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Buch lesen: «Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV», Seite 3

Schriftart:

Comme les principaux de la Cour avoient un appartement dans le grand et magnifique palais de Fontainebleau, le comte de L… et la comtesse sa femme y avoient aussi le leur. Cela fournissoit au Roi la commodité de la voir, et fit naître l'occasion qu'il attendoit avec tant d'impatience. Un jour que ce prince vit la porte de l'appartement de la comtesse entr'ouverte, il eut la curiosité d'y regarder, et, ne voyant personne, il entra comme à la dérobée. Il ne se fut pas plus tôt approché d'un lit de repos qu'il y avoit dans cette chambre, qu'il vit la comtesse tout endormie. C'étoit dans les plus grandes chaleurs de l'été; et ses filles, voyant leur maîtresse qui reposoit, prirent ce temps pour s'écarter un petit moment. Cette charmante personne étoit étendue négligemment sur ce lit; elle étoit seule dans sa chambre, et on auroit dit que tout cela s'étoit fait de concert, pour donner le moyen au Roi de surprendre une place qu'il n'osoit attaquer ouvertement. Son cœur fut agité de mille différentes pensées; il craignoit et il désiroit tout à la fois. Il ne savoit s'il se contenteroit de regarder sa maîtresse qui dormoit si tranquillement. Il ne savoit s'il ne devoit lui dérober un baiser et profiter d'une occasion si favorable, qui peut-être ne reviendroit jamais; d'un autre côté, il craignoit de l'offenser, et que la comtesse venant à s'éveiller ne lui pardonnât jamais cet attentat, et lui défendît absolument de la voir.

Il étoit dans cette cruelle incertitude, lorsque la gorge de cette belle comtesse venant à se découvrir par quelque mouvement qu'elle fit en dormant, acheva de le déterminer, et n'écoutant plus que l'excès de sa passion, il posa ses mains sur ces deux boules de neige, et les baisa trois ou quatre fois de sa bouche royale. La comtesse, qui sentit d'abord cet attouchement dans une partie si délicate, s'éveilla en sursaut et fit un grand cri; et voyant que c'étoit le Roi, et que ses filles s'en étoient allées, elle crut qu'on l'avoit trahie, et qu'on vouloit la prostituer à ce monarque. Cette pensée lui fit tant d'horreur, qu'elle ne put s'empêcher de le témoigner: – «Allez, lui dit-elle, monstre exécrable, ôtez-vous pour jamais de devant mes yeux, ou faites-moi promptement mourir, puisqu'en vous parlant ainsi, je suis criminelle de lèse-Majesté.»

Le Roi, qui vit bien la faute qu'il avoit faite, voulut essayer de l'apaiser; mais elle ne lui donna pas le temps de parler, et, se débarrassant des bras du Roi, elle gagna d'abord la porte, et laissa cet amant plus mort que vif. Cependant le cri que la comtesse avoit fait avoit été ouï de plusieurs personnes, et particulièrement du comte de L… qui, reconnaissant la voix de sa femme, accourut en diligence pour voir ce que cela pouvoit être. Il ne fut pas plus tôt à la porte de sa chambre qu'il en vit sortir le Roi, et, ne voyant point sa femme, il ne savoit que penser de cette aventure. Le Roi, qui ne douta pas que le comte n'entrât dans des soupçons qui pourroient faire tort à la comtesse et traverser son amour, aima mieux lui dire la chose comme elle étoit, que de le laisser dans cette cruelle incertitude. Mais il n'eut garde de lui parler de la passion qu'il avoit pour la comtesse. Il lui dit donc sans façon: – «Comte, je vois que tu es en peine de ta femme, et que tu veux savoir la cause de ce grand cri qu'elle a fait. Je te dirai que je suis entré fortuitement dans sa chambre, et, la voyant endormie, j'ai voulu lui donner un baiser, ce qui l'a fait lever en sursaut. Va, comte, tu dois te féliciter d'avoir une femme si chatouilleuse; j'en connois bien d'autres qui, au lieu de s'éveiller, se seroient d'abord rendormies, ou en auroient fait le semblant.»

Le comte, qui se crut obligé de répondre galamment au Roi, lui dit: «Sire, ma femme n'est pas d'une meilleure trempe que les autres, et si elle eût su que c'étoit votre Majesté, infailliblement elle auroit fait semblant de dormir; mais son sommeil l'a trompée, et l'a empêchée de vous reconnoître quand elle a jeté ce grand cri. – Elle m'a fort bien reconnu, reprit le Roi, et je t'assure que si ta femme est toujours si franche, tu n'as pas sujet d'en être jaloux.»

