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Buch lesen: «Les musiciens et la musique», Seite 8

Hallays André
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HEROLD

ZAMPA

27 septembre 1835.

Je ne connaissais de l'ouvrage d'Herold, avant la reprise qu'on en a faite dernièrement, reprise dont je ne saurais parler sans aller sur les brisées de mon spirituel collaborateur M. J. J.48 que les lambeaux que lui ont arrachés les orgues de barbarie, les vaudevilles et les contredanses. A l'époque de ses premières représentations, je me trouvais en Italie, m'inquiétant fort peu de ce qui se faisait à l'Opéra-Comique de Paris, fréquentant beaucoup les théâtres, cependant non pas ceux de San Carlo, del Fondo, de Valle, de la Pergola ou de la Scala, où je n'eusse rien entendu de mieux ni même de comparable à ce que nous avons au théâtre Favart, mais bien les théâtres antiques de Pompéi, de San Germano, de Tusculum, de Rome, où, en courant sur les gradins, sous les voûtes, le long des corridors déserts, la brise du soir joue des airs d'une expression à laquelle Coccia, Schiafogatti, Focolo ni même Vaccaï, n'atteindront jamais.

A la vérité, l'exécution et la mise en scène ne contribuaient pas peu au prestige de ces chants de la nuit. D'abord le vent ne change rien au texte que le grand compositeur des mondes lui a confié, il est triste ou gai, violent ou folâtre suivant l'ordre de l'eterno maëstro, il rugit, il pleure ou il soupire doucement, mais il ne brode jamais, ne surcharge point de nauséabondes appogiatures ses mélodies primitives, et ne fait pas de cadenze; pour les décors il ne faut pas chercher à les décrire, surtout quand il s'agit du théâtre tragique de Pompéi, du haut duquel on avait à droite le Vésuve, dont la tête agitait avec fracas une effrayante aigrette, pendant qu'un rouge collier de lave reposait avec une majesté sombre sur sa poitrine fatiguée, à gauche la riante mer de Naples, où

 
La lune ouvrait dans l'onde
Son éventail d'argent;
 

et par-dessus toute cette magie du ciel, de la terre, des feux et des eaux, un silence sublime, pas d'importun bavardage, pas de stupides observations, pas d'irritants applaudissements, pas de public enfin, et quelquefois un spectateur unique pour un tel opéra.

O souvenirs! ô Italie! ô liberté! ô poésie! ô damnation! Je suis obligé de m'occuper de l'Opéra-Comique!!! J'ai lu et vu la pièce, donc le plus fort est fait. Il s'agit de Zampa ou la Fiancée de marbre. On va probablement me la jeter, la pierre, si je dis ce que je pense de cette production tant vantée.

Mais qu'importe! Herold n'existe plus, et bien que, de l'avis de celui qui a retourné l'aphorisme, on doive des égards aux morts, je crois devoir la vérité à l'art qui est vivant et progresse toujours. Ainsi, en un mot comme en cent, je n'aime pas Zampa, et voilà pourquoi: il y a bien là dedans ce qui ne se trouve pas souvent à l'Opéra-Comique, de la musique, il y a même de beaux morceaux d'ensemble; mais comme œuvre complète, comme partition qui, par son sujet, indique, quoi qu'on puisse dire, une prétention mal déguisée à faire le pendant du Don Juan de Mozart, Zampa me paraît mauvais. Autant l'un est vrai, d'une allure rapide, élégante et noble, autant l'autre est faux, entaché de lieux communs et de vulgarisme. Une comparaison entre les paroles des deux partitions fera mieux comprendre la différence que je trouve entre les deux musiques. Chacun connaît le mordant, l'originalité et la vérité un peu crue des expressions du Don Juan de Mozart dans le dialogue; celui d'Herold s'exprime ainsi dans une orgie:

 
Nargue du vent et de l'orage,
Quand d'aussi bon vin
Mon verre est plein,
Buvons! car peut-être un naufrage
Finira demain
Notre destin.
 

