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Buch lesen: «Récits d'une tante (Vol. 3 de 4)», Seite 7

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CHAPITRE IX

Le duc de Rovigo et le prince de Talleyrand. – Pavillon de Saint-Ouen. – Détails sur cette fête. – Le duc de Doudeauville remplace le marquis de Lauriston au ministère de la maison du Roi. – Lauriston est nommé maréchal de France.

J'ai dit ailleurs, je crois, les relations que madame du Cayla avait entretenues, sous l'Empire, avec le duc de Rovigo et dont l'extraordinaire ressemblance de son fils témoignait fort indiscrètement.

Depuis que l'immense crédit de la favorite était aussi bien établi, le duc de Rovigo l'assiégeait de ses réclamations. Il voulait être réhabilité à la Cour, employé dans son grade et rentrer dans les voies du pouvoir, menaçant, si elle ne réussissait pas à obtenir ce qu'il désirait, de publier une correspondance qui, non seulement était fort tendre pour Rovigo, mais encore très confiante pour le ministre de la police et prouvait qu'elle n'avait pas attendu la Restauration pour jouer le rôle le plus honteux et en recevoir un salaire.

Elle ne savait comment se tirer de cet embarras. Elle n'avait aucune envie de rétablir la position du duc de Rovigo dont la présence lui était insupportable, mais elle craignait encore davantage de l'exaspérer.

Comme il prétendait toujours que sa conduite, dans l'affaire de la mort de monsieur le duc d'Enghien, avait été la plus innocente du monde, il exigea qu'elle se chargeât de l'expliquer au Roi. Elle se fit répondre par Sa Majesté que, si monsieur de Rovigo parvenait à persuader le public, il lui accorderait ses bonnes grâces. En conséquence, monsieur de Rovigo se mit à l'œuvre et fit une relation, soi-disant justificative, où il s'incriminait de la façon la plus odieuse, tout en chargeant monsieur de Talleyrand très gravement et, je crois, très véridiquement.

Madame du Cayla tressaillit d'aise à cette lecture. Elle y voyait la perte de deux hommes qu'elle redoutait presque également. Cependant, elle fut assez habile pour faire quelques remarques critiques au duc de Rovigo. Elle lui fit adoucir quelques phrases, retrancher quelques aveux, puis l'encouragea à la publication sans toutefois la lui conseiller, afin qu'il ne pût l'accuser de l'y avoir poussé.

L'effet en fut tel qu'elle l'avait prévu. Un tolle général s'éleva contre Rovigo; tout le parti Talleyrand y excita; et, le voyant à son comble, le prince s'enveloppa dans sa dignité offensée et déclara qu'il ne reparaîtrait pas aux Tuileries que son nom ne fût vengé de tant de calomnies. Personne ne soutint le duc de Rovigo; le Roi lui fit défendre de reparaître. Monsieur et son fils déclarèrent qu'ils le feraient mettre à la porte s'il se présentait chez eux. Toutes les réclamations qu'il faisait pour ses dotations furent mises à néant.

Madame du Cayla, elle-même, quoique se disant désolée d'un résultat qu'elle était si loin d'attendre de leurs efforts réunis, se crut obligée de renoncer à le recevoir ouvertement chez elle. Elle lui promit de ne perdre de vue aucune occasion de rétablir sa situation, mais lui fit admettre la nécessité de laisser passer l'orage, et elle s'en trouva débarrassée.

Soit qu'elle craignît de s'attirer trop de haines à la fois, soit qu'elle n'eût pas le moyen de réussir de ce côté, monsieur de Talleyrand eut tous les honneurs de cette affaire. Le Roi lui fit dire «qu'il pouvait revenir aux Tuileries sans craindre de mauvaise rencontre.» En conséquence, il fit sa rentrée le dimanche à la messe, en plein triomphe.

C'était un des moments où il était le plus en évidence. Sa charge de grand chambellan le plaçait immédiatement derrière le Roi. Il s'y tenait debout, la main appuyée sur le fauteuil, hors le moment de l'élévation où il s'agenouillait assez adroitement, malgré sa jambe estropiée, et il ne lui plaisait pas qu'on cherchât à l'assister. Son maintien pendant les offices était inimitable. L'impassibilité de sa physionomie l'y suivait, et personne ne pouvait l'accuser d'y porter ni distraction mondaine, ni cagoterie hypocrite.

