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Buch lesen: «Lettres à Mademoiselle de Volland», Seite 36

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C

Paris, le 30 décembre 1765.

(Le commencement de la lettre manque.)

Elle199 est logée sur le Palais-Royal, et dans un très-bel appartement. J'ai eu le plus grand plaisir à la revoir, et à la revoir en santé. Nous avons fait déjà une ou deux causeries à perte de vue. La première, ce ne fut que des caresses, de la joie, des questions sans fin sur elle, sur vous, sur madame votre mère. Le retour de don Diego les abrégea. La seconde, nous allions entamer des choses plus intéressantes, lorsque nous firmes interrompus par Mlle Boileau, qui me cribla de plaisanteries, moitié douces, moitié amères. Mais, Dieu merci m'en voilà quitte; à moins qu'avec le temps et les mêmes négligences je ne donne lieu aux mêmes reproches; ce qui pourrait bien arriver. Je suis incorrigible sur les choses qui ne cadrent point avec mes principes, bons ou mauvais. Je lui ai fait lire votre rêve, à cette petite sœur, et elle trouve que vous rêvez avec plus de sens commun que les autres n'en ont éveillés; et puis nous étions en train de discuter l'affaire des maisons, lorsque M. de … arriva. Je crus qu'il était honnête de laisser ensemble des gens qui ne s'étaient vus depuis si longtemps, et qui devaient avoir beaucoup de choses à se dire, toutes celles qu'ils s'étaient écrites. J'allai voir Mme et Mlle de Blacy; elles m'ont paru se bien porter l'une et l'autre.

Vous savez sans doute que Fayolle s'est marié; je n'entends rien à cet enfant-là. Il a la meilleure conduite avec les indifférents, et la plus mauvaise avec ses parents. Tous les Cayennois, qui sont occupés ici à s'entre-accuser, s'accordent à en dire du bien. M. Aublet200 est de retour. Croyez-vous que cette gibecière que nous vîmes partir avec Fayolle, si à contre-cœur, lui a été d'un grand secours? C'est M. Aublet qui me l'a dit. Ces insulaires sont sots et ennuyés. Ils ont le plus grand besoin d'être amusés, et on les émerveille à peu de frais.

J'attends les ordres de Mme d'Holbach, qui m'a promis de me voiturer à Versailles où je trouverai M. Dubucq, premier commis de la marine pour les colonies, tout disposé à m'accorder ce que j'ai à lui demander pour le petit cousin. La première chose, c'est qu'il soit conservé dans son poste; la seconde, c'est qu'on lui donne un brevet d'écrivain. La première est de justice; l'autre est de grâce. Nous verrons. Par la même occasion, je tourmenterai M. Rodier pour cette Mme du Bois à qui j'ai fait un enfant sans l'avoir jamais vue. Songez à votre santé. La mienne est une de ces choses rares dans ce monde, dont on ne vient point à bout.

Je suis bien loin de vos camisoles et de vos flanelles. Tâchez de me persuader auparavant d'avoir du feu.

Ce logement sur le Palais-Royal est bien séduisant. Je ne vous conseille pas de le voir, si vous ne voulez pas l'habiter. Mais si, dans l'incertitude sur le temps où la rue Sainte-Anne sera habitable, on obtenait du propriétaire de prolonger le bail de six mois, et qu'on l'obtînt; si vous étiez maîtresse de la location; si, ce prix une fois fixé à votre volonté, on ne l'augmentait pas, quoique celui de la location totale fût de cinq mille francs; si l'on déterminait le principal locataire de Mme de Blacy à la garder neuf mois en lui payant le foyer d'un an! n'allez pas me dire qu'il serait malhonnête d'être logés, sans entrer à proportion dans le prix de la location entière. Ce serait une délicatesse bien mal entendue. Encore vaut-il mieux qu'il leur en coûte cinq mille cinq cents, moins quinze ou seize cents livres, que cinq mille cinq cents livres. Avec ces précautions, on risquerait un déménagement de moins, la rue Sainte-Anne s'arrangerait; on s'y établirait, ou l'on ne s'y établirait pas, selon que le logement plairait ou déplairait. Le gîte de Meudon m'est plus assuré que jamais. La robe de chambre tant plus que jamais. J'aime mon cabinet et mes livres plus que jamais; et nous sommes presque convenus, la petite sœur et moi, qu'elle ne m'arracherait à ma solitude que dans les cas urgents. Savez-vous quand elle n'aura qu'un cri après moi? C'est lorsque les liens qui commencent à l'enlacer auront fait tant de tours autour d'elle, qu'il n'y aura presque plus moyen de l'en débarrasser.

