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Beaucoup de Bruit pour Rien

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SCÈNE II

Appartement dans la maison de Léonato
DON PÈDRE, CLAUDIO, BÉNÉDICK ET LÉONATO entrent

DON PÈDRE. – Je n'attends plus que la consommation de votre mariage, et je prends ensuite la route de l'Aragon.

CLAUDIO. – Seigneur, je vous suivrai jusque-là, si vous daignez me le permettre.

DON PÈDRE. – Non, ce serait bien grande honte au début de votre mariage que de montrer à une enfant son habit neuf en lui défendant de le porter. Je ne veux prendre cette liberté qu'avec Bénédick, dont je réclame la compagnie. Depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il est tout enjouement. Il a deux ou trois fois brisé la corde de l'Amour, et le petit fripon n'ose plus s'attaquer à lui. Son coeur est vide comme une cloche, dont sa langue est le battant26; car ce que son coeur pense, sa langue le raconte.

BÉNÉDICK. – Messieurs, je ne suis plus ce que j'étais.

LÉONATO. – C'est ce que je disais; vous me paraissez plus sérieux.

CLAUDIO. – Je crois qu'il est amoureux.

DON PÈDRE. – Au diable le novice! Il n'y a pas en lui une goutte d'honnête sang qui soit susceptible d'être honnêtement touchée par l'amour. S'il est triste, c'est qu'il manque d'argent.

BÉNÉDICK. – J'ai mal aux dents.

DON PÈDRE. – Arrachez votre dent.

BÉNÉDICK. – Qu'elle aille se faire pendre.

CLAUDIO. – Pendez-la d'abord, et arrachez-la ensuite27.

DON PÈDRE. – Quoi! soupirer ainsi pour un mal de dents?

LÉONATO. – Qui n'est qu'une humeur ou un ver.

BÉNÉDICK. – Soit. Tout le monde peut maîtriser le mal, excepté celui qui souffre.

CLAUDIO. – Je répète qu'il est amoureux.

DON PÈDRE. – Il n'y a en lui aucune apparence de caprice28, à moins que ce soit le caprice qu'il a pour les costumes étrangers; comme d'être aujourd'hui un Hollandais, et un Français demain, ou de se montrer à la fois dans le costume de deux pays, Allemand depuis la ceinture jusqu'en bas par de grands pantalons, et Espagnol depuis la hanche jusqu'en haut par le pourpoint; à part son caprice pour cette folie, et il paraît qu'il a ce caprice-là, certainement il n'est pas assez fou pour avoir le caprice que vous voudriez lui attribuer.

CLAUDIO. – S'il n'est pas amoureux de quelque femme, il ne faut plus croire aux anciens signes. Il brosse son chapeau tous les matins; qu'est-ce que cela annonce?

DON PÈDRE. – Quelqu'un l'a-t-il vu chez le barbier?

CLAUDIO. – Non, mais on a vu le garçon du barbier chez lui, et l'ancien ornement de son menton sert déjà à remplir des balles de paume.

LÉONATO. – En effet, il semble plus jeune qu'il n'était avant la perte de sa barbe.

DON PÈDRE. – Comment! il se parfume à la civette. Pourriez-vous deviner son secret par l'odorat?

CLAUDIO. – C'est comme si on disait que le pauvre jeune homme est amoureux.

DON PÈDRE. Ce qu'il y a de plus frappant, c'est sa mélancolie.

CLAUDIO. – A-t-il jamais eu l'habitude de se laver le visage?

DON PÈDRE. – Oui; ou de se farder? Ceci me fait comprendre Ce que vous dites de lui.

CLAUDIO. – Et son esprit plaisant! ce n'est plus aujourd'hui qu'une corde de luth qui ne résonne plus que sous les touches.

DON PÈDRE. – Voilà en effet des témoignages accablants contre lui. – Concluons, concluons, il est amoureux.

CLAUDIO. – Ah! mais je connais celle qui l'aime.

DON PÈDRE. – Pour celle-là, je voudrais la connaître. Une femme, je gage, qui ne le connaît pas.

CLAUDIO. – Oui-dà, et tous ses défauts; et en dépit de tout, elle se meurt d'amour pour lui.

DON PÈDRE. – Elle sera enterrée, le visage tourné vers le ciel.

BÉNÉDICK. – Tout cela n'est pas un charme contre le mal de dents. – Vieux seigneur, venez à l'écart vous promenez avec moi. J'ai étudié huit ou dix mots de bon sens que j'ai à vous dire et que ces étourdis ne doivent pas entendre.

