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Buch lesen: «La fille Elisa», Seite 8

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XLIV

Ma petite femme,

J'ai hut de la peine et du mal quand je t'ai quité, parce que ça me fait trop de plaisir quand je te vois. Ça me rend tout sans dessu dessou des journées durant. Ça me bouillonne dans la tête. C'est tout insi comme du lait caillé que j'ai dans le coeur. Je fais dans le service la figur du bon dieu de pitié. Il me parait que je ne pourrai pas durer les quinze jours avant ta sortie. Tant que c'est comme ça, mon âme, elle reste collé à tes lèvre. Je voudrai être toujours nous deux, quand tu n'ï es pas, il ï a des choses qui me tire hors de moi dans toi. Mais, Elisa, tu n'as pas fait ma connaissance encor et comme j'ai le tempéramen amoureux. J'étai tout de même, quand je me mettai à esperer les grandes Fêtes, il ï a longtemps, avant que je soi au régiment. Cependant j'étai bien croyant à tirer un bon numéro, j'avai mis trois doits en manièr de triangle dans la boète, j'avai touché les trois numéro et puis tirant le troisième, j'avai bien dit, insi comme on me l'a enseigné au païs: Mise, mouche, vul. Enfin c'est bien malheureux pour mon salut éternel d'être venu à Paris, puis de t'avoir rencontré toi! Ah, que mon âme me dit des remord! Mais c'est plus fort que moi je ne puis mêtriser mes sangs. Alors, c'est convenu, puisque c'est ton plaisir, nous irons aux nids dans les bois, l'autre dimanche couran. N'AIMER QUE MOI tu l'as juré l'engagemen sur le crucifix. Élisa tes caresse sont gravé dans mon coeur. Ta bouche par ses serment leur a posé un cachet ardent. Élisa je t'aime, je t'idolatre, ma petite femme, avec un grand délire amoureux que tu as fait dissoudre dans toute ma chair. Rien au monde ne peut faire oublier tes caresse et tes baisers brulan. La mort seule me les ferai oublier.

Ton amant pour la vie, pour la vie,

TANCHON fusiller au 71eme de ligne.

P. S. Met dans tes cheveux l'odeur qui ï était la première fois.

* * * * *

La lettre lue, Élisa la gardait longtemps posée sur sa poitrine, sous ses mains croisées, et peu à peu la vision de la terrible journée lui revenait comme si elle la revivait.

XLV

C'était un trou noir dans lequel tombait un rayon de soleil, traversé d'envolées de pigeons ramiers, de roucoulements, de frou-frou d'ailes, de vols nuant et changeant de couleurs, dans leurs rapides et incessants passages de l'ombre à la lumière, de la lumière à l'ombre. Au milieu de ce tourbillonnement ailé, la fine pluie d'un jet d'eau retombait dans une grande coupe de verre bleu, scellée sur un rocher en coquilles d'escargots, et où de petits poissons, aux frétillements d'argent, tournoyaient, tournoyaient sans relâche autour d'un bec de gaz. Attaché à la barre d'une fenêtre, un vieux corbeau qui pouvait bien avoir cent ans, et paraissait avoir perdu son bon sens d'oiseau, sautillait perpétuellement sur une seule patte. La fenêtre entr'ouverte montrait, sur la cheminée, à côté d'une couronne de mariée sous un globe, un troublet à prendre les goujons qui nageaient dans la coupe de verre bleu.

Élisa voyait le petit trou noir et ensoleillé, comme si, de la table du restaurant de la Halle où elle était assise, le jour de sa dernière sortie, elle regardait encore dans la petite cour intérieure, au-dessus du toit en vitrage de la cuisine. Oh! le bon commencement de journée… Un si beau restaurant pour elle, qui n'avait jamais mis les pieds que chez des marchands de vin de barrière… Et les gens à côté d'elle, qui ne faisaient pas le semblant de la mépriser… Et le garçon qui lui disait «Madame» comme aux vraies Madames qui étaient là… Après, on avait pris un mylord… Rouler vite, comme cela, en voiture découverte, avec du vent dans les cheveux… il y avait bien longtemps que c'était le désir secret d'Élisa. Mais sur le quai de Chaillot, elle était descendue, il avait fallu qu'elle longeât la Seine tout au bord de la berge… et elle allait ainsi regardant l'eau couler, marchant avec elle… Quand elle s'était mise à lever les yeux, ils étaient sortis de Paris et bien au loin!.. Dans une espèce de champ, à travers un grand filet séchant sur un arbre, elle voyait une sorte de berger, avec un vieux sac de militaire au dos, gardant un troupeau de moutons crottés… Et ça lui paraissait étrange de ne plus retrouver, dans le ciel, le Dôme des Invalides qu'elle était habituée à ne jamais perdre de vue… Alors on s'était trouvé dans le bois de Boulogne… Il faisait bon dans le bois, et puis «le petit homme chéri» avait dans l'ombre de si gentilles paroles, une si douce voix.