Ailleurs, au moment de violer une jeune fille, il lui dit sans rire: «Cède, cède à mes lois», et sa victime échevelée répond:

 
Dissipez mes alarmes;
Est-ce donc par des larmes
Que l'on peut être heureux?
Souscrivez à mes vœux.
 

Il n'y a au monde que l'Opéra-Comique où l'on puisse entendre de pareils vers: eh bien! en général, la musique de Zampa n'a guère plus d'élévation dans la pensée, de vérité dans l'expression, ni de distinction dans la forme. Seulement il est bien sûr que l'auteur des paroles n'a attaché aucune importance aux rimes qu'il jetait au musicien, tandis que celui-ci s'est battu les flancs en maint endroit sans pouvoir s'élever au-dessus de son collaborateur. Du moins ai-je été affecté par cette musique absolument comme les poètes le seront par les lignes que je viens de citer. En outre, le style n'a pas de couleur tranchée; il n'est pas chaste et sévère comme celui de Méhul; exubérant et brillant comme celui de Rossini; brusque, emporté et rêveur, comme celui de Weber; de sorte qu'à bien prendre, tout en participant un peu des trois écoles allemande, italienne et française, Herold, sans avoir un style à lui, n'est cependant ni Italien, ni Français, ni Allemand. Sa musique ressemble fort à ces produits industriels confectionnés à Paris d'après des procédés inventés ailleurs et légèrement modifiés; c'est de la musique parisienne. Voilà la raison de son succès auprès du public de l'Opéra-Comique, qui représente à notre avis la moyenne classe des habitants de la capitale, tandis qu'elle obtient si peu de crédit parmi les amateurs ou artistes qu'un goût plus délicat, une organisation plus complète, un raisonnement plus exercé distinguent éminemment de la multitude.

Les motifs de ce jugement sévère ressortiront plus plausibles de l'examen que nous allons faire de la partition de Zampa. L'ouverture me semble mauvaise pour la forme comme pour le fond. Elle se compose de quatre ou cinq motifs différents, empruntés à l'opéra, et enchaînés à la suite les uns des autres sans aucune espèce de liaison. L'harmonie d'ensemble, l'unité, n'existe donc pas. C'est un pot-pourri et non une ouverture. Je sais bien que ce système commode a été adopté par Weber pour ses immortelles ouvertures du Freyschütz, d'Obéron, d'Euryanthe, et de Preciosa; mais Weber, en empruntant des thèmes à la partition pour l'ouverture, avait trouvé l'art de les unir intimement, de les engrener, de les fondre en un tout homogène, avec tant d'adresse, avec un sentiment si exquis, que le procédé disparaissait pour ne laisser voir que la beauté du résultat. Il jetait à la vérité de l'argent, du cuivre et de l'or, dans la masse en fusion, mais il savait en combiner l'alliage, et quand la statue sortait du moule, sa couleur sombre n'accusait qu'un seul métal, le bronze. En outre, dans l'ouverture de Zampa, si on en excepte le premier allegro qui a du feu et une certaine énergie sauvage, les mélodies ne sont ni bien neuves ni bien saillantes; l'avant-dernière surtout, formée de petites phrases sautillantes, comme Rossini en a laissé tomber quelquefois de sa plume quand il était las de composer, me paraît vraiment misérable et sottement coquette. Je signalerai également dans l'ouverture le défaut qu'on remarque dans tout l'opéra: c'est l'abus des appogiatures, qui dénature tous les accords, donne à l'harmonie une couleur vague, sans caractère décidé, affaiblit l'âpreté de certaines dissonances ou l'augmente jusqu'à la discordance, transforme la douceur en fadeur, fait minauder la grâce et me paraît enfin la plus insupportable des affectations de l'École parisienne. Quant à l'instrumentation, je n'en saurais rien dire, sinon qu'elle est suffisante en général, mais qu'à la coda les coups de grosses caisses sont tellement multipliés, rapides et furibonds, qu'on est tenté de rire ou de s'enfuir.