(Bénédick sort avec Léonato.)

DON PÈDRE. – Sur ma vie, il va s'ouvrir à lui au sujet de Béatrice.

CLAUDIO. – Oh! c'est cela même! A l'heure qu'il est Héro et Marguerite ont dû jouer leur rôle avec Béatrice: ainsi nos deux ours ne se mordront plus l'un l'autre quand il se rencontreront.

(Don Juan paraît.)

DON JUAN. – Mon seigneur et frère, Dieu vous garde!

DON PÈDRE. – Bonjour, mon frère.

DON JUAN. – Si votre loisir le permet, je voudrais vous parler.

DON PÈDRE. – En particulier?

DON JUAN. – Si vous le jugez à propos; cependant le comte Claudio peut rester. Ce que j'ai à vous dire l'intéresse.

DON PÈDRE. – De quoi s'agit-il?

DON JUAN, à Claudio. – Votre Seigneurie a-t-elle l'intention de se marier demain?

DON PÈDRE. – Vous savez que oui.

DON JUAN. – Je n'en sais rien… quand il saura ce que je sais.

CLAUDIO. – S'il y a quelque empêchement, dites-le-nous, je vous prie.

DON JUAN. – Vous pouvez croire que je ne vous aime pas; la suite vous en instruira et vous apprendrez à mieux penser de moi par le fait dont je vais vous informer. Quant à mon frère, je vois qu'il fait cas de vous, et c'est par tendresse pour vous qu'il a travaillé à accomplir ce prochain mariage; soins certainement bien mal adressés, peines bien mal employées!

DON PÈDRE. – Comment? De quoi s'agit-il?

DON JUAN. – Je venais vous dire et sans préambule (car elle n'a que trop longtemps servi de texte à nos discours) que votre future est déloyale.

CLAUDIO. – Qui? Héro?

DON JUAN. – Elle-même. L'Héro de Léonato, votre Héro, l'Héro de tout le monde.

CLAUDIO. – Déloyale?

DON JUAN. – Le terme est trop honnête pour peindre toute sa corruption. Je pourrais en dire davantage; imaginez un nom plus odieux, et je vous prouverai qu'elle le mérite. Ne vous étonnez point jusqu'à ce que vous ayez d'autres preuves; venez seulement avec moi cette nuit; vous verrez entrer quelqu'un par la fenêtre de sa chambre, la nuit même avant le jour de ses noces. Si vous l'aimez alors, épousez-la demain; mais il siérait mieux à votre honneur de changer d'idée.

CLAUDIO. – Est-il possible?

DON PÈDRE. – Je ne veux pas le croire.

DON JUAN. – Si vous n'osez pas croire ce que vous verrez, n'avouez pas ce que vous savez. Si vous voulez me suivre, je vous en montrerai assez, et quand vous en aurez vu davantage, entendu davantage, agissez alors en conséquence.

CLAUDIO. – Si je suis cette nuit témoin de quelque chose qui m'empêche de l'épouser demain, je la confondrai dans l'assemblée même où nous devons nous marier.

DON PÈDRE. – Et comme je lui ai fait la cour afin de l'obtenir pour vous, je me joindrai à vous pour la déshonorer.

DON JUAN. – Je m'abstiens de la décrier davantage jusqu'à ce que vous soyez mes témoins. Supportez seulement cette nouvelle avec patience jusqu'à minuit; et qu'alors le fait se prouve de lui-même.

DON PÈDRE. – O jour qui tourne bien mal!

CLAUDIO. – O malheur étrange qui me bouleverse!

DON JUAN. – O fléau prévenu à temps! Voilà ce que vous direz quand vous aurez vu la suite.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

Une rue
Entrent DOGBERRY ET VERGES avec les gardiens de nuit

DOGBERRY. —aux gardiens. – Êtes-vous des gens braves et fidèles?

VERGES. – Oui, sans doute; sinon ce serait dommage qu'ils risquassent le salut de l'âme et du corps.

DOGBERRY. – Ce serait pour eux un châtiment trop doux, pour peu qu'ils aient de sentiments de fidélité, étant choisis pour la garde du prince.

VERGES. – Allons, voisin Dogberry, donnez-leur la consigne.

DOGBERRY. – D'abord, qui croyez-vous le plus incapable29 d'être constable?

PREMIER GARDIEN. —Hugues d'Avoine, ou Georges Charbon, car ils savent tous deux lire et écrire.

