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Buch lesen: «Lettres intimes», Seite 8

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LII

Paris, 30 août 1833.

Vous avez raison, ami, de ne pas désespérer de mon avenir! Ils ne savent pas, tous ces peureux, que, malgré tout, j'observe et j'acquiers; que je grandis en fléchissant sous les efforts de la tempête; le vent ne m'arrache que des feuilles; les fruits verts que je porte tiennent trop fortement aux branches pour tomber. Votre confiance m'encourage et me soutient.

Je ne sais ce que je vous avais écrit de ma séparation d'avec cette pauvre Henriette, mais elle n'a pas encore eu lieu, elle ne l'a pas voulu. Depuis lors, les scènes sont devenues plus violentes; il y a eu un commencement de mariage, un acte civil que son exécrable sœur a déchiré; il y a eu des désespoirs de sa part; il y a eu un reproche de ne pas l'aimer; là-dessus, je lui ai répondu de guerre lasse en m'empoisonnant à ses yeux. Cris affreux d'Henriette!.. désespoir sublime!.. rires atroces de ma part!.. désir de revivre en voyant ses terribles protestations d'amour!.. émétique!.. ipécacuana! vomissements de deux heures!.. il n'est resté que deux grains d'opium; j'ai été malade trois jours et j'ai survécu. Henriette, désespérée, a voulu réparer tout le mal qu'elle venait de me faire, m'a demandé quelles actions je voulais lui dicter, quelle marche elle devait suivre pour fixer enfin notre sort; je le lui ai indiqué. Elle a bien commencé, et, à présent, depuis trois jours, elle hésite encore, ébranlée par les instigations de sa sœur et par la crainte que lui cause notre misérable situation de fortune. Elle n'a rien et je l'aime, et elle n'ose me confier son sort… Elle veut attendre quelques mois… des mois! Damnation! je ne veux plus attendre, j'ai trop souffert. Je lui ai écrit hier que, si elle ne voulait pas que j'aille la chercher demain samedi pour la conduire à la mairie, je partais jeudi prochain pour Berlin. Elle ne croit pas à ma résolution et m'a fait dire qu'elle me répondrait aujourd'hui. Ce seront encore des phrases, des prières d'aller la voir, qu'elle est malade, etc. Mais je tiendrai bon, et elle verra que, si j'ai été faible et mourant à ses pieds si longtemps, je puis encore me lever, la fuir, et vivre pour ceux qui m'aiment et me comprennent. J'ai tout fait pour elle, je ne puis rien de plus. Je lui sacrifie tout, et elle n'ose rien risquer pour moi. C'est trop de faiblesses et de raison. Je partirai donc.

Pour m'aider à supporter cette horrible séparation, un hasard inouï me jette entre les bras une pauvre jeune fille de dix-huit ans, charmante et exaltée, qui s'est enfuie, il y a quatre jours, de chez un misérable qui l'avait achetée enfant et la tenait enfermée depuis quatre ans comme une esclave; elle meurt de peur de retomber entre les mains de ce monstre et déclare qu'elle se jettera à l'eau plutôt que de redevenir sa propriété. On m'a parlé de cela avant-hier; elle veut absolument quitter la France; une idée m'est venue de l'emmener; on lui a parlé de moi, elle a voulu me voir, je l'ai vue, je l'ai un peu rassurée et consolée; je lui ai proposé de m'accompagner à Berlin et de la placer quelque part dans les chœurs, par l'entremise de Spontini; elle y consent. Elle est belle, seule au monde, désespérée et confiante, je la protégerai, je ferai tous mes efforts pour m'y attacher. Si elle m'aime, je tordrai mon cœur pour en exprimer un reste d'amour. Enfin je me figurerai que je l'aime. Je viens de la voir, elle est fort bien élevée, touche assez bien du piano, chante un peu, cause bien et sait mettre de la dignité dans son étrange position. Quel absurde roman!

Mon passeport est prêt, j'ai encore quelques affaires à terminer et je pars. Il faut en finir. Je laisse cette pauvre Henriette bien malheureuse, sa position est épouvantable; mais je n'ai rien à me reprocher et je ne puis rien de plus pour elle. Je donnerais encore à l'instant ma vie, pour un mois passé près d'elle, aimé comme je dois l'être. Elle pleurera, se désespérera; il sera trop tard. Elle subira la conséquence de son malheureux caractère, faible et incapable d'un grand sentiment et d'une forte résolution… Puis elle se consolera et me trouvera des torts. C'est toujours ainsi. Pour moi, il faut que j'aille en avant, sans écouter les cris de ma conscience, qui me dit toujours que je suis trop malheureux et que la vie est une atrocité. Je serai sourd. Je vous promets bien, cher ami, de ne pas faire mentir votre oracle.

