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Buch lesen: «Henri IV en Gascogne (1553-1589)», Seite 15

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CHAPITRE III

Mort de Monsieur, duc d'Anjou et d'Alençon. – La «folie d'Anvers» et l'incurie politique des Valois. – Conséquences de la mort de Monsieur. – Le roi de Navarre sur la première marche du trône. – Visées de la Maison de Lorraine. – Henri revendique son titre de «seconde personne du royaume». – Mission du duc d'Epernon auprès du roi de Navarre. – La conférence de Pamiers. – Le pour et le contre. – Détermination de Henri. – Indiscrétion de Du Plessis-Mornay. – Rapprochement entre les deux rois. – Assemblée de Montauban. – Traité de Joinville entre la Ligue et le roi d'Espagne. – Négociations en Suisse. – Ambassade des Pays-Bas à Henri III. – Déclaration de la Ligue. – La Ligue en armes.

Le 10 juin 1584, mourut, à Château-Thierry, Monsieur, duc d'Anjou et d'Alençon, duc souverain de Brabant et marquis du Saint-Empire. Esprit malsain dans un corps gâté, il avait, toute sa vie, conspiré ou couru des aventures qui tournaient toujours à la conspiration. Il était revenu mourir en France, sous le coup de son dernier désastre, que l'histoire a justement surnommé la «folie d'Anvers». Il avait pourtant dépendu de la cour de France que la conquête des Pays-Bas devînt une réalité; mais il eût fallu pour cela secouer le joug des intrigues espagnoles qui enveloppaient de toutes parts la politique de Henri III et de la reine-mère. La France donna au duc d'Anjou un grand nombre de ses enfants, dont quelques-uns des plus illustres, comme La Noue; mais la cour n'entra pas ouvertement dans la lutte, quoiqu'elle eût pu avoir la partie belle, si elle s'y fût jetée franchement, et surtout si elle eût accueilli les propositions que lui firent, en temps opportun, le roi de Navarre et le prince de Condé. Mais rien de viril ne pouvait plus venir des Valois. Relisons cette page attristante de Mézeray:

«François, duc de Montpensier, qu'on nommait le prince-dauphin avant la mort de son père, et le maréchal de Biron y avaient mené un renfort de quatre mille hommes de pied français, trois mille Suisses et douze cents chevaux; de plus, avec un peu d'argent de la reine-mère, Monsieur avait levé quelques cornettes de reîtres. Mais, à parler ainsi, c'était là sa dernière main, il ne devait plus rien attendre de France, son crédit était à bout et le roi n'avait nulle inclination de l'assister.

«Monsieur avait bien quelques traités avec le prince Casimir et les autres protestants d'Allemagne; mais les armes de ce pays-là ne se remuant point sans argent, il n'en devait rien espérer… – Il pensait tirer quelque secours du roi de Navarre, lequel poussé à cela, non moins pour l'honneur de la France que par le désir de recouvrer la Haute-Navarre, offrait au roi de France, tandis que l'on ferait effort dans les Pays-Bas, de porter la guerre jusque dans le cœur de l'Espagne, d'employer pour cela cinq cent mille écus de son bien, pour laquelle somme il engagerait ses comtés patrimoniaux de Rouergue et de L'Isle, qui valaient plus d'un million d'or… – Pour comble de sûreté, avant que de mettre en campagne, il promettait de donner Madame, sa sœur unique, en otage, comme eût fait le prince de Condé, sa fille; même quand l'entreprise eût été commencée, il se fût dessaisi des places de sûreté avant le temps échu. Mais les ennemis particuliers de ce roi et la cabale espagnole firent qu'on rejeta bien loin ces offres, qui semblaient bien avantageuses à la France…»

La vie de Monsieur avait souvent bouleversé la cour de France et agité la politique européenne; sa mort prématurée posa ou compliqua subitement, dans notre pays, des questions où se trouvaient engagés et mis aux prises tous les intérêts légitimes et toutes les ambitions. Monsieur mourant sans avoir été marié, Henri III n'ayant pas d'enfant et paraissant destiné à ne laisser aucune postérité, la race des Valois ne tenait plus qu'à la vie d'un homme, et la couronne de France devait fatalement échoir, soit au Bourbon hérétique, qui avait pour lui le droit national, soit à un prétendant capable de s'imposer par l'intrigue ou par la force. Telle était la perspective qui s'ouvrit devant Henri III.

