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Buch lesen: «Le Collier de la Reine, Tome II», Seite 5

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Chapitre LVI
Un ministre des finances

Nous avons vu que la reine, avant de recevoir Andrée, avait lu un billet de madame de La Motte, et qu'elle avait souri.

Ce billet renfermait seulement ces mots, avec toutes les formules possibles de respect:

«Et Votre Majesté peut être assurée qu'il lui sera fait crédit, et que la marchandise sera livrée de confiance.»

Donc, la reine avait souri, et brûlé le petit billet de Jeanne.

Lorsqu'elle se fut un peu assombrie en la société de mademoiselle de Taverney, madame de Misery vint lui annoncer que monsieur de Calonne attendait l'honneur d'être admis auprès d'elle.

Il n'est pas hors de propos d'expliquer ce nouveau personnage au lecteur. L'histoire le lui a assez fait connaître, mais le roman, qui dessine moins exactement les perspectives et les grands traits, donne peut-être un détail plus satisfaisant à l'imagination.

Monsieur de Calonne était un homme d'esprit, d'infiniment d'esprit même, qui, sortant de cette génération de la dernière moitié du siècle, peu habituée aux larmes, bien que raisonneuse, avait pris son parti du malheur suspendu sur la France, mêlait son intérêt à l'intérêt commun, disait comme Louis XV: «Après nous la fin du monde»; et cherchait partout des fleurs pour parer son dernier jour.

Il savait les affaires, était homme de cour. Tout ce qu'il y eut de femmes illustres par leur esprit, leur richesse et leur beauté, il l'avait cultivé par des hommages pareils à ceux que l'abeille rend aux plantes chargées d'arômes et de sucs.

C'était alors le résumé de toutes les connaissances que la conversation de sept à huit hommes et de dix à douze femmes. Monsieur de Calonne avait pu compter avec d'Alembert, raisonner avec Diderot, railler avec Voltaire, rêver avec Rousseau. Enfin il avait été assez fort pour rire au nez de la popularité de monsieur Necker.

Monsieur Necker le sage et le profond, dont le compte-rendu avait paru éclairer toute la France; Calonne l'ayant bien observé sur toutes ses faces, avait fini par le rendre ridicule, aux yeux même de ceux qui le craignaient le plus, et la reine et le roi, que ce nom faisait tressaillir, ne s'étaient accoutumés qu'en tremblant à l'entendre bafouer par un homme d'état élégant, de bonne humeur, qui, pour répondre à tant de beaux chiffres, se contentait de dire: «À quoi bon prouver qu'on ne peut rien prouver.»

En effet, Necker n'avait prouvé qu'une chose, l'impossibilité où il se trouvait de continuer à gérer les finances. Monsieur de Calonne, lui, les accepta comme un fardeau trop léger pour ses épaules, et dès les premiers moments on peut dire qu'il plia sous le faix.

Que voulait monsieur Necker? Des réformes. Ces réformes partielles épouvantaient tous les esprits. Peu de gens y gagnaient, et ceux qui y gagnaient y gagnaient peu de chose; beaucoup, au contraire, y perdaient et y perdaient trop. Quand Necker voulait opérer une juste répartition de l'impôt, quand il entendait frapper les terres de la noblesse et les revenus du clergé, Necker indiquait brutalement une révolution possible. Il fractionnait la nation et l'affaiblissait d'avance quand il eût fallu concentrer toutes ses forces pour l'amener à un résultat général de rénovation.

Ce but, Necker le signalait et le rendait impossible à atteindre, par cela seulement qu'il le signalait. Parler d'une réforme d'abus à ceux qui ne veulent point que ces abus soient réformés, n'est-ce pas s'exposer à l'opposition des intéressés? Faut-il prévenir l'ennemi de l'heure à laquelle on donnera l'assaut à une place?

C'est ce que Calonne avait compris, plus réellement ami de la nation, en cela, que le Genevois Necker, plus ami, disons-nous, quant aux faits accomplis, car, au lieu de prévenir un mal inévitable, Galonne accélérait l'invasion du fléau.