Adieu, mon amie, portez-vous bien; recevez le serment que je vous renouvelle, de vous aimer tant que je vivrai Présentez pour moi à madame votre mère les mêmes souhaits que vous lui ferez en votre nom; c'est demain le dernier jour de l'an; c'est demain que je vous aurais accablée de baisers, c'est le jour de demain qui eût été un beau jour! Mais ne pensons pas trop à cela: adieu, adieu, cela fait du mal.

CI

Paris, le 18 janvier 1766.

Il me prend une bonne envie de vous gronder; comment! vous êtes quinze jours sans entendre parler de moi, et vous ne vous en plaignez pas? Ah! mon amie, l'absence opère; vous m'aimez moins; vous vous souciez moins d'entendre parler de moi; vous me faites entrevoir un temps où vous pourriez vous en passer tout à M; et un peu plus éloigné où peut-être… Mon amie, ne vous affligez pas: je ne pense pas ce que je vous dis là. Vous avez de l'indulgence pour mes affaires. C'est ma situation seule que vous accusez, et vous avez la délicatesse de n'en pas accroître le désagrément par vos reproches. Vous attendrez toujours mes lettres avec impatience; vous les lirez toujours avec plaisir. Ce sera la principale allégeance de votre ennui, dans l'exil où je vous vois condamnée à vivre. Qu'il est triste à présent, cet exil! Endurez-le, mon amie; endurez-le encore un moment; bientôt celui qui vous aime, celui que votre cœur désire, vous apparaîtra, et sa présence dissipera toute la tristesse qui vous environne.

Nous avons passé trois jours de suite ensemble, la chère sœur et moi Elle avait été malade; elle commençait à recouvrer sa santé lorsqu'elle s'est avisée, par une complaisance assez déplacée, de fixer une indisposition qui tirait à sa fin. Don Diego avait invité douze personnes à dîner; elle descendit dans une petite salle à manger où elle fut exposée aux alternatives du froid et du chaud, et au bruit de la redoutable poitrine de Soufflot, qui ne cessa pas de tonner trois ou quatre heures de suite à ses oreilles délicates; elle remonta avec un mal de tête à devenir folle; la fièvre survint. La nuit fut abominable; la matinée ne fut pas meilleure; et il lui reste encore aujourd'hui un torticolis qui n'est guère moins douloureux qu'incommode. Comme si ce n'était pas assez que son indisposition, elle a encore trouvé le secret de se faire une tracasserie domestique. Oh! pour cette fois-ci, don Diego avait raison; et je trouve qu'elle s'est conduite ou comme une femme galante des plus lestes, ou comme une coquette qui a projeté de renverser la tête à son mari, ou comme une étourdie qui ne prévoit les conséquences de rien. Imaginez qu'elle avait envie de voir le Philosophe sans le savoir; c'est le titre de la pièce de Sedaine; elle avait donc chargé l'ami Gaschon de prendre une toge louée. Gaschon tombe malade de son côté, elle du sien, et la voilà occupée à chercher pratique pour ses billets. Elle y réussit. Le mercredi matin, jour de l'ouverture du théâtre, Mme Trouard, qui en avait pris deux, lui en M demander un troisième; elle pense en elle-même que M. de… n'en a pris un que par égard pour elle, et qu'il ne se soucie guère d'aller au spectacle, surtout un jour d'Académie, et la voilà qui écrit à M. de… que peut-être il emploierait mieux sa soirée ailleurs que dans une loge, et que s'il voulait lui renvoyer son billet, ce serait un moyen pour elle de faire un heureux. M. de… renvoie son billet de toge, et vient passer la soirée avec la chère sœur; tandis que le mari, qui avait gardé le sien, se rend à l'extrémité de Paris, où il avait affaire; au spectacle, où il n'arrive que vers la fin du dernier acte, et où il n'aperçoit point le seul homme dont l'absence pouvait l'intriguer. Aussitôt les soupçons lui brouillent la cervelle; il revient; il apprend que M. de… a passé la soirée chez lui, et tout le reste. Jugez de sa belle humeur! Il ne manquait à cela qu'un hasard qui eût fait tomber le singulier billet à M. de… entre les mains du mari, et due le présent du mari le lendemain, lorsque la chère sœur faisant à Gaschon le petit dénombrement de ceux qui avaient occupé la loge, et lui nommant M. de.. Fanfan ajouta tout de suite: Il a bien mieux aimé venir prendre les mains à maman que d'aller à la comédie. En vérité, il n'était pas impossible que toutes ces circonstances se réunissent.