Je vous envoie ce que vous me demandez; la Chanson de Lutzow est gravée, arrangée par Weber pour le piano. Vous y ferez des paroles. Je n'ai pas pu vous envoyer mon manuscrit, que j'ai donné à Gounet. D'ailleurs, il n'y a presque pas de changements.

Vous enverrez à M. Schlesinger, rue Richelieu, 97, un bon de seize francs pour votre envoi et celui de M. Rolland réunis.

Adieu. Pour la vie, votre ami sincère et fidèle.

Véron a refusé le Dernier Jour du monde. Il n'ose pas. Je vais vous faire envoyer l'ouverture des Francs Juges.

Liszt vient d'arranger ma symphonie pour le piano; c'est étonnant.

Je vous écrirai de Berlin.

LIII

Mardi, 3 septembre 1833.

Henriette est venue, je reste. Nous sommes annoncés. Dans quinze jours, tout sera fini, si les lois humaines veulent bien le permettre. Je ne crains que leurs lenteurs. Enfin!!! Oh! il le fallait, voyez-vous.

Nous avons, à plusieurs, fait un petit sort à la pauvre fugitive. Jules Janin s'en est chargé spécialement pour la faire partir.

LIV

Vincennes, 11 octobre 1833.

Mon cher ami,

Je suis marié! enfin! Après mille et mille peines, oppositions terribles des deux parts, je suis venu à bout de ce chef-d'œuvre d'amour et de persévérance. Henriette m'a expliqué, depuis, les mille et une calomnies ridicules qu'on avait employées pour la détourner de moi et qui avaient causé ses fréquentes indécisions. Une, entre autres, lui avait fait concevoir d'horribles craintes: on lui avait assuré que j'avais des attaques d'épilepsie. Puis on lui a écrit de Londres que j'étais fou, que tout Paris le savait, qu'elle était perdue si elle m'épousait, etc.

Malgré tout, nous avons, l'un et l'autre, écouté la voix de notre cœur, qui parlait plus haut que ces voix discordantes, et nous nous en applaudissons aujourd'hui.

Pour moi, je puis, comme à mon meilleur ami, vous dire et vous affirmer sur l'honneur que j'ai trouvé ma femme aussi pure et aussi vierge qu'il soit possible de l'être. Et, certes, dans la position sociale où elle a vécu jusqu'à ce jour, elle n'est pas sans mérite d'avoir su résister aux mauvais exemples et aux séductions de l'or et de l'amour-propre dont elle était sans cesse environnée. Vous devez penser quelle sécurité cela me donne pour l'avenir. Il n'y a pas beaucoup d'exemples d'un mariage aussi original que le nôtre, et il déconcertera bien des prévisions sinistres. Cet hiver, nous partirons ensemble pour Berlin, où m'appellent mes affaires musicales et où l'on va établir un théâtre anglais pour lequel on vient de faire des propositions à Henriette.

Spontini voudra-t-il nous aider, ou, du moins, ne pas nous entraver? Je l'espère. Avant de partir, je donnerai quelque horrible concert dont vous serez informé avec détails. Oh! ma pauvre Ophélie, je l'aime terriblement! Je crois que, quand nous aurons pu renvoyer sa sœur, qui nous trouble toujours plus ou moins, nous aurons enfin une existence laborieuse, il est vrai, mais heureuse, que nous aurons bien achetée.

Ecrivez-moi, mon ami, à la même adresse; je suis actuellement à Vincennes, où ma femme profite du beau temps pour achever de se rétablir par de grandes promenades dans le parc. Je vais tous les jours à Paris, où notre mariage fait un remue-ménage d'enfer, on ne parle que de cela.

Adieu, adieu.

Votre inaltérable ami.

LV

Paris, 25 octobre 1833.

Mon ami! mon bon et digne et noble ami! Merci, merci de votre lettre si franche, si touchante, si tendre. Je suis pressé, horriblement pressé par des occupations urgentes qui me forcent de courir Paris toute la journée; mais je ne puis résister au besoin que j'éprouve de vous remercier tout de suite de votre bon élan de cœur.