De son côté, Henri de Bourbon, roi de Navarre, se trouvait brusquement porté sur la première marche du trône, et, de cette hauteur, il voyait une France catholique à conquérir, non seulement sur des croyances et des traditions séculaires encore toutes-puissantes, mais sur une famille princière, féconde en hommes de guerre et en hommes d'Etat, appuyée sur des alliances de premier ordre, et manifestement placée à la tête de la Ligue. Quant aux Guises, la mort venait de supprimer un obstacle redoutable sur la voie où leur politique de domination et d'usurpation s'était déjà essayée; il ne leur restait plus qu'à détruire, par la Ligue, et le pouvoir du dernier Valois et les chances de succession de son héritier. C'est l'œuvre qu'ils vont tenter avec une vigueur et une audace que ne déconcerteront pas les plus sanglantes catastrophes, jusqu'à ce que l'abjuration vienne achever et assurer la conquête du pays par leur royal adversaire.

Dès que la nouvelle de la mort de Monsieur fut connue, chaque parti prit sa direction. Les Guises firent publier discrètement, en attendant l'éclat prochain, le ban de leur croisade politique et religieuse; le roi de France, qui les devinait, conçut, une fois de plus, pour leur échapper, le dessein de convertir son beau-frère; et le roi de Navarre, après les lettres de condoléance sur ce deuil de famille, revendiqua sans délai, en qualité d'héritier présomptif, la jouissance du privilège spécial de la seconde personne du royaume. «Monseigneur, disait-il à Henri III, c'est chose accoutumée d'ancienneté et que vos prédécesseurs rois ont observée dès longtemps, qu'advenant qu'aucun prince du sang se trouvât le plus proche pour tenir lieu de la seconde personne, ils lui font cette faveur de lui donner permission de créer métiers ès villes du royaume ès quelles il y a métiers jurés, pour rendre témoignage au peuple, par cette gratification, du rang qu'il doit tenir en cas qu'il n'y ait enfant, le déclarant et le faisant naître comme Fils de France, ainsi que l'a très bien remarqué le feu greffier du Tillet (greffier en chef du parlement de Paris) en ses Mémoires extraits du registre de votre cour… – Je vous supplie très humblement, Monseigneur, me faire tant de grâce que de m'octroyer vos lettres de provision… Ce sera chose, combien qu'elle ne soit bien grande en soi, qui toutefois, pour la conséquence, et selon la capacité du peuple, pourra servir à l'encontre de mes ennemis, qui, par factions, ligues et menées, ne tâchent qu'à se prévaloir contre moi, au préjudice et détriment de votre autorité et de votre couronne.»

Henri III n'avait pas attendu cette lettre, ni même la mort de son frère, pour tenter la démarche à laquelle nous venons de faire allusion: il avait, dès le 15 mai, envoyé vers le roi de Navarre un de ses grands favoris, le duc d'Epernon, surnommé l'archimignon par L'Estoile, et qui fait dans l'histoire une figure à la fois si hautaine et si louche36. Le duc avait pour mission de porter au prince hérétique les plus cordiales paroles et les plus vives instances de Henri III: le roi de Navarre n'en pouvait suspecter la sincérité, car Du Plessis-Mornay, en mission à la cour, lui écrivait, au mois d'avril: «S. M. ne feint point de dire que vous êtes aujourd'hui la seconde personne de France. Ces jours passés, S. M., après son dîner, étant devant le feu, M. du Maine présent et grand nombre de gentilshommes, dit ces mots: «Aujourd'hui je reconnais le roi de Navarre pour mon seul et unique héritier. C'est un prince bien né et de bon naturel. Mon naturel a toujours été de l'aimer, et je sais qu'il m'aime. Il est un peu colère et piquant, mais le fond en est bon.»