XLVI

Le soldat qu'aimait Élisa n'avait d'un lignard que la tunique sur le dos. Il était, ainsi que s'exprime le peuple, doux à parler, et ses gestes avaient l'enveloppement d'un bras féminin. Il disait, en riant, qu'il devait cela à l'habitude qu'il avait autrefois de tenir sous sa roulière, par les pluies froides, l'agneau dernier né de son troupeau. Car jusqu'au jour où il était tombé au sort, il avait été berger. Lui, ce fut lui, pendant bien des années, cette silhouette contemplative qu'on aperçoit à mi-côte des grandes landes, debout, le menton appuyé sur un long bâton, et entouré du tournoiement fantastique d'un chien aux yeux de feu. Sa vie s'était passée dans le vent, la pluie, l'orage, les déchaînements mystérieux des forces de la nature. Depuis l'âge de huit ans, ses yeux avaient vu les aubes et les crépuscules de chaque jour, toutes les heures de la terre troubles et voilées, et pleines de visions et d'apparences et disposant l'esprit du berger à la croyance peureuse aux choses surnaturelles, et peuplant son imagination de toutes sortes de noires interventions des puissances occultes. Il était né sur une terre arriérée, en laquelle s'éternisait le passé d'une vieille province, dans un département lointain, encore sillonné d'antiques diligences, et où se dressait à chaque bifurcation de deux chemins une croix de pierre. Tous les dimanches, d'abord enfant, puis déjà grand garçon, il ôtait sa blouse pour passer la chemise blanche de l'enfant de choeur. Plus tard il était resté croyant à son catéchisme, captivé par tout le miraculeux qu'il enseigne, si bien que sous le soleil de midi en plein champ, au milieu de ses moutons, il ne manquait chaque semaine, à l'heure de l'office, de lire sa messe, et là, perdu, absent, transporté dans une église idéale, il se prosternait, comme à l'élévation, aux tintements de la clochette qui sonnait au cou rebelle du bélier de son troupeau. Cette ferveur se mêlait, en lui, à ce mysticisme vague et confus que la solitude, la vie en plein air apportent parfois aux natures incultes. Du reste il était sans lettres, n'avait jamais lu que des almanachs et deux ou trois petits livres d'un illuminisme tendre à la glorification de la vierge Marie. Lorsque l'homme avait apparu dans le jeune homme, une part de cette religiosité s'était tournée vers la femme. Et ses amours d'abord chastes et dédaigneuses des campagnardes, et toutes à une délicate Sainte, martyrisée dans un tableau d'une chapelle de sa montagne, avaient brûlé en lui, dans un transport de la tête ressemblant à un embrasement divin.

La vie du régiment était dure au berger; il comptait les années, les mois, les journées qui le séparaient du jour où, après ses sept années de service, il retournerait à ses landes et à ses bêtes. Mais comme il avait la résignation du chrétien, il accomplissait avec docilité et simplicité ses devoirs de soldat, respectueux avec son capitaine, respectueux avec son caporal. Il vivait toutefois dans son coin, allant tout seul de son côté, sans rapport avec les autres, auxquels cependant à l'occasion il rendait de petits services, restant de son pays, ne laissant entamer ni ses idées ni ses habitudes, contemplant à la dérobée les images de la petite semaine sainte qui ne quittait jamais son sac, insensible aux moqueries de la chambrée, qui le voyait tous les matins, le premier levé, faire, agenouillé à la tête de son lit, une prière dans le jour à peine naissant, sans entendre dire à ceux qui s'éveillaient: «Tiens Tanchon, le v'là déjà occupé à manger sa paillasse