M. Suard est marié d'hier. Depuis environ un mois qu'il m'a confié cette folie qu'il vient de consommer, je porte un malaise dont je ne suis pas encore quitte. Suard est un homme que j'aime; c'est une des âmes les plus belles et les plus tendres que je connaisse; tout plein d'esprit, de goût, de connaissances, d'usage du monde, de politesse, de délicatesse. Qu'un Carmontelle, qu'un comte de Nesselrode, qu'un Grimm même se marient, je ne serai point inquiet de leur bonheur. Les premiers sont des pierres, et le dernier, quoique sensible, a tant de courage, de ressource, et de fermeté! Mais Suard, le triste, le délicat, le mélancolique Suard! S'il n'a pas le cœur blessé de cent piqûres avant qu'il soit un mois, il faut que sa femme soit capable d'une attention bien rare. Lorsqu'il me consulta, je lui tins deux propos bien effrayants ce me semble. «N'avez-vous pas été, lui dis-je, autrefois renfermé dans un cachot? Eh bien, mon ami, prenez garde de vous rappeler ce cachot et de le regretter.» J'ajoutai que je l'avais vu, il y a quelque temps, rôder sur les bords de la rivière; que, quoiqu'il me fût cher et que je fusse vivement touché de son état, il m'avait causé moins d'inquiétudes qu'aujourd'hui; car, après tout, ce n'était qu'un mauvais moment. Je l'invitai ensuite à venir passer une matinée chez moi où nous causerions plus à notre aise d'une affaire qui demandait d'autant plus de réflexion, qu'elle ne laissait à l'homme malheureux aucune ressource; il me promit, et ne vint pas. J'ai entendu dire depuis qu'il y avait des raisons d'honneur et de maladresse. On ajoute que sa femme est très-jolie, et que, quand on était occupé à lui démontrer qu'on l'aimait, rien n'était plus facile que de pousser la démonstration trop loin. Mais j'ai l'âme malade. Je n'ai pas le courage de plaisanter. Il a peu de fortune; ce qu'il a en est précaire; elle n'en a, elle, ni précaire ni autre. Il est paresseux, fastueux, élégant, généreux; elle est jeune, folle, gaie, dissipatrice, fastueuse, élégante. Les enfants viendront. Plus j'y réfléchis, plus cet homme me paraît perdu. Grimm prétend que s'il ne s'est pas noyé, ce n'est qu'une partie remise. Il y a quelques jours que je disais à la Baronne que ce maudit mariage était un de ses forfaits.

