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Buch lesen: «Histoire anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Premier», Seite 11

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Racine ne croyait pas cette tragédie supérieure à ses autres pièces; il donnait la préférence sur toutes à Phèdre. Boileau fut le seul qui maintint, envers et contre tous, son opinion. «Je m'y connais bien, disait-il, on y reviendra; Athalie est un chef-d'œuvre.»

Ce fut en 1716, longtemps après la mort de Racine, que la tragédie d'Athalie fut mise à la scène. La Cour avait toujours conservé pour elle une prédilection marquée. C'est au point qu'en 1702, Louis XIV voulut la voir représenter à Versailles. La duchesse de Bourgogne se chargea du rôle de Josabeth; ceux d'Abner, d'Athalie, de Joas, de Zacharie, furent remplis par le duc d'Orléans, la présidente de Chailly, le comte de l'Esparre, second fils du comte de la Guiche, et M. de Champeron. Baron père eut le rôle de Joad; le comte d'Ayen, plus tard maréchal de Noailles, et sa femme, nièce de madame de Maintenon, y remplirent également des rôles secondaires. Trois fois cette admirable tragédie fut jouée à la Cour par ces grands personnages. Comme ces représentations n'avaient qu'un nombre restreint de spectateurs, elle n'en acquit pas plus de célébrité. On continua, dans le public, à la croire détestable, et ce ne fut qu'après son interprétation par les comédiens de Paris, qui durent affronter l'orage d'un public mal disposé, que ce public comprit enfin qu'il avait fait fausse route et revint franchement sur son opinion erronée. C'est le duc d'Orléans, régent de France, qui, sur le compte que lui en firent des hommes d'esprit, voulut juger par lui-même de l'effet produit à la scène par Athalie. Il ordonna aux acteurs du Théâtre-Français de l'apprendre, malgré la clause insérée dans le privilége et qui leur défendait de la représenter. Par une suite de circonstances politiques, Athalie avait à cette époque une sorte de mérite d'actualité qui servit encore à la faire valoir. Louis XV avait l'âge du Joas de Racine; ce prince, comme le Joas de l'histoire juive, restait seul d'une famille nombreuse éteinte par la mort. Le public de Paris, si prompt à saisir les à-propos, applaudit avec force ces vers:

 
Voilà donc votre roi, votre unique espérance?
J'ai pris soin jusqu'ici de vous le conserver,
 
 
Du fidèle David c'est le précieux reste,
 
 
Songez qu'en cet enfant tout Israël réside,
 

Nous allons grouper autour de Racine, comme nous avons groupé autour de Corneille, les principaux auteurs tragiques dont les pièces furent mises au théâtre pendant la période qui s'étend de la fin du dix-septième siècle au milieu du dix-huitième, époque à laquelle nous aurons à parler d'un autre grand poëte, Arouet de Voltaire. Nous aborderons ensuite la comédie avant, pendant et après Molière.

«Racine, dit un homme d'esprit, forma, sans le savoir, une école, comme les grands peintres; mais ce fut un Raphaël qui ne fit point de Jules Romain.»