La chose ne fut pas poussée plus loin; le Roi se retira dans son cabinet et congédia le comte, qui n'eut pas le moindre soupçon de l'amour du Roi, et la comtesse, revenue de sa frayeur, retourna dans son appartement, après avoir bien grondé ses filles de ce qu'elles l'avoient laissée toute seule.

Cependant le Roi, qui voyoit que cette affaire n'auroit point de suite fâcheuse, puisque celui qui y avoit le plus d'intérêt la traitoit de bagatelle, et qu'il espéroit de faire bientôt la paix avec la comtesse, ne put s'empêcher de faire un couplet de chanson sur cette aventure, et, quoiqu'elle se chantât en ce temps-là, on n'en a su le véritable sujet que quelques années après. Quoique ces vers soient presque connus de tout le monde, je ne laisserai pas de les rapporter ici:

 
Jamais Iris ne me parut si belle,
Que l'autre jour dans un profond sommeil;
Sa cruauté sommeilloit avec elle,
Et je baisai son teint blanc et vermeil,
Quand, par malheur,
Je vis à son réveil
Réveiller sa rigueur.
 

Le comte ne vit pas plus tôt sa femme, qu'il lui fit mille railleries sur ce qui venoit de lui arriver. Elle ne savoit d'abord comment y répondre; elle ne traitoit point comme son mari cette affaire de bagatelle; elle connoissoit le cœur du Roi et le motif qui le faisoit agir ainsi; tout cela changeoit la nature de l'affaire; mais c'étoient des mystères pour le comte. Sa femme le reconnut d'abord, quand elle vit qu'il le prenoit sur un ton railleur. De sorte que, revenue de sa première émotion, elle crut qu'elle devoit feindre, dissimuler son juste ressentiment, et prendre le tour que son mari donneroit à cette aventure. Il fallut pourtant qu'elle se fît une grande violence, la liberté que le Roi s'étoit donnée, après les protestations qu'il lui avoit faites, étoit une chose qu'elle ne pouvoit pas lui pardonner et qui lui tenoit fort au cœur. Mais elle voyoit qu'il étoit pour elle de la dernière importance de cacher à son mari une chose si délicate, et qui auroit pu troubler le bonheur de leur mariage. Le voyant donc heureusement prévenu par le discours que le Roi lui avoit tenu en sortant de sa chambre, elle répondit comme elle devoit à toutes ses railleries, et en femme qui entend son monde: – «Je vous trouve fort plaisant, dit-elle au comte, de me railler d'une chose où vous avez pour le moins autant d'intérêt que moi. Il falloit pour la rareté du fait que je fisse toujours semblant de dormir, et que je laissasse pousser l'affaire jusqu'au bout; vous auriez vu si les rieurs seroient de votre côté. – Vous auriez agi en femme prudente, lui dit le comte, qui sait accommoder ses plaisirs avec son honneur; car, ayant toujours dit que vous étiez endormie, on n'avoit rien à vous reprocher; c'est la volonté qui fait tout en ces affaires, et la vôtre n'y ayant point de part, vous étiez innocente au jugement du monde. – Sans mentir, lui dit la comtesse, vous me donnez là de belles leçons; il me prend envie d'en profiter une autre fois. – Il n'est plus temps, Madame, lui dit le comte, qui étoit toujours en humeur de railler; on sait déjà que vous êtes extrêmement chatouilleuse, et que vous avez le dormir fort délicat, et que le mouvement d'une mouche suffit pour vous éveiller. Et puis, ajouta-t-il, qui osera désormais vous approcher, puisque vous ne pouvez souffrir les caresses du Roi? – Voulez-vous que je vous dise ce qui en est? répliqua la comtesse, qui vouloit plaisanter à son tour. Quand on dort, on ne sait ce qu'on fait; mais si le Roi se fût présenté à moi quand j'étois éveillée, peut-être que je n'aurois pas été si cruelle, et que j'aurois mieux reçu ses caresses. Je vous prie, Monsieur le comte, de lui en faire mes excuses. – Vous ferez cela mieux que moi, répondit le comte, ou, pour mieux dire, il n'y a point ici d'excuse à faire. Que savez-vous si le Roi trouveroit en vous les mêmes agréments quand vous seriez éveillée, qu'il a pu y remarquer lorsque vous dormiez? vous savez que ces sortes de choses dépendent entièrement du caprice; un certain air négligé ravit quelquefois un cœur que toute la parure d'une dame ne sauroit jamais attraper. Ainsi consolez-vous, vous avez manqué votre coup; le Roi trouvoit alors de certains charmes en vous, qu'il n'y remarquera plus; vous voilà déchue de vos prétentions, si tant est que vous ayez aspiré à cette gloire, tant recherchée des dames, d'être la maîtresse du Roi.»

