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Buch lesen: «Le corricolo», Seite 36

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Enfin Oelianus dit que Darius, voyant le combat perdu, monta sur une jument que lui présenta son frère Artaxerce. Or, la monture qu'offre à son roi le guerrier qui s'approche du char est un cheval et non une jument6. Sur ce point, il ne peut pas y avoir de discussion.

Or, l'opinion générale est donc parfaitement absurde.

Passons au second système.

«Il signor Francesco Avellino prétend que c'est la bataille du Granique.»

Prouvons que ce n'est pas plus la bataille du Granique que ce n'est la bataille d'Issus.

La bataille du Granique eut lieu dans les eaux et sur la rive même du fleuve. Les Macédoniens, armés de lances, et Alexandre à leur tête, se précipitèrent dans les flots, repoussèrent les Perses, qui voulaient leur disputer le passage, et s'emparèrent de l'autre bord. Dans cette lutte, Alexandre, qui donnait par sa témérité l'exemple du courage, ayant rompu sa lance, demanda à Arêtès, général de sa cavalerie, de lui prêter la sienne; puis, cette seconde lance rompue comme la première, il en reprit une troisième des mains de Débatrius de Corinthe. Ce fut alors que le fils de Philippe attaqua Mithridate, gendre de Darius, qui poussait son cheval en avant des bataillons persans, et l'ayant frappé dans le flanc d'un premier coup de lance qui demeura sans effet, repoussé qu'il fut par sa cuirasse, lui porta au visage un second coup dont il le renversa. Dans ce moment, Alexandre était tellement acharné contre l'ennemi qu'il combattait, qu'il ne vit point Rosacès qui levait une hache au dessus de sa tête, et qu'il ne put parer le coup, qui ouvrit son casque et lui fit une légère blessure au front. Mais en se sentant frappé, Alexandre se retourna vers lui et lui traversa la poitrine d'un coup d'épée. Outre cette blessure à la tête, Alexandre en avait une seconde que lui avait faite le javelot de Mithridate, et par laquelle il perdait beaucoup de sang. Enfin, Spiridate, qui s'était glissé jusqu'à la croupe de son cheval, levait sa masse et lui en préparait une troisième, probablement plus terrible que les deux autres, lorsque le bras qui allait frapper fut abattu par Clitus. En ce moment, les Macédoniens restés en arrière rejoignirent leur chef, et les Perses, ne pouvant résister aux quarante guerriers d'élite qu'Alexandre appelait ses compagnons, et à la phalange macédonienne, qui les suivait, prirent la fuite, et, avec la victoire, abandonnèrent à Alexandre la possession de l'Ionie, de la Carie, de la Phrygie et des autres portions de l'Asie qui formaient auparavant la puissante monarchie des Lydiens.

Voilà la bataille du Granique telle qu'elle est racontée dans Diodore de Sicile, dans Quinte-Curce et dans Plutarque.

Procédons par ordre.

La bataille du Granique conserva le nom du fleuve, parce qu'elle fut livrée, comme nous l'avons dit, moitié dans l'eau, moitié sur le rivage. Or, il n'y a pas dans la grande mosaïque trace du plus petit ruisseau.

Le guerrier vaincu ne peut être Mithridate, puisque le premier coup que lui porta Alexandre dans le flanc demeura sans effet, et que ce ne fut que du second coup que le héros macédonien lui traversa le visage. Or le cavalier moribond jouit, au contraire, d'un visage parfaitement sain, mais éprouve le désagrément d'avoir le flanc percé de part en part.

Au moment où Alexandre frappait Mithridate, Rosacès, comme nous l'avons dit, s'apprêtait à le frapper lui-même. Or, dans la grande mosaïque, le chef vainqueur est suivi de ses soldats, et parmi ces soldats il n'y a pas plus de Rosacès que de Granique. D'ailleurs, dit l'historien, le coup de hache s'amortit sur le casque d'Alexandre, et le chef vainqueur est nu-tête.