Ce croyant et ce fervent n'avait pu cependant résister à Paris aux ardeurs sensuelles de son tempérament, à la flamme de ce corps grandi dans les excitations de la nature et l'arome des sapins, à l'exaltation tendre d'un cerveau amoureux de Dieu et de la femme. Au milieu de ses faiblesses, dans la simplicité de sa foi candide, l'ancien berger était tourmenté de l'appréhension des feux matériels d'un enfer, de la crainte d'un vrai diable qu'il n'était pas bien sûr de n'avoir pas vu, une fois, sous la forme d'un loup blanc, de la peur de toutes les créations de terreur de l'Église à l'usage des damnés, qu'il croyait, en ses souvenirs hallucinés, s'être approchés de lui dans les ténèbres, dans l'obscurité remuante des heures où le Monde s'endort ou s'éveille. Et ces effrois de réalités pour lui non douteuses, non lointaines, mais menaçantes de tout près, troublaient d'autant plus son être, qu'il se sentait tous les jours plus incapable de résister à la femme, plus faible contre la tentation de sa chair.

* * * * *

Parlant à une femme, parlant à Élisa, sous des arbres, par ce jour de printemps, la parole de cet homme au pantalon garance était une sorte d'invocation, une effusion presque priante et délirante, un parler d'amour, où des mots revenant des trois livres amoureusement pieux qu'il avait lus, en faisaient une langue de dévotion, appuyée de la douceur de gestes qui semblaient envelopper d'une caresse l'agneau dernier né de son troupeau.

XLVII

Élisa et le soldat étaient donc tombés dans le bois de Boulogne. Des grandes avenues ils avaient été aux petites allées. Le soldat ne disait plus rien. Et Élisa avait pour le bras auquel elle s'appuyait, des caresses qui tapaient doucement, tout en arrachant d'une main distraite, le long du chemin qu'ils suivaient, de hautes herbes des champs. Ils marchaient ainsi dans le bois qui devenait plus épais, quand ils se trouvaient devant une grande porte, où se voyait la broussaille fleurie, blanche et rose, de grands rosiers grimpants.

XLVIII

Le cimetière! le cimetière qui n'en était plus un! Il lui semblait encore lire sur le vieux plâtre lézardé de sa porte: ANCIEN CIMETIÈRE DE BOULOGNE, et tous les détours et tous les circuits du petit bois ignoré, ouvert le dimanche, se représentaient sous ses yeux.

D'abord, elle avait voulu en faire tout le tour, comme on fait le tour d'un lieu inconnu et attirant, allant aux recoins secrets par des sentiers effacés, dans de petits chemins, que barraient et refermaient des rosiers devenus sauvages, et défendant le passage avec des rejets fous et des épines meurtrières.

Puis lasse, comme une femme qui n'a pas l'habitude de marcher, elle s'était laissée tomber près d'un monticule, sous lequel dormait un enfant: un tertre vert tout mangé de marguerites.

Elle était tout emplie d'un tranquille et pur bonheur, où l'enveloppement de la mort, de cette mort déjà ancienne et qui avait perdu son horreur, mettait je ne sais quoi de doucement recueilli.

Lui! silencieux, il s'était couché un peu au-dessous d'elle, une joue posée sur la fraîcheur de l'herbe. À travers sa robe elle sentait la chaleur de son visage.

Instinctivement, elle s'était levée, dirigée du côté de la porte, quand il l'avait forcée à se rasseoir un peu plus loin, sur un angle de pierre défoncée, d'où tombaient sur eux de grandes branches pleurantes.

– Non! Non!

C'était Élisa qui se relevait brusquement, marchant, encore une fois, vers la sortie du cimetière.

Elle avait au dedans d'elle le pressentiment qu'un malheur allait arriver, et cependant ses pieds étaient lents à la porter dehors.

Elle marchait à petits pas, et tout en marchant, avait tiré son couteau dont elle ratissait les épines des branches de rosiers qu'elle glissait dans son bouquet d'herbes des champs.