Le premier air de Camilla, en la bémol: A ce bonheur suprême, est au contraire plein de candeur et de pureté; l'harmonie en est simple, et les dessins d'accompagnement bien choisis, jusqu'à l'entrée de l'allegro en mi naturel, où le coquet prétentieux de l'École parisienne recommence. A ce morceau succède un chœur d'hommes, dont la mélodie vive et gaie n'est pas exempte d'affèterie, mais dont le principal défaut consiste dans la subalternéité des voix. Le thème est exécuté à l'orchestre par les premiers violons, tandis que sur la scène le chœur marque les temps forts de la mesure en plaquant l'harmonie; tellement que les premiers ténors, au lieu de suivre une marche tant soit peu mélodique, ne font entendre que des ut pendant les huit premières mesures. Ce n'est donc pas un chœur, mais seulement un thème instrumental chargé d'un inutile accompagnement vocal. Ce moyen facilite beaucoup la tâche des choristes; aussi aiment-ils fort les compositeurs qui en font usage: à leur avis, ceux-là seulement savent écrire pour les voix. La ballade obligée du premier acte est extrêmement simple, elle a bien les allures d'une complainte de jeunes filles; mais ce style enfantin ne dégénère-t-il pas un peu en niaiserie? Pour moi la chose n'est pas douteuse; je retrouve là toute la naïveté de l'École parisienne.

Je saute un trio assez pâle, pour arriver au grand quatuor de l'entrée de Zampa. Ce morceau, d'un style ferme, essentiellement dramatique, bien conduit, bien modulé, et exempt de ces désespérantes appogiatures que nous reprochons tant à l'auteur, est sans comparaison le meilleur de l'opéra. La partie du trembleur Dandolo est fort comique; l'idée de le faire chanter presque constamment en triolets contrariés par le rythme binaire de tout le reste de la masse harmonique, est ingénieuse; et l'allegro qui succède à l'aparté est plein de force et d'éclat. La grande progression de tierces descendantes à l'unisson qui se trouve vers la coda, se trouve en opposition directe avec l'expression indiquée par les paroles: on ne dit pas ainsi: Hélas! la force m'abandonne! On ne crie pas si fort pour l'ordinaire quand on se sent mourir; mais comme la scène en général est montée au ton de l'anxiété et de l'effroi, cette idée rendant à merveille le dernier de ces deux sentiments, il serait injuste de chicaner le compositeur à ce sujet. Il me semble seulement qu'il eût dû exiger de l'auteur du libretto des paroles en concordance parfaite avec sa belle inspiration musicale; rien n'était plus facile que ce changement. Le finale commence par un chœur de corsaires, chœur véritable, la pensée musicale se trouvant réellement dans les voix; il est coupé en phrases de trois mesures, et le rythme entremêlé de syncopes en est assez piquant; mais on ne saurait le compter pour un morceau à cause de son laconisme. L'entrée des jeunes filles ramène encore le défaut que nous avons signalé plus haut; le chant est dans l'orchestre, et les trois parties de soprani et contralti n'exécutent qu'un remplissage d'harmonie dépourvu de tout intérêt. De pareils chœurs sont de véritables fictions. Ce n'est pas à faire chanter sur le théâtre une partie de seconde clarinette par les soprani, de second ou de troisième cor par les ténors, et de basson par les basses, que consiste l'art d'employer les masses chorales. C'est aux Italiens que nous devons cette découverte, précieuse pour la paresse des compositeurs et l'incapacité des exécutants. Dans le reste du finale, la voix reprend cependant le rang auquel elle a droit dans l'échelle musicale; le thème: Au plaisir, à la folie, qui avait été déjà entendu dans l'ouverture, reparaît à la fin, interrompu par un aparté plein de terreur, dont le contraste est d'un excellent comique. Voilà une idée vraiment musicale, comme n'en trouvent pas souvent les faiseurs de libretti; aussi le compositeur ne l'a-t-il pas manquée.