Un homme, moins habile que monsieur de Talleyrand aurait été abîmé par les révélations contenues dans le mémoire du duc de Rovigo, d'autant que bien des personnes vivantes pouvaient justifier de leur exactitude. Mais il comprit, tout de suite, que le coup venait d'un homme qui n'était pas situé de façon à pouvoir l'asséner vigoureusement et il se plaça si haut que ce fut le Rovigo qui manqua son atteinte et en fut renversé.

Il y a peu de circonstances où monsieur de Talleyrand ait mieux jugé sa position aussi bien que celle de son adversaire et se soit conduit avec plus d'habileté. Le succès fut si complet que, depuis ce temps, les attaques se sont émoussées. Monsieur de Talleyrand est sorti très épuré de ce creuset aux yeux des contemporains, et l'histoire devra se charger de lui rendre la part qu'il a jouée dans la triste tragédie des fossés de Vincennes.

La petite maison, appartenant à la comtesse Vincent Potocka où le Roi avait donné en 1814 la déclaration dite de Saint-Ouen, fut mise en vente à la mort de la comtesse. Bientôt, nous vîmes s'élever sur ses ruines un élégant pavillon. Les meilleurs artistes furent appelés à le décorer. Les plantes les plus rares en ornèrent les jardins et les serres. Un luxe royal s'y déployait, et l'acquéreur ne put être longtemps ignoré, malgré le secret imposé qui excitait vivement la curiosité. On variait sur la destination de ce lieu de délice.

Des invitations, adressées à tout ce que la Cour et la ville avait de plus distingué, nous apprirent qu'il appartenait à madame du Cayla et qu'elle en ferait l'inauguration par une fête à laquelle elle nous conviait. Quelques personnes, plus scrupuleuses, refusèrent de s'y rendre. Je ne fus pas du nombre. Je connaissais madame du Cayla de tout temps; nos relations étaient devenues très froides, mais j'étais également curieuse de voir le pavillon et la fête. L'un et l'autre en valaient la peine.

On ne nous avait pas exagéré la magnificence de la maison. Elle était parfaitement commode et construite à très grands frais. Chaque détail était complètement soigné. Depuis l'évier en marbre poli jusqu'à l'escalier du grenier à rampe d'acajou, rien n'était négligé. Il était aisé de voir qu'artistes et ouvriers, personne n'avait été contrôlé dans la dépense. Les plus habiles peintres avaient été employés à décorer les murailles; mais ce luxe de bon goût ne sautait pas aux yeux et s'accordait avec une noble simplicité. On voyait dans la bibliothèque un immense portrait de Louis XVIII, assis à une table et signant la déclaration de Saint-Ouen.

Ce qui était encore bien plus curieux, c'était le nonce du Pape, monseigneur Macchi, et monsieur Lieutard, assis sous ce tableau et se relayant l'un l'autre pour faire, à tour de rôle, l'éloge des vertus chrétiennes de leur charmante hôtesse. Or il faut savoir que ce monsieur Lieutard était l'instituteur rigide de la jeunesse dévote du temps et qu'aucun de ses disciples n'aurait osé pénétrer dans un théâtre, hormis dans celui que madame du Cayla allait nous ouvrir.

Les meilleurs acteurs y jouèrent un joli vaudeville, puis une petite pièce de circonstance d'après laquelle il nous fut loisible de croire, si cela nous plaisait, que madame du Cayla n'était que la concierge sensible et dévouée du pavillon historique que ses soins avaient arraché à l'oubli, à la profanation de la bande noire, pour le conserver à la reconnaissance de la France, dont un bon nombre de couplets témoignèrent. Les applaudissements des spectateurs la confirmèrent, et madame du Cayla sortit de l'enceinte couverte de couronnes civiques et proclamée l'héroïne de la charte par un auditoire qui n'y tenait guère.