Son plan était hardi, gigantesque, sûr; il s'agissait d'entraîner en deux ans vers la banqueroute le roi et la noblesse, qui l'eussent retardée de dix ans; puis la banqueroute étant faite, de dire: «Maintenant, riches, payez pour les pauvres, car ils ont faim et dévoreront ceux qui ne les nourriront pas.»

Comment le roi ne vit-il pas tout d'abord les conséquences de ce plan ou ce plan lui-même? Comment lui, qui avait frémi de rage en lisant le compte-rendu, ne frissonna-t-il pas en devinant son ministre? Comment ne choisit-il pas entre les deux systèmes, et préféra-t-il se laisser aller à l'aventure? C'est le seul compte réel que Louis XVI, homme politique, ait à régler avec la postérité. C'était ce fameux principe auquel s'oppose toujours quiconque n'a pas assez de puissance pour couper le mal alors qu'il est invétéré.

Mais pour que le bandeau se soit épaissi de la sorte aux yeux du roi; pour que la reine, si clairvoyante et si nette dans ses aperçus, se soit montrée aussi aveugle que son époux sur la conduite du ministre, l'histoire, on devrait plutôt dire le roman, c'est ici qu'il est le bienvenu, va donner quelques détails indispensables.

Monsieur de Calonne entra chez la reine.

Il était beau, grand de taille et noble de manières; il savait faire rire les reines et pleurer ses maîtresses. Bien assuré que Marie-Antoinette l'avait mandé pour un besoin urgent, il arrivait le sourire sur les lèvres. Tant d'autres fussent venus avec une mine renfrognée pour doubler plus tard le mérite de leur consentement!

La reine aussi fut bien gracieuse, elle fit asseoir le ministre et parla d'abord de mille choses qui n'étaient rien.

– Avons-nous de l'argent, dit-elle ensuite, mon cher monsieur de Calonne?

– De l'argent? s'écria monsieur de Calonne, mais certainement, madame, que nous en avons, nous en avons toujours.

– Voilà qui est merveilleux, reprit la reine, je n'ai jamais connu que vous pour répondre ainsi à des demandes d'argent; comme financier vous êtes incomparable.

– Quelle somme faut-il à Votre Majesté? répliqua Calonne.

– Expliquez-moi d'abord, je vous en prie, comment vous avez fait pour trouver de l'argent là où monsieur Necker disait si bien qu'il n'y en avait pas?

– Monsieur Necker avait raison, madame, il n'y avait plus d'argent dans les coffres, et cela est si vrai que, le jour de mon avènement au ministère, le 5 novembre 1783, on n'oublie pas ces choses-là, madame, en cherchant le trésor public, je ne trouvai dans la caisse que deux sacs de douze cents livres. Il n'y avait pas un denier de moins.

La reine se mit à rire.

– Eh bien! dit-elle.

– Eh bien! madame, si monsieur Necker, au lieu de dire: «Il n'y a plus d'argent», se fût mis à emprunter, comme je l'ai fait, cent millions la première année, et cent vingt-cinq la seconde; s'il était sûr, comme je le suis, d'un nouvel emprunt de quatre-vingt millions pour la troisième, monsieur Necker eût été un vrai financier; tout le monde peut dire: «Il n'y a plus d'argent dans la caisse»; mais tout le monde ne sait pas répondre: «Il y en a.»

– C'est ce que je vous disais; c'est sur quoi je vous félicitais, monsieur. Comment paiera-t – on? voilà la difficulté.

– Oh! madame, répondit Calonne avec un sourire dont nul œil humain ne pouvait mesurer la profonde, l'effrayante signification, je vous réponds bien qu'on paiera.

– Je m'en rapporte à vous, dit la reine, mais causons toujours finances; avec vous, c'est une science pleine d'intérêt; ronce chez les autres, elle est un arbre à fruits chez vous.

Calonne s'inclina.

– Avez-vous quelques nouvelles idées? demanda la reine; donnez m'en la primeur, je vous en prie.

– J'ai une idée, madame, qui mettra vingt millions dans la poche des Français, et sept ou huit millions dans la vôtre; pardon, dans la caisse de Sa Majesté.