Oui, mon cher Humbert, j'ai cru malgré vous tous, et ma foi m'a sauvé. Henriette est un être délicieux. C'est Ophélie elle-même; non pas Juliette, elle n'en a pas la fougue passionnée; elle est tendre, douce et timide. Quelquefois seuls, silencieux, appuyée sur mon épaule, sa main sur mon front, ou bien dans une de ces poses gracieuses que jamais peintre n'a rêvées, elle pleure en souriant.

– Qu'as-tu, pauvre belle?

– Rien. Mon cœur est si plein! je pense que tu m'achètes si cher, que tu as tout souffert pour moi… Laisse moi pleurer, ou j'étouffe.

Et je l'écoute pleurer tranquillement, jusqu'à ce qu'elle me dise:

– Chante, Hector, chante!


Moi, alors de commencer la Scène du bal, qu'elle aime tant; la Scène aux champs la rend tellement triste, qu'elle ne veut pas l'entendre. C'est une sensitive. En vérité, jamais je n'ai imaginé une pareille impressionnabilité; mais elle n'a aucune éducation musicale, et, le croiriez-vous? elle se plaît à entendre certains ponts-neufs d'Auber. Elle trouve cela pas beau, mais gentil.

Ce qui me charme le plus dans votre lettre, c'est que vous me demandez son portrait; je vous l'enverrai certainement. Le mien va se graver; dès qu'il paraîtra, vous l'aurez. Je suis seul aujourd'hui à Paris; j'arrive de Vincennes, où j'ai laissé ma femme jusqu'à ce soir. Je serai transporté de joie de lui montrer votre lettre, et je suis sûr qu'elle la sentira, surtout le passage relatif au théâtre, son vœu le plus cher ayant toujours été de pouvoir le quitter.

Je vais m'informer de ce que coûterait la copie de la Fantaisie dramatique sur la Tempête. J'aime mieux que vous ayez cela que des fragments de la Symphonie, car c'est un œuvre complet. En outre, Liszt vient de réduire pour le piano seul la Symphonie entière. On va la graver, et cela suffira pour vous en rafraîchir la mémoire.

Adieu. Écrivez-moi souvent. Il me sera si doux de vous répondre et de vous parler du ciel que j'habite; il n'y manque que vous. Oh! si… mais plus tard. S'il y a quelque chose sur la terre de beau et de sublime, c'est l'amour et l'amitié comme nous les comprenons.

J'ai toujours sur ma table les Francs Juges, et je n'ai pas besoin de vous dire le serrement de cœur que j'éprouve à voir vos vers si cadencés, si musicaux, rester enfouis et inutiles. J'ai écrit la scène des Bohémiens, en y mêlant le chœur qui commence le second acte: L'ombre descend. Cela fait un chœur immense et d'un rythme curieux. Je suis à peu près sûr de l'effet. Je le ferai entendre à mon prochain concert.

Adieu, AMI!

Je n'ai pas besoin de voir Henriette pour vous répondre, de sa part, qu'elle est sensible autant qu'on peut l'être à ce que vous m'avez écrit pour elle et pour moi.

Adieu; farewell dearest Horatio, remember me, I'll not forget thee.

LVI

Mercredi, 19 mars 1834.

Ce n'est pas par paresse, mon ami, que je ne vous écris plus depuis que votre dernière lettre s'est croisée en route avec la mienne; un excès de travail, au contraire, en a été la cause. Avant-hier encore, j'ai écrit pendant treize heures sans quitter la plume. Je suis à terminer la Symphonie, avec alto principal, que m'a demandée Paganini. Je comptais ne la faire qu'en deux parties; mais il m'en est venu une troisième, puis une quatrième; j'espère pourtant que je m'en tiendrai là. J'ai encore pour un bon mois de travail continu. Je reçois chaque jour le Réparateur, de M. le vicomte A. de Gouves. Vous me demandez de vous donner le moyen de tenir votre pari; mais je ne vous donnerai guère d'autres nouvelles musicales que celles que vous pouvez trouver dans un feuilleton du Rénovateur tous les dimanches. Écrivez quelque chose sur la mise en scène à l'Opéra de Don Juan; mais dites, ce que ma position ne m'a pas permis d'avouer, que tous les artistes sans exception, et Nourrit surtout, sont à mille lieues au-dessous de leurs rôles; Levasseur trop lourd et trop sérieux, mademoiselle Falcon trop froide, madame Damoreau froide et nulle comme actrice et insupportable par ses sottes broderies; en général, excepté les chœurs, qui sont inimitablement beaux, tout manque de chaleur et de mouvement. Le duo final entre don Juan et la statue du Commandeur est seul d'une exécution admirable. Dérivis fils est très bien dans le rôle du Commandeur. Touchez sur les ballets; ajoutez qu'ils sont d'une musique infâme (composés par Castil Blaze père!); vous ne pouvez en nommer l'auteur, son nom étant resté à peu près secret.

