Les Quatres Nobles Verités

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Les Quatres Nobles Verités
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Gonsar Rimpoché
Les Quatre Nobles Vérités

Traduit, revu, corrigé et édité par des élèves de Gonsar Rimpoché

Le motif de la page de couverture représente un lotus, une représentation en sable effectuée par des moines du monastère de Gandèn Shartsé (sud de l’Inde).

Le lotus symbolise l’esprit de l’Illumination parfaite engendrée sur la renonciation. De la même façon que le lotus sort du vase rempli d’une eau trouble et pousse vers le soleil, la renonciation au marécage impur du Samsara (existence cyclique) nous permet d’atteindre l’Illumination complète.

La technique de construction des images de sable fait partie des arts traditionnels du Bouddhisme tibétain. Elle fut recommandée par Bouddha dans les grands Tantras comme étant propre à la construction des Mandalas, et fut maintenue jusqu’à ce jour dans les grands monastères tibétains.

Tous droits réservés – imprimé en Suisse

© Edition Rabten, Le Mont-Pèlerin / VD

e-mail: info@editionrabten.com

www.rabten.eu/xvCatalog_fr.htm

Composition et couverture : Edition Rabten

Photos: portrait en couverture ; image en page 9 et page 11 ; image en sable : effectué par Ruedi Hofstetter

eBook Herstellung: Edition Rabten

www.rabten.eu

ISBN 3-905497-50-6

eBook: ISBN 978-2-88925-093-6

eBook-production et livraison :

HEROLD Auslieferungs Service GmbH

www.herold-va.de

Avertissement de l’éditeur

Le Vénérable Gonsar Rimpoché a donné cet enseignement pendant du 9., 16., 25. 11. et du 9. 12. 1998 à la Volkshochschule de Bâle.

Nous voudrions exprimer toute notre gratitude à l’auteur, Gonsar Rimpoché pour ses précieux conseils et son soutien, sans lesquels cette tâche n’aurait jamais pu être achevée, ainsi qu’à tous les amis dans le Dharma qui y ont diversement contribué. Nous tenons à remercier tout particulièrement Evelyne Venezia, Gérard Schroeter, Christine Vannaz et Sylvie Zimmermann pour leur collaboration.

Nous sommes heureux de publier les enseignements du Vénérable Gonsar Rimpoché sous cette forme et sommes persuadés que chacun des lecteurs en retirera un bénéfice personnel. Rimpoché fait partie de ces grands Maîtres qui sont les détenteurs des enseignements authentiques du Bouddhisme tibétain. C’est grâce aux efforts inlassables de ces maîtres que nous pouvons disposer d’enseignements aussi complets, ici, en occident.

Puissent ces Maîtres vivre longtemps, puissent leurs enseignements être continuellement florissants et, grâce à leurs bénédictions, puissent la compassion et la sagesse croître constamment en nous.



Introduction
But et rôle de la religion

Pour le Bouddhisme, il existe dans chaque religion ou chemin spirituel trois points principaux et essentiels : les vues, l’éthique et la méditation. Un système spirituel ne peut, sans ces trois aspects, être une religion valable. Les religions ont parfois entre elles des points de vue similaires, mais chacune n’en a pas moins ses propres vues, sa philosophie et enseigne un comportement ou une éthique spécifique. Le Bouddhisme a aussi ses particularités : la méditation par exemple, méthode d’entraînement de l’esprit qui fait partie intégrante de cette religion.

Les grands Maîtres du passé, les fondateurs des diverses religions ont montré à travers leur sagesse et leur compassion un chemin spirituel à tous les êtres. Ils l’ont fait selon la nécessité, la capacité et les besoins de leurs disciples. Le but des diverses religions pourrait être un chemin spirituel identique pour libérer les êtres de leur ignorance et de leurs souffrances, et pour les conduire à un état de bonheur pur et durable. Cela devrait être le but de tout chemin spirituel. C’est pourquoi il est très important, pour un pratiquant d’une religion et pour nous tous aussi, de reconnaître les diverses méthodes, de les estimer, de les respecter et de garder un esprit ouvert. Nous devrions éviter de dire : «Seul mon chemin spirituel est correct», ou bien : «Tous les autres n’ont pas de sens et ne sont pas valables.» Fonctionner de cette manière serait une grossière erreur.