DOGBERRY. – Venez ici, voisin Charbon; Dieu vous a favorisé d'un beau nom. Être homme de bonne mine, c'est un don de la fortune. Mais le don d'écrire et de lire nous vient par nature.

SECOND GARDIEN. – Et ces deux choses, monsieur le constable…

DOGBERRY. – Vous les possédez; je savais que ce serait là votre réponse. Allons, quant à votre bonne mine, ami, rendez-en grâce à Dieu et n'en tirez point vanité; et à l'égard de votre talent de lire et d'écrire, faites-le paraître quand on n'aura pas besoin de cette vanité. Vous êtes ici réputé l'homme le plus insensé et capable d'être constable, c'est pourquoi vous porterez le fallot; c'est là votre emploi. Appréhendez au corps tous les vagabonds. Vous devez ordonner à tout passant de s'arrêter au nom du prince.

 

SECOND GARDIEN. – Et s'il ne veut pas s'arrêter?

DOGBERRY. – Alors ne prenez pas garde à lui et laissez-le passer. Sur-le-champ appelez à vous tout le reste de la patrouille, et remerciez Dieu d'être délivré d'un coquin.

VERGES. – S'il refuse de s'arrêter quand on lui ordonne, il n'est pas un sujet du prince.

DOGBERRY. – Sans doute, et ils ne doivent avoir affaire qu'aux sujets du prince. – Vous éviterez aussi de faire du bruit dans les rues; car de voir un gardien de nuit jaser et bavarder, cela est tolérable et ne peut se souffrir.

SECOND GARDIEN. – Nous aimons mieux dormir que bavarder. Nous savons quel est le devoir du guet.

DOGBERRY. – Bien, vous parlez comme un ancien, comme un gardien paisible; car je ne saurais voir en quoi le sommeil peut nuire. Prenez garde seulement qu'on ne vous dérobe vos piques 30. Ensuite vous devez frapper à tous les cabarets, et commander à ceux qui sont ivres d'aller se coucher.

SECOND GARDIEN. – Et s'ils ne le veulent pas?

DOGBERRY. – Alors, laissez-les tranquilles, jusqu'à ce qu'ils soient de sang-froid. S'ils ne vous font pas alors une meilleure réponse, vous pouvez dire qu'ils ne sont pas ceux pour qui vous les aviez pris d'abord.

SECOND GARDIEN. – Fort bien, monsieur.

DOGBERRY. – Si vous rencontrez un voleur, en vertu de votre charge vous pouvez le soupçonner de n'être pas un honnête homme; et quant à cette espèce de gens, le moins que vous pourrez avoir affaire avec eux, ce sera le mieux pour votre probité.

SECOND GARDIEN. – Si nous le connaissons pour un voleur, ne mettrons-nous pas la main sur lui?

DOGBERRY. – Vraiment par votre charge vous le pouvez. Mais je pense que ceux qui touchent le goudron se salissent les mains. Si vous prenez un voleur, la manière la plus tranquille est de le laisser se montrer ce qu'il est, en fuyant votre compagnie.

VERGES. – Assez, mon cher collègue, vous avez toujours été réputé pour un homme miséricordieux.

DOGBERRY. – En vérité je ne voudrais pas être cause de la pendaison d'un chien, bien moins d'un homme qui possède l'honnêteté.

VERGES. – Si vous entendez un enfant crier dans la nuit, vous devez appeler la nourrice et lui commander de le faire taire.

SECOND GARDIEN. – Et si la nourrice est endormie et ne veut pas nous entendre?

DOGBERRY. – Alors allez-vous en paisiblement et laissez l'enfant l'éveiller lui-même par ses cris; car la brebis qui n'entend pas son agneau quand il mugit ne répondra pas aux bêlements du veau.

VERGES. – C'est la vérité.

DOGBERRY. – Voilà toute votre consigne. Vous, constable, vous devez représenter la personne du prince. Si vous rencontrez le prince dans la nuit, vous pouvez l'arrêter.

VERGES. – Non, par Notre-Dame; quant à cela je ne crois pas qu'il le puisse.

DOGBERRY. – Je gage cinq shillings contre un, avec tout homme qui connaît les statues31, qu'il peut l'arrêter. Non pas, à la vérité, sans que le prince y consente; car le guet ne doit offenser personne, et c'est faire offense à un homme que de l'arrêter contre sa volonté.