Epernon, reçu par Henri avec des égards particuliers, eut avec le roi, à Pamiers, une longue conférence, à laquelle assistèrent Roquelaure, Antoine Ferrier, chancelier de Navarre, et le ministre Marmet. Les exhortations du duc étaient fondées sur des motifs de conscience, d'intérêt et de politique. Roquelaure, catholique, était pour la conversion, ne jugeant pas que le roi pût hésiter entre les psaumes de Clément Marot et la couronne de France. Rien n'empêchait, au dire du ministre, que le roi se présentât au pays, «la couronne d'une main et les psaumes de l'autre». Antoine Ferrier se prononçait contre la conversion, mais était d'avis que Henri marquât, par un voyage à la cour, ses sentiments de fidélité et d'affection pour le roi de France.

Il est certain que le roi de Navarre fut vivement tenté, dès le premier abord, de se rendre aux désirs de Henri III, pour ce qui concernait le voyage à la cour de France, et qu'il sentit la force des raisons qu'on faisait valoir pour le ramener à la religion de ses ancêtres; mais, examinée à la lumière des circonstances politiques, la double proposition lui parut inacceptable. Se convertir brusquement, c'était sacrifier tout un parti, s'en attirer la haine, et le jeter sous les ordres d'un autre chef, le prince de Condé, par exemple, qui l'eût préparé à de nouvelles luttes, sans les tempéraments dont n'avait jamais voulu se départir le roi de Navarre.

Il pouvait, sans doute, devenir effectivement «la seconde personne du royaume», le lieutenant-général, presque l'égal de Henri III. Qu'y gagnait-il et qu'y gagnait le pays? Les Guises n'abdiqueraient pas, ni la Ligue, ni Condé. Il changeait de camp et modifiait, par là, sa situation personnelle, mais sans assurer sa fortune dynastique et sans accroître les chances d'une pacification générale: tout restait problème pour le pays comme pour lui; seulement les données de ce problème étaient bouleversées, ce qui en rendait la solution plus périlleuse et plus douteuse. En somme, le roi de Navarre ne pouvait donner à Henri III qu'une des satisfactions demandées; mais le fait seul de sa présence à la cour l'eût infailliblement rendu suspect aux yeux des calvinistes, sans désarmer les Guises ni la Ligue, sans servir efficacement la cause du roi de France et celle de son héritier. Il reçut avec respect et gratitude le message de Henri III, se défendit de toute opiniâtreté aveugle en matière de religion, et, protestant de son vif désir d'être toujours le premier et le plus fidèle serviteur du roi de France, il prit le parti d'attendre une paix honorable, si elle était possible, ou une guerre dont il ne fût pas le provocateur.

La plus inviolable discrétion était commandée, ce semble, au sujet de la conférence de Pamiers; mais Du Plessis-Mornay craignant, à la réflexion, que des récits erronés et de nature à compromettre le roi de Navarre n'en fussent publiés par les catholiques, par la cour de France elle-même, dont il n'était pas déraisonnable de se méfier, résolut de prendre les devants. Il en composa un «mémoire, avec tous les raisonnements de part et d'autre», dit Mézeray, qui ajoute: «Mais en pensant fortifier ceux de la religion, il fournit un ample sujet à leurs ennemis de calomnier les deux rois et de donner de mauvaises interprétations au voyage du duc d'Epernon. Ils disaient qu'il n'était pas allé là pour convertir le roi de Navarre, mais pour le confirmer dans son hérésie: car on voyait bien par le résultat de cette conférence qu'il faisait gloire de demeurer obstiné dans son erreur; qu'ainsi, lorsqu'il serait venu à la couronne, à laquelle le roi lui-même lui frayait le chemin par l'oppression des princes catholiques, les huguenots ayant la force en main renverseraient l'ancienne religion. Leurs émissaires allaient semant ces calomnies parmi les peuples, les prédicateurs les trompetaient séditieusement dans les chaires, les confesseurs les suggéraient à l'oreille… Puis, après avoir noirci l'honneur du roi par toutes les inventions dont ils pouvaient s'aviser, ils n'oubliaient pas de recommander hautement la piété, la valeur et la bonté des princes Lorrains, qu'ils nommaient le vrai sang de Charlemagne, les boucliers de la religion, et les pères du peuple, insinuant par là assez clairement qu'ils étaient plus dignes de tenir le sceptre que celui qui le portait. Au souffle de ces calomnies, les zélés, les simples et les factieux commencèrent à frémir, à se soulever, à faire des assemblées aux champs et aux villes, à enrôler des soldats, à désigner des chefs muets, au billet desquels les enrôlés devaient se trouver à certain rendez-vous.»