Je m'amusai bien à cette fête, fort belle et fort bien ordonnée, mais divertissante surtout par son côté bouffon. Tout le corps diplomatique s'y pressait sur les pas de la dame du lieu, aussi bien que les évêques et les mères de l'Église. Elle avait attaché un grand prix à les y faire venir. Toujours elle les avait soignés avec empressement, et chaque semaine un grand dîner réunissait les âmes pieuses à sa table. Une demi-heure avant celle fixée aux invités à la fête de Saint-Ouen, le Roi était venu en inspecter les apprêts. Les traces des roues de son lourd carrosse se voyaient dans les allées, très bien sablées d'ailleurs.

Madame du Cayla avait espéré la présence de Monsieur. Elle en avait laissé courir le bruit, assez complaisamment, au commencement de la matinée; mais vers la fin elle se révoltait contre une idée aussi saugrenue. Le fait était que Monsieur avait hésité.

Monsieur de Villèle l'encourageait à soutenir madame du Cayla, dont il exploitait le crédit sur le Roi; mais l'influence de Madame l'emporta: cette princesse ne pouvait s'abaisser à caresser la favorite et la traitait toujours plus que froidement.

Madame de Choisy, sa dame d'atour, qu'elle avait mariée au vicomte d'Agoult et chez laquelle elle passait toutes ses soirées, ayant, au mépris de ses défenses, formé une liaison intime avec madame du Cayla, la princesse lui en témoigna son mécontentement et ne mit plus les pieds chez elle, quoique l'appartement qu'elle occupait fût contigu au sien. La reconnaissance de madame du Cayla se signala en faisant nommer le vicomte d'Agoult gouverneur de Saint-Cloud.

J'ai dit que le général de Lauriston était resté seul du ministère Richelieu. Il dut cette faveur à la mansuétude avec laquelle il payait les sommes énormes que la faiblesse du Roi répandait sur ses royales amours, sans jamais les trouver trop considérables. Cependant on désira sa place de ministre de la maison du Roi pour monsieur de Doudeauville, afin que Sosthène de La Rochefoucauld, chargé de la division des beaux-arts, ne relevât que de son père.

En conséquence, pour désintéresser monsieur de Lauriston, solder ses complaisances et acheter sa discrétion, on le nomma tout à la fois grand veneur et maréchal de France. Il avait beaucoup fait la guerre, comme tous les serviteurs de Napoléon, mais il n'avait aucune réputation militaire et cette élévation souleva des tempêtes.

Les patrons de Lauriston crurent les calmer en l'envoyant commander l'armée de réserve en Espagne. Lui, de son côté, voulut décorer son nouveau bâton de quelques lauriers. Il fit faire le siège de Pampelune, après la reddition de Cadix et la délivrance du roi d'Espagne, qui amenait nécessairement la chute de toutes les places sans coup férir. Quelques braves gens payèrent de leur sang l'élévation de Lauriston au grade de maréchal, sans la justifier aux yeux de personne.

Il avait laissé la liste civile fort dérangée. Elle acheva de se dilapider sous l'administration du duc de Doudeauville, très galant homme mais trop faible et trop dépendant pour oser faire la moindre résistance aux caprices de son fils et de madame du Cayla. Cette facilité le forçait à fermer les yeux sur les autres abus, et jamais caisse n'a été livrée plus ostensiblement au pillage.

La sage administration de monsieur de La Bouillerie, sous le nom d'intendant, avait réparé le mal en peu d'années, et, avant la révolution de 1830, la liste civile était libérée de toute dette.

CHAPITRE X

Le duc de la Rochefoucauld-Liancourt est destitué de places gratuites. – Exécution de quatre jeunes sous-officiers. – Élections gouvernementales. – Renvoi de monsieur de Chateaubriand. – Sa colère. – L'indemnité aux émigrés et la réduction des rentes. – L'archevêque de Paris, monsieur de Quélen. – Situation politique de monsieur de Villèle. – Le père Élisée. – Répugnance du Roi à quitter les Tuileries. – Quel en était le motif.

L'opinion publique se montra fort choquée de la destitution du duc de La Rochefoucauld-Liancourt. Je ne me rappelle plus dans quelle circonstance il témoigna de la résistance aux volontés ministérielles. C'était pour quelque chose de fort peu important. Cependant le Moniteur prit la peine de répondre par une litanie de treize places qui étaient enlevées au duc. Or, ces places étaient toutes de bienfaisance et gratuites. Il les exerçait avec autant de zèle que de dévouement, dans l'intérêt du pauvre dont il était adoré. En supposant même qu'il eût témoigné de l'hostilité au gouvernement, c'était une puérile et maladroite vengeance.