Il me semble que vous ne vous intéressez plus guère à mon jeune amoureux. Oh! il lui est arrivé une aventure à laquelle vous ne vous attendez guère, et qui était bien propre à nous rattacher à la vie. La femme dont il s'agissait a une amie intime; cette amie, le jour de l'an, avait fait des comets de dragées qu'elle distribuait en étreinnes. Elle en offrit un à mon jeune amoureux. Mais savez-vous quel papier faisait son cornet? Ce papier était une lettre de sa déesse, où elle disait le diable de lui. Je l'ai vue, je l'ai tenue, cette lettre; et ce qu'il y a de singulier, c'est que cela ne s'est point fait de concert; qu'il n'y a que de l'étourderie, du hasard, nulle méchanceté. La preuve, c'est que les deux amies s'en sont arraché les yeux, et que l'étourdie en a été dans le plus grand désespoir. Nous pensions bien qu'on mettrait tout en œuvre pour replâtrer cela. On n'y a pas manqué. Nous, de notre côté, nous avons joué l'indignation, le mépris, la rupture, et nous continuons. Nous n'allons plus au rendez-vous; quand nous y allons, nous n'y restons qu'un moment. Plus de soupers; des égards, de l'honnêteté, de la politesse; mais pas un mot doux. Cependant on étouffe; on jette des mots que nous n'entendons pas; nous sommes d'un renchéri du diable. On fait semblant de se rejeter de l'autre côté; on cherche à nous donner de la jalousie que nous ne prenons pas, d'autant moins que l'autre côté a soupçonné sinon la chose, du moins quelque chose qui en approche, et qu'il ne se prête point du tout au rôle qu'on veut lui faire jouer. Celui-ci, parlant de lui, de mon jeune homme et du mari, disait à la dame: « Qu'avez-vous donc, madame? Vous rêvez; vous avez un air triste, désolé; on dirait d'un vaisseau battu par trois tempêtes.»

Bonsoir, mon amie. L'amour franc, honnête, vrai, tel que celui que nous nous portons, est le seul qui puisse être heureux. Aimons-nous comme toujours.

CII

Paris, le 3 février 1766.

Je vous donne, à vous et à votre maman, à deviner en cent ce qui m'occupe maintenant. Les artistes m'ont chargé du projet du tombeau que le roi a ordonné pour le Dauphin201. Moi! moi! silence là-dessus. Il ne faut point gâter un service par une indiscrétion. J'en suis à ma troisième tentative. Vous me direz celle qui vous plaît le plus; il faut savoir d'abord que le monument doit être placé au milieu de la cathédrale de Sens, et qu'il doit avoir un rapport visible à la réunion des deux époux. Voici le premier:

J'élève une couche funèbre. Sur cette couche funèbre, je suppose deux oreillers. L'un de ces oreillers reste vacant. La tête de l'époux repose sur l'autre. Il dort de ce sommeil doux et tranquille que la vertu et la religion ont promis à l'homme juste. Il a un de ses bras mollement étendu; de l'autre, il se presse doucement la cuisse, comme un époux qui s'est retiré le premier, et qui ménage une place à son épouse. Les anciens s'en seraient tenus à cette seule et unique figure sur laquelle ils auraient épuisé tout leur savoir. Mais les modernes veulent être riches; ils ne sentent pas que la richesse est la mort du sublime. Pour me plier à leur mauvais goût, j'enrichis donc; mais j'enrichis avec force, noblesse et grandeur. Je place au chevet du lit la Religion. Elle a un bras appuyé sur sa large croix. La main de ce bras montre le ciel de l'index. L'épouse est à côté d'elle, un bras appuyé sur la cuisse de la Religion, en disant de l'autre: Voyez, il me fait place; il m'appelle. L'Amour Conjugal, placé de l'autre côté, l'invite à se reposer auprès de son époux; mais la Religion interpose sa main, et lui dit: J'approuve votre douleur; mais il faut attendre l'ordre d'en haut. Cependant la France, assise aux pieds de la couche, et le dos tourné à la scène, médite sur la perte qu'elle vient de faire. Elle tient le plus petit des enfants caché dans son giron. L'un des deux autres a la main posée sur l'épaule de son père. Il a la bouche ouverte; il crie; il l'appelle avec douleur et effroi L'aîné, debout, attache ses regards sur la Religion; il attend de sa bouche un mot qui lui conserve sa mère. J'ajoute que si l'on trouve le monument trop riche, on n'a qu'à supprimer la France et les trois enfants, et qu'il n'en sera que plus simple et plus beau. Je n'entre point dans le caractère, la position, les différents groupes, les vêtements, le mouvement; l'action de ces figures. J'ai donné toutes ces choses de technique: je ne vous expose que l'idée.

