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Buch lesen: «Lettres à Mademoiselle de Volland», Seite 26

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LXXI

Paris, ce 12 août 1762.

Voilà, mon amie, le billet d'enterrement des Jésuites161. Je l'ai rogné le plus court que j'ai pu pour le déguiser à la poste; mais j'ai chiffré toutes les pages. Me voilà délivré d'un grand nombre d'ennemis puissants. Qui est-ce qui aurait deviné cet événement, il y a un an et demi? Ils ont eu tant de temps pour prévenir ce coup, qu'il fallait ou qu'ils eussent bien peu de crédit, ou que le roi eût bien résolu leur destruction: c'est le dernier qui est le plus vraisemblable. L'affaire du Portugal aura jeté sur l'affaire de France quelque lueur qui les aura montrés au monarque sous un aspect odieux; il aura attendu le moment de se défaire de gens qui l'avaient frappé, et qu'il voyait sans cesse la main levée sur lui; celui de la banqueroute scandaleuse du père La Valette aura paru favorable162; ils se mêlaient de trop d'affaires. Depuis environ deux cents ans qu'ils existent, il n'y en a presque pas un qui n'ait été marqué par quelque forfait éclatant. Ils brouillaient l'Église et l'État: soumis au despotisme le plus outré dans leurs maisons, ils en étaient les prôneurs les plus abjects dans la société; ils prêchaient au peuple la soumission aveugle aux rois, l'infaillibilité du pape, afin que, maîtres d'un seul, ils fussent maîtres de tous. Ils ne reconnaissaient d'autre autorité que celle de leur général; il était pour eux te Vieux de la Montagne. Leur régime n'est que le machiavélisme réduit en préceptes. Avec tout cela, un seul homme, tel que Bourdaloue, pouvait les sauver; mais ils ne l'avaient pas. Ce qu'il y a de plaisant, c'est la bonne foi avec laquelle les Jansénistes triomphent de leurs ennemis. Ils ne voient pas l'oubli dans lequel ils vont tomber: c'est la table des deux chevrons arcboutés et en querelle avec le faîte de la maison. Le maître, impatienté de leur mésintelligence, abattit l'un, et l'autre tomba. Les évêques mécontents entendent bien mieux leur affaire. Cette boutique de Jésuites contenait toutes sortes de denrées, bonnes, mauvaises; mais elle était bien fournie; ceux qui la tenaient étaient de grands charlatans; ils amassaient autour d'eux beaucoup de gens, et la barque de saint Pierre voguait. Ces événements font bien rire les philosophes. Au reste, ces bons Pères avaient conservé de l'espérance jusqu'à la dernière extrémité, à en juger par la surprise et la consternation qu'on leur a vues lorsqu'on leur a signifié les arrêts. Plusieurs avaient l'air de malfaiteurs qu'on a condamnés. Un homme de ma connaissance, constitué au milieu d'eux par son état et par les circonstances, ne les aimant pas à beaucoup près, n'a pu résister au spectacle de leur désespoir, et s'est retiré; aujourd'hui même on les plaint; demain on les chansonnera; après-demain, on n'y pensera plus: c'est le caractère du joli peuple français.

Toute la matinée d'hier mercredi, ils la passèrent à dire et à faire dire des messes dans leurs trois églises, et à demander leur conservation à Dieu, qui ne les a pas exaucés. Entre onze heures et midi, il y avait dans leur cour un troupeau de dévotes qui se tordaient les mains, qui s'arrachaient leurs coiffes, et qui hurlaient comme des insensées. Vous vous doutez bien de la rumeur que tout cela fait ici. On attend sous quelques jours un troisième arrêt du Parlement dont j'ignore l'objet; et, immédiatement après, un édit du roi, confirmatif des arrêts du Parlement.

Il me semble que j'entends et que je vois Voltaire; il lève ses yeux et ses mains au ciel, il dit: Nunc dimittis servum tuum, Domine, quia viderunt oculi mei salutare tuum. Cet homme incompréhensible a fait un papier qu'il appelle un Éloge de Crébillon. Vous verrez le plaisant éloge que c'est: c'est la vérité; mais la vérité offense dans la bouche de l'envie. Je ne saurais passer cette petitesse-là à un si grand homme. Il en veut à tous les piédestaux. Il travaille à une édition de Corneille. Je gage, si l'on veut, que les notes dont elle sera farcie seront autant de petites satires. Il aura beau faire, beau dégrader; je vois une douzaine d'hommes chez la nation qui, sans s'élever sur la pointe du pied, le passeront toujours de la tête. Cet homme n'est que le second dans tous les genres.

