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Buch lesen: «Les Trois Mousquetaires», Seite 40

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«Et maintenant, madame, à vous revoir. Demain je viendrai vous annoncer le départ de mon messager.»

Lord de Winter se leva, salua ironiquement Milady et sortit.

Milady respira : elle avait encore quatre jours devant elle ; quatre jours lui suffiraient pour achever de séduire Felton.

Une idée terrible lui vint alors, c’est que Lord de Winter enverrait peut-être Felton lui-même pour faire signer l’ordre à Buckingham ; de cette façon Felton lui échappait, et pour que la prisonnière réussît il fallait la magie d’une séduction continue.

Cependant, comme nous l’avons dit, une chose la rassurait : Felton n’avait pas parlé.

Elle ne voulut point paraître émue par les menaces de Lord de Winter, elle se mit à table et mangea.

Puis, comme elle avait fait la veille, elle se mit à genoux, et répéta tout haut ses prières. Comme la veille, le soldat cessa de marcher et s’arrêta pour l’écouter.

Bientôt elle entendit des pas plus légers que ceux de la sentinelle qui venaient du fond du corridor et qui s’arrêtaient devant sa porte.

«C’est lui», dit-elle.

Et elle commença le même chant religieux qui la veille avait si violemment exalté Felton.

Mais, quoique sa voix douce, pleine et sonore eût vibré plus harmonieuse et plus déchirante que jamais, la porte resta close. Il parut bien à Milady, dans un des regards furtifs qu’elle lançait sur le petit guichet, apercevoir à travers le grillage serré les yeux ardents du jeune homme mais, que ce fût une réalité ou une vision, cette fois il eut sur lui-même la puissance de ne pas entrer.

Seulement, quelques instants après qu’elle eût fini son chant religieux, Milady crut entendre un profond soupir ; puis les mêmes pas qu’elle avait entendus s’approcher s’éloignèrent lentement et comme à regret.

 CHAPITRE LV. QUATRIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ

Le lendemain, lorsque Felton entra chez Milady, il la trouva debout, montée sur un fauteuil, tenant entre ses mains une corde tissée à l’aide de quelques mouchoirs de batiste déchirés en lanières tressées les unes avec les autres et attachées bout à bout ; au bruit que fit Felton en ouvrant la porte, Milady sauta légèrement à bas de son fauteuil, et essaya de cacher derrière elle cette corde improvisée, qu’elle tenait à la main.

Le jeune homme était plus pâle encore que d’habitude, et ses yeux rougis par l’insomnie indiquaient qu’il avait passé une nuit fiévreuse.

Cependant son front était armé d’une sérénité plus austère que jamais.

Il s’avança lentement vers Milady, qui s’était assise, et prenant un bout de la tresse meurtrière que par mégarde ou à dessein peut-être elle avait laissée passer :

«Qu’est-ce que cela, madame ? demanda-t-il froidement.

– Cela, rien, dit Milady en souriant avec cette expression douloureuse qu’elle savait si bien donner à son sourire, l’ennui est l’ennemi mortel des prisonniers, je m’ennuyais et je me suis amusée à tresser cette corde.»

Felton porta les yeux vers le point du mur de l’appartement devant lequel il avait trouvé Milady debout sur le fauteuil où elle était assise maintenant, et au-dessus de sa tête il aperçut un crampon doré, scellé dans le mur, et qui servait à accrocher soit des hardes, soit des armes.

Il tressaillit, et la prisonnière vit ce tressaillement ; car, quoiqu’elle eût les yeux baissés, rien ne lui échappait.

«Et que faisiez-vous, debout sur ce fauteuil ? demanda-t-il.

– Que vous importe ? répondit Milady.

– Mais, reprit Felton, je désire le savoir.

– Ne m’interrogez pas, dit la prisonnière, vous savez bien qu’à nous autres, véritables chrétiens, il nous est défendu de mentir.

– Eh bien, dit Felton, je vais vous le dire, ce que vous faisiez, ou plutôt ce que vous alliez faire, vous alliez achever l’oeuvre fatale que vous nourrissez dans votre esprit : songez-y, madame, si notre Dieu défend le mensonge, il défend bien plus sévèrement encore le suicide.