– Ces millions seront les bienvenus ici et là. Par où arriveront-ils?

– Votre Majesté n'ignore pas que la monnaie d'or n'a point la même valeur dans tous les états de l'Europe?

– Je le sais. En Espagne, l'or est plus cher qu'en France.

– Votre Majesté a parfaitement raison, et c'est un plaisir que de causer finances avec elle. L'or vaut en Espagne, depuis cinq à six ans, dix-huit onces de plus par marc qu'en France. Il en résulte que les exportateurs gagnent sur un marc d'or qu'ils exportent de France en Espagne la valeur de quatorze onces d'argent à peu près.

– C'est considérable! dit la reine.

– Si bien que, dans un an, continua le ministre, si les capitalistes savaient ce que je sais, il n'y aurait plus chez nous un seul louis d'or.

– Vous allez empêcher cela?

– Immédiatement, madame; je vais hausser la valeur de l'or à quinze marcs quatre onces, un quinzième de bénéfice. Votre Majesté comprend que pas un louis ne restera dans les coffres, quand on saura qu'à la Monnaie ce bénéfice est donné aux porteurs d'or. La refonte de cette monnaie se fera donc, et dans le marc d'or, qui contient aujourd'hui trente louis, nous en trouverons trente-deux.

– Bénéfice présent, bénéfice futur, s'écria la reine. C'est une idée charmante et qui fera fureur.

– Je le crois, madame, et je suis bien heureux qu'elle ait si complètement obtenu votre approbation.

– Ayez-en toujours de pareilles, et je suis bien certaine alors que vous paierez toutes nos dettes.

– Permettez-moi, madame, dit le ministre, d'en revenir à ce que vous désirez de moi.

– Serait-il possible, monsieur, d'avoir en ce moment…

– Quelle somme?

– Oh! beaucoup trop forte peut-être.

Calonne sourit d'une manière qui encouragea la reine.

– Cinq cent mille livres, dit-elle.

– Ah! madame, s'écria-t-il, quelle peur Votre Majesté m'a faite; j'ai cru qu'il s'agissait d'une vraie somme.

– Vous pouvez donc?

– Assurément.

– Sans que le roi…

– Ah! madame, voilà qui est impossible; tous mes comptes sont chaque mois soumis au roi; mais il n'y a pas d'exemples que le roi les ait lus, et je m'en honore.

– Quand pourrai-je compter sur cette somme?

– Quel jour Votre Majesté en a-t-elle besoin?

– Au cinq du mois prochain seulement.

– Les comptes seront ordonnancés le deux; vous aurez votre argent le trois, madame.

– Monsieur de Calonne, merci.

– Mon plus grand bonheur est de plaire à Votre Majesté. Je la supplie de ne jamais se gêner avec ma caisse. Ce sera un plaisir tout d'amour-propre pour son contrôleur-général des finances.

Il s'était levé, avait salué gracieusement; la reine lui donna sa main à baiser.

– Un mot encore, dit-elle.

– J'écoute, madame.

– Cet argent me coûte un remords.

– Un remords… dit-il.

– Oui. C'est pour satisfaire un caprice.

– Tant mieux, tant mieux… Sur la somme, alors, il y aura au moins moitié de vrais bénéfices pour notre industrie, notre commerce ou nos plaisirs.

– Au fait, c'est vrai, murmura la reine, et vous avez une façon charmante de me consoler, monsieur.

– Dieu soit loué! madame; n'ayons jamais d'autres remords que ceux de Votre Majesté, et nous irons droit au paradis.

– C'est que, voyez-vous, monsieur de Calonne, ce serait trop cruel pour moi de faire payer mes caprices au pauvre peuple.

– Eh bien! dit le ministre en appuyant avec son sourire sinistre sur chacune de ses paroles, n'ayons donc plus de scrupules, madame, car, je vous le jure, ce ne sera jamais le pauvre peuple qui paiera.

– Pourquoi? dit la reine surprise.

– Parce que le pauvre peuple n'a plus rien, répondit imperturbablement le ministre, et que là où il n'y a rien le roi perd ses droits.

Il salua et sortit.