Mais en voilà assez des autres; un mot de moi. Je passe mes jours en deux infirmeries; ma femme et son domestique sont indisposés; celle de l'Isle est tombée dangereusement malade, comme je l'avais prévu; c'est un serrement de gorge qu'on ne saurait dissiper. Toutes les huiles, tous les gargarismes, tous les nids d'hirondelle de la Sainte-Chapelle n'y feront rien.

Si Morphyse avait pitié du jeune homme, et que son ennui abrégeât votre séjour! Je rapporte tout à votre séjour à Paris.

J'ai l'exemplaire de Rousseau163; qu'en ferai-je? Faut-il en faire un paquet et vous l'envoyer?

Ce Comus164 dont les tours de passe-passe les tracassent, n'est pas sorcier, à coup sûr, et cela me suffit.

Notre chère sœur ne m'oublie pas, j'en suis certain; mais vous oubliez souvent, vous, de me dire qu'elle se souvient de moi; cela me fait pourtant grand plaisir, et vous ne l'ignorez pas. Vous l'avez donc embrassée, cette chère sœur! Combien vous avez eu de plaisir! Comme le cœur vous a palpité à toutes deux! Comme Morphyse vous examinait! Comme elle en était jalouse! Comme elle en aura redoublé de froid pour l'une et d'humeur pour l'autre! Comme elle me venge actuellement de la froideur des deux ou trois premières lettres que je vais recevoir!

Je vous promets que cela n'est pas trop aisé de rompre son caractère, et de se faire petit, petit, petit, pour être de niveau avec les autres, leur persuader qu'ils ont autant d'esprit qu'un homme à qui l'on en accorde, et les mettre bien à leur aise.

C'est d'une goutte-sereine que Grimm est menacé; et d'avance je vous préviens que son bâton et son chien sont tout prêts.

L'affaire de l'abbé Raynal est au diable165. Ils se moquent de moi, et ils me soutiennent tous que l'abbé Raynal ne m'a rien promis. Je n'ai pas été trop attrapé; car je n'y comptais pas trop. Avec un peu plus de loisir, j'aurais peut-être fait beaucoup de châteaux en Espagne que je n'aurais pas vus s'évanouir sans peine. Voilà un des grands bonheurs de l'homme occupé: l'espérance le leurre moins, le présent l'occupe trop pour qu'il se fatigue les yeux à regarder à perte de vue dans l'avenir. Il n'y a ni lieu, ni temps, ni espace pour celui qui médite profondément. Cent mille ans de méditations comme cent mille ans de sommeil n'auraient duré pour nous qu'un instant, sans la lassitude qui nous instruit à peu près de la longueur de la contention.

Adieu, ma bonne amie; je vous embrasse de toute mon âme. Comme nos journées passent à présent rapidement! Chère amie, dispensez-moi de dater; mais comptez que je vous écris tous les dimanches et tous les jeudis sans manquer.

LXXII

Paris, ce 15 août 1762.

Non, mademoiselle, non, madame de… n'est point du tout coquette. Il n'y a qu'un imbécile qui puisse se promettre quelque récompense des soins qu'on lui offre et qu'elle accepte; elle se moque de toutes leurs singeries, et cela est évident; elle ne cherche point à plaire. Rien de faux dans son propos, rien d'apprêté dans sa parure. Dites-lui comme son mari: «Mais, madame, vos tétons ne reviennent pas»; et elle répond: «Je m'en consolerais bien, si j'avais des fesses. Faute de ce, je ne saurais aller à cheval sans me blesser; cela est triste.» Aux observations peu obligeantes qu'elle permet qu'on fasse, et qu'on fait quelquefois assez librement sur ce qu'on voit de sa personne, elle en ajoute même sur ce qu'on ne voit pas; et je ne me suis jamais aperçu que ces confidences lui coûtassent, fussent-elles peu naturelles, ou qu'elle fut secrètement fâchée de celles qu'on avait risquées, ou de celles qui lui étaient échappées. Une déclaration en forme ne lui plaît ni ne la blesse; on ne peut pas lui reprocher de l'avoir amenée. Au milieu de l'essaim empressé de ses serviteurs, elle est également tranquille pour tous; elle ne cherche point à semer entre eux des jalousies, des soupçons, à les réveiller par des préférences: tout cela se fait bien sans qu'elle s'en mêle; elle est absolument sans manège.