IX
CONTEMPORAINS DE RACINE

Examen anecdotique des contemporains de Racine. – Pradon. – Son genre de talent. —Starita.– Anecdote. —Tamerlan (1676). – Mot de Pradon au prince de Conti. —La Troade (1679). – Sonnet-parodie de Racine au sujet de cette pièce. —Scipion (1697). – Épigramme de Gacon. —Germanicus (1694). – Épigramme. – Anecdote du quatorze de dames. —Régulus (1688). – Le manteau de Régulus. – Épigramme de Rousseau. – Épitaphe de Pradon. – Mme Deshoulières. —Genseric (1680). – Analyse-épigrammatique de cette tragédie. – La Chapelle. – Il cherche à imiter Racine. – Ses tragédies de Zaïde, de Cléopâtre, de Téléphonte et d'Ajax, de 1681 à 1684. – Anecdotes. – Campistron, élève de Racine. – Auteur fécond. – Son genre de talent. —Virginie (1683). —Arminius.– Succès de son Andronic (1685). – Anecdote. —Alcibiade (1685), et Phraate (1686). —Phocion (1688). – La bague de Péchantré. —Adrien (1690), tragédie chrétienne. – Citation. —Alcide (1693). – Quatrain sur cette pièce. – Péchantré. – Histoire de la paternité de Géta, première tragédie de Péchantré. —Jugurtha.La Mort de Néron (1703). – Anecdote. – Abeille. – Ses tragédies d'Argélie, de Coriolan, de Lyncée, de Soliman (de 1673 à 1680). – Anecdotes. – Épitaphe d'Abeille. – Épigramme. – Lagrange-Chancel, dernier élève de Racine. – Sa prodigieuse facilité. – Sa première pièce faite quand il avait neuf ans. – Sa tragédie de Jugurtha. – Sa lettre à propos de cette pièce. —Oreste et Pilade (1697). —Méléagre (1699). —Athénaïs, Amadis, Alceste, Ino, Sophonisbe (de 1700 à 1716). – Anecdotes. – Ses autres pièces. – Ses aventures romanesques. – Ferrier, Genest, Longepierre, Riuperoux autres contemporains de Racine. – Leurs tragédies. – Anecdotes. – Boursault. – Son éducation négligée. – Ses principales productions dramatiques. – Sa tragédie de Germanicus (1679). – De Marie Stuart (1683). – De Méléagre (1694). – Anecdotes. – Comédies. —Ésope à la Cour (1701). – Vers retranchés. —Ésope à la Ville (1690), première pièce à tiroir. – Quatrain de Boursault. —Le Mercure Galant (1679), première pièce dans laquelle un acteur fait plusieurs rôles. – Anecdotes sur Visé. —Phaëton (1691). —Les Mots à la mode (1694). – Brochures chez Barbin, le Dentu du dix-septième siècle. – Autres ouvrages de Boursault. – Jugement sur cet auteur. – Fontenelle. – Mérite de ses œuvres. – Sa tragédie d'Aspar (1680). – Épigramme. – Couplets. – Ses opéras. —Thétis et Pelée (1689). – Anecdotes. —Énée et Lavinie (1690). —Bellérophon (1719). – Anecdotes curieuses. —Endymion (1731). – Couplets.

Le grand Corneille avait eu point ou peu de rivaux, en ce sens qu'on n'avait fait l'honneur à personne de le comparer à lui. Racine en eut plusieurs. Cela provenait sans doute de ce que Corneille était entré tout à coup avec une supériorité telle dans la carrière dramatique, que Richelieu seul avait osé lui faire une opposition qui, littérairement parlant, n'avait pu être sérieuse, et qui, aujourd'hui, ne semble que ridicule. Lorsque Racine parut, au contraire, la route était déblayée, tracée déjà, et l'art débarrassé de ses entraves; la carrière étant plus facile à parcourir, plus d'hommes d'esprit pouvaient se mettre sur les rangs et aspirer à cueillir les palmes poétiques. Toutefois, aucun de ceux que l'opinion, ou plutôt la coterie, posèrent au dix-septième siècle en rivaux de Racine, ne peut soutenir le moindre parallèle avec lui. Aujourd'hui que deux siècles, en passant sur les cendres de l'auteur de Phèdre et d'Athalie, ont enlevé jusqu'aux moindres traces des passions des contemporains, aujourd'hui qu'on n'est plus que juste pour les littérateurs du grand règne, personne ne songe à lui opposer une bannière rivale. L'histoire et la postérité finissent tôt ou tard par juger en dernier ressort, et leur jugement est sans appel.

Commençons l'examen anecdotique des contemporains de Racine, par ceux que les passions de l'époque lui firent opposer comme rivaux, honneur bien grand et qu'ils étaient loin de mériter pour la plupart. En tête, nous trouvons celui que la coterie Deshoulières avait choisi pour composer une Phèdre dont nous avons raconté l'histoire.