La confiance que le comte avoit en la vertu de sa femme le faisoit parler ainsi. Il avoit raison de s'y confier; mais s'il avoit su que le Roi brûloit pour elle, et qu'elle en étoit bien informée, il n'auroit pas eu tant d'assurance, connoissant, comme il faisoit, la fragilité du sexe.

Cette petite aventure qui venoit d'arriver au Roi et à la comtesse, servit d'entretien à la cour durant quelques jours; mais tout ce qui s'en dit ne fit aucun tort à la vertu de cette dame, et personne ne soupçonna que le Roi en fût amoureux. On crut seulement qu'il vouloit se divertir, par l'occasion agréable qui s'offrit à lui, sans avoir d'autre dessein. Il n'en étoit pas de même du duc de La Feuillade, qui savoit l'attachement du Roi pour cette comtesse. Il n'ignoroit pas pourquoi le Roi s'étoit ainsi émancipé; mais il regrettoit pour ce prince d'avoir si mal réussi, et il blâmoit dans son cœur la cruauté de la dame. Le lecteur peut bien juger qu'il y en avoit un assez grand nombre à la cour, qui auroient voulu être à sa place, qui n'auroient pas eu tant de honte qu'elle de se montrer en cet état aux yeux du Roi, ou qui, pour cacher cette honte, auroient fait semblant de dormir.

Tandis que les Messieurs et les Dames s'entretenoient de cette affaire, et que chacun en jugeoit selon son humeur, le Roi étoit fort inquiet, et il ne savoit comment se raccommoder avec sa fière maîtresse. Au fond, l'offense n'étoit pas d'une nature qui méritât une grande punition, et qui dût si fort irriter le cœur d'une dame. Mais il connoissoit l'humeur de la comtesse, et il craignoit toujours cette vertu austère qu'il avoit remarquée en elle. Avant que de se déterminer de quelle manière il devoit se comporter avec elle, il voulut la voir en public, et tâcher de connoître dans ses yeux et par ses manières, quel étoit l'état de son cœur. Il ne l'eut pas plus tôt vue, qu'il jugea d'abord qu'elle n'étoit pas si irritée qu'elle lui avoit paru lorsqu'il s'émancipa de la manière que j'ai déjà dit, et qu'elle dit au Roi ces grosses injures. En effet sa pensée étoit, comme je l'ai remarqué, que ses filles l'avoient trahie et l'avoient abandonnée pour la livrer aux desseins du Roi, et ce fut la cause qu'elle ne put pas retenir son ressentiment. Mais quand elle eut reconnu par les discours de ses filles, qu'elles étoient innocentes d'une si noire trahison, et que ce qui étoit arrivé étoit un effet du hasard, sa plus grande colère fut amortie; et, dans son âme, elle ne pouvoit condamner la liberté d'un amant qui trouvoit une occasion si favorable. Elle joignoit à cela les paroles choquantes qu'elle avoit dites au Roi, et que ce monarque avoit doucement avalées. Toutes ces confidences servoient à désarmer la comtesse. Elle étoit dans cet état, quand le Roi la vit dans une compagnie de dames; et, comme il est bon physionomiste, comme le sont presque tous les amants, il connut d'abord ce qui se passoit dans le cœur de sa maîtresse. Il la vit rougir, dès qu'elle aperçut le Roi, puis baisser doucement les yeux par une espèce de honte, tourner quelquefois la tête d'un autre côté, parler à bâtons rompus, paroître distraite, inquiète, interdite; avec tout cela, il n'y remarqua rien d'ennemi, et il jugea seulement que le souvenir de ce qui s'étoit passé le jour précédent la déconcertoit un peu.