Vous décidez bien vite le second de mes cas de conscience! On a tout fait pour sa passion, et vous voulez qu'on ne fasse rien pour le bonheur d'un mari, pour la fortune d'une pépinière d'enfants, parmi lesquels peut-être il y en a qui n'appartiennent point au mari! Il ne s'agit pas d'accroître son aisance, il faut encore s'exposer à perdre celle qu'on a; et pour répondre à tous vos scrupules, on n'exige la récompense qu'après le service rendu. Piano, di grazia.

Je ne me tiens pas pour battu sur la question des beaux vieillards qui sont, et des belles vieilles qui ne sont pas. Il me semble que vous m'avez très-bien prouvé qu'il y avait également de belles vieillesses en hommes et en femmes; mais il y a bien de la différence entre être un beau vieillard et avoir une belle vieillesse. Peut-être n'est-on pas un beau vieillard sans avoir une belle vieillesse, et encore dis-je peut-être; mais on peut certainement, et rien n'est plus commun que d'avoir une belle vieillesse et n'être pas un beau vieillard. J'y ai rêvé un moment, et il me semble qu'il y a des raisons physiques et morales de cette distinction des deux sexes dans un âge avancé. Les femmes semblent n'être destinées qu'à notre plaisir. Lorsqu'elles n'ont plus cet attrait, tout est perdu pour elles; aucune idée accessoire qui nous les rende intéressantes, surtout depuis qu'elles ne nourrissent ni n'élèvent leurs enfants. Autrefois une gorge flétrie était encore belle; elle avait allaité tant d'enfants! Dans la douleur, une mère déchirait son vêtement, découvrait sa poitrine, et conjurait son fils par ce sein qui l'avait nourri: ce n'est plus cela. S'il était possible qu'il y eût une belle tête de vieille, les haillons qui la couvrent la dépareraient. Nous, nous avons la tête nue; on voit la forêt de nos cheveux blancs; une longue barbe rend notre visage respectable; nous conservons sous une peau ridée et brunie des muscles fermes et solides. La nature douce, molle, replète, arrondie de la femme, toutes qualités qui font qu'elle est charmante dans la jeunesse, font aussi que tout s'affaisse, tout s'aplatit, tout pend dans l'âge avancé. C'est parce qu'elles ont beaucoup de chair et de petits os à dix-huit ans qu'elles sont belles; c'est parce qu'elles ont beaucoup de chair et de petits os que toutes les proportions qui forment la beauté disparaissent à quatre-vingts ans. Quelle différence de front et de joues d'un vieillard et d'une vieille; de leurs bras, des épaules, de la poitrine, du dos, des cuisses et du reste! Nous changeons sans doute comme les femmes avec le temps; mais le temps ne nous décompose pas autant qu'elles. Les proportions s'altèrent moins partout, parce que partout nous avons les chairs plus compactes, les muscles plus durs et toute la charpente plus grosse. Les exemples que vous me citez ne sont pas de belles vieilles, prenez-y garde: mais de vieilles qui paraissent jeunes, qui n'avaient pas leur âge, ou qui avaient une belle vieillesse. Une belle vieille a rapport à la beauté; une belle vieillesse a rapport à la santé. Je cause librement de tout cela avec vous, mes amies, parce que vous avez l'esprit excellent, et que vous vous occupez tous les jours à réparer ce que l'âge vous enlèvera, par des qualités solides qui vous resteront malgré le temps et les années; un grand sens, une belle âme, un cœur noble, sensible et élevé, tels que l'ont mes deux sœurs, est exempt de rides, si elles atteignent un âge avancé. Combien leur présence rappellera de bons discours et de bonnes actions à ceux qui les auront connues! mais il n'en sera pas de même pour les autres: voilà la différence du rôle qu'on a fait pendant la vie. Le nôtre est public. Domestique, il est présumé; au lieu qu'on suppose qu'une femme a vécu sans rien faire, si l'on n'en est instruit. J'ai dit. Décidez.