VERGES. – Par Notre-Dame, je crois que vous avez raison.

DOGBERRY. – Ah! ah! ah! Or çà, bonne nuit, mes maîtres; s'il survient quelque affaire un peu grave, appelez-moi. Gardez les secrets de vos camarades et les vôtres; bonne nuit. – Venez, voisin.

SECOND GARDIEN, à ses camarades. – Ainsi, camarades, nous venons d'entendre notre consigne. Asseyons-nous ici sur ce banc près de l'église jusqu'à deux heures, et de là allons tous nous coucher.

DOGBERRY. – Encore un mot, honnêtes voisins. Je vous en prie, veillez à la porte du seigneur Léonato, car le mariage étant fixé à demain sans faute, il y a grand tumulte cette nuit. Adieu, soyez vigilants, je vous en conjure.

(Dogberry et Verges sortent.) (Entrent Borachio et Conrad.)

BORACHIO. – Conrad, où es-tu?

PREMIER GARDIEN, bas à ses compagnons. – Paix, ne bougez pas.

BORACHIO. – Conrad! dis-je?

CONRAD, en le poussant. – Ici. Je suis à ton coude.

BORACHIO. – Par la messe, le coude me démangeait; je pensais bien qu'il s'ensuivrait quelque croûte.

CONRAD. – Je te devrai une réponse à cela. Poursuis maintenant ton récit.

BORACHIO. – Mettons-nous à couvert sous ce toit; il bruine: et là, comme un vrai ivrogne, je te dirai tout.

SECOND GARDIEN, à part. – Quelque trahison! Restons cois, mes amis.

BORACHIO. – Tu sauras que don Juan m'a promis mille ducats.

CONRAD. – Est-il possible qu'aucune scélératesse soit si chère?

BORACHIO. – Demande plutôt comment il est possible qu'aucun scélérat soit si riche! car lorsque le scélérat riche a besoin du scélérat pauvre, le pauvre peut faire le prix à son gré.

CONRAD. – Tu m'étonnes.

BORACHIO. – Cela prouve que tu es novice; tu sais que la forme d'un pourpoint, ou d'un chapeau, ou d'un manteau, n'est rien dans un homme.

CONRAD. – Cependant c'est une parure!

BORACHIO. – Je veux dire la forme à la mode.

CONRAD. – Oui, la mode est la mode.

BORACHIO. – Bah! autant dire un sot est un sot. Mais ne vois-tu pas quel voleur maladroit est la mode?

UN GARDIEN. – Je connais ce La Mode, c'est un voleur depuis sept ans. Il s'introduit çà et là mis en gentilhomme; je me rappelle son nom.

BORACHIO. – N'as-tu pas entendu quelqu'un?

CONRAD. – Non, c'est la girouette sur le toit.

BORACHIO. – Ne vois-tu pas, dis-je, quel maladroit voleur est la mode? Par quels vertiges elle renverse toutes les têtes chaudes, depuis quatorze ans jusqu'à trente-cinq; parfois elle les affuble comme les soldats de Pharaon dans les tableaux enfumés, tantôt comme les prêtres du dieu Baal dans les vieux vitraux de l'église; quelquefois comme l'Hercule rasé32 dans la tapisserie fanée et rongée des vers, où son petit doigt semble aussi gros que sa massue?

CONRAD. – Je vois tout cela, et que la mode use plus d'habits que l'homme. Mais n'es-tu pas entraîné toi-même par la mode, en t'écartant de ton récit pour me parler de la mode?

BORACHIO. – Nullement. Mais sache que cette nuit j'ai courtisé Marguerite, la suivante de la signora Héro, sous le nom d'Héro; elle m'a tendu la main par la fenêtre de la chambre de sa maîtresse, et m'a dit mille fois adieu! – Je raconte cela horriblement mal. J'aurais dû d'abord te dire que le prince, Claudio et mon maître, placés, postés et prévenus par mon maître don Juan, ont vu de loin, du verger, cette entrevue amoureuse.

CONRAD. – Et ils croyaient que Marguerite était Héro?

BORACHIO. – Deux d'entre eux l'ont cru, le prince et Claudio. Mais mon démon de maître savait que c'était Marguerite. D'un côté, grâce à ses serments qui les ont d'abord séduits; de l'autre, grâce à la nuit obscure qui les a déçus, mais surtout à mon manège qui confirmait toutes les calomnies inventées par don Juan, Claudio est parti plein de rage, jurant d'aller la joindre demain matin au temple à l'heure marquée, et là, devant toute l'assemblée, de la déshonorer par le récit de ce qu'il a vu cette nuit, et de la renvoyer chez elle sans époux.