Ce fut la cause que le Roi se priva quelques jours de la voir, pour lui donner le temps de se remettre. Mais ne pouvant vivre si longtemps sans l'entretenir de quelque manière, il lui écrivit ce billet:

«Quelque envie que j'aie de vous parler, je n'ose pas l'entreprendre; les derniers discours que vous me tîntes sont si terribles pour moi, que je n'oserai jamais me présenter devant vous, si je n'en ai une permission signée de votre main, qui porte l'absolution de mon crime. Je l'appelle ainsi par rapport à vous; mais si vous consultez l'amour, si vous consultez votre miroir, au lieu de blâmer mon trop de hardiesse, vous louerez ma discrétion et ma retenue. Je veux bien pourtant soumettre mon jugement au vôtre, et je l'attends avec impatience afin de m'y conformer et de régler ma conduite là-dessus.»

La comtesse reçut ce billet, et y répondit ce peu de mots:

«On vous pardonne tout, parce que vous êtes Roi. Je récuse le tribunal de l'amour, c'est un petit étourdi qui ne juge que par caprice. Si vous me voulez voir, ne consultez plus un si méchant conseiller. Consultez plutôt la sagesse, la justice et la raison, et l'on vous écoutera.»

Quoique ce billet n'eût rien de tendre, le Roi parut en être satisfait, et c'étoit assez que la comtesse lui permît encore de la voir, sauf à lui à tenir les conditions où elle l'engageoit. Mais en amour, on promet tout, et souvent on ne tient rien.

Le Roi se voyant ainsi rétabli dans les bonnes grâces de sa maîtresse, ne songea qu'à pousser son premier dessein. Ce ne furent que bals, que festins, que carrousels, que parties de chasse, pendant le séjour du Roi à Fontainebleau; et tout cela se faisoit en faveur de la comtesse. Quoiqu'elle n'eût aucun dessein de rien accorder au Roi, elle n'étoit pas fâchée d'en être aimée; elle sentoit même que, si elle étoit capable de quelque engagement, ce seroit plutôt pour le Roi que pour toute autre personne; elle admiroit sa bonne mine, son port, et ces manières nobles qui accompagnoient tout ce qu'il faisoit; elle trouvoit qu'il faisoit tout en Roi, et ce dernier caractère étoit plus propre pour gagner une dame qui étoit fière naturellement. Mais sa vertu lui étoit d'un grand secours, qui arrêtoit le penchant qu'elle avoit pour le Monarque. Elle l'aimoit peut-être autant qu'aucune de ses maîtresses, qui n'avoient rien de réservé pour ce prince; et si le Roi eût pu voir son cœur, il y auroit peut-être vu autant de tendresse qu'en pouvoit avoir la Montespan et La Valière même. Mais, comme je viens de dire, sa vertu étoit un frein qui retenoit ses désirs, et qui lui faisoit un crime d'une tendresse qu'elle chérissoit dans le fond, et qu'elle ne put jamais étouffer.

Combien de fois a-t-elle souhaité de n'avoir jamais vu le Roi! Elle cherchoit en lui des défauts qu'elle pût haïr; mais elle n'y en trouvoit pas; de quelque manière qu'elle regardât ce Monarque, elle le trouvoit toujours charmant. Elle l'auroit voulu voir toujours, et elle ne craignoit rien tant que sa vue. Il lui sembloit que toute sa vertu l'abandonnoit quand elle voyoit paroître ce prince. «Pourquoi se contraindre, disoit-elle quelquefois en elle-même? Suivons un penchant si doux: serai-je la seule ennemie de mon contentement? Je suis adorée de ce que j'aime; j'ai un mari commode17; ma réputation est si bien établie que je n'ai rien à craindre de la médisance, et pourquoi donc ne suivre pas une passion qui a tant de charmes pour moi?» Mais un moment après, elle se reprenoit, et faisant réflexion sur les suites funestes de ce fatal engagement: «Je serai, disoit-elle, l'une des maîtresses du Roi; j'en suis aimée, j'en suis estimée aujourd'hui, et demain j'en serai méprisée. Il se dégoûtera de moi comme il a fait des autres; et quand cela ne seroit pas, pourrai-je me résoudre à vivre sans honneur dans le monde, abandonnée de mon mari, méprisée de tous les honnêtes gens, et travaillée d'un cruel remords qui me dévorera jour et nuit? Je mourrai plutôt, ajoutoit-elle, avant que de tomber dans ce malheur.»