Elle était arrivée dans un angle du cimetière, le long de la loge ruinée du gardien d'autrefois, dans un endroit où le terrain s'abaissant, se relevant, avait comme des ondulations de vagues.

Deux ou trois personnes entrées par hasard, après un regard jeté en le lieu abandonné, étaient ressorties.

Lui! alors s'allongeait dans un des creux comme s'il voulait un peu sommeiller. Elle s'asseyait à ses côtés.

Et tout en arrangeant son bouquet, et en faisant passer son couteau d'une main dans l'autre, avec les caresses calmantes que les mères promènent sur la visage de leurs enfants, de sa main libre, elle fermait les yeux ardents de son amant, en lui disant:

– Dors!

Soudain, sans une parole, sans un mot, elle sentait sur elle les violences et la brutalité d'un viol, et dans l'effort rageur qu'elle tentait pour se dégager de l'étreinte furieuse qui lui faisait mal, elle avait l'impression d'être souffletée par les deux mains dénouées autour de son cou.

– Ne me tente pas, je vois rouge! s'écriait Élisa, dressée toute droite, son couteau à la main, Élisa chez laquelle la courte lutte avait fait monter au cerveau la folie d'une de ces homicides colères de prostituées.

«Ah! ce moment, elle ne se le rappelait que trop! Il faisait un coup de soleil brûlant, comme il en fait en avril… l'air était tout bourdonnant de petites bêtes volantes… des odeurs sucrées, ressemblant au goût du miel des cerisiers en fleurs de son pays, montaient des grandes broussailles couchées sur les tombes… il n'y avait pas encore de feuilles aux arbres, mais tout plein de bourgeons gonflés et luisants… et, au milieu de cela, elle voyait devant elle le visage de son amant qui avait sur la figure un rire bête et tout drôle.»

«Cela avait duré, oh! pas plus qu'un rien, une seconde, au bout de quoi, il s'était élancé sur elle, sur le couteau, tombant à genoux, cherchant, tout blessé qu'il était, à l'envelopper, à l'embrasser de ses bras défaillants.»

«Oui! c'était bien ainsi que les choses s'étaient passées… Mais les autres coups de couteau… Ah! voilà!.. Quand elle avait vu couler le sang… était-ce assez singulier tout de même… alors elle avait été prise par un vertigo, par un besoin de tuer, par une furie d'assassiner… et elle l'avait frappé encore de quatre ou cinq coups… criant pendant qu'elle frappait, comme qui dirait un enragé en train de mordre, criant à l'assassiné..

– Mais tiens-moi! tiens-moi donc!»

* * * * *

«Au fait, pourquoi n'avait-elle pas confié cela à son avocat, à personne… Après tout ce n'était pas bien intéressant… Puis, quoi! elle! la dernière des dernières, elle! une inscrite à la police et dans tant de maisons de la province et de Paris, il aurait fallu avouer qu'il lui était, tout à coup, comme ça, poussé l'envie d'aimer comme une jeune fille qui n'aurait pas fauté, comme une toute jeune honnête fille… non, ce n'étaient pas des choses à dire… on aurait trop ri d'elle… enfin, bien sûr, elle aurait été toujours condamnée, puisqu'elle avait tué… mais on n'aurait pas cru peut-être que ç'a avait été pour les dix-sept francs qu'on n'avait plus retrouvés sur lui.»

* * * * *

Et dans son étroit petit lit, réfléchissant aux impulsions mystérieuses et secrètes auxquelles elle avait obéi, auxquelles elle ne comprenait rien, elle finissait par se demander comment elle avait pu, ce jour-là, être si entièrement abandonnée du bon Dieu?

XLIX

Pendant une semaine, toutes les nuits, Élisa relisait la lettre, puis la lecture n'avait plus lieu qu'en des temps éloignés. Enfin, la prisonnière oubliait dans son matelas le papier écrit avec du sang. Une nuit cependant, au bout de quelques mois, elle retirait l'épître amoureuse de sa cachette; mais cette fois, sans la baiser, ainsi qu'elle avait toujours l'habitude de le faire avant de la lire. Elle la retournait près d'un grand quart d'heure entre ses doigts. Chez la femme semblait se livrer un combat, au milieu duquel elle déchirait la lettre, la mettait en morceaux, longuement en tout petits morceaux, comme si elle se complaisait à cette destruction.