Chapitre LVII
Illusions retrouvées. Secret perdu

À peine monsieur de Calonne traversait-il la galerie pour retourner chez lui, que l'ongle d'une main pressée gratta la porte du boudoir de la reine.

Jeanne parut.

– Madame, dit-elle, il est là.

– Le cardinal? demanda la reine, un peu étonnée du mot il, qui signifie tant de choses prononcé par une femme.

Elle n'acheva pas, Jeanne avait déjà introduit monsieur de Rohan et pris congé, en serrant à la dérobée la main du protecteur protégé.

Le prince se trouva seul à trois pas de la reine, à laquelle il fit bien respectueusement les saluts obligés.

La reine, voyant cette réserve pleine de tact, fut touchée; elle tendit sa main au cardinal, qui n'avait pas encore levé les yeux sur elle.

– Monsieur, dit-elle, on m'a rapporté de vous un trait qui efface bien des torts.

– Permettez-moi, dit le prince en tremblant d'une émotion qui n'était pas affectée, permettez-moi, madame, de vous affirmer que les torts dont parle Votre Majesté seraient bien atténués par un mot d'explication entre elle et moi.

– Je ne vous défends point de vous justifier, répliqua la reine avec dignité, mais ce que vous me diriez jetterait une ombre sur l'amour et le respect que j'ai pour mon pays et ma famille. Vous ne pouvez vous disculper qu'en me blessant, monsieur le cardinal. Mais tenez, ne touchons pas à ce feu mal éteint, peut-être il brûlerait encore vos doigts ou les miens; vous voir sous le nouveau jour qui vous a révélé à moi, obligeant, respectueux, dévoué…

– Dévoué jusqu'à la mort, interrompit le cardinal.

– À la bonne heure. Mais, fit Marie-Antoinette en souriant, jusqu'à présent, il ne s'agit que de la ruine. Vous me seriez dévoué jusqu'à la ruine, monsieur le cardinal? C'est fort beau, bien assez beau. Heureusement, j'y mets bon ordre. Vous vivrez et vous ne serez pas ruiné, à moins que, comme on le dit, vous ne vous ruiniez vous-même.

– Madame…

– Ce sont vos affaires. Toutefois, en amie, puisque nous voilà bons amis, je vous donnerai un conseil: soyez économe, c'est une vertu pastorale; le roi vous aimera mieux économe que prodigue.

– Je deviendrai avare pour plaire à Votre Majesté.

– Le roi, reprit la reine avec une nuance délicate, n'aime pas non plus les avares.

– Je deviendrai ce que Votre Majesté voudra, interrompit le cardinal avec une passion mal déguisée.

– Je vous disais donc, coupa brusquement la reine, que vous ne seriez pas ruiné par mon fait. Vous avez répondu pour moi, je vous en remercie, mais j'ai de quoi faire honneur à mes engagements; ne vous occupez donc plus de ces affaires qui, à partir du premier paiement, ne regarderont que moi.

– Pour que l'affaire soit terminée, madame, dit alors le cardinal en s'inclinant, il me reste à offrir le collier à Votre Majesté.

En même temps, il tira de sa poche l'écrin, qu'il présenta à la reine.

Elle ne le regarda même pas, ce qui accusait chez elle un bien grand désir de le voir, et tremblante de joie elle le déposa sur un chiffonnier, mais sous sa main.

Le cardinal essaya ensuite quelques propos de politesse qui furent très bien reçus, puis revint sur ce qu'avait dit la reine à propos de leur réconciliation.

Mais, comme elle s'était promis de ne pas regarder les diamants devant lui, et qu'elle brûlait de les voir, elle ne l'écouta plus qu'avec distraction.

Par distraction aussi elle lui abandonna sa main, qu'il baisa d'un air transporté. Alors il prit congé croyant gêner, ce qui le combla de joie. Un simple ami ne gêne jamais, un indifférent moins encore.

Ainsi se passa cette entrevue, qui ferma toutes les plaies du cœur du cardinal. Il sortit de chez la reine, enthousiasmé, ivre d'espérance, et prêt à prouver à madame de La Motte une reconnaissance sans bornes pour la négociation qu'elle avait si heureusement menée à bien.