Le Roi qui ne pouvoit pas savoir ce qui se passoit dans son cœur, ne croyoit pas être si avant dans ses bonnes grâces; il ne savoit pas que la vertu de la comtesse étoit le seul ennemi qu'il avoit à combattre; il ne songeoit qu'à s'en faire aimer, quoique cela fût fait depuis longtemps; mais la comtesse appliquoit tous ses soins à le lui cacher, et vivoit avec lui d'une manière extrêmement réservée. – «Ne me direz-vous jamais, Madame, lui dit un jour le Roi qui la pressoit plus qu'à l'ordinaire, de quelle manière je suis dans votre esprit? Est-ce comme ami ou comme ennemi? – On ne traite pas les ennemis de la manière qu'on vous traite, lui dit la comtesse d'un ton radouci. – Mais de quelle manière me traitez-vous? lui dit le Roi; puis-je être content de toutes ces marques extérieures de civilité qu'on rend à tout le monde? Traitez-moi, je vous prie, avec moins de respect, et rendez-moi un peu de cette tendresse dont mon cœur est rempli pour vous. – Je vous rends, dit-elle, ce que je puis et ce que je dois, et je vous supplie de ne m'en demander pas davantage. – Votre pouvoir est bien petit à ce que je vois, lui dit cet amant; mais c'est votre rigueur qui le veut borner ainsi, et vous vous faites un devoir à votre mode, et qui s'accommode assez avec votre indifférence. – Je voudrois que cela fût, lui répliqua la comtesse. – Eh! qu'est-ce donc, lui dit le Roi, qui vous fait vivre avec moi d'une manière si réservée? – C'est que vous êtes le plus redoutable de tous les hommes, lui dit alors la comtesse, témoin ce que vous fîtes l'autre jour. – Il paroît bien, Madame, répliqua le Roi, que je ne le suis pas beaucoup, et que vous l'êtes bien davantage, puisque je n'ose vous attaquer que tout endormie, et encore est-ce en tremblant! mais que je me soucie peu que vous me croyiez redoutable! je ne songe qu'à me faire aimer, et non à me faire craindre. – L'un ne va jamais sans l'autre, dit la comtesse, et vous en savez plus que moi sur cette matière. – Eh! de quoi me sert toute ma science, dit alors le Roi, si je n'ai pas pu encore vous l'apprendre ni vous obliger à m'aimer? – Je voudrois employer la mienne à vous guérir et à vous mettre en repos, lui répliqua la comtesse. – Pour guérir, lui dit le Roi, cela n'arrivera jamais, et, pour me mettre en repos, il ne dépend que de vous. – Je vous ai déjà dit, Sire, lui répliqua la comtesse, que s'il ne falloit que ma vie, vous auriez ce que vous désirez; ne me reprochez donc plus que je suis insensible, et croyez que je suis plus à plaindre que vous ne pensez.»

Le Roi ne voulut pas la presser davantage de peur de l'irriter; et elle se contenta de lui parler d'une manière ambiguë, et qu'on pouvoit également appliquer ou aux sentiments tendres qu'elle avoit pour le Roi, ou à l'importunité que lui causoit son amour.

Le lendemain de cette conversation, le Roi voulut se donner le plaisir de la chasse, où un grand nombre de seigneurs et de dames devoient accompagner Sa Majesté. Ce prince, qui avoit toujours son amour en tête, communiqua un dessein qu'il avoit au duc de La Feuillade, qui devoit aussi l'accompagner, afin qu'il employât toute son adresse à le faire réussir. Le jour ne fut pas plus tôt venu que tout se disposa pour cette chasse. On ne pouvoit rien voir de plus beau que cet équipage; tout répondoit à l'ordre et à la magnificence du Roi. Les dames ressembloient à de jeunes amazones, et les messieurs s'étoient ajustés d'une manière qui avoit quelque chose de galant et de guerrier. Le Roi surtout se distinguoit par dessus tous les autres, et, avec cette mine fière et cet équipage de chasseur, on l'auroit pris pour un Mars ou pour un Apollon. Il avoit toujours les yeux sur sa maîtresse, et il pensoit bien moins aux bêtes qu'on alloit courre, qu'au cœur qu'il avoit dessein de surprendre. On ne fut pas longtemps dans la forêt, que les chiens lancèrent divers cerfs, et plusieurs autres bêtes fauves; les uns se mirent à piquer18 après les chiens, et les autres à se poster en divers endroits, pour voir passer la bête.