La prière des femmes, qui ouvre le second acte, est bien innocente; on distingue pourtant dans la ritournelle un enchaînement d'accords parfaits d'une heureuse originalité.

Le grand air: Toi, dont la grâce séduisante, a du charme mélodique, bien que la coupe rythmique n'en soit pas irréprochable et que la muse du style parisien s'y fasse sentir à tout instant. Le duo terminé en trio: Juste ciel! qu'ai-je vu! c'est ma femme! a beaucoup de verve, plusieurs périodes de l'ensemble se développent bien, et on y rencontre quelques tournures d'harmonie assez imprévues. Quant à celui des deux amants: Pourquoi vous troubler à ma vue? c'est du jasmin, de la vanille et de l'ambre, à hautes doses. Le finale est fort loin de celui du premier acte, malgré la gentillesse d'une petite barcarollette six-huit, comme la plupart des nombreuses chansons, rondes, ballades ou romances sucrées, dont les auteurs ont saupoudré leur pièce, pour le bonheur des orgues et des marchands de musique. C'est péniblement élaboré, et plusieurs modulations forcées amènent des duretés qu'on supporte difficilement. Au dernier acte, je trouve une sérénade délicieuse, pleine de fraîcheur et de douce mélancolie; et encore le duo entre Camille et Zampa: Pourquoi trembler? dont l'allegro contient une mélodie élégante appliquée, fort mal à propos, par les deux personnages, sur deux phrases d'un sens diamétralement opposé. Pour tout le reste, je n'y vois absolument que la fleur du style parisien orné de tous les colifichets de l'instrumentation italienne et des harmonies chromatiques hérissées de dissonnances dont Spohr et Marchner ont attiré le reproche à l'école allemande par l'abus qu'ils en ont fait. J'ajouterai qu'Herold, en employant ces accords de sauvage et fantastique apparence, atteint fort rarement son but; c'est une arme qu'il ne sait pas manier; presque toujours c'est le manche qui porte au lieu de la lame; et, au contraire de Mozart, de Beethoven et de Weber, ses coups meurtrissent sans faire couler de sang.

Voilà notre opinion tout entière sur Zampa. Si quelque chose peut adoucir sa rudesse aux yeux des admirateurs d'Herold, nous dirons en finissant que cette partition remplit cependant toutes les conditions qu'on exige aujourd'hui à Paris d'un véritable opéra-comique, et que les auteurs ont pleinement réussi, puisque le suffrage de cette partie du public à laquelle ils s'adressaient leur est incontestablement acquis.

DONIZETTI

LA FILLE DU RÉGIMENT

16 février 1840.

On jure terriblement dans cette pièce! Mais c'est le style du temps. Aujourd'hui nos soldats ont parfois de très bonnes manières; ils savent à peu près l'orthographe, et ne blasphèment que dans les grandes occasions. Il est vrai que, sous l'Empire, on s'occupait d'un autre genre d'éducation, et qu'on était parvenu à un degré de force peu commun dans l'art de… se faire tuer. Ce qui ne veut pas dire que nous ayons le moins du monde oublié ce beau talent; seulement on est plus avancé à présent, et nous avons joint à l'art de mourir un peu de savoir-vivre. – Assez d'esthétique militaire. – Esthétique! Je voudrais bien voir fusiller le cuistre qui a inventé ce mot là!

Nous sommes dans les guerriers, dans les lauriers et dans les troupiers. Il s'agit d'un régiment, d'un régiment qui eut une fille, une fille à lui tout seul. C'est le sergent Sulpice qui l'a trouvée sur le champ de bataille, abandonnée dans son berceau, avec une lettre de son père le capitaine Robert, qui la recommande à une marquise de Brakenfeld. Sulpice, comme de raison, ne sait où prendre cette marquise, et, sans s'en inquiéter davantage, il met l'enfant et la lettre dans son sac, quitte à remettre plus tard l'une et l'autre à leur adresse.