On peut comparer ce point de vue avec le domaine médical car dans le monde il n’y a pas une unique sorte de médecine ; il y a l’allopathie, l’homéopathie, la médecine naturelle etc. En Suisse également, il existe diverses médecines : en plus de la médecine traditionnelle, on peut trouver la médecine chinoise, tibétaine, ayurvédique, etc…. Bien que ces médecines soient toutes différentes, leur but est toujours le même : guérir les êtres et leur offrir la chance d’être libérés de leurs maladies. Tels sont les objectifs de la médecine et il n’y en a pas d’autres. C’est pourquoi, il est parfaitement justifié de respecter toutes ces médecines qui sont à la fois différentes et fort utiles.

Les chemins spirituels ont en quelque sorte le même but que la médecine, si ce n’est qu’ils s’occupent des maladies internes de l’esprit. On pourrait faire une grossière erreur en pensant que l’on peut utiliser toutes ces diverses médecines, les mélanger entre elles, tout jeter dans un pot et en tirer une mixture quelconque. Cela ne donnerait pas forcément un bon résultat. Il en est de même en ce qui concerne les systèmes religieux, bien qu’ayant un même but identique, leurs méthodes sont différentes. Si nous les mélangeons, cela ne donnera pas forcément un bon résultat. Naturellement, si l’on connaît parfaitement les différents chemins spirituels, il est possible de les combiner d’une façon correcte ; mais sans cette connaissance, vouloir tout mélanger ne peut pas nous apporter un résultat probant. Il est donc important que chaque pratiquant d’une religion trouve d’abord son propre chemin approprié, qu’il le suive sérieusement tout en restant simultanément ouvert à tous les autres systèmes, en les respectant et en les estimant. Il est correct de pratiquer avec cette motivation.

Il y a donc dans le Bouddhisme trois points essentiels, mentionnés précédemment : les vues correctes, l’éthique correcte et la méditation correcte. Si nous parlons de pratique ou de philosophie, nous devons nous efforcer d’étudier ces trois points et essayer de les mettre en oeuvre. C’est ce qui fera de nous un vrai pratiquant.

Les vues correctes sont comme une ouverture, une porte dans notre propre esprit car nous, les humains, avons beaucoup d’ignorance, de comportements erronés et de fausses opinions. Il est donc indispensable d’ouvrir d’abord cette porte pour avoir ces vues correctes. Mais comment ouvrir cette porte ? Cela ne se produit pas miraculeusement, mais bien par un juste effort fourni pour étudier, analyser et réfléchir, ou par l’étude faite avec l’aide d’un Maître, etc. Il faut passer par ce processus et faire ce qui est en notre pouvoir pour étudier au mieux. C’est sur la base d’une telle motivation et disposition d’esprit qu’il faut apprendre les choses. Il ne faut pas seulement croire ce que l’on a entendu ou lu ; en plus, il faut bien y réfléchir, l’analyser et sur cette base développer dans son propre esprit une profonde conviction. C’est ainsi que l’on obtient des vues correctes. Avoir des vues correctes ne signifie pas avoir n’importe quelle vue bizarre, particulière ou fantaisiste, mais bien développer dans son propre esprit une vision correcte de la base, du chemin et du but.

Quelle est notre situation fondamentale, celle de tous les autres êtres et de toutes les choses existantes ? Comment existe-t-on en réalité ? Quelle est la cause, quelles sont les conditions, et dans quel but ... ? Il est important de connaître sans erreur notre situation fondamentale, la base. Puis, à partir de cette base, voir comment développer notre propre esprit : c’est le chemin. Enfin, au travers de cette démarche, nous obtenons un résultat, c’est le but. Il faut comprendre parfaitement cette démarche qui doit être très claire dans notre esprit.

Bien sûr, il ne suffit pas uniquement de développer des vues correctes. Il faut aussi pratiquer l’éthique. C’est le deuxième point et il est encore plus important. Tout ce que nous éprouvons en tant qu’être sensible avec notre corps, notre parole et notre esprit, que ce soit du bonheur ou de la souffrance, est le résultat direct de nos actions. Toutes les expériences que nous faisons, à un niveau individuel ou collectif, ne sont donc pas le résultat de la philosophie que nous avons en tête mais bien la conséquence de nos actes. C’est la raison pour laquelle avoir un comportement correct est de la plus haute importance.