Pradon, né à Rouen, n'était pas un poëte sans valeur, il s'en faut de beaucoup. Il avait de l'esprit, de l'imagination, de la facilité, une connaissance exacte des règles du théâtre, du goût pour la saine littérature, et il est hors de doute que, si au lieu de se laisser sottement poser en rival d'un homme qu'il eût dû considérer comme un maître, il se fût borné à prendre cet homme pour modèle, il se fût épargné beaucoup de critiques souvent injustes, mais fort spirituelles, et eût été mieux apprécié de ses contemporains. Longtemps Pradon resta sans pouvoir se relever, courbé sous les pointes acérées de Boileau; longtemps son nom fut pour le public le nom d'un poëte ridicule, et aujourd'hui même il est plutôt connu par les épigrammes et les satires auxquelles il donna lieu, que par ses œuvres dramatiques. Encore une fois cependant, Pradon a fait de beaux vers et de bonnes tragédies. Il savait ménager les incidents, placer çà et là, dans ses pièces, des traits heureux, des situations intéressantes, des mouvements forts et véhéments. Nous le répétons, il s'est perdu par la vanité ridicule avec laquelle il a voulu se comparer à Racine. Si Pradon eût été un poëte modeste, il eût eu la réputation d'un poëte de mérite.

Une des tragédies de Pradon, Starita, faillit lui coûter fort cher. A la première représentation, il s'en va, le nez dans son manteau, avec un ami, se glisser au parterre pour jouir, incognito, des applaudissements qu'on ne peut manquer de donner à sa pièce. Mais, dès le premier acte, les sifflets se font entendre; Pradon perd contenance; son ami lui conseille de faire comme tout le monde et de siffler à son tour. Le conseil lui paraît bon; il se met de la partie. Un mousquetaire trouve mauvais cette musique, pousse le coude de Pradon en lui disant que la tragédie est fort belle, que l'auteur est bien en cour et qu'il l'engage à se taire. Pradon, un peu vif, repousse le mousquetaire. Ce dernier jette sur le théâtre la perruque et le chapeau du poëte; celui-ci allonge un soufflet au militaire, qui, mettant l'épée à la main, lui fait deux estafilades sur la joue. Le malheureux auteur, sifflé, battu, blessé pour l'amour de lui-même, n'a que le temps de sortir pour aller se faire panser, jurant qu'on ne le prendra jamais à défendre un poëte méconnu. Starita, donnée en 1679, était cependant une de ses bonnes pièces.

Sa seconde tragédie, Tamerlan, jouée en 1676, eut plus de succès. Elle fut fort applaudie; aussi disait-on, plaisamment: «L'heureux Tamerlan du malheureux Pradon.» En sortant du théâtre, le prince de Conti fit observer à l'auteur qu'il avait transporté en Europe une ville qui est en Asie. «Je prie Votre Altesse de m'excuser, dit le poëte, je ne sais pas la chronologie

La Troade, représentée en 1679, fut parodiée de la manière suivante, dans un sonnet de Racine:

 
D'un crêpe noir, Hécube embéguinée,
Lamente, pleure et grimace toujours;
Dames en deuil courent à son secours;
Oncques ne fut plus lugubre journée.
 
 
Ulysse vient, fait nargue à l'hyménée,
Le cœur fera de nouvelles amours.
Pyrrhus et lui font de vaillants discours;
Mais aux discours leur vaillance est bornée.
 
 
Après cela, plus que confusion;
Tant il n'en fut dans la grande Ilion,
Lors de la nuit aux Troyens si fatale.
 
 
En vain Baron attend le brouhaha;
Point n'oserait en faire la cabale;
Un chacun bâille, et s'endort ou s'en va.
 

En outre, on fit sur le même sujet cette épigramme:

 
Quand j'ai vu de Pradon la pièce détestable,
Admirant du destin le caprice fatal,
Pour te perdre, ai-je dit, Ilion déplorable,
Pallas a toujours un cheval.
 

En 1697, il fit paraître Scipion, et son nouveau héros n'eut pas plus de chance que les autres grands hommes qu'il avait patronés. Scipion fut horriblement sifflé, et comme cette tragédie avait été jouée en carême, le poëte Gacon lança cette épigramme:

 
Dans sa pièce de Scipion,
Pradon fait voir ce capitaine
Prêt à se marier avec une Africaine;
D'Annibal il fait un poltron;
Ses héros sont enfin si différents d'eux-mêmes,
Qu'un quidam, les voyant plus masqués qu'en un bal,
Dit que Pradon donnait, au milieu du carême,
Une pièce de carnaval.
 