– Quand Dieu voit une de ses créatures persécutée injustement, placée entre le suicide et le déshonneur, croyez-moi, monsieur, répondit Milady d’un ton de profonde conviction, Dieu lui pardonne le suicide : car, alors, le suicide c’est le martyre.

– Vous en dites trop ou trop peu ; parlez, madame, au nom du Ciel, expliquez-vous.

– Que je vous raconte mes malheurs, pour que vous les traitiez de fables ; que je vous dise mes projets, pour que vous alliez les dénoncer à mon persécuteur : non, monsieur ; d’ailleurs, que vous importe la vie ou la mort d’une malheureuse condamnée ? vous ne répondez que de mon corps, n’est-ce pas ? et pourvu que vous représentiez un cadavre, qu’il soit reconnu pour le mien, on ne vous en demandera pas davantage, et peut-être, même, aurez-vous double récompense.

– Moi, madame, moi ! s’écria Felton, supposer que j’accepterais jamais le prix de votre vie ; oh ! vous ne pensez pas ce que vous dites.

– Laissez-moi faire, Felton, laissez-moi faire, dit Milady en s’exaltant, tout soldat doit être ambitieux, n’est-ce pas ? vous êtes lieutenant, eh bien, vous suivrez mon convoi avec le grade de capitaine.

– Mais que vous ai-je donc fait, dit Felton ébranlé, pour que vous me chargiez d’une pareille responsabilité devant les hommes et devant Dieu ? Dans quelques jours vous allez être loin d’ici, madame, votre vie ne sera plus sous ma garde, et, ajouta-t-il avec un soupir, alors vous en ferez ce que vous voudrez.

– Ainsi, s’écria Milady comme si elle ne pouvait résister à une sainte indignation, vous, un homme pieux, vous que l’on appelle un juste, vous ne demandez qu’une chose : c’est de n’être point inculpé, inquiété pour ma mort !

– Je dois veiller sur votre vie, madame, et j’y veillerai.

– Mais comprenez-vous la mission que vous remplissez ? cruelle déjà si j’étais coupable, quel nom lui donnerez-vous, quel nom le Seigneur lui donnera-t-il, si je suis innocente ?

– Je suis soldat, madame, et j’accomplis les ordres que j’ai reçus.

– Croyez-vous qu’au jour du jugement dernier Dieu séparera les bourreaux aveugles des juges iniques ? vous ne voulez pas que je tue mon corps, et vous vous faites l’agent de celui qui veut tuer mon âme !

– Mais, je vous le répète, reprit Felton ébranlé, aucun danger ne vous menace, et je réponds de Lord de Winter comme de moi-même.

– Insensé ! s’écria Milady, pauvre insensé, qui ose répondre d’un autre homme quand les plus sages, quand les plus grands selon Dieu hésitent à répondre d’eux-mêmes, et qui se range du parti le plus fort et le plus heureux, pour accabler la plus faible et la plus malheureuse !

– Impossible, madame, impossible, murmura Felton, qui sentait au fond du coeur la justesse de cet argument : prisonnière, vous ne recouvrerez pas par moi la liberté, vivante, vous ne perdrez pas par moi la vie.

– Oui, s’écria Milady, mais je perdrai ce qui m’est bien plus cher que la vie, je perdrai l’honneur, Felton ; et c’est vous, vous que je ferai responsable devant Dieu et devant les hommes de ma honte et de mon infamie.»

Cette fois Felton, tout impassible qu’il était ou qu’il faisait semblant d’être, ne put résister à l’influence secrète qui s’était déjà emparée de lui : voir cette femme si belle, blanche comme la plus candide vision, la voir tour à tour éplorée et menaçante, subir à la fois l’ascendant de la douleur et de la beauté, c’était trop pour un visionnaire, c’était trop pour un cerveau miné par les rêves ardents de la foi extatique, c’était trop pour un coeur corrodé à la fois par l’amour du Ciel qui brûle, par la haine des hommes qui dévore.