Comme je n'ai pas dessein de décrire cette chasse, je dirai seulement qu'il se fit tant de courses, tant de tours à droite et à gauche dans ces vastes forêts de Fontainebleau, que la plupart de ceux qui formoient cette partie de chasse furent dispersés en divers endroits. Le Roi ne perdoit jamais de vue la comtesse, qu'il regardoit déjà comme sa proie, et le duc de La Feuillade, qui conduisoit toute cette affaire, la fit réussir selon les désirs du Roi. Il le fit avec tant d'adresse, en plaçant les chasseurs dans de certains postes, et les dames en d'autres, sous prétexte de donner à tous le plaisir de cette agréable chasse, que le Roi se trouva, je ne sais comment, tout seul avec la comtesse, dans le lieu le plus écarté du bois, sans qu'elle eût eu le temps de s'apercevoir que ses compagnes l'avoient abandonnée, et que tout le reste de cette illustre troupe couroit, ou plutôt voloit avec une ardeur incroyable.

Qui pourroit décrire son étonnement de se trouver seule avec le Roi dans un lieu désert et solitaire; ne voyant personne pour venir à son secours, et n'ayant plus ni le son du cor, ni l'aboiement des chiens, ni les cris des chasseurs? Le lieu où ils se trouvèrent étoit un vallon couvert de deux petites montagnes, ombragé d'un grand nombre d'arbres à haute futaie, au pied desquels couloit un ruisseau, dont le murmure faisoit un bruit agréable. Cette situation fut cause qu'on perdit de vue tous les chasseurs, et qu'on n'entendit plus ce bruit qui accompagne ordinairement la chasse. Enfin il sembloit que Vénus et Diane s'étoient donné le mot pour faire venir en ce lieu nos deux amants.

Toutes choses sembloient conspirer au bonheur du Roi, et il croyoit de toucher à ce moment heureux après lequel il avoit tant soupiré, lorsqu'il remarqua un changement considérable sur le visage de la comtesse. Cette pauvre dame blêmit, trembla, et fut saisie d'une sueur froide, comme si elle alloit rendre l'âme. Le Roi lui demanda si elle se trouvoit mal, et elle lui ayant répondu que non, il comprit d'abord quelle étoit la cause de ce changement. C'étoit comme une innocente colombe qui se voit déjà entre les griffes d'un vautour. Elle fit pourtant tout ce qu'elle put pour se remettre, pour ne donner pas à penser au Roi qu'elle se défioit de lui, et qu'elle ne se croyoit pas en sûreté. Elle fit donc un effort sur elle-même, et, après avoir loué la beauté du lieu, elle dit qu'elle étoit surprise de ne voir personne, et que, si Sa Majesté le trouvoit bon, ils monteroient sur une de ces collines, pour découvrir de quel côté pouvoient être les chasseurs. – «N'en soyez point en peine, Madame, lui dit le Roi, nous les trouverons assez; délassons-nous cependant, et puisque vous trouvez ce lieu agréable, nous ferons bien d'en considérer les beautés.»

En disant cela, il descendit promptement de cheval, et voulut aider la comtesse pour en faire de même, à quoi elle s'opposa autant qu'elle put, disant que ce n'étoit point la peine, et qu'elle verroit plus commodément tous les lieux que le Roi vouloit lui faire voir, que si elle étoit obligée de marcher. – «Eh! bien, nous nous reposerons, et nous ferons reposer nos chevaux, dit le Roi.» Enfin il la pressa si fort de descendre de cheval, qu'elle ne put plus s'en défendre; le Roi la prit entre ses bras, et il ne pouvoit contenir sa joie, d'avoir en son pouvoir ce qu'il aimoit le plus dans le monde.

Après avoir attaché lui-même les chevaux à un arbre, il prit la comtesse par la main, et la fit asseoir sur un gazon extrêmement vert, tel que les poètes nous le décrivent dans leurs fables, et qui sembloit n'avoir jamais été foulé par les hommes, tant il étoit beau et riant. – «Avouez, Madame, lui dit le Roi, que c'est un lieu bien charmant. – Je le trouve comme vous, répliqua la comtesse, mais il y a quelque chose de trop sombre et même d'affreux; cela vient sans doute de ce qu'il est si peu habité. – Et quelle habitation plus belle, peut-on lui souhaiter, dit alors le Roi, que celle de votre charmante personne? Il suffit que vous y êtes pour rendre ce lieu le plus beau qui soit dans l'univers; et pour moi, je renoncerois de bon cœur à toute la magnificence de ma cour pour y passer toute ma vie auprès de vous.»