Dans le néant et le vide d'un coeur en prison, une instinctivité tendre et sans emploi de sa tendresse, à défaut d'autre affection, ressuscitant en Élisa «le petit homme chéri,» l'avait fait, tout à coup, se retourner vers son passé d'amour, se réfugier un moment dans la douceur posthume du seul bon rappel qui lui fût resté de la vie. Cela avait duré quelques heures et cela avait été tout. L'amant appelé par la pensée d'Élisa, combien de temps l'avait-elle revu avec son bon visage, ses yeux caressants, ses gentils gestes, tout ce qu'elle avait aimé dans l'homme aimé?.. Tout de suite son évocation l'avait menée au cimetière d'Auteuil, tout de suite elle avait eu devant elle l'assassiné avec ce rire dans lequel l'agonie avait mis quelque chose qui était si peu de lui. Ainsi les gens qui ont perdu un être cher, mort fou, et que les rêves ne leur remontrent jamais que dans sa fureur ou sa dégradation de créature intelligente, supplient la Nuit de ne plus rapporter l'image désespérante; ainsi Élisa repoussait maintenant l'image adorée qui lui devenait à la longue antipathique, cruelle, odieuse. Un jour arrivait même, où Élisa se mettait à s'irriter contre ce qui, malgré tous ses efforts pour oublier, restait et demeurait en elle de ce mort… qui était au fond la cause de tout son malheur. Alors le souvenir de son amant, brutalement repoussé par la détenue, chaque fois qu'il remontait à son coeur, était rejeté sans un attendrissement, sans un regret, sans un remords, au fond d'une mémoire qui se faisait de marbre.

L

Élisa avait espéré avec le temps s'habituer au mutisme, ne plus souffrir de la privation de la parole. Mais au bout d'années passées en prison, elle avait le même besoin de parler qu'au premier jour. Il lui semblait même que ce long silence avait mis, au fond de sa gorge, quelque chose de furieux, d'exaspéré, et que toutes les paroles ravalées par elle, voulaient, par moments, sortir dans un long aboiement furieux. Ne pouvant parler, parfois elle ne pouvait résister à se donner le semblant de la parole, à construire avec des lèvres et une langue aphones des phrases qu'elle ne s'entendait pas, mais se sentait dire. Elle faisait cela, le linge qu'elle cousait tout rapproché de son visage, prêt à étouffer dans sa bouche un mot devenant imprudemment sonore. Mais un jour, ce parlage incomplet ne la satisfit pas. Comme si, chez elle, la poche aux paroles crevait, ou plutôt comme si elle voulait s'assurer si elle avait encore dans le cou cela qui fait des sons humains, – au milieu de l'étonnement de la salle de travail qui la crut attaquée de folie, – Élisa se mettait à jeter des mots, des phrases sans suite, des sonorités retentissantes, et se dérouillant tout à l'aise le gosier, en dépit des objurgations de la soeur, continuait à monologuer tout haut, jusqu'à ce qu'on entraînât hors de la salle la prisonnière grisée par le bruit de sa bouche, et laissant derrière elle, au milieu du silence continu, l'écho long à mourir de ce verbe entré tout à coup en révolte.

LI

Sa mère, Élisa ne l'avait pas revue depuis sa fuite de la Chapelle. Si, elle l'avait revue une fois – une fois seulement et de loin – lorsque la mère de l'assassine était venue déposer à la cour d'assises. Dans le passé, on le sait, il n'y avait pas eu une grande tendresse chez la fille, pour cette mère qui lui avait fait peur et peine pendant toute son enfance.

Cependant depuis, dans l'isolement sur la terre de l'être en prison à tout jamais, ce qui reste comprimé d'affectueux dans tout coeur humain allait vers la vieille femme. Élisa aurait voulu en recevoir des nouvelles. Plusieurs fois elle lui avait écrit. Les lettres écrites à sa mère n'avaient pas obtenu plus de réponse que les lettres écrites aux autres. Aussi la détenue fut-elle fort surprise quand on lui annonça que sa mère l'attendait au parloir.