Chaque tragédie nouvelle du malheureux Pradon, comme on affectait de l'appeler, semblait destinée à faire éclore les plus amusantes et les plus spirituelles épigrammes; il est vrai de dire que le pauvre auteur de la Phèdre, rivale de celle de Racine, s'était donné bien maladroitement deux rudes adversaires, contre lesquels il n'était pas de force à lutter. C'était à qui, des deux grands poëtes du siècle, l'accablerait de traits d'autant plus redoutables qu'ils étaient pleins de finesse. Germanicus n'eut pas plus tôt paru, en 1694, qu'on vit poindre l'inévitable épigramme. Elle était encore de la façon de Racine:

 
Que je plains le destin du grand Germanicus!
Quel fut le prix de ses rares vertus?
Persécuté par le cruel Tibère,
Empoisonné par le traître Pison;
Il ne lui restait plus, pour dernière misère,
Que d'être chanté par Pradon.
 

Il se produisit un fait assez plaisant à la première représentation de cette pièce. Dans les deux premiers actes il ne paraît pas de femmes; aussi commençait-on à dire, dans le public, que c'était là, vraiment, une tragédie de collége, lorsqu'au troisième acte on voit tout à coup, au fond du théâtre, deux reines et deux confidentes. «Quatorze de dames sont-ils bons?» s'écrie une voix perçante et gasconne. Le mot fit fortune, et Germanicus ne put ramener le sérieux sur le visage des spectateurs.

Régulus, une des bonnes tragédies de Pradon, jouée en 1688, eut cependant du succès; et comme Tamerlan en avait eu beaucoup moins, un plaisant dit au poëte, qui portait un mauvais habit sous un beau manteau: «Voilà le manteau de Régulus sur le juste-au-corps de Tamerlan.»

Un jour, l'auteur de tant de tragédies sifflées, le plastron de Racine et de Boileau, le but de tant d'épigrammes, l'objet de tant de satires, voulut se venger à son tour, et il lança une pièce de vers, une satire contre Boileau. Hélas! il avait à peine parlé, qu'un nouvel et terrible adversaire entrait en ligne contre lui. Rousseau prenait la plume pour lui dire:

 
Au nom des dieux, Pradon, pourquoi ce grand courroux,
Qui, contre Despréaux, exhale tant d'injures?
Il m'a berné, me direz-vous:
Je veux le diffamer chez les races futures.
Eh! croyez-moi, restez en paix,
En vain tenteriez-vous de ternir sa mémoire.
Vous n'avancerez rien pour votre propre gloire,
Et le grand Scipion sera toujours mauvais.
 

Enfin, la mort ne le débarrassa pas de ses ennemis. On lui fit cette épitaphe:

 
Ci-gît le poëte Pradon,
Qui, quarante ans, d'une ardeur sans pareille,
Fit, à la barbe d'Apollon,
Le même métier que Corneille.
 

Pradon adressa un jour quatre vers charmants à une jeune personne fort spirituelle, dont il était très-épris, et qui entretenait avec lui un commerce épistolaire, mais qui n'avait pas une bien grande passion pour le poëte. Voici ces vers:

 
Vous n'écrivez que pour écrire,
C'est pour vous un amusement;
Moi qui vous aime tendrement
Je n'écris que pour vous le dire.
 

Nous ne parlerions pas de madame Deshoulières, qui composa beaucoup de bonnes et jolies poésies, mais qui ne donna au théâtre que deux mauvaises pièces, si madame Deshoulières ne s'était déclarée assez maladroitement contre Racine et n'avait été l'âme de la cabale à la suite de laquelle l'auteur de Phèdre renonça à la scène. Elle parlait plusieurs langues. C'était un bel esprit dans toute l'acception du mot. Un jour, malheureusement, elle eut l'idée fâcheuse de faire jouer une tragédie. Elle composa Genseric (1680), qui fut fort mal accueilli du public. On lui donna le conseil charitable de retourner à ses moutons (allusion à une de ses plus spirituelles idylles); cette tragédie fut en outre le sujet de cette analyse épigrammatique, attribuée à Racine:

 
La jeune Eudoxe est une bonne enfant,
La vieille Eudoxe une franche diablesse,
Et Genséric un roi fourbe et méchant,
Digne héros d'une méchante pièce.
Pour Trasimond, c'est un pauvre innocent:
Et Sophronie en vain pour lui s'empresse;
Genseric est un homme indifférent,
Qui, comme on veut, et la prend et la laisse.
Et sur le tout le sujet est traité
Dieu sait comment! Auteur de qualité,
Vous vous cachez en donnant cet ouvrage.
C'est fort bien fait de se cacher ainsi:
Mais pour agir en personne bien sage,
Il nous fallait cacher la pièce aussi.
 