En disant cela, il prit une de ses belles mains qu'il serra passionnément, et qu'il baisa plusieurs fois avec une tendresse extrême. La comtesse n'eut pas la force de retirer sa main, soit que la crainte se fût emparée de son cœur, soit qu'aimant véritablement le Roi, elle ne crût pas lui devoir refuser cette petite faveur. Ce prince amoureux, qui n'avoit pas dessein d'en demeurer là, et qui vouloit pousser plus loin sa conquête, ne songea qu'à gagner toujours du terrain; il mit sa main sur la gorge de la comtesse, et essaya de lui prendre quelques baisers; mais elle le repoussa et lui dit d'un ton sévère: – «N'étoit-ce que pour cela que vous m'arrêtiez ici? Je vous prie, Sire, remontons à cheval, et tâchons de rejoindre notre compagnie. – Et où voulez-vous aller, Madame? lui dit le Roi. Nous ne savons pas la route qu'ils ont prise; au lieu d'aller où ils sont, nous prendrons peut-être un lieu opposé; le plus sûr est de les attendre ici, et nous les verrons bientôt paroître par quelque endroit. – Mais que dira-t-on de vous et de moi, lui dit la comtesse, quand on saura que nous avons été tous deux ensemble dans ce lieu désert, l'espace d'une heure? – Eh! il n'y a qu'un moment que nous y sommes, lui dit cet amant passionné; il paroît bien que vous ne vous plaisez guère avec moi. Et quand nous y serions deux heures entières, que craignez-vous? la réputation de votre vertu vous met à couvert de tout. Ne craignez rien, Madame, ne craignez rien de ce côté-là; donnons-nous entiers à l'amour; tout nous y convie; personne ne nous voit ici, et vous voyez un prince à vos pieds, prêt à expirer par la violence de sa passion, si vous n'avez pitié de ses maux. – Ce n'est pas pourtant ce que vous m'aviez promis, dit la comtesse, que vous n'attenteriez jamais rien contre mon devoir. – Ah! cruelle, lui dit le Roi, que vous connoissez peu les lois de l'amour? Est-ce à un esclave à tenir ses promesses? Je ne suis plus à moi, je suis tout à vous, ma chère comtesse; je me sens entraîné par une force irrésistible; je ne suis plus maître de mes mouvements; je ne puis que vous aimer, je ne puis que vous le dire, et je me sens mourir si vous ne prenez pitié d'un malheureux.»

Le Roi accompagna ces paroles de plusieurs soupirs et de quelques larmes, qui attendrirent le cœur de la comtesse. Elle aimoit ce prince; mais elle ne pouvoit jamais se résoudre à lui abandonner ce qu'elle avoit de plus cher au monde. – «Si un amour réciproque vous peut contenter, lui dit cette sage comtesse, je vous ferai, Sire, une déclaration que je ne vous ai jamais faite, et que rien ne seroit capable de m'arracher, si elle n'étoit sincère; je vous aime, mon cher prince, car je puis bien vous nommer ainsi, avec toute l'ardeur et toute la tendresse dont une femme comme moi peut être capable; oui, je vous aime autant qu'on peut aimer; mais je ne puis renoncer pour vous à l'honneur, à la vertu, ni à aucune chose qui me puisse faire perdre votre estime.»

Ces paroles de la comtesse ne firent qu'enflammer davantage le cœur du Roi. Il venoit d'entendre de la bouche de sa maîtresse, qu'il en étoit tendrement aimé; il n'est rien de si doux pour un amant passionné, et ce prince ne pouvoit pas contenir sa joie. – «Mais seroit-il bien vrai que vous m'aimassiez, dit-il à sa charmante comtesse, et que vous m'en donniez si peu de marques! Non, quoique vous en veuilliez dire, vous n'avez jamais senti les traits de l'amour. – Hélas! si je ne vous aimois, lui répondit-elle avec un air languissant, je ne vous souffrirois pas comme je vous souffre. – Eh! croyez-vous, Madame, lui dit le Roi, qu'un cœur qui vous aime se puisse contenter de si peu de chose? Ah! que vous aimez foiblement si vous en jugez ainsi!»