Celle exercée, d'une façon plus cruelle, contre les sous-officiers de La Rochelle fut encore plus réprouvée. Quatre de ces jeunes gens périrent sur l'échafaud pour un projet de conspiration, très coupable, sans doute, mais qui, n'ayant aucune chance de réussite, ne frappait pas assez l'esprit public pour lui faire supporter le sacrifice de ces quatre jeunes têtes dont la plus âgée n'avait pas vingt-trois ans. Ils se conduisirent, de manière à augmenter l'intérêt, avec fermeté et sans jactance, et parurent poursuivis avec acharnement.

Je me rappelle très bien que le petit noyau d'hommes modérés qui m'entourait s'affligeait de cette procédure et désirait beaucoup que le Roi fît grâce à ces jeunes gens. Je crois me souvenir qu'une note fut remise à monsieur le duc d'Angoulême par monsieur Portal, qu'il entra fort dans ses sentiments mais lui dit qu'il s'était fait la loi de ne s'ingérer, en aucune façon, dans le gouvernement du Roi, qu'il gémissait souvent de ce qu'il voyait, que, toutes les fois qu'on lui demandait son opinion, il la donnait consciencieusement mais que jamais il ne prenait l'initiative: «L'opposition des princes est une trop grande calamité pour que le pays puisse en supporter deux», ajouta-t-il.

Puis, embarrassé lui-même de ce qui venait de lui échapper, il devint fort rouge: «Le Roi, reprit-il, doit être obéi respectueusement par tout le monde, et surtout par moi. Lorsqu'il veut bien me charger d'une mission, je la fais de mon mieux et dans ma conscience; mais, lorsqu'il ne me consulte, ni ne m'emploie, je me tais et je vais à la chasse.»

Je n'affirme pas que ce soit à l'occasion des sous-officiers de la Rochelle que ces paroles ont été prononcées. Je crois même que c'est après le retour d'Espagne que monsieur Portal nous rapporta les avoir entendues, le jour même, de la bouche du prince. Cette sagesse lui attirait notre respect et justifiait les espérances que le pays fondait sur lui.

Les succès obtenus dans la Péninsule, en persuadant au parti ultra-royaliste que l'armée était à sa dévotion, excita sa violence. Il exigea de monsieur de Villèle les lois sur le sacrilège, sur le droit d'aînesse, et l'accomplissement des promesses faites aux émigrés. Le ministre y ajouta de sa propre invention la conversion des rentes cinq pour cent en trois pour cent. C'était de toutes ces lois la seule à laquelle il tint sérieusement.

Les élections, faites avec des fraudes éhontées, avaient amené à la Chambre des députés une majorité compacte qui votait selon le bon plaisir du ministre. Il n'eut pas de peine à faire accepter par elle les élections septennales.

La Chambre des pairs, persuadée que cette nouvelle organisation était meilleure et plus gouvernementale, l'adopta, quoiqu'un grand nombre des pairs, qui votèrent en sa faveur, reconnussent l'inconvénient de prolonger, entre les mains du parti contre-révolutionnaire, un instrument aussi dangereux que la Chambre des députés telle qu'elle était composée. Mais là s'arrêta leur complaisance, et l'utilité du gouvernement représentatif et de la pondération des pouvoirs ne s'est peut-être jamais fait mieux sentir qu'à cette époque.

La Chambre des députés étant servile autant que puérilement aristocratique, celle des pairs se montra indépendante et libérale; et les lois du sacrilège, du droit d'aînesse, de la réduction du taux des rentes, de l'indemnité, etc., furent ou repoussées, ou amendées de manière à perdre leur caractère de lois de parti.

Monsieur de Villèle s'était bien mordu les doigts d'avoir fait exception à son goût pour les médiocrités en appelant monsieur de Chateaubriand au pouvoir. Dès les premiers moments, il avait été trompé dans son espérance de trouver en lui un appui contre la guerre que la Cour, la sacristie et la Sainte-Alliance souhaitaient porter en Espagne.