La philosophie que nous avons acquise ne nous aidera pas beaucoup si notre comportement laisse à désirer. C’est pourquoi il est important d’avoir un comportement adéquat : abandonner les actions négatives et accomplir les actions positives, correctes et pures avec notre corps, notre parole et notre esprit. Telle est la définition d’un comportement correct. Ce point est également très important.

Sur la base des vues correctes et d’une éthique correcte, il est possible de poursuivre avec le troisième point : la méditation correcte ou entraînement de l’esprit. Ce dernier n’est rien d’autre qu’une méthode qui permet de développer dans notre esprit un potentiel positif. En chacun de nous résident des facteurs mentaux comme la sagesse, la bonté aimante, la compassion, la concentration, la patience etc. que nous pouvons développer, rendre constants et pousser à la perfection. Ce processus est un travail de l’esprit, une sorte de méthode spirituelle interne. Tel est, en fait, le sens de la méditation.

 

Cet aspect est également très important, mais il nécessite comme base les deux premiers points. En l’absence des vues correctes et de l’éthique correcte, il n’existe aucun chemin permettant de pratiquer une méditation ou un entraînement de l’esprit correct. C’est semblable à la construction d’une maison : les vues et l’éthique correspondent au terrain adéquat pour la méditation. C’est pourquoi il est indispensable de réunir ces trois points ! Un seul ne suffit pas.

Le premier enseignement du Bouddha

Les Quatre Nobles Vérités sont non seulement un enseignement fondamental mais aussi le premier enseignement donné par Bouddha. Elles contiennent une explication détaillée des vues correctes, de la pratique de l’éthique ainsi que de la méditation allant du niveau fondamental au niveau le plus subtil. Elles sont donc la base même de ces pratiques. De plus, elles sont l’un des objets les plus significatifs de la méditation bouddhiste. Ces différents aspects montrent donc l’importance de cet enseignement.

Après avoir atteint la pleine Illumination, le Bouddha Shakyamouni donna ses premiers enseignements à ses cinq premiers disciples, dans la forêt de Sarnath. Cet endroit est d’ailleurs devenu un lieu de pèlerinage que l’on peut encore visiter de nos jours.

L’essentiel du Bouddhisme

Il faut maintenant clarifier un aspect essentiel avant d’approfondir cette étude : quel est en réalité le point central du Bouddhisme ? L’essentiel de cette religion ne concerne ni le Bouddha, ni l’Illumination, ni une déité quelconque, ni une vue ou une idée particulière de la philosophie. Tous les enseignements du Bouddha, que ce soit dans les Soutras ou dans les divers aspects des Tantras, reposent sur un point essentiel : les êtres sensibles. Les diverses pratiques comme la discipline, l’éthique et la méditation sont directement en relation avec la situation des êtres sensibles, leurs souffrances, les causes de leurs souffrances ou la libération de leurs souffrances, leur liberté, leur possibilité d’atteindre l’Illumination. On peut même préciser que le point central est la compassion (Ahimsa). Traduit littéralement ce terme signifie «non-violence», il sous-entend toutes les pensées et actions négatives qu’il faut éviter.

Voilà comment on peut décrire l’éthique fondamentale du Bouddhisme. Quel que soit le niveau auquel elle se situe, elle est basée sur ce principe fondamental : éviter de nuire aux autres êtres sensibles. Ce point est également très important.

Les Quatre Nobles Vérités

Le premier enseignement que le Bouddha a donc donné n’est rien d’autre que l’exacte explication de la situation réelle des êtres sensibles. Il décrit notre propre situation et celle de tous les autres êtres. Si nous ne connaissons pas notre situation correctement, si nous avons des fausses vues et des comportements erronés, il nous sera alors impossible de reconnaître sans erreur la situation des autres êtres. C’est la raison pour laquelle Bouddha a donné cet enseignement sur les Quatre Nobles Vérités : il voulait nous montrer très clairement et très précisément notre situation actuelle, notre situation fondamentale et ordinaire.