Alexandre, si on se le rappelle, avait deux blessures: celle que lui avait faite Rosacès et celle que lui avait faite Mithridate. Or, le chef vainqueur est au contraire parfaitement invulnéré, et l'on n'aperçoit aucune trace de sang sur ses habits. La cuirasse d'Alexandre, raconte Diodore de Sicile, était ouverte en deux endroits. Or, la cuirasse du chef vainqueur est parfaitement intacte. Enfin, le même historien dit que le bouclier d'Alexandre, le même bouclier qu'il avait enlevé au temple de Minerve, était marqué de trois coups terribles qu'Alexandre avait reçus dans la mêlée. Or, le chef vainqueur n'a pas même de bouclier.

Ce n'est donc pas la bataille du Granique.

XVI
La grande Mosaïque

Continuons nos réfutations:

«Il signor Antonio Niccolini a prétendu que c'était la bataille d'Arbelle.»

Prouvons que ce n'est pas plus la bataille d'Arbelles que ce n'est la bataille du Granique.

Arbelles est le Marengo d'Alexandre. Les chars garnis de faux des Persans et la terrible charge qu'avait faite leur cavalerie avaient mis les Macédoniens en fuite, lorsque le vainqueur d'Issus et du Granique se jeta à la rencontre de Darius, qui combattait à la tête des siens, et d'un coup, destiné au roi des Perses, tua son cocher. Ce coup fut un coup de flèche, disent Plutarque et Diodore de Sicile; et un coup de lance, disent les autres historiens. Mais tant il y a que, de quelque arme qu'il fût frappé, le cocher tomba, et que les Perses, croyant que c'était leur général qui était frappé à mort, perdirent courage et prirent aussitôt la fuite. Ce fut alors que, le char de Darius ne pouvant se retourner à cause de la quantité de cadavres amoncelés autour de lui, le roi des Perses sauta sur une jument, et, comme à la bataille d'Issus, s'enfuit et disparut bientôt au milieu de la poussière qui s'élevait sous les roues des chars et sous les pas des chameaux et des éléphans, ne s'arrêtant, dit Plutarque, que lorsqu'il eut mis le désert tout entier entre lui et son vainqueur.

La victoire d'Arbelles fut donc décidée par la chute du cocher de Darius, qui tomba du char et dont la chute épouvanta les Perses. Or, le cocher de la mosaïque est debout, et bien debout; et, à la façon dont il frappe les chevaux, il y a probabilité qu'il se tirera de la mêlée sain et sauf.

La victoire d'Arbelles fut surtout remarquable par la lutte acharnée des deux cavaleries ennemies. Arrien affirme que cette lutte fut si acharnée, que les cavaliers se prenaient corps à corps et tombaient embrassés sous les pieds de leurs chevaux. Or, il n'y a pas parmi les vingt-huit personnages de la mosaïque deux cavaliers qui combattent de cette façon.

Plutarque, dans la vie de Camille, raconte que la bataille d'Arbelles eut lieu pendant l'automne. Or, la bataille de la mosaïque a lieu pendant l'hiver, et au plus avancé de l'hiver, ainsi que l'arbre dépouillé de son feuillage en fait foi.

Tous les historiens racontent que Darius s'enfuit sur une jument et disparut bientôt, grâce à la poussière qui se levait sous les roues des chars et sous les pas des éléphans et des chameaux. Or, il n'y a dans la mosaïque qu'un seul char, c'est le char du roi; de chameaux et d'éléphans, il n'y en a pas plus que sur la main.

Ce n'est donc pas la bataille d'Arbelles.

«Il signor Carlo Bonnucci a prétendu que c'était la bataille de Platée.»

Prouvons que ce n'est pas plus la bataille de Platée que ce n'est la bataille d'Arbelles.

Selon l'opinion du savant architecte des fouilles, et c'est lui, rappelons-le, qui a découvert la maison du Faune, le chef victorieux de la mosaïque serait Pausanias, roi de Sparte, le guerrier bleu serait Mardonius, gendre du roi des Perses; et le personnage du char serait Artabase, général en second de l'armée barbare.

