Kostenlos

Beaucoup de Bruit pour Rien

Text
iOSAndroidWindows Phone
Wohin soll der Link zur App geschickt werden?
Schließen Sie dieses Fenster erst, wenn Sie den Code auf Ihrem Mobilgerät eingegeben haben
Erneut versuchenLink gesendet

Auf Wunsch des Urheberrechtsinhabers steht dieses Buch nicht als Datei zum Download zur Verfügung.

Sie können es jedoch in unseren mobilen Anwendungen (auch ohne Verbindung zum Internet) und online auf der LitRes-Website lesen.

Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

SCÈNE II

Appartement dans la maison de Léonato

LÉONATO ET ANTONIO

paraissent

LÉONATO. – Eh bien! mon frère, où est mon neveu votre fils? A-t-il pourvu à la musique?



ANTONIO. – Il en est très-occupé. – Mais, mon frère, j'ai à vous apprendre d'étranges nouvelles auxquelles vous n'avez sûrement pas rêvé encore.



LÉONATO. – Sont-elles bonnes?



ANTONIO. – Ce sera suivant l'événement; mais elles ont bonne apparence et s'annoncent bien. Le prince et le comte Claudio se promenant tout à l'heure ici dans une allée sombre de mon verger, ont été secrètement entendus par un de mes gens. Le prince découvrait à Claudio qu'il aimait ma nièce votre fille; il se proposait de le lui confesser cette nuit pendant le bal, et s'il la trouvait consentante, il projetait de saisir l'occasion aux cheveux et de s'en ouvrir à vous, sans tarder.



LÉONATO. – L'homme qui vous a dit ceci a-t-il un peu d'intelligence?



ANTONIO. – C'est un garçon adroit et fin. Je vais l'envoyer chercher. Vous l'interrogerez vous-même.



LÉONATO. – Non, non. Regardons la chose comme un songe, jusqu'à ce qu'elle se montre elle-même. Je veux seulement en prévenir ma fille, afin qu'elle ait une réponse prête, si par hasard ceci se réalisait. (

Plusieurs personnes traversent le théâtre

.) Allez devant et avertissez-la. – Cousins, vous savez ce que vous avez à faire. – Mon ami, je vous demande pardon; venez avec moi, et j'emploierai vos talents. – Mes chers cousins, aidez-moi dans ce moment d'embarras.



(Tous sortent.)

SCÈNE III

Un autre appartement dans la maison de Léonato


Entrent

 DON JUAN ET CONRAD

CONRAD. – Quel mal avez-vous, seigneur? D'où vous vient cette tristesse extrême?



DON JUAN. – Comme la cause de mon chagrin n'a point de bornes, ma tristesse est aussi sans mesure.



CONRAD. – Vous devriez entendre raison.



DON JUAN. – Et quand je l'aurais écoutée, quel fruit m'en reviendrait-il?



CONRAD. – Sinon un remède actuel, du moins la patience.



DON JUAN. – Je m'étonne qu'étant né, comme tu le dis, sous le signe de Saturne, tu veuilles appliquer un topique moral à un mal-désespéré. Je ne puis cacher ce que je suis; il faut que je sois triste lorsque j'en ai sujet. Je ne sais sourire aux bons mots de personne. Je veux manger quand j'ai appétit, sans attendre le loisir de personne; dormir lorsque je me sens assoupi, et ne jamais veiller aux intérêts de personne; rire quand je suis gai, et ne flatter le caprice de personne.



CONRAD. – Oui, mais vous ne devez pas montrer votre caractère à découvert que vous ne le puissiez sans contrôle. Naguère vous avez pris les armes contre votre frère, et il vient de vous rendre ses bonnes grâces; il est impossible que vous preniez racine dans son amitié, si vous ne faites pour cela le beau temps. C'est à vous de préparer la saison qui doit favoriser votre récolte.



DON JUAN. – J'aimerais mieux être la chenille de la haie qu'une rose par ses bienfaits. Le dédain général convient mieux à mon humeur que le soin de me composer un extérieur propre à ravir l'amour de qui que ce soit. Si l'on ne peut me nommer un flatteur honnête homme, du moins on ne peut nier que je ne sois un franc ennemi. Oui, l'on se fie à moi en me muselant, ou l'on m'affranchit en me donnant des entraves. Aussi, j'ai résolu de ne point chanter dans ma cage. Si j'avais la bouche libre, je voudrais mordre; si j'étais libre, je voudrais agir à mon gré: en attendant, laisse-moi être ce que je suis; ne cherche point à me changer.



CONRAD. – Ne pouvez-vous tirer aucun parti de votre mécontentement?



DON JUAN. – J'en tire tout le parti possible, car je ne m'occupe que de cela. – Qui vient ici? Quelles nouvelles, Borachio?



(Entre Borachio.)

BORACHIO. – J'arrive ici d'un grand souper. Léonato traite royalement le prince votre frère, et je puis vous donner connaissance d'un mariage projeté.



DON JUAN. – Est-ce une base sur laquelle on puisse bâtir quelque malice? Nomme-moi le fou qui est si pressé de se fiancer à l'inquiétude.



BORACHIO. – Eh bien! c'est le bras droit de votre frère.



DON JUAN. – Qui? le merveilleux Claudio?



BORACHIO. – Lui-même.



DON JUAN. – Un beau chevalier! Et à qui, à qui? Sur qui jette-t-il les yeux?



BORACHIO. – Diantre! – Sur Héro, la fille et l'héritière de Léonato.



DON JUAN. – Poulette précoce de mars! Comment l'as-tu appris?