Ne dites point de mal de mes libraires, ils font tout ce que j'ai exigé. Voilà l'équité qu'il faut attendre de tout le monde. La générosité consisterait à aller au delà. Reste à savoir si on en peut exiger d'un homme dans son état, d'un marchand dans son comptoir, d'un procureur dans son étude, d'un libraire dans sa boutique; c'est là qu'il vend son temps, son industrie, son savoir-faire, et qu'il doit en tirer le meilleur parti possible, s'il veut qu'on l'appelle bon commerçant, bon procureur, bon libraire.

Un homme s'est avisé de foire et de publier une mauvaise traduction du Joueur, qui, foin de me nuire, fait au contraire désirer la mienne, qui paraîtra avec Miss Sara Sampson, la Fatale Curiosité, le Marchand de Londres, et d'autres pièces qui se ressemblent et que je donnerai avec des discours qui vaudront peut-être la peine d'être lus166.

Vous n'avez pas encore cette sœur si aimée, si désirée, si nécessaire à votre bonheur, et qui le sait! qu'est-ce donc qui la retient? Si elle n'est pas à côté de vous, elle est aussi fâchée que vous.

Ce n'est pas assez que de faire lire le jeune homme, il faut aussi le faire parler sur la lecture, qui en deviendra pour vous et pour lui plus instructive et plus intéressante. Au reste, n'accusez pas trop les parents; c'est Nature qui avait commencé par ne rien faire qui vaille; ils ont achevé. Je pardonne au père son libertinage, mais je ne saurais lui pardonner son hypocrisie; la vilaine bête que c'est! Et puis cet enfant, qui cherche à connaître la turpitude de son père et qui la révèle, me choque plus fortement encore que sa vile morale.

J'ai une foule de choses intéressantes à vous envoyer, la suite des papiers sur les Calas, l'Éloge de Crébillon, etc., etc.; combien je vous prépare de plaisirs et de peines! N'oubliez pas de me demander, après que vous aurez lu l'histoire du père, quelle était cette réflexion qui me causait une douleur mortelle; mais peut-être la ferez-vous comme moi.

Nous allâmes hier, Damilaville et moi, à la Briche. J'y étais appelé par Mme d'Épinay.

À une autre fois le sujet de ce petit voyage et la description de la maison qui est charmante; c'est là qu'il faut aller s'établir, et non dans le sublime et ennuyeux palais de la Chevrette.

Nous ramenâmes Grimm. Son amie vient le prendre mardi à Paris, et le mercredi ils partent ensemble pour Étampes, où ils passeront une quinzaine chez Mlle de Valory.

Adieu, mon amie, je baise votre front, vos yeux, et votre menotte sèche qui me plaît autant qu'une potelée. C'est bien de cela qu'il s'agit à quarante-cinq ans!

Il y a près d'un mois que je n'ai paru chez le Baron. Il faut porter cette lettre sur le quai Saint-Bernard, aller de là à la butte Saint-Roch et peut-être revenir de la butte Saint-Roch sur le quai, car il n'est pas sûr que le Baron soit à Paris. Adieu, celle que j'aimerai tant qu'elle sera, tant que je serai.

Le jour de Notre-Dame, la fête de ma petite.

LXXIII

Paris, le 10 août 1762.