Certes, nous ne demanderions pas mieux que de nous rallier à l'opinion de M. Charles Bonnucci. M. Charles Bonnucci est non seulement un des hommes les plus savans que j'aie rencontrés, mais c'est encore un des hommes les plus aimables que j'aie vus. Mais, en conscience, nous ne pouvons pas, tout indigne que nous nous reconnaissons de discuter avec un académicien, laisser passer la chose ainsi.

1. Mardonius ne fut pas tué par Pausanias, mais par Aimneste. Ecoutez Hérodote, il s'explique positivement sur ce point: «Mardonius, dit-il, fut tué par Aimneste, illustre citoyen de Sparte, qui depuis mourut lui-même dans une bataille contre les Messéniens.»

2. Non seulement ce ne fut pas Pausanias qui tua Mardonius d'un coup de lance, mais Mardonius, dit toujours le même Hérodote, ne fut pas tué d'un coup de lance, mais d'un coup de pierre.

3. Le guerrier du char ne peut être Artabase, le second chef de l'armée, puisque avant la bataille de Platée, se trouvant en dissidence avec Mardonius relativement au plan de campagne, il ne voulut pas même assister à la bataille; et ayant appris que la victoire avait favorisé les Grecs il se retira en Phocide avec 40,000 hommes qui, ainsi que lui, n'avaient pas assisté au combat.

4. Enfin ce ne peut pas être la bataille de Platée, attendu qu'avant la bataille de Platée les Perses ayant été vaincus dans une rencontre et ayant perdu Maniste, un de leurs chefs, Mardonius avait ordonné qu'en signe de deuil tous les soldats de son armée taillassent leurs cheveux et leurs barbes, et qu'on coupât les crins aux chevaux et aux bêtes de somme. Voyez plutôt Hérodote: «La cavalerie revenue au camp, toute l'armée exprima la douleur qu'elle ressentait de la mort de Maniste, et Mardonius plus que tous les autres. Aussi les Perses se taillèrent-ils la barbe et les cheveux, et coupèrent-ils les crins de leurs bêtes de somme, et jetèrent-ils des cris qui retentirent dans toute la Béotie; et cela venait de ce qu'ils demeuraient privés d'un personnage qui, après Mardonius, était, de l'avis du roi lui-même, le premier parmi tous les Perses.» Or, les cavaliers perses de la mosaïque sont à toute barbe et les chevaux à tous crins.

Ce n'est donc pas la bataille de Platée.

«M. Marchand, car les Français s'en sont mêlés comme les autres, M.

Marchand, dis-je, a prétendu que c'était la bataille de Marathon.»

Je voudrais fort ne pas contredire un compatriote, et surtout un compatriote aussi savant que M. Marchand; mais on m'accuserait de partialité si je ne démantibulais pas Marathon comme j'ai démantibulé Platée, Arbelles, le Granique et Issus.

Prouvons donc que ce n'est pas plus la bataille de Marathon que ce n'est la bataille de Platée.

La bataille de Marathon, gagnée par Miltiade, fut, du côté des Perses, perdue de compte à demi par Datis et Artapherne. M. Marchand voit donc dans Artapherne le général monté sur le char, dans Datis le guerrier blessé, et dans Miltiade le chef vainqueur.

Nous passons Artapherne à M. Marchand, mais, en conscience, nous ne pouvons lui passer Datis ni Miltiade.

Datis, parce qu'il ne fut ni tué ni blessé en cette occasion, puisqu'au dire d'Hérodote il rendit aux vainqueurs, après la bataille, la statue dorée d'Apollon qu'il leur avait enlevée quelques jours auparavant, et se retira sain et sauf en Asie avec le reste de l'armée.

Miltiade, parce qu'il avait cinquante ans à cette époque, et que le chef vainqueur de la mosaïque n'en a que trente.