Dites quelque chose sur l'absurdité de la direction, qui s'amuse à dépenser son argent à remonter des ouvrages connus de tout le monde et ne sait pas nous donner un ouvrage nouveau digne d'intéresser les amis de l'art. La reprise de la Vestale par mademoiselle Falcon va avoir lieu dans quinze jours. Cela fera un autre effet que Don Juan, parce que c'est véritablement un grand opéra, écrit et instrumenté en conséquence, et, en outre, parce que c'est la Vestale.

Parlez de l'incroyable quatuor des quatre frères Muller, qui jouent Beethoven d'une façon qui nous était jusqu'à présent demeurée inconnue.

La Symphonie, arrangée par Liszt, n'a pas encore paru. Je vous l'enverrai, avec le Paysan breton, dès qu'elle sera imprimée. – Vous n'avez pas une idée pour un grand opéra? Rien?..

Adieu, tout à vous du fond du cœur.

P. – S.– Je viens d'écrire une grande biographie de Glück pour le Publiciste, journal nouveau sous la forme de l'ancien Globe, qui paraîtra le mois prochain. Je vous en enverrai un exemplaire.

LVII

Montmartre, 15 ou 16 mai 1834.

Je vous réponds en achevant de lire votre lettre, mon cher ami, pour me justifier. Vous êtes fâché, et vous auriez raison de l'être si j'avais réellement mérité les reproches que vous m'adressez.

Peu après le gâchis de Lyon6, un peintre de ma connaissance, qui se rendait à Rome, se chargea d'une lettre pour Auguste, dans laquelle je demandais à celui-ci de ses nouvelles, et conséquemment des vôtres. Je suis bien désagréablement surpris d'apprendre que cette lettre ne lui est pas parvenue. Dites-le lui si vous le voyez.

J'allais vous écrire directement, ne recevant point de réponse d'Auguste, et vous m'avez à peine prévenu de quelques jours. Je suis tué de travail et d'ennui, obligé par ma position momentanée de gribouiller à tant la colonne pour ces gredins de journaux, qui me payent le moins qu'ils peuvent; je vous enverrai dans peu une Vie de Glück, avec notre fameux morceau de Telemaco, qui y est annexé.

Pour ce qui est de la Chasse de Lutzow, la voici telle que j'ai fait chanter au Théâtre-Italien par ces animaux de choristes, qui en ont détruit l'effet.




La prosodie de vos vers n'est pas la même à chaque couplet et ne va pas sur la musique; mais, plutôt que d'altérer le rythme musical, il vaut mieux gêner un peu la marche de la poésie. Au reste, vous verrez vous-même ce que vous aimerez le mieux. J'espère que vous ne chanterez jamais cette féroce mélodie sur la scène que vos vers décrivent si bien. Je redoute pour vous le sort du Fergus de Walter Scott, et je conçois aussi bien, que vous tout ce qui se passe dans votre cœur, beaucoup trop accessible à certaines idées. Si le marchand de musique de Lyon grave le morceau avec vos paroles, faites bien attention que pour rien au monde je ne voudrais avoir l'air de corriger ou retoucher Weber, et qu'en ce cas il doit graver la musique entièrement conforme à l'exemplaire que je vous ai fait adresser par Schlesinger, dans lequel il n'y a d'harmonie qu'à l'entrée du chœur,


notation musicale


tout le reste étant pour une voix seule. Mon nom ne doit y figurer en aucune façon, je vous le recommande. Le Hourrah même n'est pas de Weber. Vous savez qu'il y a, à la place de ces deux mesures, les deux suivantes:



Je ne sais pourquoi, aujourd'hui, je suis horriblement triste, incapable de répondre à votre lettre comme je le voudrais. Je vous remercie bien sincèrement de vos affectueuses questions sur Henriette. Elle est souvent fort souffrante, une grossesse avancée en est la cause; pourtant, depuis quelques jours, elle va mieux.