La publication de ce mémoire fut une faute toute personnelle à Du Plessis-Mornay et qu'il n'eût certes pas commise, s'il avait demandé l'avis du roi de Navarre. Henri, blessé de cette indiscrétion, dont il vit, tout de suite, la portée, s'en plaignit à son secrétaire, dans la lettre suivante, datée de la fin du mois de septembre 1584: «J'ai reçu, ce soir, la lettre et le mémoire que m'avez envoyés. J'eusse désiré que me l'eussiez apporté vous-même… Venez-vous-en, je vous prie, aussi vide de passion que vous êtes plein de vertu. Je sais que vous m'aimez et qu'ayant parlé à moi, vous reconnaîtrez les erreurs que vous avez faites, qui ne sont bienséantes ni aux uns ni aux autres.»

La mort de Monsieur et la mission du duc d'Epernon opérèrent un rapprochement sensible entre les deux rois. Henri III savait gré à son beau-frère de l'avoir prévenu, l'année précédente, non seulement des menées de Philippe II, mais encore des accointances de la Maison de Lorraine avec la cour d'Espagne, et le roi de Navarre lui fit tenir, dans la suite, beaucoup d'autres avis sur les «remuements» des Guises, qu'il ne perdait jamais de vue. Si Henri III avait trouvé, dans son conseil, les clartés et les résolutions qu'auraient dû y faire naître les actes préliminaires qu'on lui dénonçait de toutes parts, il lui eût été facile d'étouffer le monstre dans son berceau, comme dit Mézeray; mais, dépourvu de toute énergie, il semblait toujours rechercher, au lieu des raisons d'agir, celles de temporiser, fermant le plus possible les yeux, pour avoir le droit de ne pas voir le mal. On avait beau lui dire que la Ligue encombrait les chemins de courriers, d'émissaires, de troupes même, que son esprit soufflait ouvertement parmi les populations d'un grand nombre de villes: il se laissait persuader par la reine-mère, toujours portée aux demi-mesures, que c'étaient là des émotions passagères provoquées par les bruits qui couraient sur l'organisation de la Ligue protestante; si bien, qu'il se contenta de défendre, par un édit, les ligues secrètes, les assemblées et enrôlements de gens de guerre. Ramener à lui le roi de Navarre paraissait être la plus persistante de ses idées. Il avait eu la pensée de donner à son favori Joyeuse le gouvernement du Languedoc; mais Montmorency n'entendait pas le céder, et, après beaucoup d'actes d'hostilité, le Languedoc allait devenir le théâtre d'une guerre acharnée, lorsque le roi de Navarre, ayant obtenu de Henri III l'autorisation de s'entremettre, parvint à concilier Montmorency et Joyeuse. En échange de ce service, il sollicita l'agrément de Henri III pour la tenue d'une assemblée déjà convoquée à Montauban. «Le roi en fit quelque difficulté, dit Mézeray, tant parce qu'il ne le pouvait faire sans donner sujet de murmure aux catholiques, que parce que son conseil était offensé de ce qu'elle avait été assignée auparavant que de la demander; néanmoins, désirant le gratifier, il lui accorda cette requête, avec un don de cent mille écus, et voulut que, de là en avant, il l'appelât «son maître» dans ses lettres, comme il faisait autrefois, lorsqu'il était en cour auprès de lui. Dans cette assemblée, se trouvèrent le prince de Condé, le comte de Laval, le vicomte de Turenne, depuis quelques mois sorti de la prison des Pays-Bas, Châtillon, et la plupart des seigneurs qui professaient cette religion. Bellièvre y alla de la part du roi, pour demander, entre autres choses, la restitution des places, mais il trouva les courages bien résolus à ne les point rendre; et l'assemblée envoya au roi, par Laval et Du Plessis-Mornay, un cahier de plaintes contenant les inexécutions de l'Edit, qui tendaient à obtenir la prolongation du terme, et semblaient dire que si on leur refusait une si juste demande, ils seraient contraints de se mettre sur leurs gardes. Le président Séguier, Villeroy et Bellièvre n'étaient point d'avis qu'on leur accordât cette prolongation, parce que c'était fortifier une religion qu'il fallait détruire, c'était diminuer l'autorité royale, et fournir aux ligueurs un prétexte de troubler l'Etat; et le roi était de lui-même porté à croire ce conseil, n'ayant aucune inclination pour les religionnaires. Mais les persuasions du duc d'Epernon, qui favorisait le roi de Navarre, et la crainte que lui donnèrent les députés de la résolution opiniâtre de leur parti, le firent condescendre, après de grandes répugnances, à leur laisser les places encore deux ans; dont il leur fit expédier ses lettres à la fin du mois de novembre.»