Comment pouvons-nous modifier cette situation ? Tout est décrit dans les Quatre Nobles Vérités. Les deux premiers points donnent des explications sur notre situation actuelle, sur notre situation fondamentale, et les deux suivants décrivent la situation modifiée et la manière de la modifier. C’est ainsi que Bouddha a parlé de ces quatre points.


Les Quatre Nobles Vérités sont :

– la Noble Vérité de la souffrance

– la Noble Vérité de l’origine de la souffrance

– la Noble Vérité de la cessation de la souffrance

– la Noble Vérité du chemin.


Bouddha a dit :

Ceci est la Noble Vérité de la souffrance, ceci est la Noble Vérité de l’origine, ceci est la Noble Vérité de la cessation et ceci est la Noble Vérité du chemin.

Puis il a précisé dans une deuxième répétition comment les pratiquer :

Il faut reconnaître la souffrance,

abandonner l’origine ou la cause,

réaliser la libération et

pratiquer le chemin.

Il ne suffit donc pas de connaître les Quatre Nobles Vérités et de les citer. Il faut en plus réaliser l’objectif de chaque Vérité.

La Noble Vérité de la souffrance

Dans le Bouddhisme, on parle souvent d’un cycle des existences ou des renaissances appelé Samsara. Nous, les êtres ordinaires, y vivons actuellement ; nous sommes même conditionnés dans ce cycle et toutes les expériences que nous faisons s’y déroulent. Le cycle des existences est caractérisé par la souffrance et tous les êtres ordinaires, comme nous, cherchent à s’en libérer.

Nous avons par ailleurs toujours deux exigences intérieures : être libérés ou définitivement séparés de la souffrance, et expérimenter le bonheur. Ce sont les désirs les plus intimes de chacun. Ces vœux intérieurs ne concernent pas seulement les êtres humains les plus intelligents, mais également les animaux : ils se trouvent exactement dans la même situation que nous ; ils éprouvent aussi des souffrances et eux non plus n’aiment pas cela. Ils essaient donc par tous les moyens de les éviter, de ne pas subir la faim ou des souffrances mentales et espèrent trouver et expérimenter le bonheur. Ils sont du reste occupés jour et nuit à courir pour atteindre ce but. Les êtres intelligents procèdent d’ailleurs de la même façon, ils ont ce même besoin pressant, urgent, depuis l’aube jusqu’au soir et même pendant la nuit. Ils sont toujours pressés et très occupés tout comme le sont également les êtres mondains et les personnes religieuses. Nous tous sommes donc toujours très occupés et aspirons au même but : éviter la souffrance et expérimenter le bonheur. En fait, ce désir profond ne nous laisse jamais en paix, il nous presse et nous préoccupe sans arrêt. Nous nous affairons toujours pour les mêmes choses et rencontrons beaucoup de difficultés, ce qui nous fait éprouver de multiples souffrances.

Pourtant, tous les êtres espèrent ne subir aucune souffrance. C’est un droit légitime. Il est le même pour tous car les droits de chacun à cet égard sont égaux. Tous les êtres ont donc le droit d’éviter la souffrance. C’est la raison pour laquelle Bouddha a dit : «Préoccupons-nous de cela.»

Reconnaître sa propre situation

Le chemin spirituel suivi par une personne s’appelle Dharma dans le Bouddhisme. En fait ce mot signifie en même temps «enseignements», «religion» et «réalisations dans son propre esprit». Pour celui qui désire pratiquer ou suivre le Dharma, il est primordial de connaître d’abord sa propre situation, de voir ses problèmes sans erreur. C’est le plus important. Chaque chemin spirituel, chaque développement correct de l’esprit commence sérieusement avec ce premier pas.

C’est pourquoi Bouddha a commencé par parler de la souffrance. Cela n’est peut-être pas très réjouissant. Peut-être aurait-il dû parler de choses plus agréables, comme du paradis par exemple. Mais Bouddha est venu dans ce monde pour montrer le chemin de la libération. C’est pourquoi nous devons en premier reconnaître notre propre situation et savoir de quoi nous devons nous libérer. Si nous ne le faisons pas, le but ne sera pas atteint. Si nous ne connaissons pas notre propre situation d’une manière correcte, nous ne développerons qu’une motivation superficielle et elle ne sera pas sincère.