Jeanne l'attendait dans son carrosse, cent pas en avant de la barrière; elle reçut la protestation ardente de son amitié.

– Eh bien! dit-elle, après la première explosion de cette gratitude, serez-vous Richelieu ou Mazarin? La lèvre autrichienne vous a-t-elle donné des encouragements d'ambition ou de tendresse? Êtes-vous lancé dans la politique ou dans l'intrigue?

– Ne riez pas, chère comtesse, dit le prince; je suis fou de bonheur.

– Déjà!

– Assistez-moi, et dans trois semaines je puis tenir un ministère.

– Peste! dans trois semaines; comme c'est long; l'échéance des premiers engagements est fixée à quinze jours d'ici.

– Oh! tous les bonheurs arrivent à la fois: la reine a de l'argent, elle paiera; j'aurai eu le mérite de l'intention, seulement. C'est trop peu, comtesse, d'honneur! c'est trop peu. Dieu m'est témoin que j'eusse payé bien volontiers cette réconciliation au prix de cinq cent mille livres.

– Soyez tranquille, interrompit la comtesse en souriant, vous aurez ce mérite-là par-dessus les autres. Y tenez-vous beaucoup?

– J'avoue que je le préférerais; la reine devenue mon obligée…

– Monseigneur, quelque chose me dit que vous jouirez de cette satisfaction. Vous y êtes-vous préparé?

– J'ai fait vendre mes derniers biens et engagé pour l'année prochaine mes revenus et mes bénéfices.

– Vous avez les cinq cent mille livres, alors?

– Je les ai; seulement, après ce paiement fait, je ne saurai plus comment faire.

– Ce paiement, s'écria Jeanne, nous donne un trimestre de tranquillité. En trois mois, que d'événements, bon Dieu!

– C'est vrai; mais le roi me fait dire de ne plus faire de dettes.

– Un séjour de deux mois au ministère vous mettra tous vos comptes au net.

– Oh! comtesse…

– Ne vous révoltez pas. Si vous ne le faisiez pas, vos cousins le feraient.

– Vous avez toujours raison. Où allez-vous?

– Retrouver la reine, savoir l'effet qu'a produit votre présence.

– Très bien. Moi je retourne à Paris.

– Pourquoi? Vous seriez revenu au jeu ce soir. C'est d'une bonne tactique; n'abandonnez pas le terrain.

– Il faut malheureusement que je me trouve à un rendez-vous que j'ai reçu ce matin avant de partir.

– Un rendez-vous?

– Assez sérieux, si j'en juge par le contenu du billet qu'on m'a fait tenir. Voyez…

– Une écriture d'homme! dit la comtesse.

Et elle lut:

«Monseigneur, quelqu'un veut vous entretenir du recouvrement d'une somme importante. Cette personne se présentera ce soir chez vous, à Paris, pour obtenir l'honneur d'une audience.»

– Anonyme… Un mendiant.

– Non, comtesse, on ne s'expose pas de gaieté de cœur à être bâtonné par mes gens pour s'être joué de moi.

– Vous croyez?

– Je ne sais pourquoi, mais il me semble que je connais cette écriture.

– Allez donc, monseigneur; d'ailleurs, on ne risque jamais grand-chose avec les gens qui promettent de l'argent. Ce qu'il y aurait de pis, ce serait qu'ils ne payassent pas. Adieu, monseigneur.

– Comtesse, au bonheur de vous revoir.

– À propos, monseigneur, deux choses.

– Lesquelles?

– Si, par hasard, il allait vous rentrer inopinément une grosse somme?

– Eh bien! comtesse?

– Quelque chose de perdu; une trouvaille! un trésor!

– Je vous entends, espiègle, part à deux, voulez-vous dire?

– Ma foi! monseigneur…

– Vous me portez bonheur, comtesse; pourquoi ne vous en tiendrais je pas compte? Ce sera fait. L'autre chose à présent?

– La voici. Ne vous mettez pas à entamer les cinq cent mille livres.

– Oh! ne craignez rien.

Et ils se séparèrent. Puis le cardinal revint à Paris dans une atmosphère de félicités célestes.