Mes affaires, à l'Opéra, sont entre les mains de la famille Berlin, qui en a pris la direction. Il s'agit de me donner l'Hamlet de Shakspeare supérieurement arrangé en opéra. Nous espérons que l'influence du Journal des Débats sera assez grande pour lever les dernières difficultés que Véron pourrait apporter. Il est dans ce moment-ci à Londres; à son retour, cela se terminera d'une manière ou d'autre. En attendant, j'ai fait choix, pour un opéra comique en deux actes, de Benvenuto Cellini, dont vous avez lu sans doute les curieux Mémoires et dont le caractère me fournit un texte excellent sous plusieurs rapports. Ne parlez pas de cela avant que tout soit arrangé.

La Symphonie est gravée; nous corrigeons les épreuves, mais elle ne paraîtra pas avant le retour de Liszt, qui vient de partir pour la Normandie, où il passera quatre ou cinq semaines. Je vous l'enverrai aussitôt, avec le Paysan breton, que je n'ai point oublié, ainsi que vous le supposez, et que vous recevrez en même temps. Je ne veux pas le faire graver; sans quoi, vous l'auriez déjà; je le mettrai dans quelque opéra; en conséquence, je vous prie de ne pas en laisser prendre de copie.

J'ai achevé les trois premières parties de ma nouvelle symphonie avec alto principal; je vais me mettre à terminer la quatrième. Je crois que ce sera bien et surtout d'un pittoresque fort curieux. J'ai l'intention de la dédier à un de mes amis que vous connaissez, M. Humbert Ferrand, s'il veut bien me le permettre. Il y a une Marche de pèlerins chantant la prière du soir, qui, je l'espère, aura, au mois de décembre, une réputation. Je ne sais quand cet énorme ouvrage sera gravé; en tout cas, chargez-vous d'obtenir de M. Ferrand son autorisation. A mon premier opéra représenté, tout cela se gravera. Adieu, pensez à Fergus… sinon pour vous, du moins pour votre femme et vos amis. Mille choses à elle et à vos parents.

Tout à vous du fond du cœur.

LVIII

Montmartre, 31 août 1834.

Mon cher Humbert,

Je ne vous oublie pas le moins du monde; mais vous ne savez pas jusqu'à quel point je suis esclave d'un travail indispensable; je vous eusse écrit vingt fois sans ces damnés articles de journaux, que je suis forcé d'écrire pour quelques misérables pièces de cent sous que j'en retire. Je venais d'apprendre par un journal le triste événement qui vient de mettre votre courage à l'épreuve, et je me disposais à vous écrire quand votre lettre est arrivée. Je ne vous offrirai pas de ces banales consolations impuissantes et inutiles en pareil cas; mais, si quelque chose pouvait adoucir le coup que vous venez de recevoir, ce serait de songer que la fin de votre père a été aussi douce et aussi calme qu'il fût possible de la désirer. Vous me parlez du mien, il m'a écrit dernièrement en réponse à une lettre où je lui apprenais la délivrance d'Henriette et la naissance de mon fils. Sa réponse a été aussi bonne que je l'espérais et ne s'est pas fait attendre. Les couches d'Henriette ont été extrêmement pénibles; j'ai même éprouvé quelques instants d'une inquiétude mortelle. Tout cependant s'est heureusement terminé après quarante heures d'horribles souffrances. Elle vous remercie bien sincèrement des lignes que vous mettez pour elle dans chacune de vos lettres; il y a longtemps qu'elle a reconnu avec moi que votre amitié était d'une nature aussi rare qu'élevée. Pourquoi sommes-nous si loin l'un de l'autre?..

Je n'ai pas reçu des nouvelles de Bloc, ni des Francs Juges. Depuis que les concerts des Champs-Élysées et du Jardin Turc se sont emparés de cette malheureuse ouverture, elle me paraît si encanaillée, que je n'ose plus m'intéresser a son sort.

Je ne suis pour rien dans le ballet de la Tempête dont Adolphe Nourrit a fait le programme et Schneitzoëffer la musique.