Milady vit le trouble, elle sentait par intuition la flamme des passions opposées qui brûlaient avec le sang dans les veines du jeune fanatique ; et, pareille à un général habile qui, voyant l’ennemi prêt à reculer, marche sur lui en poussant un cri de victoire, elle se leva, belle comme une prêtresse antique, inspirée comme une vierge chrétienne et, le bras étendu, le col découvert, les cheveux épars retenant d’une main sa robe pudiquement ramenée sur sa poitrine, le regard illuminé de ce feu qui avait déjà porté le désordre dans les sens du jeune puritain, elle marcha vers lui, s’écriant sur un air véhément, de sa voix si douce, à laquelle, dans l’occasion, elle donnait un accent terrible :

 
Livre à Baal sa victime.
Jette aux lions le martyr :
Dieu te fera repentir !…
Je crie à lui de l’abîme.
 

Felton s’arrêta sous cette étrange apostrophe, et comme pétrifié.

«Qui êtes-vous, qui êtes-vous ? s’écria-t-il en joignant les mains ; êtes-vous une envoyée de Dieu, êtes-vous un ministre des enfers, êtes-vous ange ou démon, vous appelez-vous Eloa ou Astarté ?

– Ne m’as-tu pas reconnue, Felton ? Je ne suis ni un ange, ni un démon, je suis une fille de la terre, je suis une soeur de ta croyance, voilà tout.

– Oui ! oui ! dit Felton, je doutais encore, mais maintenant je crois.

– Tu crois, et cependant tu es le complice de cet enfant de Bélial qu’on appelle Lord de Winter ! Tu crois, et cependant tu me laisses aux mains de mes ennemis, de l’ennemi de l’Angleterre, de l’ennemi de Dieu ? Tu crois, et cependant tu me livres à celui qui remplit et souille le monde de ses hérésies et de ses débauches, à cet infâme Sardanapale que les aveugles nomment le duc de Buckingham et que les croyants appellent l’Antéchrist.

– Moi, vous livrer à Buckingham ! moi ! que dites-vous là ?

– Ils ont des yeux, s’écria Milady, et ils ne verront pas ; ils ont des oreilles, et ils n’entendront point.

– Oui, oui, dit Felton en passant ses mains sur son front couvert de sueur, comme pour en arracher son dernier doute ; oui, je reconnais la voix qui me parle dans mes rêves ; oui, je reconnais les traits de l’ange qui m’apparaît chaque nuit, criant à mon âme qui ne peut dormir : “Frappe, sauve l’Angleterre, sauve-toi, car tu mourras sans avoir désarmé Dieu !” Parlez, parlez ! s’écria Felton, je puis vous comprendre à présent.»

Un éclair de joie terrible, mais rapide comme la pensée, jaillit des yeux de Milady.

Si fugitive qu’eût été cette lueur homicide, Felton la vit et tressaillit comme si cette lueur eût éclairé les abîmes du coeur de cette femme.

Felton se rappela tout à coup les avertissements de Lord de Winter, les séductions de Milady, ses premières tentatives lors de son arrivée ; il recula d’un pas et baissa la tête, mais sans cesser de la regarder : comme si, fasciné par cette étrange créature, ses yeux ne pouvaient se détacher de ses yeux.

Milady n’était point femme à se méprendre au sens de cette hésitation. Sous ses émotions apparentes, son sang-froid glacé ne l’abandonnait point. Avant que Felton lui eût répondu et qu’elle fût forcée de reprendre cette conversation si difficile à soutenir sur le même accent d’exaltation, elle laissa retomber ses mains, et, comme si la faiblesse de la femme reprenait le dessus sur l’enthousiasme de l’inspirée :

«Mais, non, dit-elle, ce n’est pas à moi d’être la Judith qui délivrera Béthulie de cet Holopherne. Le glaive de l’éternel est trop lourd pour mon bras. Laissez-moi donc fuir le déshonneur par la mort, laissez-moi me réfugier dans le martyre. Je ne vous demande ni la liberté, comme ferait une coupable, ni la vengeance, comme ferait une païenne. Laissez-moi mourir, voilà tout. Je vous supplie, je vous implore à genoux ; laissez-moi mourir, et mon dernier soupir sera une bénédiction pour mon sauveur.»