Après quinze ans bien employés, il faut le dire, Sulpice revient dans le Tyrol avec ses camarades. On ne sait pas comment il a pu dans les camps remplir ses fonctions de père nourricier; quoi qu'il en soit, le petite fille a grandi sous les drapeaux: charmante brune aujourd'hui, familiarisée avec l'odeur de la poudre et le langage des canons, elle parcourt les rangs du régiment qui l'a adoptée, son tonnelet sur l'épaule, et verse à chacun de ses pères l'enthousiasme et l'eau-de-vie. Sulpice, on le voit, s'est donné des collaborateurs, voilà pourquoi Marie se nomme la Fille du Régiment. La tendresse paternelle de nos braves ne tarde pas à se changer en un sentiment plus vif, mais non moins pur. La jeune cantinière ne court aucun danger de séduction, on la respecte et on se respecte de trop pour cela; on a seulement exigé d'elle le serment de ne pas choisir d'époux hors des rangs du 21e. Mais Jupiter se rit des serments de l'Amour et de ceux des cantinières. Voilà qu'un jour, en cueillant des noisettes sur le bord d'un précipice, le pied manque à Marie; elle tombe, elle va mourir d'une mort affreuse, quand un beau jeune Tyrolien se trouve là à point nommé pour la recevoir dans ses bras et la sauver. Inutile de dire que nos deux personnages émus de cette brusque rencontre s'éprennent à l'instant même l'un pour l'autre du plus ardent amour. Le régiment ne tarde pas à se remettre en marche, car le Goguelat de M. de Balzac dit vrai: on en usait furieusement dans ce temps-là, des hommes et des souliers. Tonio, c'est le nom du sauveur de Marie, a l'imprudence de suivre les troupes françaises autour desquelles il rôde sans cesse pour apercevoir sa bien-aimée. On le prend pour un espion, et naturellement on va le fusiller, quand plus naturellement encore Marie intervient, déclare qu'elle lui doit la vie, qu'elle l'aime, et, ventrebleu! qu'elle l'épousera. A cet aveu, le régiment tout entier redevient père, il pardonne à Marie et lui permet d'aimer son libérateur. Mais le serment! le serment! «Quel serment?» demande Tonio. On lui explique l'engagement contracté par Marie avec le 21e si jamais elle veut se marier. «Belle difficulté! dit le jeune gars; je m'enrôle, je me fais soldat, je suis du 21e; comme ça j'épouserai Marie sans qu'elle manque à sa parole.»

Sulpice, quelques jours après, met la main par hasard sur une vieille Allemande qui a la ridicule vanité de fuir l'armée française, comme si l'armée française pouvait être capable de na pas la respecter. Elle se nomme. C'est la marquise de Brakenfeld, celle à qui la lettre du capitaine Robert est adressée. A ce nom de Robert, la marquise se trouble et reconnaît sa nièce dans la jeune fille qui lui est recommandée. Voilà donc la cantinière conduite au château des Brakenfeld. Elle va changer d'existence; mais ses sentiments resteront les mêmes pour Tonio, son sauveur, et pour les braves, son père, du 21e.