Ce premier monument montre le moment du sommeil. J'ai voulu montrer, dans le second, celui du réveil, le moment du triomphe de la vertu à la venue du grand jour. Je place au pied de la couche funèbre un grand ange qui sonne le réveil des morts. L'épouse et l'époux se sont, réveillés. Ils se reconnaissent avec une joie mêlée de surprise. L'époux a un de ses bras jeté sur les épaules de sa moitié. Ils se disent: Ah! c'est vous! Je vous revois, je ne vous perdrai plus! Ils se sont relevés de dessus leurs oreillers. Ils sont assis au chevet du lit funéraire; du côté de l'épouse, c'est l'Amour Conjugal qui rallume ses flambeaux en les secouant l'un sur l'autre; du côté de l'époux, c'est la Religion, une main posée sur l'épaule de l'Amour Conjugal, son visage tourné et son second bras étendu vers une autre figure assise de son côté sur les bords de sa couche. Cette autre figure, c'est la Justice éternelle, les reins ceints du serpent qui se mord la queue, les pieds posés sur les attributs de la grandeur humaine éclipsée, ayant sur les genoux les balances où elle pèse les actions des hommes, et présentant à la Religion deux couronnes d'étoiles. Ou je me trompe fort, ou vous trouverez mes images grandes.

Voici le troisième monument que je propose. Imaginez un caveau. Une figure effrayante s'élève de ce caveau; en s'élevant, elle soulève de l'épaule la pierre qui le couvre. Cette figure, c'est la Maladie: c'est celle dont le Dauphin est mort. Elle appelle; elle fait le signe impérieux de descendre. Le Dauphin, debout sur le bord du caveau entr'ouvert, ne la regarde ni ne l'écoute: il est tranquille; il a le visage tourné vers son épouse; il la console en lui montrant ses enfants. La Dauphine a un de ses bras entrelacé avec celui de son époux. Elle se couvre les yeux de son autre main; elle semble craindre de laisser tomber ses regards sur des objets qui peuvent l'attacher à la vie. Les enfants lui sont présentés par la Sagesse. Elle en a deux devant elle: ce sont les plus jeunes. L'aîné est par derrière, ses deux bras appuyés sur l'épaule de la Sagesse, et la tête penchée sur ses deux bras. Tout près de cet enfant, on voit la France prosternée vers les autels, et implorant le secours du ciel.

Choisissez, mesdames. Si aucun des trois ne vous convenait, proposez-moi vos difficultés. Faites mieux; s'il vous venait quelque nouvelle idée, dites-la-moi J'en rumine une quatrième, où je voudrais que l'époux dît aux hommes: Apprenez à mourir; et où l'épouse dît aux femmes: Apprenez à aimer. S'il vous venait quelques moyens de rendre ces deux mots sensibles, vous me feriez vraiment plaisir de me les communiquer, car la chose me paraît vraiment difficile.