Monsieur de Villèle, en se voyant joué, s'était promis de se venger. Monsieur de Chateaubriand n'avait aucune faveur auprès du Roi et des princes; il était facile à démolir de ce côté. Monsieur de Villèle prétendit qu'il avait voté contre la loi sur la réduction des rentes.

Monsieur de Chateaubriand l'a toujours nié; mais il convenait volontiers que la loi lui semblait intempestive et dangereuse et s'en exprimait librement dans son salon. Toutefois, il n'existait aucun dissentiment ostensible entre lui et ses collègues, lorsqu'un dimanche il se présenta à la porte de Monsieur pour lui faire sa cour. L'huissier lui répondit qu'il ne pouvait entrer. Monsieur de Chateaubriand y fit peu d'attention; il était tard, il crut la porte fermée et Monsieur déjà passé chez le Roi. Il se hâta de descendre pour arriver dans le cabinet. En passant la première porte, il vit de l'hésitation dans les huissiers et les gardes du corps. Enfin l'officier s'avança vers lui et lui dit, du ton le plus respectueusement peiné:

«Monsieur le vicomte, nous avons la consigne de ne vous point laisser entrer.»

Il était sous le coup de l'étonnement, lorsque monsieur de Vitrolles, son ami, lui dit:

«Vous ne venez donc pas de chez vous?

– J'en suis sorti il y a une heure.

– Eh bien, vous avez manqué une lettre qui vous y attend.»

Monsieur de Chateaubriand y courut, et trouva une ordonnance qui réclamait le reçu d'une dépêche, fort laconique, portant que le Roi n'avait plus besoin de ses services. Monsieur de Chateaubriand signa le reçu de sa propre main, envoya chercher une demi-douzaine de fiacres, y jeta ses effets pêle-mêle et, avant que sa pendule eût sonné l'heure commencée, écrivit à monsieur de Villèle que les ordres du Roi étaient accomplis et l'hôtel des affaires étrangères, aussi bien que le portefeuille, à la disposition du président du conseil.

La manière dont il avait quitté cet hôtel, en plaisant à l'imagination de monsieur de Chateaubriand, adoucit un peu la blessure qu'il avait reçue aux Tuileries; et, pendant les premiers jours, il soutint sa chute avec un calme et une dignité qui lui firent jouer le beau rôle. Mais, petit à petit, les embarras et les ennuis de sa position ranimèrent l'insulte gratuite qu'on lui avait fait éprouver et excitèrent sa haine et sa vengeance contre monsieur de Villèle, jusqu'au point où elles ne connurent plus ni borne ni convenance.

Le journal des Débats, dont l'amitié des frères Bertin lui ouvrait les colonnes, devint l'arène où il traîna son antagoniste et où il se servit d'armes si peu courtoises que bientôt l'offense sembla plus qu'expiée, d'autant que, dans sa colère, monsieur de Chateaubriand s'occupait peu des blessures qu'il pouvait faire au pouvoir en attaquant ses agents.

Monsieur de Villèle se crut forcé de rétablir la censure. Mais qu'en arriva-t-il? Toutes les fois que le censeur effaçait un article ou une phrase, sa place restait en blanc dans le journal et l'imagination de l'abonné suppléait à tout ce que la tyrannie l'empêchait de lire. Ces blancs ayant été proscrits par une ordonnance, les journalistes les remplacèrent par des pages entières de tirets – figurant des lignes.

Il devint évident que, pour rendre la censure efficace, il fallait l'appuyer par des mesures sévères que la disposition de l'esprit public ne tolérait pas. Pour oser entraver la liberté de la presse, dans les temps où nous vivons, il faut que son danger soit évident aux yeux de tous, ou succéder à un temps d'anarchie, lorsque tout le monde a tellement souffert que chacun invoque des chaînes afin que son voisin ait les mains liées. Telle a été la fortune du gouvernement impérial.

L'indemnité aux émigrés pouvait être une mesure juste et même politique, mais elle n'était rien moins que populaire. Monsieur de Villèle, pour comble de maladresse, l'accola à la loi de la réduction des rentes. Son but était d'assurer à cette dernière le vote de tous les députés et pairs émigrés. Il réussit auprès des députés, mais échoua à la Chambre des pairs.