Après quelques mois, Marie, devenue tant bien que mal une demoiselle, est sollicitée par la marquise d'accepter pour époux un grand seigneur qu'elle n'a jamais vu. Elle aime toujours Tonio; elle a le caractère énergique et résolu, et pourtant elle consent. Conçoit-on cela? Allons, franchement: il y a un peu de vanité féminine dans son fait. Le contrat est prêt: Marie va signer (il paraît que ses pères du 21e n'ont pas négligé de lui apprendre à écrire. Oh! les bons pères!), quand un bruit de tambours se fait entendre. Le régiment de Sulpice s'avance, et Tonio, qui depuis son engagement a déjà gagné les épaulettes de lieutenant, ose venir demander à la marquise la main de Marie. Refus méprisant de la noble dame. Vigoureuse réplique du pauvre lieutenant. «Ah! vous me refusez! Eh bien! madame, sachez que je possède le secret de la naissance de Marie. Vous n'êtes point sa tante, n'ayant jamais eu de sœur; vous êtes sa mère: j'en ai les preuves, et je les ferai connaître. Le capitaine Robert… – Tais-toi, malheureux! ne va pas me déshonorer; je consens à tout. – Eh! allons donc! Marie, veux-tu être ma femme? – Oui, mille tonnerres! – Mets ton nom là, madame la marquise le veut. – Hourra! crie le régiment; viens dans nos bras, Tonio, nous sommes ton beau-père… Déposez vos… armes! rompez les rangs!» La parade est finie.

La musique de cette pièce a déjà été entendue en Italie, du moins en grande partie: c'est celle d'un petit opéra imité ou traduit du Chalet de M. Adam, et au succès duquel M. Donizetti n'attachait probablement qu'une très mince importance. C'est une de ces choses comme on en peut écrire deux douzaines par an, quand on a la tête meublée et la main légère. L'auteur de Lucia et d'Anna Bolena a eu tort de laisser représenter au théâtre de la Bourse une aussi faible production, au moment où l'attention du public dilettante va se concentrer sur celle que prépare à grands frais l'Opéra. Sans aucun doute il ne pouvait résulter de cette épreuve rien d'avantageux au succès des Martyrs; et nous n'oserions répondre qu'elle ne puisse lui être plus ou moins défavorable. Lorsqu'on est sur le point de produire une œuvre écrite per la fama, comme disent les compatriotes de M. Donizetti, il faut bien se garder de montrer un pasticcio esquissé per la fame. On fait en Italie une effrayante consommation de cette denrée chantable, sinon chantante: on n'y voit guère que des prétextes aux succès des grands ténors et des dive. On dit: «Tel maître écrit pour telle prima donna; Moriani fait furore dans une cavatine de tel ouvrage; l'impresario a fait venir dernièrement Donizetti pour écrire l'opéra de la saison; nous entendrons ça le mois prochain; la Marini, dit-on, est très satisfaite.» Et cela n'a pas beaucoup plus d'importance dans l'art que n'en ont les transactions de nos marchands de musique avec les chanteurs de romances et les fabricants d'albums. Nous disons, ou du moins nos marchands disent: «Mademoiselle Puget a tiré à deux mille cette année; l'an passé elle ne tira qu'à quinze cents. Il y a progrès; il faut lui faire écrire deux albums pour l'hiver prochain.» Ou bien: «Le chanteur de M. Bernard Latte ne lui a fait vendre encore que deux cents Bérat et quatre-vingts Masini; il les chante partout cependant: il faut que sa voix ne plaise plus autant, ou que la verve sentimentale des auteurs se soit refroidie.» Tout cela est per la fame, et la fama n'a que peu de chose à y voir.