Alors ce prince, devenu plus hardi par la déclaration que la comtesse venoit de lui faire, attacha sa bouche contre la sienne, et lui donna un baiser dont elle ne put jamais se défendre; elle se laissoit entraîner par un si doux charme; l'honneur ne battoit déjà que d'une aile; l'amour commençoit d'avoir le dessus, et le Roi, profitant d'un temps si précieux à l'amour, alloit se mettre en possession d'un bien qui lui étoit plus cher alors que sa couronne, lorsque la comtesse, revenant comme d'un profond assoupissement, et voyant qu'elle ne pouvoit plus résister au Roi, fit semblant de consentir à tous ses désirs, et le pria seulement de changer de place, disant qu'elle étoit incommodée dans cette assiette.

Le Roi, qui voyoit qu'en procurant le plaisir de la comtesse, il ne feroit qu'augmenter le sien, consentit sans peine à tout ce qu'elle voulut. Ils changèrent d'abord de place, et la comtesse, prenant son temps, saisit l'épée du Roi, qu'elle tira du fourreau, et recula trois ou quatre pas en arrière. Le Roi qui crut qu'elle vouloit s'en servir contre lui, s'alla jeter à ses pieds, et lui dit: – «Madame, si vous demandez ma mort, me voici prêt à la recevoir de votre main. – Non, Sire, lui dit la comtesse, ce n'est pas votre mort que je demande; ma main ne vous fera jamais aucun mal, vous n'êtes point coupable. Mais c'est moi, c'est moi que je veux punir de la foiblesse où je suis tombée par mon malheur.»

En disant cela, elle alloit tourner la pointe de l'épée contre son estomac, si le Roi ne l'eût empêchée. – «Qu'allez-vous faire, dit-il, trop vertueuse comtesse? vous n'avez rien à vous reprocher; eh! pourquoi voulez-vous vous punir d'un crime que vous n'avez point commis? – Il est vrai, dit-elle, mais c'est pour m'empêcher de le commettre.»

Le Roi touché du triste état où il la voyoit, promit de ne la presser plus; et en effet elle étoit plus propre alors à inspirer la compassion que l'amour, et l'on voyoit dans ses yeux et sur son visage toutes les marques d'un véritable désespoir. De sorte que le Roi, qui l'aimoit plus que sa propre vie, et qui craignoit pour elle quelque chose de funeste, lui redemanda son épée, la fit remonter à cheval, et, après y être monté lui-même, ils sortirent de ce vallon, montèrent sur une des deux collines, et découvrirent de loin leurs chasseurs qui venoient de forcer un cerf. Ils étoient assez en peine de savoir où pouvoit être le Roi, et il n'y avoit que le duc de La Feuillade qui s'imaginât ce qui en étoit. Il ne les eut pas plus tôt joints, qu'il leur dit qu'il s'étoit posté à un endroit avec la comtesse, où il croyoit voir passer la bête, mais qu'il n'avoit pas eu tout le plaisir qu'il s'étoit promis, ni la comtesse non plus, avec laquelle il avoit espéré de le partager. Il n'y eut que le duc de La Feuillade, qui savoit l'amour du Roi, qui comprit le sens caché de ces paroles. Et la comtesse, qui vouloit bien qu'on l'entendît de la chasse, prit incontinent la parole et dit qu'elle ne s'étoit jamais tant ennuyée. – «Vous ne devez vous en prendre qu'à moi, lui dit ce prince, car c'est moi qui vous ai conseillé de prendre ce méchant poste. – Je ne m'en prends, dit-elle, qu'à ma mauvaise fortune, ou à cette maudite bête, qui n'a pas voulu passer devant nous, et qui fuit, je crois, devant Votre Majesté, comme tous vos autres ennemis.»

17.La conversation entre la comtesse et son mari, rapportée plus haut, permet en effet de le ranger parmi les maris commodes. Sous son enjouement percent quelques regrets.
18.Terme d'équitation. «Piquer, à l'égard des chevaux, c'est, dit Furetière, les manier avec les éperons ou le poinçon (sorte d'aiguillon dont on piquait la croupe des chevaux). Il faut bien piquer pour aller de Paris à Rome en sept jours.» – On disait, et l'on dit encore, en faisant usage de ce mot, piquer des deux.