La vie changeait de face pour lui en effet depuis deux heures. S'il n'était qu'amoureux, la reine venait de lui donner plus qu'il n'aurait osé espérer d'elle; s'il était ambitieux, elle lui faisait espérer plus encore.

Le roi, habilement conduit par sa femme, devenait l'instrument d'une fortune que désormais rien ne pourrait arrêter. Le prince Louis se sentait plein d'idées; il avait autant de génie politique que pas un de ses rivaux, il entendait la question d'amélioration, il ralliait le clergé au peuple pour former une de ces solides majorités qui gouvernent longtemps par la force et par le droit.

Mettre à la tête de ce mouvement de réforme la reine, qu'il adorait, et dont il eût changé la désaffection toujours croissante en une popularité sans égale: tel était le rêve du prélat, et ce rêve, un seul mot tendre de la reine Marie-Antoinette pouvait le changer en une réalité.

Alors, l'étourdi renonçait à ses faciles triomphes, le mondain se faisait philosophe, l'oisif devenait un travailleur infatigable. C'est une tâche aisée pour les grands caractères que de changer la pâleur des débauchés contre la fatigue de l'étude. Monsieur de Rohan fût allé loin, traîné par cet attelage ardent que l'on nomme l'amour et l'ambition.

Il se crut à l'œuvre dès son retour à Paris, brûla d'un coup une caisse de billets amoureux, appela son intendant pour ordonner des réformes, fit tailler des plumes par un secrétaire pour écrire des mémoires sur la politique de l'Angleterre, qu'il comprenait à merveille, et, depuis une heure au travail, il commençait à rentrer dans la possession de lui-même, lorsqu'un coup de sonnette l'avertit, dans son cabinet, qu'une visite importante lui arrivait.

Un huissier parut.

– Qui est là? demanda le prélat.

– La personne qui a écrit ce matin à monseigneur.

– Sans signer?

– Oui, monseigneur.

– Mais cette personne a un nom. Demandez-le-lui.

L'huissier revint le moment d'après:

– Monsieur le comte de Cagliostro, dit-il.

Le prince tressaillit.

– Qu'il entre.

Le comte entra, les portes se refermèrent derrière lui.

– Grand Dieu! s'écria le cardinal, qu'est-ce que je vois?

– N'est-ce pas, monseigneur, dit Cagliostro avec un sourire, que je ne suis guère changé?

– Est-il possible… murmura monsieur de Rohan, Joseph Balsamo vivant, lui qu'on disait mort dans cet incendie. Joseph Balsamo…

– Comte de Foenix, vivant, oui, monseigneur, et vivant plus que jamais.

– Mais, monsieur, sous quel nom vous présentez-vous alors… et pourquoi n'avoir pas gardé l'ancien?

– Précisément, monseigneur, parce qu'il est ancien et qu'il rappelle, à moi d'abord, aux autres ensuite, trop de souvenirs tristes ou gênants. Je ne parle que de vous, monseigneur; dites-moi, n'eussiez-vous pas refusé la porte à Joseph Balsamo?

– Moi! mais, non, monsieur, non.

Et le cardinal, encore stupéfait, n'offrait pas même un siège à Cagliostro.

– C'est qu'alors, reprit celui-ci, Votre Éminence a plus de mémoire et de probité que tous les autres hommes ensemble.

– Monsieur, vous m'avez autrefois rendu un tel service…

– N'est-ce pas, monseigneur, interrompit Balsamo, que je n'ai pas changé d'âge, et que je suis un bien bel échantillon des résultats de mes gouttes de vie.

– Je le confesse, monsieur, mais vous êtes au-dessus de l'humanité, vous qui dispensez libéralement l'or et la santé à tous.

– La santé, je ne dis pas, monseigneur; mais l'or… non, oh! non pas…

– Vous ne faites plus d'or?

– Non, monseigneur!

– Et mais pourquoi?

– Parce que j'ai perdu la dernière parcelle d'un ingrédient indispensable que mon maître, le sage Althotas, m'avait donné après sa sortie d'Égypte. La seule recette que je n'aie jamais eue en propre.