Il y a deux mois, et je crois vous l'avoir écrit, que ma symphonie avec alto principal, intitulée Harold, est terminée. Paganini, je le crois, trouvera que l'alto n'est pas traité assez en concerto; c'est une symphonie sur un plan nouveau et point une composition écrite dans le but de faire briller un talent individuel comme le sien. Je lui dois toujours de me l'avoir fait entreprendre; on la copie en ce moment; elle sera exécutée au mois de novembre prochain au premier concert que je donnerai au Conservatoire. Je compte en donner trois de suite. Je viens de terminer pour cela plusieurs morceaux pour des voix et orchestre qui figureront bien, je l'espère, dans le programme. La première symphonie arrangée par Litz est gravée; mais elle ne sera imprimée et publiée qu'au mois d'octobre; alors seulement je pourrai vous l'envoyer. Le Paysan breton, je vais le faire graver, vous l'aurez aussitôt. Je donnerai demain l'ordre, chez M. Schlesinger, de vous envoyer mes articles de la Gazette musicale sur Glük et la Vestale.

Parbleu! si je connais Barbier! A telles enseignes, qu'il vient d'éprouver à mon sujet un désappointement assez désagréable. J'avais proposé à Léon de Wailly, jeune poète d'un grand talent et son ami intime, de me faire un opéra en deux actes sur les Mémoires de Benvenuto Cellini; il a choisi Auguste Barbier pour l'aider; ils m'ont fait à eux deux le plus délicieux opéra-comique qu'on puisse trouver. Nous nous sommes présentés tous les trois comme des niais à M. Crosnier; l'opéra a été lu devant nous et refusé. Nous pensons, malgré les protestations de Crosnier, que je suis la cause du refus. On me regarde à l'Opéra-Comique comme un sapeur, un bouleverseur du genre national, et on ne veut pas de moi. En conséquence, on a refusé les paroles pour ne pas avoir à admettre la musique d'un fou.

J'ai écrit cependant la premiers scène, le Chant des ciseleurs de Florence, dont ils sont engoués tous au dernier point. On l'entendra dans mes concerts. J'ai lu ce matin à Léon de Wailly le passage de votre lettre qui concerne Barbier; pour lui, il voyage en Belgique et en Allemagne dans ce moment. Comme il venait de partir, Brizeux nous est arrivé d'Italie, toujours plus épris de sa chère Florence. Il en apporte de nouveaux vers; je les lui souhaite aussi ravissants que ceux de Marie. Avez-vous lu Marie? Avez-vous lu le dernier ouvrage de Barbier sur l'Italie,

Divine Juliette au cercueil étendue,

comme il l'appelle? Il est intitulé il Pianto. Il contient aussi de belles choses. Je vous avoue que j'avais été extrêmement étonné de ne pas vous voir partager mon enthousiasme pour les Iambes, lorsque je vous en récitai des fragments. Ah! oui, c'est furieusement beau. Envoyez-moi votre Grutli. Je ne manquerai pas de le lui faire connaître, ainsi qu'à Brizeux, à Wailly, Antony Deschamps et Alfred de Vigny, que je vois le plus habituellement. Hugo, je le vois rarement, il trône trop. Dumas, c'est un braque écervelé. Il part avec le baron Taylor pour une exploration des bords de la Méditerranée. Le ministre leur a donné un vaisseau pour cette expédition. L'Adultère va donc se reposer pendant un an au moins sur nos théâtres. Léon de Wailly ne se décourage pas; il vient, avec le jeune Castil Blaze (qui ne ressemble pas à son père), de me finir le plan d'un grand opéra en trois actes sur un sujet historique, non encore traité, ainsi que nous l'avait demandé Véron; nous verrons dans peu si le sort de celui-ci sera plus heureux. Oh! il faudra bien que cela vienne, allez! Je n'ai pas d'inquiétude; si seulement j'avais de quoi vivre… j'entreprendrais bien d'autres choses encore que des opéras. La musique a de grandes ailes que les murs d'un théâtre ne lui permettent pas d'étendre entièrement.

 
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
 

Je vous écrirais toute la nuit; mais, comme j'ai à ramer sur ma galère demain tout le jour, il faut que j'aille dormir.

Henriette vous dit mille choses pour vous remercier de votre good friendship. En revanche, ne m'oubliez pas auprès de votre femme et de votre famille.

Adieu; mon affection est aussi sûrement à vous que la vôtre est à moi.

6.Allusion à l'insurrection de Lyon du mois d'avril 1834.
Altersbeschränkung:
12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
26 Juni 2017
Umfang:
231 S. 20 Illustrationen
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