Quant à l'arbre dépouillé de feuilles, M. Marchand y voit un hiéroglyphe. Selon lui, cet arbre est là pour symboliser la pensée de l'historien, qui dit qu'à Marathon les Athéniens ne furent des hommes ni de chair ni d'os, mais des hommes de bois.

Notre avis est donc, malgré l'arbre symbolique, que ce n'est pas la bataille de Marathon.

«Il signor Luigi Vescorali a prétendu que c'était la défaite des Gaulois à Delphes.»

Prouvons que ce n'est pas plus la défaite des Gaulois à Delphes que ce n'est la bataille de Marathon.

Selon le signor Luigi Vescorali, les assaillans seraient les Grecs, le guerrier blessé serait le brenn ou général, et les soldats vaincus seraient les Gaulois. Quant au personnage du char, comme le signor Luigi Vescorali n'en sait que faire, il n'en fait rien.

D'abord, ce ne sont ni les armes, ni le costume, ni la manière de combattre des Gaulois. Où sont les braies? où sont les longs cheveux blonds? où sont ces lances larges et recourbées? où sont les arcs avec lesquels ils lançaient leurs traits comme la foudre? où sont ces immenses boucliers qui leur servaient de bateaux pour traverser les fleuves? Il n'y a rien de tout cela dans les vaincus de la mosaïque.

Puis écoutez le récit d'Amédée Thierry, récit emprunté à Valère Maxime, à Tite-Live, à Justin et à Pausanias, et jugez:

«On était alors en automne, et durant le combat il s'était formé un de ces orages soudains, si communs dans les hautes chaînes de l'Hellade; il éclata tout à coup, versant dans la montagne des torrens de pluie et de grêle: les prêtres et les devins attachés au temple d'Apollon se saisirent d'un incident propre à frapper l'esprit superstitieux des Grecs. L'oeil hagard et les cheveux hérissés, l'esprit comme aliéné, ils se répandirent dans la ville et dans les rangs de l'armée, criant que le dieu était arrivé: «Il est ici, disaient-ils, nous l'avons vu s'élancer à travers la voûte du temple; elle s'est fendue sous ses pieds: deux vierges armées, Minerve et Diane, l'accompagnent; nous avons entendu le sifflement de leurs arcs et le cliquetis de leurs lances. Accourez, ô Grecs! sur les pas de vos dieux, si vous voulez partager leur victoire.» Ce spectacle, ces discours prononcés au bruit de la foudre, à la lueur des éclairs, remplirent les Hellènes d'un enthousiasme surnaturel; ils se reforment en bataille et se précipitent l'épée haute sur l'ennemi. Les mêmes circonstances agissaient non moins énergiquement, mais en sens contraire, sur les bandes victorieuses: les Gaulois crurent reconnaître le pouvoir d'une divinité, mais d'une divinité irritée. La foudre, à plusieurs reprises, avait frappé leurs bataillons, et ses détonations, répétées par les échos, produisaient autour d'eux un tel retentissement qu'ils n'entendaient plus la voix de leurs chefs. Ceux qui pénétrèrent dans l'intérieur du temple avaient senti le pavé trembler sous leurs pas; ils avaient été saisis par une vapeur épaisse et méphitique qui les consumait et les faisait tomber dans un délire violent. Les historiens rapportent qu'au milieu de ce désordre on vit apparaître trois guerriers d'un aspect sinistre, d'une stature plus qu'humaine, couverts de vieilles armures, et qui frappèrent les Gaulois de leurs lances. Les Delphiens reconnurent, dit-on, les ombres de trois héros, Hyperocus et Laodocus, dont les tombeaux étaient voisins du temple, et Pyrrhus, fils d'Achille. Quant aux Gaulois, une terreur panique les entraîna en désordre jusqu'à leur camp, où ils ne parvinrent qu'à grand'peine, accablés par les traits des Grecs et par la chute d'énormes rocs qui roulaient sur eux du haut du Parnasse.»