À cette voix douce et suppliante, à ce regard timide et abattu, Felton se rapprocha. Peu à peu l’enchanteresse avait revêtu cette parure magique qu’elle reprenait et quittait à volonté, c’est-à-dire la beauté, la douceur, les larmes et surtout l’irrésistible attrait de la volupté mystique, la plus dévorante des voluptés.

«Hélas ! dit Felton, je ne puis qu’une chose, vous plaindre si vous me prouvez que vous êtes une victime ! Mais Lord de Winter a de cruels griefs contre vous. Vous êtes chrétienne, vous êtes ma soeur en religion ; je me sens entraîné vers vous, moi qui n’ai aimé que mon bienfaiteur, moi qui n’ai trouvé dans la vie que des traîtres et des impies. Mais vous, madame, vous si belle en réalité, vous si pure en apparence, pour que Lord de Winter vous poursuive ainsi, vous avez donc commis des iniquités ?

– Ils ont des yeux, répéta Milady avec un accent d’indicible douleur, et ils ne verront pas ; ils ont des oreilles, et ils n’entendront point.

– Mais, alors, s’écria le jeune officier, parlez, parlez donc !

– Vous confier ma honte ! s’écria Milady avec le rouge de la pudeur au visage, car souvent le crime de l’un est la honte de l’autre ; vous confier ma honte, à vous homme, moi femme ! Oh ! continua-t-elle en ramenant pudiquement sa main sur ses beaux yeux, oh ! jamais, jamais je ne pourrai !

– À moi, à un frère !» s’écria Felton.

Milady le regarda longtemps avec une expression que le jeune officier prit pour du doute, et qui cependant n’était que de l’observation et surtout la volonté de fasciner.

Felton, à son tour suppliant, joignit les mains.

«Eh bien, dit Milady, je me fie à mon frère, j’oserai !»

En ce moment, on entendit le pas de Lord de Winter ; mais, cette fois le terrible beau-frère de Milady ne se contenta point, comme il avait fait la veille, de passer devant la porte et de s’éloigner, il s’arrêta, échangea deux mots avec la sentinelle, puis la porte s’ouvrit et il parut.

Pendant ces deux mots échangés, Felton s’était reculé vivement, et lorsque Lord de Winter entra, il était à quelques pas de la prisonnière.

Le baron entra lentement, et porta son regard scrutateur de la prisonnière au jeune officier :

«Voilà bien longtemps, John, dit-il, que vous êtes ici ; cette femme vous a-t-elle raconté ses crimes ? alors je comprends la durée de l’entretien.»

Felton tressaillit, et Milady sentit qu’elle était perdue si elle ne venait au secours du puritain décontenancé.

«Ah ! vous craignez que votre prisonnière ne vous échappe ! dit-elle, eh bien, demandez à votre digne geôlier quelle grâce, à l’instant même, je sollicitais de lui.

– Vous demandiez une grâce ? dit le baron soupçonneux.

– Oui, Milord, reprit le jeune homme confus.

– Et quelle grâce, voyons ? demanda Lord de Winter.

– Un couteau qu’elle me rendra par le guichet, une minute après l’avoir reçu, répondit Felton.

– Il y a donc quelqu’un de caché ici que cette gracieuse personne veuille égorger ? reprit Lord de Winter de sa voix railleuse et méprisante.

– Il y a moi, répondit Milady.

– Je vous ai donné le choix entre l’Amérique et Tyburn, reprit Lord de Winter, choisissez Tyburn, Milady : la corde est, croyez-moi, encore plus sûre que le couteau.»

Felton pâlit et fit un pas en avant, en songeant qu’au moment où il était entré, Milady tenait une corde.

«Vous avez raison, dit celle-ci, et j’y avais déjà pensé ; puis elle ajouta d’une voix sourde : j’y penserai encore.»

Felton sentit courir un frisson jusque dans la moelle de ses os ; probablement Lord de Winter aperçut ce mouvement.

«Méfie-toi, John, dit-il, John, mon ami, je me suis reposé sur toi, prends garde ! Je t’ai prévenu ! D’ailleurs, aie bon courage, mon enfant, dans trois jours nous serons délivrés de cette créature, et où je l’envoie, elle ne nuira plus à personne.