Combien j'aurais de choses intéressantes à vous dire, si j'en avais le temps! mais la matinée s'est passée tout entière à lire un ouvrage sur l'institution publique: c'eût été la chose la plus utile et la plus praticable pour un royaume tel que le Portugal, qui se renouvelle; pour nous, c'est autre chose. Les mauvais usages, multipliés sans fin et invétérés, sont devenus respectables par leur durée et irréformables par leur nombre. Cette lecture faite, il a fallu faire répéter à ma petite sa leçon de clavecin; c'est une tâche que je me suis imposée, parce qu'elle me plaît et qu'elle lui sert, et à laquelle je ne manque guère. Cela fait, il était dix heures; il y avait deux heures au moins que l'on m'attendait à l'atelier, où j'ai couru (car on court presque toujours pour arriver trop tard), et où j'ai trouvé un fardeau d'ouvrage que je n'expédierai qu'après avoir écrit un petit mot à mon amie; sans cela je serais troublé. Ce devoir si doux qui m'appellerait me distrairait de l'autre; je manquerais à celui-là, et je m'acquitterais mal de celui-ci. Je vous félicite toutes deux, chères sœurs, de vous posséder. Je serai souvent en esprit entre l'une et l'autre, mettant vos mains entre les miennes, ne sachant laquelle des deux j'aime le plus; autant ami de l'aînée que de la cadette; partageant également mon respect et mon estime.

Eh bien! ce mal de jambe n'est donc pas encore fini? Vous me rendrez fou, si vous n'y prenez garde. Pour Dieu! mon amie, dites-moi les choses comme elles sont.

Arrêtez par de la vérité exacte cette imagination cruelle qui m'exagère tout en général, mais surtout les plus petites choses qui vous concernent. Cela vous occupe peu! tant pis. Cela ne vous inquiète point du tout! je ne m'en acquitte que trop bien pour tous les deux.

Je crains que notre Uranie ne soit un peu trop grande pour l'enfant; qu'elle ne sache ni jouer à cloche-pied, ni à la main-chaude, ni au pied-de-bœuf, ni à cligne-musette, ni à coucoubay, et qu'elle n'imprime, sans le vouloir, un respect qui éloigne les marques de la tendresse. Je me plie à tout cela que c'est un charme; il est rare qu'en prenant le hochet, je ne trouve l'occasion de placer une sentence, une petite leçon sur la justice, sur la langue quand on parle mal, sur la logique quand on raisonne faux. Il faut en général se faire petit, pour encourager peu à peu les petits à se faire grands. On peut leur dire d'aussi bonnes choses sur une poupée, sur une croix de paille, sur un chiffon que sur les affaires les plus importantes. En les accoutumant à être bons dans des riens, ils sont tout prêts à être bons dans des cas importants; mais est-ce qu'il y a des riens pour eux?

Toute seule? Cela ne se peut, c'est la femme la plus adroite à foire recrue; il faut voir comme elle fait demander ce qu'elle veut. Il est impossible d'avoir une volonté quand il ne lui plaît pas qu'on en ait.

Puisque le récit de bonnes actions vous touche, je vous dirai toutes celles qui viendront à ma connaissance; et, pour vous tenir parole tour de suite: Mme d'Épinay avait donné dix-huit sous à un petit garçon, pour une journée de travail Le soir il revient à la maison, n'ayant pas un liard. Sa mère lui demanda si on ne lui avait rien donné, il répondit que non, et mentit. Cependant la chose s'éclaircit; la mère, mieux instruite, voulut savoir ce que les dix-huit sous étaient devenus. Le pauvre petit, il les avait donnés à un cabaretier chez lequel son père avait passé la journée à s'enivrer, et épargné au bonhomme une querelle que sa femme n'aurait pas manqué de lui faire. Si on tenait compte des bonnes actions, elles seraient plus fréquentes, n'en doutez pas. C'est ce qu'on fait aussi à la Chine; on les y publie à son de trompe: elles y ont des récompenses assurées. Nous ne savons que punir; nous arrêtons, tant que nous pouvons, les méchants, mais nous ne nous mêlons pas de faire germer les bons: peut-être ne faudrait-il guère de châtiments pour le crime, s'il y avait des prix pour la vertu. On commet le crime par intérêt; on aimerait autant pratiquer la vertu par le même motif et il y aurait de l'honneur et de la sécurité de plus à gagner. Où l'on donne une bourse d'or à l'homme bienfaisant, on n'en doit guère voler.

Grimm et elle sont partis hier pour Étampes; ils y passeront dix jours chez Mlle de Valory; ils seront sûrement heureux, autant qu'il est possible. Avec des procédés, quelque bien observés qu'ils soient, on n'a rien à reprendre, et l'on n'est pourtant contente de rien; c'est que ce n'est pas un équivalent: c'est la monnaie de la tendresse. Tous les égards du monde ne valent pas une caresse, un sourire, un mot doux, même une querelle délicate, un reproche obligeant, une petite bouderie sur un refus même placé, en un mot, toutes ces tracasseries que je fais si bien, de propos délibéré, sans être offensé.