La partition de la Fille du Régiment est donc tout à fait de celles que ni l'auteur ni le public ne prennent au sérieux. Il y a de l'harmonie, de la mélodie, des effets de rythme, des combinaisons instrumentales et vocales; c'est de la musique, si l'on veut, mais non pas de la musique nouvelle. L'orchestre se consume en bruits inutiles; les réminiscences les plus hétérogènes se heurtent dans la même scène, on retrouve le style de M. Adam côte à côte avec celui de M. Meyerbeer. Ce qu'il y a de mieux, à mon sens, ce sont les morceaux que M. Donizetti a ajoutés à sa partition italienne, pour la faire passer sur le théâtre de l'Opéra-Comique. La petite valse qui sert d'entr'acte, et le trio dialogué dont on avait parlé, avant la représentation, sont de ce nombre; ils ne manquent ni de vivacité ni de fraîcheur. Le finale du premier acte n'a pas une forme bien arrêtée; on y cherche vainement une intention saillante. Une phrase du rôle de Marie, au second, est bien jetée, le dessin en est élégant. Je ne dirai rien de l'ouverture. M. Donizetti s'inquiète peu, très probablement, des critiques dont cette partition est l'objet; mais, encore une fois, il a tort, à cause des Martyrs. Le public n'aime pas qu'on agisse avec lui aussi cavalièrement; il peut prendre ensuite une œuvre consciencieuse pour le pendant du pasticcio qu'on lui a offert le premier, et faire peser sur elle le blâme que l'autre avait seul encouru. Espérons qu'il n'en sera rien malgré l'étrange impression produite en outre par l'annonce de la bordée que M. Donizetti va lâcher sur nos quatre théâtres lyriques, et qui doit, au dire des mauvaises langues, en couler bas au moins deux.

Quoi, deux grandes partitions à l'Opéra, les Martyrs et le Duc d'Albe, deux autres à la Renaissance, Lucie de Lammermoor et L'ange de Nisida, deux à l'Opéra-Comique, La Fille du régiment et une autre dont le titre n'est pas connu, et encore une autre pour le Théâtre-Italien auront été écrites ou transcrites en un an par le même auteur! M. Donizetti a l'air de nous traiter en pays conquis, c'est une véritable guerre d'invasion. On ne peut plus dire: les théâtres lyriques de Paris, mais seulement: les théâtres lyriques de M. Donizetti. Jamais, aux jours de sa plus grande vogue, l'auteur de Guillaume Tell, de Tancrède et d'Otello n'osa montrer une ambition pareille. Il ne manquait pas de facilité, cependant, et il avait aussi ses cartons bien garnis! Pourtant, pendant toute la durée de son séjour en France, il n'a donné que quatre ouvrages et sur le seul théâtre de l'Opéra; Meyerbeer en dix ans n'en a produit que deux; Gluck, en mourant à un âge assez avancé, ne légua à notre premier théâtre que six grandes partitions, fruit du travail de toute sa vie. Il est vrai qu'elles dureront longtemps.

Là, franchement, que dirait ou que penserait M. Donizetti, si Florence, par exemple, était la capitale du monde civilisé, si elle contenait quatre théâtres lyriques, dont trois rudement subventionnés par l'État, c'est-à-dire par les Florentins, et si M. Adam non content de faire claquer haut et ferme le fouet de son postillon sur la scène française de Florence, venait encore distribuer aux directeurs des trois autres théâtres des traductions ou des mélanges du Châlet, du Proscrit, de Régine, du Brasseur, du Fidèle Berger, de la Reine d'un jour, etc… Voici ce qu'il penserait probablement, car M. Donizetti est un homme honorable, dont le seul tort est évidemment de se laisser faire une douce violence par des spéculateurs qui ne pensent qu'à profiter d'une vogue momentanée, et s'inquiètent peu de la gloire de l'artiste étranger dont la fécondité leur paraît exploitable: «Il y a là dedans, se dirait-il, quelque chose d'évidemment vicieux et injuste. Si M. Adam veut bien venir écrire pour nous une, deux, et même trois partitions, soigneusement faites, et où il aura cherché à mettre tout ce qu'il aura de science et d'inspiration, Florence devra s'estimer heureuse et fière de lui offrir, avec l'hospitalité, tous les moyens d'exécution qu'elle possède. Il est de l'honneur des compositeurs italiens d'accepter une lutte offerte par le musicien français; l'émulation qu'elle excitera ne peut en outre que tourner au profit de l'art; il doit jaillir des éclairs du choc de ces deux écoles rivales. Mais si M. Adam, ayant écrit, de son aveu, soixante et quelques partitions, prend fantaisie d'exhumer celles mêmes qui n'ont pas réussi dans son pays, de les mêler à plus ou moins forte dose avec celles qui en ont obtenu des quarts de succès, des demi-succès, ou d'autres succès, d'en former ainsi une espèce de jeu de cartes, pour distribuer ça et là des as de cœur, des as de trèfle et des valets de carreau, ceci devient un intolérable abus, et les Florentins seraient absurdes de se laisser écraser par cette avalanche qui leur tombe des Alpes. Il n'y aurait plus que de la bêtise et non de la générosité dans leur fait. Ils se verraient réduits au silence, et leur cause serait perdue, non faute de bonnes raisons, mais seulement pour n'avoir pu su mettre un terme au flux de paroles de leur adversaire.