– Vous l’entendez !» s’écria Milady avec éclat, de façon que le baron crût qu’elle s’adressait au Ciel et que Felton comprît que c’était à lui.

Felton baissa la tête et rêva.

Le baron prit l’officier par le bras en tournant la tête sur son épaule, afin de ne pas perdre Milady de vue jusqu’à ce qu’il fût sorti.

«Allons, allons, dit la prisonnière lorsque la porte se fut refermée, je ne suis pas encore si avancée que je le croyais. Winter a changé sa sottise ordinaire en une prudence inconnue ; ce que c’est que le désir de la vengeance, et comme ce désir forme l’homme ! Quant à Felton, il hésite. Ah ! ce n’est pas un homme comme ce d’Artagnan maudit. Un puritain n’adore que les vierges, et il les adore en joignant les mains. Un mousquetaire aime les femmes, et il les aime en joignant les bras.»

Cependant Milady attendit avec impatience, car elle se doutait bien que la journée ne se passerait pas sans qu’elle revit Felton. Enfin, une heure après la scène que nous venons de raconter, elle entendit que l’on parlait bas à la porte, puis bientôt la porte s’ouvrit, et elle reconnut Felton.

Le jeune homme s’avança rapidement dans la chambre en laissant la porte ouverte derrière lui et en faisant signe à Milady de se taire ; il avait le visage bouleversé.

«Que me voulez-vous ? dit-elle.

– Écoutez, répondit Felton à voix basse, je viens d’éloigner la sentinelle pour pouvoir rester ici sans qu’on sache que je suis venu, pour vous parler sans qu’on puisse entendre ce que je vous dis. Le baron vient de me raconter une histoire effroyable.»

Milady prit son sourire de victime résignée, et secoua la tête.

«Ou vous êtes un démon, continua Felton, ou le baron, mon bienfaiteur, mon père, est un monstre. Je vous connais depuis quatre jours, je l’aime depuis dix ans, lui ; je puis donc hésiter entre vous deux : ne vous effrayez pas de ce que je vous dis, j’ai besoin d’être convaincu. Cette nuit, après minuit, je viendrai vous voir, vous me convaincrez.

– Non, Felton, non, mon frère, dit-elle, le sacrifice est trop grand, et je sens qu’il vous coûte. Non, je suis perdue, ne vous perdez pas avec moi. Ma mort sera bien plus éloquente que ma vie, et le silence du cadavre vous convaincra bien mieux que les paroles de la prisonnière.

– Taisez-vous, madame, s’écria Felton, et ne me parlez pas ainsi ; je suis venu pour que vous me promettiez sur l’honneur, pour que vous me juriez sur ce que vous avez de plus sacré, que vous n’attenterez pas à votre vie.

– Je ne veux pas promettre, dit Milady, car personne plus que moi n’a le respect du serment, et, si je promettais, il me faudrait tenir.

– Eh bien, dit Felton, engagez-vous seulement jusqu’au moment où vous m’aurez revu. Si, lorsque vous m’aurez revu, vous persistez encore, eh bien, alors, vous serez libre, et moi-même je vous donnerai l’arme que vous m’avez demandée.

– Eh bien, dit Milady, pour vous j’attendrai.

– Jurez-le.

– Je le jure par notre Dieu. Êtes-vous content ?

– Bien, dit Felton, à cette nuit !»

Et il s’élança hors de l’appartement, referma la porte, et attendit en dehors, la demi-pique du soldat à la main, comme s’il eût monté la garde à sa place.

Le soldat revenu, Felton lui rendit son arme.

Alors, à travers le guichet dont elle s’était rapprochée, Milady vit le jeune homme se signer avec une ferveur délirante et s’en aller par le corridor avec un transport de joie.

Quant à elle, elle revint à sa place, un sourire de sauvage mépris sur les lèvres, et elle répéta en blasphémant ce nom terrible de Dieu, par lequel elle avait juré sans jamais avoir appris à le connaître.

«Mon Dieu ! dit-elle, fanatique insensé ! mon Dieu ! c’est moi, moi et celui qui m’aidera à me venger.»