Le processus expliqué par le Bouddha dans les Quatre Nobles Vérités est semblable à la manière de soigner une maladie. Pour guérir une personne, il est d’abord indispensable de savoir de quoi elle souffre. Puis, il faut en connaître la cause. Mais cela ne suffit encore pas. Il faut en plus que cette personne ait le désir de se soigner ; elle ne doit pas rester indifférente mais bien aspirer à se débarrasser de sa maladie. Il est donc indispensable que le malade réalise correctement sa situation. D’une manière similaire, nous devons reconnaître notre situation problématique et nos souffrances. Cela est très important.

Bien sûr, nous pouvons penser que ce n’est pas aussi grave. Chacun d’entre nous connaît déjà ses propres souffrances tout comme les animaux connaissent les leurs. Mais reconnaître réellement que l’on est malade est, à ce stade, une réaction correcte. Cependant, beaucoup ne peuvent même pas le réaliser car les souffrances peuvent être très profondes et très subtiles.

Les trois sortes de souffrance

Bouddha a mentionné trois niveaux de souffrance :

– la souffrance de la souffrance

– la souffrance du changement

– la souffrance inhérente à notre condition.


Le premier degré parle de la douleur : la douleur physique et morale (les maladies, les pertes, la mort, etc.), toutes les douleurs et les sensations désagréables du corps (la faim, la soif, le froid, la chaleur) et celles que l’on retrouve dans l’esprit (la tristesse, la peur, le chagrin, etc.). Tout cela fait partie de la souffrance de la souffrance, qui est l’aspect le plus grossier de la souffrance. Chaque être est capable de reconnaître ces différents états et veut les éviter. Les animaux, eux aussi, les reconnaissent et désirent les éviter. Cette première souffrance compte donc de nombreux aspects, et nous sommes tous capables de la reconnaître sans erreur.

Le deuxième niveau de la souffrance est la souffrance du changement. Nous expérimentons beaucoup de sensations corporelles agréables (être rassasiés quand nous avons faim, avoir chaud quand il fait froid, rencontrer quelqu’un et avoir de la compagnie quand nous sommes seuls) ainsi que des sensations mentales agréables (la richesse, le pouvoir, la possession, les relations, la renommée ou encore la gloire). Nous pouvons même croire éprouver un très grand bonheur ou une grande joie dans certaines circonstances. Mais tout cela ne nous apporte en réalité qu’un bonheur relatif, car ce que nous expérimentons au travers de notre corps et de notre esprit n’est rien d’autre qu’un bonheur impur qui est un autre aspect de la souffrance.

Bouddha a expliqué tous ces différents aspects. Cependant, cela ne signifie pas du tout qu’il est interdit d’expérimenter de tels bonheurs, qu’il faille supporter la faim et ne rien manger du tout parce que la satiété est souffrance. Bouddha a simplement démontré que ces sensations ne sont pas le pur bonheur. C’est un bonheur très superficiel, un bonheur limité qui a toujours un potentiel de souffrance ; il ne faut donc pas confondre ces sensations. Par conséquent, nous devons faire preuve de sobriété et de satisfaction envers ces expériences. Si nous en usons ainsi, elles pourront même nous être utiles. Au contraire, si nous en faisons le but principal de notre vie, elles provoqueront un fort attachement et beaucoup de désirs ; et si nous outrepassons une certaine limite, elles se transformeront alors en souffrances.

Prenons l’exemple de la faim : elle appartient au premier type de souffrance. Si, pour nous rassasier, nous recevons un met succulent ou très agréable à manger, il peut arriver que nous le dégustions lentement. Ce remplissage progressif de notre estomac nous semble alors très agréable, comme un réel bonheur. Cependant, très vite nous rencontrons une limite ; si nous la reconnaissons et que nous nous arrêtons, c’est très bénéfique. Si par contre nous l’outrepassons, cela entraînera de la souffrance. Procéder de la sorte peut nous rendre malades et nous pouvons même en mourir. En effet, beaucoup de maladies proviennent de la nourriture ou du fait de trop manger.