La Chapelle, membre de l'Académie française, né à Bourges, en 1655, ne se posa pas en rival de Racine, mais il chercha à l'imiter. Il fut de son école. Ses pièces, bien qu'elles soient fort au-dessous de leur modèle, eurent pourtant quelques succès, car elles n'étaient pas sans valeur. Elles sont au nombre de quatre: Zaïde, Cléopâtre, Téléphonte et Ajax, de 1681 à 1684.

La pièce de Cléopâtre (1681), faillit devenir une tragédie véritable. Voici à quelle occasion La Chapelle aimait beaucoup l'acteur Baron et avait toujours soin de lui composer des rôles qui le missent en relief. Un comédien, nommé Dauvilliers, jaloux du mérite de son camarade, eut l'infamie de présenter à ce dernier, dans Cléopâtre, une épée véritable, que Baron fut prêt à s'enfoncer dans la poitrine. Du reste, ce Dauvilliers devint fou par la suite.

Voici maintenant un élève véritable de Racine, car Racine guida ses pas dans la carrière des lettres, Campistron. Ce poëte fut un des auteurs les plus féconds de la fin du dix-septième siècle. Il a non-seulement donné au théâtre un grand nombre de tragédies, mais aussi quelques comédies et divers opéras.

Campistron, marquis de Penango, né à Toulouse, en 1656, montra, dès sa jeunesse, d'heureuses dispositions pour les lettres. Il reçut une brillante éducation, et son goût pour la poésie ne tarda pas à l'amener dans la capitale de la France, alors déjà le centre des beaux-arts. Il chercha à imiter Racine, son maître, et s'il est loin de lui pour les beautés de détail et la versification, il s'en approche du moins pour la conduite des pièces.

Racine fut non-seulement le guide, mais le bienfaiteur de Campistron, car il le désigna au duc de Vendôme lorsque ce dernier voulut faire composer et représenter, à son château d'Anet, une pastorale héroïque. A partir de ce moment, le duc, satisfait des talents et du caractère du jeune poëte, le nomma secrétaire de ses commandements, puis secrétaire-général des galères.

Campistron écrivait beaucoup, facilement et vite, aussi ses pièces ont-elles les qualités et les défauts d'œuvres faites par un homme d'esprit, mais faites trop rapidement. On y trouve des peintures brillantes, des traits frappants, des situations intéressantes, des incidents heureux, puis à côté de cela, des longueurs, des irrégularités, des écarts qui ralentissent la marche de l'action et nuisent au développement des caractères. Il y a plus d'esprit que d'art, et peu de cette verve, de ce pathétique qui enlève le spectateur, le passionne pour les personnages et pour l'action. Le talent de Campistron consistait principalement à donner de jolies descriptions, des peintures de mœurs attrayantes. Ses monologues, ses tirades sont souvent fort beaux, mais il en abuse; aussi fit-il des morceaux bien écrits plutôt que des tragédies remarquables.

Campistron commença sa carrière dramatique à peu près à l'époque où Racine finit la sienne. Sa première pièce, Virginie, parut en 1683. Elle fut assez bien accueillie du public. Malheureusement pour lui, au même moment où l'on représentait cette tragédie, on représentait également le Téléphonte de La Chapelle, et madame de Bouillon, alors arbitre quasi-souverain pour les succès littéraires, protégeait La Chapelle. Campistron comprit que s'il voulait réussir, il fallait s'assurer le suffrage de la puissante duchesse, il lui dédia sa seconde pièce, Arminius, qui eut du succès et le mit en bonne position. En 1685, Campistron eut un véritable triomphe, lorsque parut son Andronic. Les comédiens furent obligés de doubler le prix des places, principalement dans le but de ménager la scène qui était toujours encombrée, et sur laquelle les acteurs avaient peine à se mouvoir. Trente ans plus tard, en 1715, on reprit cette tragédie; les rôles étaient si mal distribués que le public ne put tenir son sérieux pendant tout le temps de la pièce. Lorsqu'elle fut terminée, l'acteur Legrand vint, selon l'usage, annoncer la représentation du lendemain en ces termes: «Messieurs, nous aurons l'honneur de vous donner demain le Joueur et le Grondeur. Je souhaite que la petite pièce que vous allez voir, vous fasse rire autant que vous avez ri à la grande.» Cette saillie fut applaudie de toute la salle; malheureusement le souhait de Legrand ne fut pas accompli, la petite pièce, intitulée la Fausse veuve, ennuya le public sans le faire rire.