Le temps fera pour lui, j'en suis sûr; il est déjà moins réservé. La honte de pratiquer en ma présence un conseil que je lui avais donné ne l'a point arrêté; rien n'arrête cet homme, quand il s'agit de faire bien ou mieux. Nos femmes se sont vues, et cela s'est passé à merveille.

Faites mon compliment à M. Vialet; dites-lui que je vous ai choisie pour mon interprète et mon secrétaire auprès de lui; cela ne lui déplaira pas. Il m'a mandé que l'académicien qui avait écrit sur les ardoises de la Meuse avait dit tout plein de bêtises. Exigez de lui qu'il m'envoie l'état le plus scrupuleux de ces bêtises-là, pour en faire usage eu temps et lieu. Qu'il s'en rapporte surtout à ma prudence, je ne le compromettrai pas ni moi non plus; avec de l'honnêteté et l'amour de la vérité tout se dit sans blesser personne.

Vous voyez bien que je réponds à votre dix-huitième et que je la suis ligne à ligne. Je n'aurais pas assez de place pour la suivre jusqu'au bout, d'autant qu'il y a certains points sur lesquels je serai bien aise de m'étendre: j'y reviendrai. Celle-là n'ira pas au dépôt sitôt.

Le capitaine enragera du succès de Vialet; encore un prix de gagné, et c'est un homme perdu. Tout cela sera présenté aux supérieurs comme des distractions, et le supérieur le croira, et le reste vous le devinez. M… sera toujours mené par le nez; le goût qu'il a pour Uranie y contribuera. On se fait secrètement un mérite de mille petites injustices faites en faveur du mari, quand on en veut à sa femme.

Mais s'il avait fallu trouver aux filles de Morphyse des époux dignes d'elles, elles seraient encore à marier toutes trois. Il fallait un sylphe à Uranie; et un grand ange, un ange d'annonciation à l'aînée; pour vous, l'ami Diogène, mais avec un petit bout de draperie bien ou mal attaché, et vous avez en moi tous les droits selon les instants; mais le Diogène s'en va tous les jours: dans huit ou dix ans, il n'en restera pas le moindre vestige.

Adieu, mon amie; portez-vous mieux. Je vous embrasse de tout mon cœur. Quand le Diogène sera parti, vous me céderez à Uranie, auprès de laquelle je serai sylphe pendant cinq ou six ans, au bout desquels la tête s'affaiblissant les préjugés renaissant sur les ruines du sens commun et de la raison, les cheveux blanchissant, le dos se courbant, je donnerai le bras à l'ainée pour aller pleurer à l'église toutes les douces folies que j'aurai dites à la cadette, et toutes celles que j'aurais voulu faire avec leur sœur. Je vous aime comme le premier jour. Je vous désire et vous attends comme à notre première séparation. Je vous suis fidèle, comme si cela me coûtait beaucoup. Il n'y a que le mérite de la difficulté qui manque à tout ce que je fois. Adieu.

161.L'arrêt prononçant leur expulsion.
162.Cazotte, quittant la Martinique, où il avait fondé des établissements, pour rentrer en France, avait vendu toutes ses possessions au P. La Valette, qui lui en régla le prix (cinquante mille écus) en lettres de change sur la Compagnie de Jésus. Le P. La Valette ayant eu peu de succès dans la suite de ces affaires, les supérieurs de la Compagnie trouvèrent assez commode de laisser protester les lettres de change. Cazotte leur intenta un procès qui fut comme le signal de tous ceux qui vinrent fondre sur la Société. (T.)
163.De l'Émile, publié au mois de juin 1762.
164.Escamoteur célèbre de ce temps.
165.Voir précédemment, p. 84.
166.Voir le Joueur, t. VII, p. 411, et pour les autres pièces la note de la p. 434, t. VIII.
Altersbeschränkung:
12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
11 August 2017
Umfang:
760 S. 1 Illustration
Rechteinhaber:
Public Domain

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