«Le public florentin finirait par s'accoutumer aux plus grandes légèretés du style français, n'en entendant pas d'autre, et, ne pouvant plus établir de comparaison, le goût se perdrait tout à fait. Les compositeurs nationaux, voyant que le seul moyen de se faire bien accueillir par les directeurs de théâtres est d'imiter M. Adam, ne manqueraient pas de copier ce qu'il y a de plus mauvais dans sa manière, pendant que lui, au contraire, agrandirait son style par l'étude de nos beaux modèles, et en se mettant au niveau d'une civilisation musicale plus avancée que celle des Français. Il nous inoculerait ses défauts, prendrait nos qualités et nous mettrait à la porte de chez nous aux grands applaudissements de toute la canaille de Florence! Certes, l'abnégation ne saurait de notre part s'étendre jusque là; et puisque le gouvernement qui entretient à grands frais notre Conservatoire et subventionne nos théâtres, ne prend nul souci du présent ni de l'avenir des artistes dont il a payé l'éducation, auxquels il a distribué des prix, tressé des couronnes, accordé des pensions pour les abandonner ensuite, dès qu'ils ont pu acquérir le sentiment de leur force et s'éprendre d'une juste ambition, c'est à eux de serrer leurs rangs et de se défendre, en toute loyauté, mais énergiquement. Nous devons donc dire à M. Adam: «Holà, notre maître! si vous avez franchi les Alpes avec armes et bagages, comme Annibal et Napoléon, tâchez donc que votre incursion sur la terre italienne ne puisse donner lieu à des comparaisons moins nobles. Les marchands forains aussi passent le Mont Cenis et le Simplon; nous en avons tous les ans un assez grand nombre à la foire de Sinigaglia. Si vous venez ici pour enrichir notre musée musical de belles partitions, nous vous applaudirons avec transport. Car nous avons, nous, une grande passion, assez rare dans votre spirituelle patrie. Nous aimons la musique. Nous saurons en conséquence nous gêner beaucoup pour vous faire beaucoup de place, nous coucherons sur la dure pour vous céder nos lits; vous aurez nos chanteurs, nos danseurs, nos peintres les plus habiles; Félix Romani écrira vos libretti, et nous aurons le courage de passer pour des imbéciles, quand nous ne sommes au fond que des enthousiastes et des artistes dévoués. Mais, per Bacco! ne venez pas à notre barbe spéculer sur un tel désintéressement et faire payer aux Florentins les bamboches musicales dont ne veulent plus et dont n'ont peut-être jamais voulu les modistes de votre rue Vivienne, quand nos grands maîtres pourraient leur donner pour rien des compositions dignes d'être applaudies par de royales mains; car nous ne serions pas embarrassés en ce cas pour démontrer à tous que votre or est du cuivre, que vos diamants ont des taches ou ne sont que du verre, et que vos glaces réfléchissent les objets à l'envers; et vous sentiriez alors, mais trop tard, la sagesse du proverbe: Qui trop embrasse, mal étreint, toujours parce que nous aimons la musique.» Voilà ce que, dans l'opinion présumée de M. Donizetti, les compositeurs italiens devraient dire à M. Adam. Et nous donc! pense-t-on que nous ayons le cœur moins haut placé, l'âme moins fière et le sang moins chaud que les Italiens?..

48.Jules Janin.