La solitude est un autre exemple de souffrance insupportable. Cependant, avec de la compagnie cette souffrance disparaît lentement et ce processus nous semble alors être un très grand bonheur. Être très pauvres et ne rien posséder est également une grande souffrance. Mais si nous pouvons accumuler des possessions et de l’argent, nous devenons plus riches et lentement cette pauvreté et cette souffrance disparaissent. Cette douleur peut donc même alors nous apparaître comme un bonheur, mais en réalité tous ces bonheurs limités sont désignés par Bouddha comme bonheurs impurs, raison pour laquelle nous devons en connaître les limites. Nous devons donc user de beaucoup de sagesse et de sobriété par rapport à ces bonheurs. La richesse tout comme une bonne relation avec quelqu’un peut, selon les circonstances, se révéler fort utile. Cependant, si nous n’en sommes pas conscients et restons aveugles, l’avidité peut transformer ce bonheur, faire de gros dégâts et nous pouvons en souffrir.

 

C’est la raison pour laquelle Bouddha a dit que cette sorte de bonheur conventionnel n’est qu’une autre apparence de la souffrance, mais c’est une souffrance plus profonde que la précédente. Les êtres du royaume des animaux ne sont pas capables de la reconnaître. Il en est de même pour la plupart des êtres humains pour qui ce bonheur conventionnel est le but principal : ils sont donc constamment préoccupés par cet objectif.

Si nous subissons de la souffrance à travers de grands problèmes par exemple, cela nous écrase et nous rend triste. De même, si nous expérimentons le bonheur, il nous écrase et nous éprouvons de grands désirs, de l’attachement, etc. Nous sommes donc constamment emportés par l’un ou par l’autre. De plus, nous avons une grande aversion pour le premier et un grand attachement pour le second. La personne qui fonctionne de cette manière est appelée dans le Bouddhisme un être mondain.

Comment différencier une personne mondaine d’une personne sur le chemin spirituel ? On ne peut pas le voir d’après les marques extérieures (les habits par exemple) et dire qu’une personne habillée comme un moine est une personne spirituelle, et qu’une autre qui porte des habits civils est une personne mondaine. De même, on ne peut affirmer qu’une personne habitant dans un monastère soit une personne spirituelle et qu’une autre vivant dans sa famille soit une personne mondaine, ni qu’un ermite en retraite soit une personne religieuse et que ceux qui vivent en ville soient des personnes mondaines. On ne devrait pas faire de telles distinctions.

Alors où se trouve essentiellement cette différence ? Une personne mondaine se différencie d’une personne religieuse par sa motivation intérieure. Pour la personne mondaine, la souffrance et cette sorte de bonheur passager sont très importants. Éprouver une très forte aversion, une grande peur face à la souffrance et un grand attachement face au bonheur est la caractéristique d’une personne mondaine. L’esprit de cette personne n’est d’une certaine manière pas très stable ; il est même inconstant. Par contre, la personne qui suit un chemin spirituel est caractérisée par son renoncement. Renoncer ne signifie pas simplement tout abandonner. Quand l’attachement de l’esprit, le désir de suivre ses habitudes et l’avidité de bonheur ont été un peu apprivoisés, sont devenus moins importants et aussi quand la peur face à la souffrance n’est plus aussi forte et qu’un début d’équanimité face au bonheur et à la souffrance a été établi, on peut dire qu’une certaine stabilité a été développée dans l’esprit. Voilà le sens réel du renoncement.

Souvent quand la richesse, le pouvoir, le renom ou la gloire sont présents, tout est facile mais dès que la maladie ou la souffrance apparaissent, alors les difficultés commencent. Si à ce moment nous sommes capables non pas de nous laisser écraser par ces expériences mais au contraire de développer face à elles un peu d’équanimité, alors nous deviendrons une personne sur le chemin spirituel. En usant de ce bonheur avec sobriété, contentement et sagesse, il est possible que ces expériences deviennent utiles pour nous-mêmes et pour tous les autres êtres. Il est cependant important de reconnaître qu’il ne s’agit pas là du bonheur ultime ou d’un bonheur durable et pur.

Le troisième niveau de souffrance est encore plus profond : il s’agit d’une souffrance fondamentale. Contrairement aux deux premières souffrances, ce niveau n’est pas en rapport avec une quelconque sensation agréable ou désagréable. Il s’agit au contraire d’un état général et neutre qui caractérise notre condition dans le cycle des existences, ou Samsara. Cet état est par définition, que nous y éprouvions du bonheur ou de la souffrance, un état dans lequel nous n’avons aucune réelle liberté.