Alcibiade parut également en 1685, et Phraate en 1686. Cette dernière pièce n'eut que trois représentations. Il s'y trouvait des allusions politiques qui faillirent faire mettre Campistron à la Bastille, et il ne fallut rien moins que le crédit de Madame la Dauphine pour sauver l'auteur et faire cesser les représentations. Phocion, jouée en 1688, n'eut ni succès politique, ni succès dramatique, ni succès littéraire. Campistron, voyant au doigt de Péchantré, auteur de plusieurs pièces de théâtre, une bague dont ce dernier voulait se défaire, lui dit: «On va jouer ma tragédie nouvelle, et je m'en accommoderai.» A quelques jours de là, Péchantré trouve l'auteur de Phocion derrière un pilier des troisièmes loges à la comédie, on sifflait à outrance. «Veux-tu ma bague, dit-il à Campistron, je te l'ai gardée.»

Racine avait fait Esther et Athalie, Campistron à son tour, voulut composer sa tragédie chrétienne. En 1690, il donna à la scène Adrien, dans laquelle on trouve de beaux vers, ceux que nous allons citer, entre autres, dont Voltaire a pris la pensée pour son Alzire:

 
A ma religion, vous préférez la vôtre.
Une fois seulement, comparez l'une à l'autre:
La vôtre n'eut jamais que de barbares lois;
 
 
Elle ne se soutient que par la violence;
La mienne par la paix et par l'obéissance.
La vôtre vous prescrit l'ordre de me punir,
Moi, que des nœuds sacrés à vous doivent unir,
Moi qui, dès le berceau, sujet toujours fidèle,
Par des soins assidus vous ai prouvé mon zèle;
La mienne, quand je suis accablé de vos coups,
Me défend de penser à me venger de vous.
Que dis-je? Elle m'impose une loi souveraine,
De m'offrir, avec joie, aux traits de votre haine,
De dissiper la nuit de vos yeux aveuglés:>
Enfin, de vous aimer lorsque vous m'immolez.
 

Pompeïa, qui n'a pas été imprimée et dont on n'a rien conservé, Tiridate, et enfin Alcide ou le Triomphe d'Hercule, en 1693, complètent le répertoire tragique de Campistron. Après la représentation de cette dernière pièce on fit ce quatrain:

 
A force de forger, on devient forgeron;
Il n'en est pas ainsi du pauvre Campistron;
Au lieu d'avancer, il recule,
Voyez Hercule.
 

Son Théâtre, un de ceux qui ont été le plus souvent réimprimés, après les œuvres de Corneille, de Racine, de Crébillon, et, plus tard, de Voltaire, comprend encore les comédies: du Jaloux désabusé, de l'Amante amant, et les opéras d'Acis et Galathée, d'Achille et Polixène. La comédie de l'Amante amant, jouée en 1684, et que Campistron a toujours désavouée, bien qu'elle soit de lui, offre cette particularité, que c'est la première où une actrice parut sur la scène vêtue en homme. On était déjà loin du temps où les rôles de femmes avaient des hommes masqués pour interprètes. Quoi qu'il en soit, cela eut un grand succès, et la pièce, fort médiocre cependant, fut applaudie.