PREMIER GARDIEN s'avançant. – Nous vous sommons au nom du prince, arrêtez.

SECOND GARDIEN. – Appelez le grand chef constable. Nous avons ici déterré le plus dangereux complot de débauche qui se soit jamais vu dans la république.

PREMIER GARDIEN. – Et un certain La Mode33 est de leur bande; je le connais, il porte une boucle de cheveux.

CONRAD. – Messieurs, messieurs!

PREMIER GARDIEN. – On vous forcera bien de faire comparaître La Mode; je vous le garantis.

CONRAD. – Messieurs!..

PREMIER GARDIEN. – Taisez-vous, nous vous l'ordonnons; nous vous obéirons en vous conduisant.

BORACHIO. – Nous avons l'air de devenir une bonne marchandise, après avoir été ramassés par les piques de ces gens-là.

CONRAD. – Une marchandise compromise, je vous en réponds; venez, nous vous obéirons.

(Ils sortent.)

SCÈNE IV

Appartement dans la maison de Léonato. HÉRO, MARGUERITE, URSULE

HÉRO. – Bonne Ursule, éveillez ma cousine Béatrice, et priez-la de se lever.

URSULE. – J'y vais, madame.

HÉRO. – Et dites-lui de venir ici.

URSULE. – Bien.

(Ursule sort.)

MARGUERITE. – En vérité, je crois que cet autre rabat34 vous siérait mieux.

HÉRO. – Non, je vous prie, chère Marguerite; je veux mettre celui-ci.

MARGUERITE. – Sur ma parole, il n'est pas si beau, et je garantis que votre cousine sera de mon avis.

HÉRO. – Ma cousine est une folle, et vous une autre. Je n'en veux pas porter d'autre que celui-ci.

MARGUERITE. – J'aime tout à fait cette nouvelle coiffure qui est là-dedans; seulement je voudrais les cheveux une idée plus bruns; pour votre robe, elle est en vérité du dernier goût; j'ai vu celle de la duchesse de Milan, cette robe qu'on vante tant…

HÉRO. – Oh! on dit qu'elle est incomparable!

MARGUERITE. – Sur ma vie, ce n'est qu'une robe de nuit auprès de la vôtre. Du drap d'or, des crevés lacés avec du fil d'argent, le bas des manches et le bord des manches garnis de perles, et toute la jupe relevée par un clinquant bleuâtre. Mais pour la grâce, la beauté et le bon goût, la vôtre vaut dix fois la sienne.

HÉRO. – Que Dieu me donne la joie pour la porter; car je me sens le coeur excessivement gros.

MARGUERITE. – Le poids d'un homme le rendra encore plus pesant.

HÉRO. – Fi donc! Marguerite, n'êtes-vous pas honteuse?

MARGUERITE. – De quoi, madame? De parler d'une chose honorable? Le mariage n'est-il pas honorable, même chez un mendiant? Et, le mariage à part, votre seigneur n'est-il pas honorable? Vous auriez voulu, sauf votre respect, que j'eusse dit un mari? Si une mauvaise pensée ne détourne pas le sens d'une expression franche, je n'offense personne. Y a-t-il du mal à dire le poids d'un mari? Aucun, je pense, dès qu'il s'agit d'un mari légitime et d'une femme légitime; sans quoi il serait léger et non pesant. Mais demandez plutôt à la signora Béatrice, la voici.

(Béatrice entre.)

HÉRO. – Bonjour, cousine.

 

BÉATRICE. – Bonjour, ma chère Héro.

HÉRO. – Comment donc! vous parlez sur un ton mélancolique.

BEATRICE. – Je suis hors de tous les autres tons, il me semble.

MARGUERITE. – Entonnez-nous l'air de Lumière d'amour35. Il se chante sans refrain; vous chanterez, moi je danserai.

BÉATRICE. – Oui! Vos talons sont-ils exercés à la mesure de Lumière d'amour? Oh! bien, si votre mari a assez de greniers, vous verrez à ce qu'il ne manque pas de grains36.

MARGUERITE. – O interprétation maligne! Mais j'en ris, les talons en l'air.

BÉATRICE. – Il est près de cinq heures, ma cousine; vous devriez être déjà prête. – Sérieusement, je me sens bien mal. Hélas!