Beau passe-temps, me direz-vous, que de promener son imagination parmi des tombeaux! Pardon, mesdames; mais aussi pourquoi êtes-vous des femmes fortes? je vous jure que je n'en connais pas deux autres au monde à qui j'eusse osé demander le même service; quoique ce genre de poésie auquel j'ai donné quelques instants ne m'ait point du tout attristé. À tout hasard, s'il m'est arrivé de jeter du noir dans vos têtes, l'abbé de Boufflers va m'aider à le dissiper. Voici des bouts-rimés qu'il a remplis:

 
Enfants de saint Benoît, sous la guimpe et le froc.
Du calice chrétien savourez l'amertume.
Vous, musulmans, suivez votre triste coutume:
Buvez de l'eau, tandis que je vide mon broc.
Par vos raisonnements, moins ébranlé qu'un roc,
Je crains peu cette mer de soufre et de bitume
Où vos sots docteurs ont coutume
De noyer les Césars et les rois de Maroc.
Quel que puisse être le maroufle
Que vous nommez pape ou mufti,
Je ne baiserai point son cul, ni sa pantoufle.
Prêtres noirs qui damnez Marc-Aurèle et Zampti,
Par qui Confucius comme un lièvre est rôti.
Le diable qui les brûle est celui qui vous souffle.
 

Ces diables, ce bitume, ces prêtres vous chiffonnent-ils encore l'imagination, et voulez-vous quelque chose de plus gai, de plus fou? Voici une autre pièce adressée à sa sœur:

 
Vivons en famille:
C'est le destin le plus doux
De tous.
Nous serons, ma fille.
Heureux sans sortir de chez nous.
Les honnêtes gens
Des premiers temps
Avaient d'assez bonnes mœurs;
Et sans chercher ailleurs,
Ils offraient leurs cœurs
À leurs sœurs.
Sur ce point-là nos aïeux
N'étaient point scrupuleux.
Nous pourrions faire,
Ma chère,
Aussi bien qu'eux,
Nos neveux202.
 

Les suivants ont été faits pour une jeune personne née le jour du solstice d'été:

 
On vous ébauchait en automne,
On vous achève dans l'été.
Vous pourriez ressembler à Cérès ou Pomone;
Mais, à dire la vérité,
Vous tenez de plus près à Flore qu'à personne.
Tout l'univers fit son devoir,
Au moment où vous êtes née.
Le soleil s'arrêta pour vous mieux recevoir,
Et toute la terre étonnée
A trouvé que les jours les plus longs de l'année
Sont encor trop courts pour vous voir.
 

En voilà dont la délicatesse demande grâce pour les précédents, et mérite de l'obtenir. Moi, je suis bon; je pardonnerais en leur faveur même aux quatre qui suivent. Ils ont été Ms et envoyés sur une carte à une femme qui avait engagé M. de Choiseul à écrire une satire contre lui:

 
Pour me déchirer quelque femme,
Choiseul, t'a payé sûrement;
Et je gagerais sur mon âme
Qu'elle t'a payé largement.
 

Mme Le Gendre prétend que vous n'entendrez pas ceux-là. Bonsoir, mon amie. Dites-moi donc que vous m'aimez comme vous me l'avez dit la dernière fois; cela me fait si aise! La chère sœur est toujours malade. C'est bien sûrement la coqueluche qu'elle a prise de son fils.

199.Mme Le Gendre.
200.Naturaliste, auteur d'une Histoire des plantes de la Guyane française, 1775, 4 vol. in-4°.
201.Les projets insérés dans la Correspondance de Grimm (15 avril 1766), se trouvent déjà, mais moins développés, t. XIII, p. 72.
202.Cette pièce d'un ton si singulier, adressée à une sœur, n'a point été recueillie dans les œuvres de l'auteur. (T.).
Altersbeschränkung:
12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
11 August 2017
Umfang:
760 S. 1 Illustration
Rechteinhaber:
Public Domain

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