffi à l'archevêque. «Ses gens sont mesquinement vêtus, ses chevaux sont laids, ses voitures vilaines; sa vaisselle est médiocre et sa table est très ordinairement servie. Il est bien rare qu'un homme qui ne se fait pas honneur de ce qu'il a et qui gère mal ses finances administre bien celles d'un grand État.»

En attendant de dire adieu définitif au funeste ministre dont les jours sont comptés, M. de Bombelles fait la courte oraison funèbre du maréchal de Richelieu qui vient de mourir. «Il était tout à fait tombé en enfance et vient de terminer une vie dont les circonstances variées, mais marquantes, pourront fournir une ample matière à l'éloge. Au milieu de bien des vices, il montra des talents de plus d'un genre; sa mère et celle de Voltaire eurent toutes deux le même amant: Voltaire et le maréchal naquirent de ces feux illicites. Mon frère aîné pensait avec un certain plaisir que sa mère moins fidèle et moins chaste que la mienne40 lui avait donné le jour dans le temps où le duc de Richelieu donnait du souci à mon père.»

Tandis que la marquise est de service auprès de Madame Élisabeth, M. de Bombelles est allé passer quelques jours à Dangu chez le baron de Breteuil. C'est là qu'entre autres nouvelles il apprend que la gêne sans cesse augmentante du Trésor a amené un arrêt du Conseil aux termes duquel les paiements de l'État étaient suspendus pendant six semaines et devaient être ensuite effectués partie en espèces, partie en papier, jusqu'au 31 décembre. L'édit41 ne s'explique pas sur la manière dont le traitement des ambassadeurs et ministres du roi sera payé. «Mais il y a bien à craindre que nous nous ressentions de la gêne générale et d'une gêne qui n'est que la suite de mauvaises opérations. Bien des gens crieront: «Tolle», je me rappellerai que le baron de Bezenval était à sa quinzième année d'ambassade à Varsovie sans avoir vu un denier de ses appointements. Je souffrirai sans me plaindre, je me restreindrai sur tout ce qui sera possible, et continuant à servir mon maître et l'État avec zèle, je ne désespérerai pas de survivre à des circonstances plus heureuses, et je ne croirai pas le bonheur de mes enfants perdu, quoique les moyens de le consolider semblent m'échapper au moment où je croyais les atteindre.»

28.Voir Fantômes et Silhouettes.
29.Noël de Jourdan, comte de Vaux, né en 1705, entré au service en 1724. Après des services éclatants surtout pendant la guerre de Sept Ans, il devint lieutenant général en 1759, commanda en chef dans la Corse, soumit l'île en trois mois; maréchal en 1783, mort en 1788. Le général Canonge lui a consacré une étude militaire très fouillée (Le Carnet, 1905).
30.La vérité est que le maréchal de Vaux dut transiger pour rendre aux Dauphinois leurs Etats particuliers. Voir la note plus loin.
31.Laurent de Villedeuil, son successeur, prêta serment dès le 27. C'était un ancien intendant de Rouen qui, un instant, avait été contrôleur général.
32.Ministre de la Marine.
33.Charles-François, comte de Saulx, duc héréditaire de Saulx-Tavannes en 1786, colonel aux grenadiers de France, chevalier d'honneur de la Reine; émigré, pair de France en 1814; titre éteint.
34.Titre ducal héréditaire, concédé en 1764 à Louis-Albert de Brancas, frère consanguin du duc de Brancas-Villars. Devenu chambellan de Napoléon Ier, pair de France, grand d'Espagne par héritage de son cousin le marquis de Céreste, mort sans enfant.
35.Voir dans l'ouvrage de Todière, le chapitre XI, Funestes suites du coup d'Etat du 8 mai 1788.
  Les émeutes que Bombelles ne fait qu'indiquer avaient été fort graves à Grenoble. On avait rappelé Clermont-Tonnerre, qui n'avait pas su se faire respecter et qui, pour sauver sa vie menacée par la hache d'un mutin, avait capitulé. Ce n'était plus seulement une assemblée de gentilshommes, un corps de magistrats en état de résistance, c'était une portion de l'armée en état de dissolution, disposée à passer de l'obéissance à la révolte. Des soldats étaient gagnés. Comme un officier donnait l'ordre de faire feu, on entendit ces mots: Tirerez-vous donc sur vos frères? C'était déjà le début du système des crosses en l'air. Le peuple voulait fraterniser avec le soldat, bientôt le soldat n'obéirait plus. Royal Marine se défendit, le régiment d'Austrasie épargna le peuple.
  L'Assemblée des Etats permise par le maréchal de Vaux après échange de lettres avec le ministère eut lieu non pas à Grenoble, mais à Vizille. Mounier et Barnave dirigèrent les débats de cette assemblée où Gon tenait tête au Gouvernement. Celui-ci dut céder et rendre aux Dauphinois leurs Etats particuliers et suivant leurs vues: Voir Mémoires de Weber, t. I, et Todière; Louis XVI, etc.
36.Née Montmorency, mariée à un prince lorrain. Femme d'esprit très cultivé et libéral qui devait compter des amis dans tous les partis. Après la Révolution, elle se lia avec Talleyrand, avec Mme de Custine, tint un salon très intéressant. Elle resta fidèle à Fouché, même après sa disgrâce.
37.M. Gaston Maugras vient de publier un agréable livre sur la Cour de Lunéville, Plon, 1904.
38.On n'y croyait pas encore, et bien que créé bruyamment dans Paris, l'arrêt ne fit pas le bruit que certains en attendaient. «Le public est dans une disposition contraire à la confiance.» Correspondance secrète, II, 279. Pour l'opinion contraire, voir Journal de Hardy, VIII.
39.Le 8, ils avaient visité le parc de Saint-Cloud, et les grandes eaux avaient joué en leur honneur. Asselin fit en 1789 de cette scène une jolie gouache, qui est au musée de Sèvres. En voir la reproduction dans le Palais de Saint-Cloud, par le comte Fleury, Laurens, 1901.
40.On se souvient que le comte de Bombelles, fils aîné, était né du premier mariage du lieutenant-général de Bombelles.
41.Arrêt du 16 août, celui qu'on appela l'édit de la banqueroute.