Campistron avait pour protecteur M. de Vendôme. Lors d'une maladie grave, qui mit en danger les jours de Louis XIV, le roi, voyant les intrigues s'ourdir autour de lui et ne voulant pas qu'on le crût aussi mal, pria M. de Vendôme de donner au Dauphin une grande fête. Lully fut chargé de composer tout exprès la musique d'une pastorale héroïque, et on lui imposa Campistron pour le libretto. Lully obéit à contre-cœur. L'opéra d'Acis et Galathée fut fait et joué devant le Dauphin, au château d'Anet, en 1686. M. de Vendôme dépensa plus de 100,000 francs dans cette circonstance, tant il fit bien les choses. Il fut tellement satisfait des paroles de l'opéra, qu'il envoya cent louis à Campistron, somme énorme pour l'époque. Cependant, d'après les conseils de la Champmeslé et de Raisin, Campistron renvoya ces cent louis au prince. Vendôme crut que son protégé agissait ainsi par désintéressement. Telle n'avait pas été la pensée du poëte, qui avait tout simplement espéré recevoir davantage. Touché de ce qu'il croyait être la suite d'une grande noblesse de sentiments, Vendôme prit Campistron pour secrétaire des commandements. Du reste, le choix était bon. On ne reprochait à l'auteur d'Acis et Galathée qu'une négligence un peu forte à répondre aux lettres. Un jour, M. de Vendôme le voyant brûler des papiers, dit plaisamment à ceux qui l'entouraient: «Tenez, voilà Campistron occupé à faire sa correspondance.»

Le succès de l'opéra d'Acis engagea son auteur à cultiver ce genre de littérature dramatique. En 1687, il fit jouer Achille et Polyxène, opéra sur lequel on fit plusieurs épigrammes.

En voici deux assez spirituelles:

Entre Campistron et Colasse16,

 
Grand débat s'émut au Parnasse,
Sur ce que l'opéra n'a pas un sort heureux.
De son mauvais succès nul ne se croit coupable;
L'un dit que la musique est plate et détestable;
L'autre, que la conduite et les vers sont affreux.
Et le grand Apollon, toujours juge équitable,
Trouve qu'ils ont raison tous deux.
Lully près du trépas, Quinault sur le retour,
Abjurent l'opéra, renoncent à l'amour,
Pressés de la frayeur que le remords leur donne
D'avoir gâté de jeunes cœurs
Avec des vers touchants et des sons enchanteurs;
Colasse et Campistron ne gâteront personne.
 

M. de Saint-Gilles fit sur le même opéra une chanson fort jolie, qu'on attribua à madame Deshoulières, et qu'il revendiqua dans une autre pièce de vers se terminant ainsi:

 
Restituez donc à Saint-Gilles
Le faible honneur de ses chansons;
Contentez-vous de vos idylles
Et retournez à vos moutons.
 

Comme la plupart des auteurs de mérite Campistron eut des admirateurs outrés et des détracteurs de mauvaise foi. Les uns ont prétendu qu'il avait seul pu faire oublier la retraite de Racine; les autres ont trouvé détestables les vers les plus remarquables de son répertoire. Il y a sottise à tomber dans l'un ou l'autre de ces jugements. Ce que l'on peut dire, c'est que Campistron, poëte estimable, a une belle place parmi les dramatiques de second ordre, et que longtemps il a occupé la scène française avec distinction.