Monsieur Pasquier fut un de ses antagonistes les plus formidables. Il déploya dans la Chambre haute la même éloquence de tribune qu'il avait déjà montrée comme député et comme ministre et prit, dès lors, sur ses collègues, l'ascendant que ses hautes lumières, sa modération constante et son talent incontesté lui ont toujours conservé.

Monsieur de Villèle rencontra aussi dans l'archevêque de Paris un adversaire qui ne laissa pas de lui enlever quelques votes. Sous prétexte de défendre les intérêts des rentiers, ses diocésains, il se montra très hostile au projet de réduction et en releva l'injustice et l'iniquité, après que d'autres orateurs eurent établi la vanité de la mesure sous le point de vue économique.

L'archevêque acquit une assez grande popularité par cette résistance. Il n'avait pas encore eu le temps de déployer son caractère ambitieux et hautain; on était disposé à le croire dans les idées modérées.

L'abbé de Quélen, né dans une famille vendéenne, avait commencé sa carrière dans le service de la grande aumônerie impériale. Le cardinal Fesch, son patron, l'avait ensuite placé, comme aumônier, auprès de Madame, mère de l'Empereur. Lors de la Restauration, monsieur de Quélen ne fit qu'un bond des genoux du cardinal Fesch sur ceux du cardinal de Talleyrand dont il devint le benjamin. Il dirigea la grande aumônerie et s'y montra très sage. Aussi, lorsque le cardinal de Talleyrand, devenant de plus en plus infirme, le demanda pour coadjuteur de l'archevêché de Paris, monsieur de Richelieu accueillit cette démarche avec empressement.

Préoccupé de la crainte de voir arriver à ce siège un prélat qui y portât les idées réactionnaires du clergé émigré, et notamment l'archevêque de Sens, La Fare, que Madame y poussait, il crut faire un coup de parti en l'assurant à un homme dont les précédents promettaient autant de modération que de tolérance.

Cette considération fit arriver monsieur de Quélen, ecclésiastique obscur et sans talents remarquables, à la première place de son ordre, lorsqu'il était à peine âgé de quarante ans. On aurait pu croire son ambition satisfaite, mais il montra bientôt qu'elle était insatiable.

Monsieur de Richelieu s'était laissé entraîné à commettre une faute. Jamais, depuis le cardinal de Retz, l'ancienne monarchie n'avait consenti à donner le siège de Paris à un homme assez jeune pour prétendre à faire de l'opposition. Il était la récompense de prélats vieillis dans les vertus évangéliques; et la probabilité de leur succession, promptement ouverte, servait de moyen pour en maintenir plusieurs autres dans la dépendance du gouvernement. Il était donc d'une mauvaise politique, lors même que monsieur de Quélen se fût montré tel qu'on le croyait, de donner la première place dans le clergé a un homme aussi jeune.

Monsieur de Quélen n'était pas de cet avis, et même il se flattait que l'héritage de la grande aumônerie, possédée par le cardinal de Talleyrand, lui arriverait avec l'archevêché de Paris. L'humeur qu'il conçut de l'en voir séparer, en faveur du cardinal de Croy, entra pour beaucoup dans son hostilité à la conversion des rentes.

Quoi qu'il en soit, l'esprit financier et finassier de monsieur de Villèle se trouva cruellement blessé d'être dévoilé et battu sur son propre terrain. À aucune autre époque il n'a été aussi maître dans le cabinet. L'incapacité du baron de Damas ayant été suffisamment constatée au département de la guerre, il l'avait placé à celui des affaires étrangères, en se réservant le soin de le diriger.

Le marquis de Clermont-Tonnerre passa de la marine à la guerre, également disposé à obéir partout au président du conseil, toutes les fois que la Congrégation n'en décidait pas autrement, et, à cette époque, l'accord existait entre ces deux hautes puissances. Je ne me rappelle plus quelle nullité remplaça monsieur de Tonnerre à la marine.

Monsieur de Corbière et monsieur de Peyronnet semblaient les membres les plus indépendants du cabinet; mais, comme leurs tendances étaient toutes dans le sens le plus opposé aux intérêts de la Révolution, monsieur de Villèle trouvait assez bon de laisser entrevoir qu'il avait à résister à leurs exigences, afin de conserver, dans le public, le caractère de modération acquis pendant qu'il était à la tête de l'opposition ultra.