Voilà le récit d'Amédée Thierry, c'est-à-dire d'un de nos écrivains les plus savans et les plus consciencieux. Or, je vous prie, où est Delphes? où est le temple? où est la foudre? où est le dieu irrité? où sont les trois guerriers spectres qui combattent pour les Delphiens? où sont ces rocs qui poursuivent les fugitifs en bondissant aux flancs du Parnasse? Rien de tout cela n'est dans la mosaïque. Ce n'est donc point la défaite des Gaulois à Delphes.

«Il signor Filippo de Romanis a prétendu que c'était la rencontre de Drusus avec les Gaulois, près de la ville de Lyon.»

Prouvons que ce n'est pas plus la rencontre de Drusus avec les Gaulois près de la ville de Lyon que ce n'est la défaite des Gaulois à Delphes.

Selon le signor de Romanis, le chef vainqueur de la mosaïque serait Néron Claudius Drusus; le cavalier blessé, un chef gaulois; et le personnage du char, un barde; quant aux noms de ce barde et de ce chef, les noms gaulois sont si barbares et si difficiles à prononcer que le signor de Romanis ne les indique pas même par une pauvre petite initiale.

Il signor de Romanis est de l'avis du proverbe qui dit que quand on prend du galon on n'en saurait trop prendre; pendant qu'il était en train d'inventer un système, il a inventé une bataille: en effet, sa bataille n'a pas plus de nom que son chef gaulois et son barde.

Malheureusement, malgré ce vague si favorable aux théories systématiques, il y a deux choses positives. La première, c'est que les médailles qui restent des Druses ne ressemblent en rien au chef vainqueur de la mosaïque. La seconde, c'est que le prétendu barde monté sur le char tient un arc et non une lyre. Je sais bien qu'un arc est un instrument à corde, mais je doute que jamais les bardes se soient servis d'un arc pour s'accompagner.

J'ai donc grand'peur que la mosaïque ne représente pas la rencontre de Drusus avec les Gaulois près de la ville de Lyon.

«Il signor Pasquale Ponticelli a prétendu que c'était la défaite des Égyptiens par César.»

Prouvons que ce n'est pas plus la défaite des Égyptiens par César que ce n'est la défaite des Gaulois près de la ville de Lyon.

Selon il signor Pasquale Ponticelli, le chef vainqueur est César, le guerrier blessé est Achille, le roi fugitif est Ptolémée.

Il y a tout bonnement une impossibilité par personne citée à ce que cela soit.

Le chef vainqueur de la mosaïque a trente ans à peu près, et à cette époque César en avait cinquante un ou cinquante-deux.

Le guerrier blessé ne peut être le général égyptien Achille, puisque le général égyptien Achille fut, avant la bataille, tué en trahison par l'eunuque Ganimède.

Enfin, le roi fugitif ne peut être Ptolémée, puisque Ptolémée avait à cette époque dix-sept ans à peine, et que le roi vaincu parait en avoir de quarante-cinq à cinquante.

Il est vrai que cela pourrait s'arranger si César cédait à Ptolémée les vingt-un ou vingt-deux ans qu'il a de trop; mais resterait encore le malheureux général Achille, que nous ne saurions, en conscience, ressusciter pour faire plaisir au signor Pasquale Ponticelli.

Nous ne parlons pas des costumes, qui ne s'appliquent ni aux Romains du temps de César, ni aux Egyptiens du temps de Ptolémée.

Mais, dira peut-être il signor Pasquale Ponticelli, ce n'est point de la bataille d'Alexandrie que j'ai voulu parler, mais de la seconde bataille qui rendit César maître de la monarchie égyptienne.

A ceci nous répondrons qu'à cette seconde bataille, le roi Ptolémée, qui, au reste, n'avait que quelques mois de plus qu'à la première, était revêtu d'une cuirasse d'or; puisque, lorsqu'on le retira du Nil, mort et défiguré, ce fut à cette cuirasse qu'on le reconnut.

Or, sur toute la personne du roi fugitif il n'y a pas la moindre apparence de cette cuirasse d'or, qui cependant était assez importante pour que le peintre ne la laissât point à l'arsenal.