 CHAPITRE LVI. CINQUIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ

Cependant Milady en était arrivée à un demi-triomphe, et le succès obtenu doublait ses forces.

Il n’était pas difficile de vaincre, ainsi qu’elle l’avait fait jusque-là, des hommes prompts à se laisser séduire, et que l’éducation galante de la cour entraînait vite dans le piège ; Milady était assez belle pour ne pas trouver de résistance de la part de la chair, et elle était assez adroite pour l’emporter sur tous les obstacles de l’esprit.

Mais, cette fois, elle avait à lutter contre une nature sauvage, concentrée, insensible à force d’austérité ; la religion et la pénitence avaient fait de Felton un homme inaccessible aux séductions ordinaires. Il roulait dans cette tête exaltée des plans tellement vastes, des projets tellement tumultueux, qu’il n’y restait plus de place pour aucun amour, de caprice ou de matière, ce sentiment qui se nourrit de loisir et grandit par la corruption. Milady avait donc fait brèche, avec sa fausse vertu, dans l’opinion d’un homme prévenu horriblement contre elle, et par sa beauté, dans le coeur et les sens d’un homme chaste et pur. Enfin, elle s’était donné la mesure de ses moyens, inconnus d’elle-même jusqu’alors, par cette expérience faite sur le sujet le plus rebelle que la nature et la religion pussent soumettre à son étude.

Bien des fois néanmoins pendant la soirée elle avait désespéré du sort et d’elle-même ; elle n’invoquait pas Dieu, nous le savons, mais elle avait foi dans le génie du mal, cette immense souveraineté qui règne dans tous les détails de la vie humaine, et à laquelle, comme dans la fable arabe, un grain de grenade suffit pour reconstruire un monde perdu.

Milady, bien préparée à recevoir Felton, put dresser ses batteries pour le lendemain. Elle savait qu’il ne lui restait plus que deux jours, qu’une fois l’ordre signé par Buckingham (et Buckingham le signerait d’autant plus facilement, que cet ordre portait un faux nom, et qu’il ne pourrait reconnaître la femme dont il était question), une fois cet ordre signé, disons-nous, le baron la faisait embarquer sur-le-champ, et elle savait aussi que les femmes condamnées à la déportation usent d’armes bien moins puissantes dans leurs séductions que les prétendues femmes vertueuses dont le soleil du monde éclaire la beauté, dont la voix de la mode vante l’esprit et qu’un reflet d’aristocratie dore de ses lueurs enchantées. Être une femme condamnée à une peine misérable et infamante n’est pas un empêchement à être belle, mais c’est un obstacle à jamais redevenir puissante. Comme tous les gens d’un mérite réel, Milady connaissait le milieu qui convenait à sa nature, à ses moyens. La pauvreté lui répugnait, l’abjection la diminuait des deux tiers de sa grandeur. Milady n’était reine que parmi les reines ; il fallait à sa domination le plaisir de l’orgueil satisfait. Commander aux êtres inférieurs était plutôt une humiliation qu’un plaisir pour elle.

Certes, elle fût revenue de son exil, elle n’en doutait pas un seul instant ; mais combien de temps cet exil pouvait-il durer ? Pour une nature agissante et ambitieuse comme celle de Milady, les jours qu’on n’occupe point à monter sont des jours néfastes ; qu’on trouve donc le mot dont on doive nommer les jours qu’on emploie à descendre ! Perdre un an, deux ans, trois ans, c’est-à-dire une éternité ; revenir quand d’Artagnan, heureux et triomphant, aurait, lui et ses amis, reçu de la reine la récompense qui leur était bien acquise pour les services qu’ils lui avaient rendus, c’étaient là de ces idées dévorantes qu’une femme comme Milady ne pouvait supporter. Au reste, l’orage qui grondait en elle doublait sa force, et elle eût fait éclater les murs de sa prison, si son corps eût pu prendre un seul instant les proportions de son esprit.