Comme le dit Mézeray, ce ne fut pas sans de nombreuses difficultés que l'assemblée de Montauban trouva grâce, par ses cahiers, auprès de Henri III, et, tout en profitant du succès obtenu, le roi de Navarre n'en devint pas plus confiant dans l'avenir. Aussi, dans la lettre qu'il adressa au roi, vers la fin de l'année 1584, pour le remercier du bon accueil fait aux vœux et remontrances de l'assemblée, il disait avec sa fine ironie: «Reste maintenant, Monseigneur, comme il a plu à V. M. faire connaître cette sienne bonne volonté à ses très humbles sujets, qu'aussi il lui plaise, par une même bonté, commander, au plus tôt que ses affaires pourront le permettre, les expéditions nécessaires pour leur en faire sortir les effets…» Fidèle à son rôle, il affectait toujours de compter sur Henri III, mais il sentait bien que toute cette bonne volonté était, comme d'habitude, eau bénite de cour. Et, en effet, quelques jours après, il eut, plusieurs fois, l'occasion de se plaindre à Matignon de diverses irrégularités, en Languedoc, en Rouergue, en Quercy et en Périgord.

Les Guises, depuis quelque temps éloignés de la cour, n'attendaient qu'un prétexte pour stimuler le zèle de la Ligue, déjà toute à leur dévotion. Lorsqu'ils surent que Henri III venait d'accorder aux calvinistes un délai de deux ans pour la remise des places de sûreté, ils n'hésitèrent plus à développer leurs plans et à en presser l'exécution. Le dernier jour de l'année 1584, par le traité de Joinville, ils associent le roi d'Espagne à la Ligue, qu'il prend, en quelque sorte, sous son patronage et à sa solde. Ce pacte éclaire l'histoire des quinze années qui vont suivre; en voici le résumé:

«Les contractants, pour la conservation de la foi catholique, tant en France qu'aux Pays-Bas, conclurent une confédération et ligue offensive et défensive, perpétuelle et à toujours, pour eux et pour leurs descendants, avec ces conditions: qu'arrivant la mort du roi Henri III, le cardinal de Bourbon serait installé en sa place, comme prince vraiment catholique et le plus proche héritier de la couronne, en excluant entièrement et pour toujours tous les princes de France, étant à présent hérétiques et relaps, et des autres ceux qui seraient notoirement hérétiques, sans que nul pût jamais régner qui aurait été infecté de ce venin ou le tolérerait dans le royaume; que le cardinal venant à être roi renouvellerait le traité fait à Cambrai l'an 1558, entre les rois de France et d'Espagne; qu'il ferait bannir par édit public tous les hérétiques; que les princes français contractants feraient observer en France les saints décrets du concile de Trente; que le cardinal de Bourbon renoncerait pour lui et ses successeurs à l'alliance du Turc; qu'ils donneraient ordre que toutes pirateries cesseraient vers les Indes et îles adjacentes, empêcheraient que les villes des Pays-Bas ne seraient plus mises aux mains des Français, défendraient le commerce avec les rebelles des Pays-Bas, et aideraient, par la force des armes, le roi catholique à réduire les villes rebelles, et celle de Cambrai; que S. M. catholique, tandis que la guerre durerait, fournirait aux princes français cinquante mille pistoles par mois, dont il en avancerait quatre cent mille de fixe mois en fixe mois; que le cardinal lui tiendrait compte de ces frais, s'il parvenait à la couronne; que les contractants ne pourraient jamais traiter avec S. M. très chrétienne, ni aucun autre prince, au préjudice de cette Ligue; qu'il ferait garder place, pour signer, aux ducs de Mercœur et de Nevers; qu'il se ferait deux originaux de ce traité, dont l'un demeurerait à S. M. catholique, l'autre au cardinal, qui se les enverraient mutuellement, dans le mois de mars, ratifiés, signés et scellés de leurs sceaux, mais qu'il serait tenu secret jusqu'à ce que les deux parties en consentissent la publication.»

Aussitôt, l'argent espagnol afflue dans les mains des Guises, et ils s'en servent pour enrôler des troupes et acheter les consciences hésitantes de quelques capitaines ou gouverneurs de places: la Ligue est prête à s'affirmer partout. Les Guises, non contents d'avoir à leurs ordres une armée française soudoyée par l'Espagne, négocient avec la Suisse, dans les cantons catholiques, une forte levée; ils s'y heurteront, quelques mois plus tard, à la diplomatie de la reine-mère et à celle du roi de Navarre, Catherine conjurant les Suisses de refuser leur secours aux princes lorrains, parce qu'elle se disposait à faire la paix avec eux, et Henri s'efforçant de démontrer aux cantons que l'intérêt religieux n'est pour rien dans la politique de la Maison de Lorraine, et que, en la secourant, ils viennent en aide aux alliés de la Maison d'Autriche, leur ennemie37.

Les Guises passaient, pour ainsi dire, la revue de leurs forces; mais l'ambassade des insurgés des Pays-Bas, venant offrir à Henri III la souveraineté de ces provinces, que la reine Elisabeth l'engageait vivement à accepter, avança de beaucoup l'heure de la bataille. On était alors au mois de février. Dans le courant de mars, le vieux cardinal de Bourbon, oncle du roi de Navarre, prenant au sérieux le rôle d'héritier présomptif et légitime de Henri III, que les Guises lui avaient assigné dans leur comédie, prêta son nom aux premières déclarations de la Ligue, où s'étalait un mélange indescriptible de vues factieuses et de religieuses déclamations38.

Au bruit de ces appels à une nouvelle guerre civile, les ligueurs prennent les armes, s'assurent d'un grand nombre de places, échouent sur quelques points importants, notamment à Marseille et à Bordeaux, mais s'emparent successivement de Châlon-sur-Saône, de Lyon, de Verdun et de Toul. Les voilà en marche: ils ne feront plus halte qu'au mois de juillet, à la signature du traité de Nemours, qui leur livre tout ce que la cour pouvait leur livrer de la France.

36.Appendice: XXV.
37.Appendice: XXIV.
38.Appendice: XXVI.