MARGUERITE. – De quoi? – Un faucon, un cheval, ou un mari37.

BÉATRICE. – Oh! celui des trois qui commence par un M38.

MARGUERITE. – Eh bien! Si vous ne vous êtes pas faite turque39, on ne peut plus faire voiles sur la foi des étoiles.

BÉATRICE. – Voyons; que veut dire cette folle?

MARGUERITE. – Rien du tout; mais Dieu veuille envoyer à chacun le désir de son coeur!

HÉRO. – Ces gants, que le comte m'a envoyés, ont un parfum délicieux.

BÉATRICE. – Je suis enchiffrenée, cousine; je ne sens rien.

MARGUERITE. – Fille, et enchiffrenée! il faut qu'il y ait abondance de rhumes.

BÉATRICE. – O Dieu, ayez pitié de nous! O Dieu ayez pitié de nous! Depuis quand faites-vous profession d'esprit?

MARGUERITE. – Depuis que vous y avez renoncé, madame. Mon esprit ne me sied-il pas à ravir?

BÉATRICE. – On ne le voit pas assez; vous devriez le porter sur votre bonnet. – Sérieusement je suis malade.

MARGUERITE. – Procurez-vous un peu d'essence de carduus benedictus40 et appliquez-la sur votre coeur: c'est le seul remède pour les palpitations.

HÉRO. – Tu la piques avec un chardon.

BÉATRICE. —Benedictus? Pourquoi benedictus, s'il vous plaît? Vous cachez quelque moralité41 sous ce benedictus.

MARGUERITE. – Moralité? Non, sur ma parole, je n'ai point d'intention morale. Je parle tout bonnement du chardon bénit. Vous pourriez croire par hasard que je vous soupçonne d'être amoureuse: non, par Notre-Dame, je ne suis pas assez folle pour penser ce que je veux, et je ne veux pas penser ce que je peux, et je ne pourrais penser, quand je penserais à faire perdre la pensée à mou coeur, que vous êtes amoureuse, que vous serez amoureuse ou que vous pouvez être amoureuse. Cependant, jadis Bénédick fut naguère tout de même, et maintenant le voilà devenu un homme. Il jurait de ne se marier jamais, et pourtant, en dépit de son coeur, il mange son plat sans murmure42. A quel point vous pouvez être convertie, je l'ignore; mais il me semble que vous voyez avec vos yeux comme les autres femmes.

BÉATRICE. – De quel pas ta langue est partie!

MARGUERITE. – Ce n'est pas un galop du mauvais pied.

URSULE, accourt. – Vite, retirez-vous, madame: le prince, le comte, le seigneur Bénédick, don Juan et tous les jeunes cavaliers de la ville viennent vous chercher pour aller à l'église.

HÉRO, – Aidez-moi à m'habiller, chère cousine, bonne Ursule, bonne Marguerite.

(Elles sortent.)
26Allusion à un ancien proverbe: As the sound thinks, so the bell clinks. Ce que le son pense, la cloche le chante.
27Hang it! you must hang it first and draw it afterwards.
28Fancy, amour, imagination.
29Dogberry, peu au fait de la valeur des termes, fait mille contre-sens en employant un mot pour l'autre. On devine facilement l'intention du poëte.
30Bills. Pertuisanes, armes de l'ancienne infanterie anglaise.
31Voici quelques-uns des statuts du guet ridiculisés ici par Shakspeare: «Personne ne sifflera passé neuf heures du soir. «Personne n'ira masqué la nuit passé neuf heures du soir. «Nul homme à marteau, forgeron, serrurier, ne travaillera passé neuf heures du soir. «Nul homme ne donnera l'alarme passé neuf heures du soir en battant sa femme, sa servante ou son chien, sous peine de trois shillings d'amende.»
32Pharaon, Hercule, personnages de tapisseries.
33En anglais, c'est le mot deformed que les gardiens prennent pour un nom d'homme.
34Rabato, rabat, collerette.
35Il est aussi question de cet air dans les Deux Gentilshommes de Vérone.
36Barns, greniers, et bairns, vieux mot qui signifie enfant.
37Hawk, Horse or Husband.
38La réponse de Béatrice est moins claire en anglais, elle répond: «C'est la première lettre de tous ces mots, h, qui se prononce en anglais de même qu'ache, douleur.
39Si vous n'avez pas changé d'opinion, de foi.
40Allusion au nom de Bénédick.
41Moralité, la morale d'une fable, le sens caché d'un apologue.
42Proverbe.