Ce n'est donc point la défaite des Egyptiens par César.

«Le marquis Arditi prétend que c'est la mort de Sarpédon.»

Prouvons que ce n'est pas plus la mort de Sarpédon que ce n'est la défaite des Egyptiens par César.

Sarpédon eut deux rencontres avec les Grecs, c'est vrai; près du hêtre sacré, c'est encore vrai; mais, quoique fils de Jupiter, Sarpédon n'était pas heureux en guerre: dans la première, Sarpédon fut blessé, dans la seconde, il fut tué.

Traduisons littéralement Homère, et voyons si le sujet de la mosaïque s'applique le moins du monde à l'une ou l'autre de ces deux rencontres de Sarpédon.

La première de ces deux rencontres eut lieu avec Tlépolème, fils d'Hercule et petit-fils de Jupiter. Sarpédon était par conséquent l'oncle de Tlépolème. Voici comment l'oncle parle au neveu:

«Tlépolème, si Hercule détruisit Troie, la ville sacrée, c'était pour punir la perfidie du fier Laomédon, qui paya par des paroles insolentes celui qui avait si bien agi à son égard, et lui refusa les chevaux pour lesquels il était venu d'aussi loin. Eh bien! je te le dis, tu recevras de moi la mort et le noir enfer, et, frappé de mon javelot, tu me donneras, à moi, la gloire, et ton âme à Pluton.»

Ainsi parla Sarpédon.

Maintenant, voici comment le neveu répond à l'oncle:

«Tlépolème élève son javelot aigu, et les deux longs javelots des guerriers partent de leurs mains. Sarpédon lança le sien, et la pointe alla frapper Tlépolème à la gorge: la sombre nuit de la mort couvrit ses yeux. Tlépolème frappa Sarpédon à la cuisse de son long javelot, et le fer impétueux écarta les chairs et pénétra jusqu'à l'os. Les amis de Sarpédon l'entraînent loin du combat; il porte encore le javelot long et pesant; aucun de ceux qui se pressent autour de lui ne s'en aperçoit et ne pense à retirer le fer dangereux pour qu'il remonte sur son char, tant ils s'étaient empressés de le tirer de ce danger.»

Le guerrier vainqueur de la mosaïque est armé d'une lance et non d'un javelot. Le guerrier vaincu n'a pas lancé son javelot, mais de douleur a laissé tomber sa lance près de lui. Tlépolème n'est pas le moins du monde frappé à la gorge, et Sarpédon est frappé non pas à la cuisse, mais dans le flanc; et la lance, qui n'a pas trouvé d'os pour l'arrêter, passe d'un pied et demi de l'autre côté du corps; de plus, comme cette lance peut avoir douze pieds de long, il serait difficile que les amis de Sarpédon ne s'aperçussent point que, tout fils de Jupiter qu'il est, le héros doit en être incommodé. De plus, ils sont pressés de faire remonter Sarpédon sur son cheval, et le guerrier blessé de la mosaïque est à cheval.

L'artiste n'a donc évidemment pas eu l'idée de représenter ce premier combat; passons au second.

Cette fois, la lutte a lieu entre Sarpédon et Patrocle. Voici comment parle Homère. Nous demandons pardon à nos lecteurs de la simplicité de notre traduction littérale; elle ne ressemble ni à celle du prince Lebrun ni à celle de M. Bitaubé, mais ce n'est pas notre faute.

«Lorsque les deux guerriers se furent approchés en face l'un de l'autre, Patrocle frappa le courageux Trasymèle, qui était le meilleur écuyer de Sarpédon, et, lui lançant un trait dans le ventre, il le renversa à terre. Sarpédon, frappant le second, lance à son tour son javelot aigu et atteint le cheval Pédase à l'épaule droite. Le cheval pousse des cris, tombe au milieu des rênes et meurt: les deux autres s'arrêtent, le timon craque, et les chevaux s'embarrassent, car Pédase gît au milieu des rênes; Automédon tire sa longue épée et coupe le trait à la volée. Ils recommencent alors leur périlleux combat; Sarpédon lance de nouveau à son ennemi un trait aigu: le javelot rase l'épaule gauche de Patrocle, mais ne le touche pas; enfin Patrocle lance son trait, qui ne sort pas inutilement de sa main, mais va frapper à l'endroit où le diaphragme embrasse le coeur nerveux et plein de vie. Sarpédon tombe alors comme un chêne, ou comme un pin que sur la montagne les hommes abattent avec des haches tranchantes.»