Louis XVIII ne se mêlait plus de rien et Monsieur se trouvait obligé de ménager l'homme qui, par avance, avait transporté la couronne sur sa tête; de sorte que toutes les circonstances militaient pour assurer l'omnipotence de monsieur de Villèle, lorsqu'elle fut arrêtée par l'échec reçu dans la Chambre des pairs. Il lui fut d'autant plus sensible qu'à la suite de la guerre d'Espagne il avait nommé un assez grand nombre de pairs, et qu'il ne doutait pas plus de la majorité dans cette Chambre que dans celle des députés. Il se promit bien de prendre sa revanche et de représenter son projet favori de la conversion des rentes dans un moment plus opportun.

La santé du Roi devenait de plus en plus mauvaise. Il tombait dans une sorte d'anéantissement dont il ne sortait que pour recevoir les visites de madame du Cayla. Ces jours-là, il ne manquait pas de donner pour mot d'ordre Sainte Zoé, en accompagnant cette confidence d'un sourire qu'il aurait voulu rendre indiscret et que le duc de Raguse m'a souvent dit lui avoir inspiré pitié encore plus que dégoût.

Le Roi détestait Saint-Cloud. Le chirurgien en qui il avait eu le plus de confiance, le père Élisée, qu'il avait ramené d'émigration, s'ennuyant hors de Paris, avait persuadé au vieux monarque que le château était humide. Aussi avait-il coutume de dire tous les ans (les princes répètent volontiers les mêmes gentillesses) qu'il n'y attendrait pas sa fête, mais reviendrait à Paris pour celle des chats. Il était de bonne courtisanerie de paraître ne pas comprendre, afin de lui donner le plaisir d'expliquer que c'était le jour de la mi-août.

C'était une singulière anomalie dans cette Cour dévote et sévère que la présence de ce père Élisée. Il avait été frère de la Charité et assez habile chirurgien. À la Révolution, il jeta le froc et se précipita dans tous les désordres du siècle, avec l'appétit d'un homme longtemps gêné. Il trouvait plaisant de présenter lui-même ses compagnes successives sous le nom de mère Élisée. Je ne sais comment il avait trouvé le moyen de déterrer ainsi un assez grand nombre de jolies filles qu'il passait ensuite à ses amis ou patrons.

Il faisait ce commerce, accompagné des orgies qu'il peut entraîner, jusque dans les appartements du palais du Roi, jusque sous les yeux de Madame qui le savait et ne l'en traitait que mieux, quoiqu'en tout lieu une vie si scandaleuse pour tout le monde et surtout pour un vieux moine eût été justement honnie; mais le père Élisée avait le privilège des hommes déshonorés: on leur passe tout parce qu'ils ne sont honteux de rien.

Ce n'était que pour l'absolue nécessité de faire nettoyer les Tuileries que le Roi consentait à s'en éloigner momentanément. Le palais était habité par plus de huit cents personnes, fort mal soigneuses. Il y avait des cuisines à tous les étages; et le manque absolu de caves et d'égouts rendait la présence de toutes les espèces d'immondices tellement pestilentielle qu'on était presque asphyxié en montant l'escalier du pavillon de Flore et en traversant les corridors du second.

Ces affreuses odeurs finissaient par atteindre les appartements du Roi et le décidèrent à faire à Saint-Cloud les séjours les plus courts qu'il pouvait. Il ne quittait Paris qu'à la dernière extrémité.

Je me suis laissé dire qu'un de ces visionnaires que le Roi interrogeait assez volontiers lui avait prédit, pendant l'émigration, qu'il rentrerait dans les Tuileries, mais qu'il n'y mourrait pas. Plus il se sentait malade, plus il se cramponnait au lieu où il ne devait pas mourir. Ce serait à Gand, pendant les Cent-Jours, que le Roi aurait raconté cette prédiction. Je ne me rappelle pas comment ce récit m'est arrivé et quel degré de foi il mérite.

Tant il y a qu'il préférait l'habitation des Tuileries à toute autre. Monsieur et monsieur le duc d'Angoulême s'en accommodaient très bien. Madame la duchesse de Berry n'en prenait qu'à son aise et ne se gênait pas pour suivre sa famille. Madame, seule, préférait Saint-Cloud et regrettait que la Cour n'y fît pas un plus long séjour.