Puis ce qui l’aiguillonnait encore au milieu de tout cela, c’était le souvenir du cardinal. Que devait penser, que devait dire de son silence le cardinal défiant, inquiet, soupçonneux, le cardinal, non seulement son seul appui, son seul soutien, son seul protecteur dans le présent, mais encore le principal instrument de sa fortune et de sa vengeance à venir ? Elle le connaissait, elle savait qu’à son retour, après un voyage inutile, elle aurait beau arguer de la prison, elle aurait beau exalter les souffrances subies, le cardinal répondrait avec ce calme railleur du sceptique puissant à la fois par la force et par le génie : «Il ne fallait pas vous laisser prendre !»

Alors Milady réunissait toute son énergie, murmurant au fond de sa pensée le nom de Felton, la seule lueur de jour qui pénétrât jusqu’à elle au fond de l’enfer où elle était tombée ; et comme un serpent qui roule et déroule ses anneaux pour se rendre compte à lui-même de sa force, elle enveloppait d’avance Felton dans les mille replis de son inventive imagination.

Cependant le temps s’écoulait, les heures les unes après les autres semblaient réveiller la cloche en passant, et chaque coup du battant d’airain retentissait sur le coeur de la prisonnière. À neuf heures, Lord de Winter fit sa visite accoutumée, regarda la fenêtre et les barreaux, sonda le parquet et les murs, visita la cheminée et les portes, sans que, pendant cette longue et minutieuse visite, ni lui ni Milady prononçassent une seule parole.

Sans doute que tous deux comprenaient que la situation était devenue trop grave pour perdre le temps en mots inutiles et en colère sans effet.

«Allons, allons, dit le baron en la quittant, vous ne vous sauverez pas encore cette nuit !»

À dix heures, Felton vint placer une sentinelle ; Milady reconnut son pas. Elle le devinait maintenant comme une maîtresse devine celui de l’amant de son coeur, et cependant Milady détestait et méprisait à la fois ce faible fanatique.

Ce n’était point l’heure convenue, Felton n’entra point.

Deux heures après et comme minuit sonnait, la sentinelle fut relevée.

Cette fois c’était l’heure : aussi, à partir de ce moment, Milady attendit-elle avec impatience.

La nouvelle sentinelle commença à se promener dans le corridor.

Au bout de dix minutes Felton vint.

Milady prêta l’oreille.

«Écoutez, dit le jeune homme à la sentinelle, sous aucun prétexte ne t’éloigne de cette porte, car tu sais que la nuit dernière un soldat a été puni par Milord pour avoir quitté son poste un instant, et cependant c’est moi qui, pendant sa courte absence, avais veillé à sa place.

– Oui, je le sais, dit le soldat.

– Je te recommande donc la plus exacte surveillance. Moi, ajouta-t-il, je vais rentrer pour visiter une seconde fois la chambre de cette femme, qui a, j’en ai peur, de sinistres projets sur elle-même et que j’ai reçu l’ordre de surveiller.»

«Bon, murmura Milady, voilà l’austère puritain qui ment !»

Quant au soldat, il se contenta de sourire.

«Peste ! mon lieutenant, dit-il, vous n’êtes pas malheureux d’être chargé de commissions pareilles, surtout si Milord vous a autorisé à regarder jusque dans son lit.»

Felton rougit ; dans toute autre circonstance il eut réprimandé le soldat qui se permettait une pareille plaisanterie ; mais sa conscience murmurait trop haut pour que sa bouche osât parler.

«Si j’appelle, dit-il, viens ; de même que si l’on vient, appelle-moi.

– Oui, mon lieutenant», dit le soldat.

Felton entra chez Milady. Milady se leva.

«Vous voilà ? dit-elle.

– Je vous avais promis de venir, dit Felton, et je suis venu.

– Vous m’avez promis autre chose encore.

– Quoi donc ? mon Dieu ! dit le jeune homme, qui malgré son empire sur lui-même, sentait ses genoux trembler et la sueur poindre sur son front.

– Vous avez promis de m’apporter un couteau, et de me le laisser après notre entretien.

– Ne parlez pas de cela, madame, dit Felton, il n’y a pas de situation, si terrible qu’elle soit, qui autorise une créature de Dieu à se donner la mort. J’ai réfléchi que jamais je ne devais me rendre coupable d’un pareil péché.