Bouddha a dit :

La plus profonde signification de la souffrance est le manque de liberté.

Donc, ne pas avoir de liberté complète, de totale libre disposition de soi, ne pas avoir le contrôle permanent de sa propre existence et de son propre destin est la signification la plus profonde de la souffrance.

Ne pas avoir sous contrôle le cycle de notre propre naissance, de notre propre mort et de notre propre renaissance est un manque de réelle liberté. Ainsi, nous subissons le cycle des existences dans lesquelles nous prenons naissance et nous vieillissons, nous subissons le processus de la maladie et nous mourons en fin de compte sans rien maîtriser. Que cela nous plaise ou non, que nous le voulions ou non, nous devons le subir.

Une telle situation, un tel cycle des existences est de la nature de la souffrance qui caractérise et définit le cycle des existences conditionnées. Tous les êtres font l’expérience d’un tel cycle : nous y sommes nés, que cela nous plaise ou non, que l’environnement ou les conditions nous plaisent ou non. On peut même dire que nous sommes tombés dans cette situation inconsciemment, sans plans préétablis ; nous y sommes nés quelque part sans aucune sorte de contrôle.

Notre naissance est effective dès la conception. En effet, pour le Bouddhisme la naissance a lieu bien avant la naissance conventionnelle. Puis immédiatement dans le ventre de notre mère a commencé notre processus de vieillissement. A chaque instant nous devenons plus âgés, personne ne rajeunit. Ainsi nous passons par les différents stades de la vie : bébé, jeune enfant, jeune homme, homme d’âge mûr et vieillard, dernier stade qui n’arrive que si nous avons une longue vie. Durant ce cheminement, nous éprouvons à certains stades plus de plaisir que dans d’autres. Cependant nous devons, depuis la naissance, traverser ce processus complet qui est comme une course sans fin. D’ailleurs, nous ne pouvons pas dire : «Ici je fais une petite pause» ; «cela me plaît mieux ici» ou «je vais rester plus longtemps ici». Les évènements vont à leur propre vitesse dans un processus inéluctable comme dans une course de chevaux. Tout conduit à une fin : la mort, que cela nous plaise ou non, qu’on le désire ou non.

La plupart des gens ne désire pas mourir mais la mort survient malgré tout. Nous n’avons d’ailleurs aucune certitude sur celle-ci, nous pouvons simplement affirmer qu’elle aura lieu. Nous ne pouvons pas déterminer son moment précis, sa manière et son lieu. Tout cela échappe à notre contrôle. Cependant dans le Bouddhisme, la mort n’est pas la fin. D’autres existences suivront automatiquement dans un processus inexorable et cet enchaînement de vies compose une sorte de cycle des existences sur lequel nous n’avons aucun contrôle. Telle est notre situation fondamentale de souffrance.

Il est facile de reconnaître cette situation : elle est semblable à une personne qui se trouve en prison. C’est une situation assez douloureuse dans laquelle elle fait peut-être des expériences pénibles, mais surtout dans laquelle elle perd sa liberté. Il peut arriver parfois que la nourriture y soit un peu meilleure. Mais le fait d’être en prison est une situation de souffrance et tous les problèmes qui en découlent sont liés au fait d’être incarcéré. Cette situation signifie que le prisonnier n’a aucune liberté sur son destin. Le fait d’être en prison est donc la cause de la souffrance. Nous évoluons de la même manière dans le cycle des existences conditionnées : il nous manque cette complète liberté sur notre destin, et cet état même est la profonde signification du troisième type de souffrance fondamentale.

Cette souffrance est différente ou distincte des deux premières expliquées plus haut ; certains êtres souffrent plus de la première, d’autres plus de la deuxième. Dans le Bouddhisme l’on parle de six sortes de royaumes d’existence. Certains êtres gravitent dans le premier royaume, d’autres dans le second… Tout est différent : tous ne sont pas au même endroit ni dans le même état. Chez les humains aussi, certains éprouvent plus de bonheur et d’autres plus de souffrance. Mais la troisième souffrance, fondamentale, concerne tous les êtres du cycle des existences. Qu’ils soient humains, animaux, dieux ou autre chose, tous sont toujours dans cette même situation où ils manquent totalement de complète liberté.