Or, le combat de la mosaïque ressemble encore moins à la seconde rencontre de Sarpédon qu'à la première.

Où est Trasymèle, le meilleur écuyer de Sarpédon? où est le cheval Pédase, blessé à l'épaule droite? où est Automédon coupant le trait? où est enfin Sarpédon frappé au coeur? à moins que déjà, du temps d'Homère, les médecins n'aient mis le coeur à droite.

Ce n'est donc pas la mort de Sarpédon.

«Enfin il signor Giuseppe Sanchez a prétendu que c'était une rencontre entre Achille et Hector.»

Prouvons que ce n'est pas plus une rencontre entre Achille et Hector que ce n'est la mort de Sarpédon.

Voici, selon le signor Giuseppe Sanchez, le paragraphe d'Homère auquel le peintre a emprunté son sujet:

Ulysse vient supplier Achille d'oublier l'injure que lui a faite Agamemnon, mais Achille le renvoie plus loin qu'il ne veut aller, et, rappelant les services rendus aux Grecs, il dit:

«Tant que je combattis avec les Grecs, Hector n'osa point lutter avec moi ni s'aventurer hors de ses murs, toujours il restait à la porte de Scée et sous un hêtre; cependant un jour il osa me braver, mais il put à peine échapper à mes coups.»

Nous vous voyons venir, monsieur Sanchez.

Vous n'avez pas voulu choisir un des combats racontés par Homère. Non. Homère poète, peintre, historien, Homère est trop précis, trop descripteur. Il eût été trop facile, Homère à la main, de vous réfuter. Vous avez préféré prendre quelque chose de vague, et vous avez prétendu que l'artiste avait pris à la volée les quelques mois de rodomontade jetés au vent par la colère d'Achille, et qu'il en avait fait un tableau. Ce n'est pas probable; mais, n'importe, admettons votre donnée.

C'est donc la rencontre d'Achille et d'Hector près de la porte de Scée.

D'abord, monsieur Sanchez, Achille avait des chevaux de rechange. Il avait, à cette époque, Xanthe et Balius, fils de Podarge et du Zéphyr, et par conséquent immortels, il avait de plus Pédase, qu'il avait pris au siége de Thèbes, et qui, au dire d'Homère, tout mortel qu'il était, était digne d'être attelé près de ses deux collègues divins.

Mais, quoique Achille dût monter à cheval comme un membre du Jokey-Club ou comme un écuyer de Franconi, Achille ne montait jamais à cheval quand il s'agissait de combattre. Fi donc! les héros comme Achille avaient un char, un automédon pour conduire ce char, et au fond de ce char tout un arsenal de piques et de javelots. Combattre à cheval! pour qui prenez-vous le divin fils de Thétis et de Pelée? C'est bon pour des pleutres et des faquins; mais du temps d'Homère les gens comme il faut combattaient en char. Ecoutez Nestor:

«Contenez vos chevaux, dit-il, prenez garde qu'ils ne portent le désordre dans nos lignes; qu'aucun de vous ne s'abandonne à sa fougueuse ardeur, qu'aucun ne sorte des rangs pour attaquer l'ennemi, qu'aucun ne recule; vous seriez bientôt rompus et défaits. Si quelqu'un est forcé d'abandonner son char pour monter sur un autre, qu'il ne se serve plus que de ses javelots.»