Péchantré, dont nous avons prononcé le nom plus haut, à propos d'une des tragédies de Campistron, était fils d'un chirurgien de Toulouse. Après avoir été couronné plusieurs fois aux Jeux-Floraux, il vint à Paris dans le but de travailler pour le théâtre. En effet, il donna, en 1687, la tragédie de Géta, dont la paternité fut disputée par beaucoup de poëtes. D'abord, l'acteur Baron, qui avait la monomanie de vouloir être auteur, et qui, de ce que plusieurs poëtes ont mis leurs pièces sous son nom, s'est figuré être réellement le père des enfants qu'il avait pour ainsi dire tenus simplement sur les fonts baptismaux, l'acteur Baron voulut faire croire que Géta lui devait la vie. Or, voici ce qui avait eu lieu. Péchantré, assez pauvre diable de poëte, ayant montré sa pièce à Baron, ce dernier la trouva bien et lui en offrit vingt pistoles, en affirmant qu'elle était détestable. Le malheureux poëte rafalé, homme fort simple, accepta l'offre et livra pour ces quelques sous sa première tragédie. Que de Péchantré en ce moment à Paris! Que d'auteurs à vingt pistoles, dont les pièces, sous d'autres noms, sous d'autres parrains, font la fortune des théâtres et des pères d'adoption? Malheureusement pour Baron, Champmeslé ayant eu vent de la conversation et du trafic, lut la pièce, la trouva fort belle, et prêta à Péchantré vingt pistoles pour la retirer des mains de l'acteur. Voici pour le premier père. Un second fut le nommé Dambelot, cousin de Palaprat, et qui, au dire de quelques chroniqueurs, aurait ébauché cette tragédie de Géta et serait mort avant de l'avoir terminée. Péchantré l'aurait obtenue de la veuve de Dambelot. Enfin, si on en croit encore d'autres versions, la pièce aurait été composée par Dambelot, corrigée par Péchantré, achevée par Baron. Ce qu'il y a de positif et de plus clair, c'est qu'elle eut un grand succès. La seconde tragédie de Péchantré, Jugurtha, fut moins bien reçue du public. Sa troisième, jouée en 1703, et intitulée Mort de Néron, coûta à son auteur juste autant d'années qu'il faut de mois à une femme pour mettre au monde un enfant. Il courut alors une histoire ou un conte au sujet de cette tragédie. Péchantré avait laissé sur la table d'une auberge un papier sur lequel il y avait quelques chiffres, au-dessus desquels étaient ces paroles: Ici le roi sera tué. L'hôte, qui avait déjà été frappé de la physionomie et de la distraction de notre poëte, crut devoir porter cet écrit au commissaire du quartier, qui lui dit que si l'inconnu revenait manger chez lui, il ne manquât pas de le faire avertir. Péchantré revint en effet quelques jours après, et à peine avait-il commencé son dîner, qu'il se vit environné d'une troupe d'archers. Le commissaire lui montra son papier pour le convaincre de son crime. «Ah! Monsieur, dit le poëte, que j'ai de joie de retrouver cet écrit! je le cherche depuis plusieurs jours: c'est la scène où j'ai dessein de placer la mort de Néron, dans une tragédie à laquelle je travaille.» Le commissaire renvoya ses archers, et quelque temps après Péchantré fit jouer sa pièce.

Abeille, autre poëte dramatique de la même époque, plus tard abbé du prieuré de Notre-Dame de la Mercy et membre de l'Académie française, composa quelques tragédies qu'il fit paraître sous divers noms, en sorte que plusieurs de ses poésies ont longtemps passé pour avoir été l'œuvre d'autres auteurs. Cet abbé Abeille eut une assez singulière destinée. C'était un homme d'esprit, fort laid et très-amusant dans le monde. Il vint à Paris assez jeune, fut pris comme secrétaire par le maréchal de Luxembourg, et acquit une sorte de célébrité plus encore par ses bons mots et sa facilité d'élocution que par ses écrits.

Il fit les tragédies d'Argélie, de Coriolan, de Lyncée et de Soliman, en 1673, 1676, 1678 et 1680. En outre, on lui attribue celles de Hercule, de Caton et de Silanus, parues sous le nom d'un acteur nommé La Thuillerie.

La première tragédie que fit représenter l'abbé Abeille, donna lieu à une plaisanterie qui, dit-on, le dégoûta longtemps de mettre son nom à ses ouvrages. Deux princesses entrent en scène, la première dit à l'autre:

 
Vous souvient-il, ma sœur, du feu roi notre père?
 

L'actrice qui devait donner la réplique, au lieu de le faire de suite, resta muette. Un plaisant du parterre répondit pour elle:

 
Ma foi, s'il m'en souvient, il ne m'en souvient guère.
 

Cet à-propos jeta la salle dans une gaîté folle; il fut impossible de continuer la pièce, et ce diable de vers poursuivit Abeille jusqu'après sa mort, car on le rappela dans son épitaphe:

 
Ci-gît un auteur peu fêté,
Qui veut aller tout droit à l'immortalité.
Mais sa gloire et son corps n'ont qu'une même bière;
Et lorsqu'Abeille on nommera,
Dame postérité dira:
Ma, foi, s'il m'en souvient, il ne m'en souvient guère.
 

On n'avait pas attendu sa mort pour faire des épigrammes sur lui. En voici une fort jolie qu'on attribue à Racine:

16.Colasse avait fait la musique de l'opéra d'Achille.