Le parloir d'une maison centrale se compose de trois cages ou plutôt de trois grands garde-manger grillagés de fer et soudés l'un à l'autre. Dans celui de droite on met les parents, dans celui du milieu est assise une soeur sur une chaise de paille avec un dévidoir, dans celui de gauche il y a la détenue. Ni baiser, ni serrement de main. Des paroles, des confidences, des effusions arrêtées, par la présence de cette surveillance immobile et glacée. Des regards séparés par la largeur d'un couloir et brisés par un double treillis de fer. Une entrevue où le bonheur de se voir, de se retrouver, ne peut se témoigner par une caresse, par une étreinte émue, par des lèvres posées sur une chair parente ou amie.

C'était bien sa mère! Les tribulations de la vie avaient mis dans les restes de sa beauté une implacable dureté. On eût dit une sibylle sous la palatine d'une femme de la halle.

Une petite fille était à côté d'elle.

– Mais vraiment, t'as bonne figure, oh! mais c'est chouette, t'as trouvé le moyen d'engraisser tout plein… ça me fait bien de la satisfaction, là… quoique tu m'en aies fait du tort, va, dans mon commerce.

La mère d'Élisa s'interrompit, pour dire entre ses jambes à la petite qui s'obstinait à se cacher la figure dans le creux de sa robe:

– Allons, nigaude, puisque je t'ai dit que c'est ta soeur, pourquoi que t'en as peur?

– Oui c'est une petite que j'ai eue depuis toi, – fit, en relevant la tête vers Élisa, sa mère. Et elle continua. – Tu ne me gardes pas rancune, hein! fillette, de ne t'avoir pas fait réponse; tu sais, moi, je ne suis pas de mon tempérament écrivain.

Là-dessus, fouillant dans une poche profonde, où cliquetaient un tas d'objets, elle en tira une queue de rat, puis elle prit longuement une prise, la prise de tabac des vieilles sages-femmes.

– Maintenant je vas te dire, je ne suis pas heureuse dans mon quartier; tous les jours que le bon Dieu fait, on m'y cherche des contrariétés… là-dessus une pensionnaire que j'ai eue m'a dit, comme ça, que dans les Amériques on était pas si contrariant, tu comprends, fillette?

Élisa comprenait. Elle pressentait dans la vie de sa mère de nouvelles manoeuvres abortives, peut-être dans l'air des menaces de poursuites.

– Alors aïe la boutique, reprit la mère, j'ai tout lavé… mes pauvres lits! tu sais celui de la chambre jaune, celui que j'ai fait les billets à la Villain… ils m'ont coûté gros ceux-là… oui tout lavé, tout vendu, mais j'en ai pas encore assez pour aller si lointainement… de l'argent. Je m'ai dit alors: l'enfant a bon coeur… et puis, raisonnons un brin, qu'est-ce qu'elle peut faire de plus agreiable de son argent… puisqu'elle en a pour la vie.

Élisa regardait sa mère avec des yeux douloureux. Dans le premier moment elle avait cru bonnement que sa mère était venue pour la voir; elle n'était venue que pour la dépouiller de son misérable petit pécule de prison.

– Eh bien, tu ne dis rien… tu refuses ta mère… Un enfant, madame la soeur, pour laquelle je me suis tué les sens!

– Les six francs pour m'acheter ma bière, quand ce sera fini… je ne veux pas que les autres se cotisent pour moi… oui c'est tout ce qu'il me faut… le reste, je te l'enverrai, maman.

Cela dit lentement, d'un coup de reins brusque, Élisa se leva de son banc pour mettre fin à la visite.

– Ah! t'es une vraie fille, s'écria la mère en joie, je le répète comme je l'ai dit aux jurés de malheur qui ont condamné mon enfant à mort. Elle est bien un peu bernoque, mais foncièrement c'est un coeur d'or…

Et relevant d'une taloche la tête de la petite fille, qui s'était renfoncée dans ses jupes: – Hé! bijou! là tout de suite, fais un beau serviteur à ta bonne soeur.

Quand Élisa rentra dans la salle de travail, elle était très-pâle. Depuis des années, – quand elle souffrait encore, – elle ne pâtissait plus guère que des duretés de la prison. Cette visite lui avait fait retrouver au fond d'elle de quoi souffrir à nouveau.