Puis, s'il vous plaît, à cette époque, Achille avait encore ses armes, puisque Patrocle n'était pas mort. Où est donc l'immense bouclier sous lequel gémissait le bras de Patrocle? où est le casque terrible dont le cimier seul, en se balançant, faisait fuir les Troyens? où Achille dit-il que lorsque Hector a fui devant lui, lui Achille était nu-tête? Certes, Achille n'est point assez modeste pour avoir oublié une pareille circonstance.

Donc le chef vainqueur de la mosaïque ne peut être Achille, puisque le vainqueur de la mosaïque n'est pas sur le char d'Achille et ne porte pas les armes d'Achille.

Passons à Hector.

Maintenant, Hector est sur son char, c'est vrai; malheureusement, le chef vaincu de la mosaïque non seulement n'a pas les armes d'Hector, mais encore n'a pas l'âge d'Hector.

Où M. Giuseppe Sanchez a-t-il vu que l'élégant fils de Priam, qui dispute le prix de la beauté à Pâris, le prix du courage à Achille, soit un homme de quarante-cinq à quarante-huit ans? Franchement, quoique Homère ne dise nulle part l'âge d'Achille, tout ce que je peux faire pour M. Sanchez, c'est d'accorder trente ans à Hector.

Puis, j'en demande pardon à M. Sanchez, j'ai lu et relu l'Iliade, et je n'ai vu nulle part qu'Hector se servît d'un arc. C'est Pâris, l'archer de la famille; et Homère est trop adroit pour établir une pareille similitude entre les deux frères. A Hector, il faut les armes offensives du brave; il lui faut les javelots avec lesquels on se bat à vingt pas de distance: il lui faut cette lance au cercle d'or avec laquelle on frappe son ennemi en le joignant; il lui faut l'épée, avec laquelle on lutte corps à corps.

Puis, comme arme défensive, où est ce casque, présent d'Apollon, dont le panache sème la terreur? où est ce grand bouclier qu'il rejette sur ses épaules quand il tourne le dos à l'ennemi et qui le couvre tout entier? où est enfin la cuirasse où s'enfonce si profondément le javelot d'Ajax qu'il déchire jusqu'à sa tunique?

Or, si le guerrier vaincu de la mosaïque n'a pas l'âge d'Hector et n'a pas les armes d'Hector, ce ne peut pas être Hector.

Il en résulte que si l'un ne peut pas être Hector et que l'autre ne puisse pas être Achille, la mosaïque doit nécessairement représenter autre chose que la rencontre d'Achille et d'Hector.

J'en demande pardon à mes lecteurs, mais j'ai voulu prendre les dix systèmes les uns après les autres pour leur prouver qu'il ne faut pas croire trop aveuglément aux systèmes.

Maintenant je pourrais, comme un autre, faire un onzième système, mais je ne donnerai pas ce plaisir à MM. les savans italiens.

Je leur raconterai tout simplement l'histoire d'un pauvre fou que j'ai vu à Charenton, et qui m'a paru non seulement plus sage, mais encore plus logique qu'eux. Sa folie était de se croire un grand peintre, et à son avis il venait d'exécuter son chef-d'oeuvre.

Ce chef-d'oeuvre, recouvert d'une toile verte, était le passage de la mer Rouge par les Hébreux.

Il vous conduisait devant le chef-d'oeuvre, levait la toile verte, et l'on apercevait une toile blanche.

– Voyez, disait-il, voilà mon tableau.

– Et il représente? demandait le visiteur.

– Il représente le passage de la mer Rouge par les Hébreux.

– Pardon, mais où est la mer?

– Elle s'est retirée.

– Où sont les Hébreux?

– Ils sont passés.

– Et les Égyptiens?

– Ils vont venir.

Dites-moi, les savans italiens que nous venons de citer sont-ils aussi sages et surtout aussi logiques que mon fou de Charenton?

6.On se servait particulièrement de jumens pour fuir; car les jumens allaient plus vite que les chevaux, attirées, qu'elles étaient par le désir de retrouver leurs petits.
Altersbeschränkung:
12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
28 September 2017
Umfang:
750 S. 1 Illustration
Rechteinhaber:
Public Domain