– Il l'a gardée?

– Non… c'est-à-dire oui, gardée ou emportée dans le tombeau, comme vous voudrez.

– Il est mort.

– Je l'ai perdu.

– Comment n'avez-vous pas prolongé la vie de cet homme, indispensable receleur de l'indispensable recette, vous qui vous êtes gardé vivant et jeune depuis des siècles, à ce que vous dites?

– Parce que je puis tout contre la maladie, contre la blessure, mais rien contre l'accident qui tue sans qu'on m'appelle.

– Et c'est un accident qui a terminé les jours d'Althotas!

– Vous avez dû l'apprendre, puisque vous saviez ma mort, à moi.

– Cet incendie de la rue Saint-Claude, dans lequel vous avez disparu…

– A tué Althotas tout seul, ou plutôt le sage, fatigué de la vie, a voulu mourir.

– C'est étrange.

– Non, c'est naturel. Moi, j'ai songé cent fois à en finir de vivre à mon tour.

– Oui, mais vous y avez persisté, cependant.

– Parce que j'ai choisi un état de jeunesse dans lequel la belle santé, les passions, les plaisirs du corps me procurent encore quelque distraction; Althotas, au contraire, avait choisi l'état de vieillesse.

– Il fallait qu'Althotas fît comme vous.

– Non pas, il était un homme profond et supérieur, lui; de toutes les choses de ce monde, il ne voulait que la science. Et cette jeunesse au sang impérieux, ces passions, ces plaisirs, l'eussent détourné de l'éternelle contemplation; monseigneur, il importe d'être exempt toujours de fièvre; pour bien penser, il faut pouvoir s'absorber dans une somnolence imperturbable.

«Le vieillard médite mieux que le jeune homme, aussi quand la tristesse le prend, n'y a-t-il plus de remède. Althotas est mort victime de son dévouement à la science. Moi, je vis comme un mondain, je perds mon temps et ne fais absolument rien. Je suis une plante… je n'ose dire une fleur; je ne vis pas, je respire.

– Oh! murmura le cardinal, avec l'homme ressuscité, voilà tous mes étonnements qui renaissent. Vous me rendez, monsieur, à ce temps où la magie de vos paroles, où le merveilleux de vos actions doublaient toutes mes facultés, et rehaussaient à mes yeux la valeur d'une créature. Vous me rappelez les vieux rêves de ma jeunesse. Il y a dix ans, savez – vous, que vous m'ayez apparu.

– Je le sais, nous avons bien baissé tous deux, allez. Monseigneur, moi je ne suis plus un sage, mais un savant. Vous, vous n'êtes plus un beau jeune homme, mais un beau prince. Vous souvient-il, monseigneur, de ce jour où dans mon cabinet, rajeuni aujourd'hui par les tapisseries, je vous promettais l'amour d'une femme dont ma voyante avait consulté les blonds cheveux?

Le cardinal pâlit, puis rougit tout à coup. La terreur et la joie venaient de suspendre successivement les battements de son cœur.

– Je me souviens, dit-il, mais avec confusion…

– Voyons, fit Cagliostro en souriant, voyons si je pourrais encore passer pour un magicien. Attendez que je me fixe sur cette idée.

Il réfléchit.

– Cette blonde enfant de vos rêves amoureux, dit-il après un silence, où est-elle? Que fait-elle? Ah! parbleu! je la vois; oui… et vous-même l'avez vue aujourd'hui. Il y a plus encore, vous sortez d'auprès d'elle.

Le cardinal appuya une main glacée sur son cœur palpitant.

– Monsieur, dit-il si bas que Cagliostro l'entendit à peine, par grâce…

– Voulez-vous que nous parlions d'autre chose? fit le devin avec courtoisie. Oh! je suis bien à vos ordres, monseigneur. Disposez de moi, je vous prie.

Et il s'étendit assez librement sur un sofa que le cardinal avait oublié de lui indiquer depuis le commencement de cette intéressante conversation.

Altersbeschränkung:
12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
28 September 2017
Umfang:
420 S. 1 Illustration
Rechteinhaber:
Public Domain

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