– Ah ! vous avez réfléchi ! dit la prisonnière en s’asseyant sur son fauteuil avec un sourire de dédain ; et moi aussi j’ai réfléchi.

– À quoi ?

– Que je n’avais rien à dire à un homme qui ne tenait pas sa parole.

– O mon Dieu ! murmura Felton.

– Vous pouvez vous retirer, dit Milady, je ne parlerai pas.

– Voilà le couteau ! dit Felton tirant de sa poche l’arme que, selon sa promesse, il avait apportée, mais qu’il hésitait à remettre à sa prisonnière.

– Voyons-le, dit Milady.

– Pour quoi faire ?

– Sur l’honneur, je vous le rends à l’instant même ; vous le poserez sur cette table ; et vous resterez entre lui et moi.

Felton tendit l’arme à Milady, qui en examina attentivement la trempe, et qui en essaya la pointe sur le bout de son doigt.

«Bien, dit-elle en rendant le couteau au jeune officier, celui-ci est en bel et bon acier ; vous êtes un fidèle ami, Felton.»

Felton reprit l’arme et la posa sur la table comme il venait d’être convenu avec sa prisonnière.

Milady le suivit des yeux et fit un geste de satisfaction.

«Maintenant, dit-elle, écoutez-moi.»

La recommandation était inutile : le jeune officier se tenait debout devant elle, attendant ses paroles pour les dévorer.

«Felton, dit Milady avec une solennité pleine de mélancolie, Felton, si votre soeur, la fille de votre père, vous disait : «Jeune encore, assez belle par malheur, on m’a fait tomber dans un piège, j’ai résisté ; on a multiplié autour de moi les embûches, les violences, j’ai résisté ; on a blasphémé la religion que je sers, le Dieu que j’adore, parce que j’appelais à mon secours ce Dieu et cette religion, j’ai résisté ; alors on m’a prodigué les outrages, et comme on ne pouvait perdre mon âme, on a voulu à tout jamais flétrir mon corps ; enfin…»

Milady s’arrêta, et un sourire amer passa sur ses lèvres.

«Enfin, dit Felton, enfin qu’a-t-on fait ?

– Enfin, un soir, on résolut de paralyser cette résistance qu’on ne pouvait vaincre : un soir, on mêla à mon eau un narcotique puissant ; à peine eus-je achevé mon repas, que je me sentis tomber peu à peu dans une torpeur inconnue. Quoique je fusse sans défiance, une crainte vague me saisit et j’essayai de lutter contre le sommeil ; je me levai, je voulus courir à la fenêtre, appeler au secours, mais mes jambes refusèrent de me porter ; il me semblait que le plafond s’abaissait sur ma tête et m’écrasait de son poids ; je tendis les bras, j’essayai de parler, je ne pus que pousser des sons inarticulés ; un engourdissement irrésistible s’emparait de moi, je me retins à un fauteuil, sentant que j’allais tomber, mais bientôt cet appui fut insuffisant pour mes bras débiles, je tombai sur un genou, puis sur les deux ; je voulus crier, ma langue était glacée ; Dieu ne me vit ni ne m’entendit sans doute, et je glissai sur le parquet, en proie à un sommeil qui ressemblait à la mort.

«De tout ce qui se passa dans ce sommeil et du temps qui s’écoula pendant sa durée, je n’eus aucun souvenir ; la seule chose que je me rappelle, c’est que je me réveillai couchée dans une chambre ronde, dont l’ameublement était somptueux, et dans laquelle le jour ne pénétrait que par une ouverture au plafond. Du reste, aucune porte ne semblait y donner entrée : on eût dit une magnifique prison.

«Je fus longtemps à pouvoir me rendre compte du lieu où je me trouvais et de tous les détails que je rapporte, mon esprit semblait lutter inutilement pour secouer les pesantes ténèbres de ce sommeil auquel je ne pouvais m’arracher ; j’avais des perceptions vagues d’un espace parcouru, du roulement d’une voiture, d’un rêve horrible dans lequel mes forces se seraient épuisées ; mais tout cela était si sombre et si indistinct dans ma pensée, que ces événements semblaient appartenir à une autre vie que la mienne et cependant mêlée à la mienne par une fantastique dualité.