BORACHIO. – Comme on m'avait traité en parfumeur, et que j'étais chargé de sécher une chambre qui sentait le moisi, j'ai vu venir à moi Claudio et le prince se tenant par la main. Leur conférence était sérieuse; je me suis caché derrière la tapisserie; de là je les ai entendus concerter ensemble que le prince demanderait Héro pour lui-même, et qu'après l'avoir obtenue il la céderait au comte Claudio.



DON JUAN. – Venez, venez, suivez-moi; ceci peut devenir un aliment pour ma rancune. Ce jeune parvenu a toute la gloire de ma chute. Si je puis lui nuire en quelque manière, je travaille pour moi en tout sens. Vous êtes deux hommes sûrs: vous me servirez?



CONRAD. – Jusqu'à la mort, seigneur.



DON JUAN. – Allons nous rendre à ce grand souper: leur fête est d'autant plus brillante qu'ils m'ont subjugué. Je voudrais que le cuisinier fût du même avis que moi! – Irons-nous essayer ce qu'il y a à faire?



BORACHIO. – Nous accompagnerons Votre Seigneurie.



(Ils sortent.)

FIN DU PREMIER ACTE

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

Une salle du palais de Léonato

LÉONATO, ANTONIO, HÉRO, BÉATRICE

et autres

LÉONATO. – Le comte Jean n'était-il pas au souper?



ANTONIO. – Je ne l'ai point vu.



BÉATRICE. – Quel air aigre a ce gentilhomme! Je ne puis jamais le voir sans sentir une heure après des cuissons à l'estomac

7

7



Heart-burn

.



.



HÉRO. – Il est d'un tempérament fort mélancolique.



BÉATRICE. – Un homme parfait serait celui qui tiendrait le juste milieu entre lui et Bénédick. L'un ressemble trop à une statue qui ne dit mot, l'autre au fils aîné de ma voisine, qui babille sans cesse.



LÉONATO. – Ainsi moitié de la langue du seigneur Bénédick dans la bouche du comte Jean; et moitié de la mélancolie du comte Jean sur le front du seigneur Bénédick…



BÉATRICE. – Avec bon pied, bon oeil et de l'argent dans sa bourse, mon oncle, un homme comme celui-là pourrait gagner telle femme qui soit au monde, pourvu qu'il sût lui plaire.



LÉONATO. – Vous, ma nièce, vous ne gagnerez jamais un époux, si vous avez la langue si bien pendue.



ANTONIO. – En effet, elle est trop maligne.



BÉATRICE. – Trop maligne, c'est plus que maligne; car il est dit que

Dieu envoie à une vache maligne des cornes courtes

8

8



Dat Deus inutili cornua curta bovi

.



; mais à une vache trop maligne, il n'en envoie point.



LÉONATO. – Ainsi, parce que vous êtes trop maligne, Dieu ne vous enverra point de cornes.



BÉATRICE. – Justement, s'il ne m'envoie jamais de mari; et pour obtenir cette grâce, je le prie à genoux chaque matin et chaque soir. Bon Dieu! je ne pourrais supporter un mari avec de la barbe au menton; j'aimerais mieux coucher sur la laine.



LÉONATO. – Vous pourriez tomber sur un mari sans barbe.



BÉATRICE. – Eh! qu'en pourrais-je faire? Le vêtir de mes robes et en faire ma femme de chambre? Celui qui porte barbe n'est plus un enfant; et celui qui n'en a point est moins qu'un homme. Or celui qui n'est plus un enfant n'est pas mon fait, et je ne suis pas le fait de celui qui est moins qu'un homme. C'est pourquoi je prendrai six sous pour arrhes du conducteur d'ours, et je conduirai ses singes en enfer

9

9


  Un vieux proverbe disait:

Les vieilles pucelles conduisent les singes en enfer

.



.



LÉONATO. – Quoi donc? vous iriez donc en enfer?



BÉATRICE. – Non, seulement jusqu'à la porte; et là le diable me viendra recevoir avec des cornes au front comme un vieux misérable, et me dira: Allez au ciel, Béatrice, allez au ciel; il n'y a pas ici de place pour vous autres filles: c'est ainsi que je remets là mes singes et que je vais trouver saint Pierre pour entrer au ciel; il me montre l'endroit où se tiennent les célibataires, et je mène avec eux joyeuse vie tout le long du jour.



ANTONIO. – Très-bien, ma nièce. – (

A Héro

.) j'espère que vous vous laisserez guider par votre père.



BÉATRICE. – Oui, sans doute, c'est le devoir de ma cousine de faire la révérence, et de dire:

Mon père, comme il vous plaira

. Mais, cousine, malgré tout, que le cavalier soit bien tourné; sans quoi, doublez la révérence et dites:

Mon père, comme il vous plaira

.



LÉONATO. – J'espère bien un jour vous voir aussi pourvue d'un mari, ma nièce.



BÉATRICE. – Non pas avant que la Providence fasse les maris d'une autre pâte que la terre. N'y a-t-il pas de quoi désespérer une femme de se voir régentée par un morceau de vaillante poussière, d'être obligée de rendre compte de sa vie à une motte de marne bourrue? Non, mon oncle, je n'en veux point. Les fils d'Adam sont mes frères, et sincèrement je tiens pour péché de me marier dans ma famille.

 



LÉONATO. – Ma fille, souvenez-vous de ce que je vous ai dit. Si le prince vous fait quelques instances de ce genre, vous savez votre réponse.



BÉATRICE. – Si l'on ne vous fait pas la cour à propos, cousine, la faute en sera dans la musique. Si le prince devient trop importun, dites-lui qu'on doit suivre en tout une mesure, dansez-lui votre réponse. Écoutez bien, Héro, la triple affaire de courtiser, d'épouser et de se repentir est une gigue écossaise, un menuet et une sarabande. Les premières propositions sont ardentes et précipitées comme la gigue écossaise, et tout aussi bizarres. Ensuite, l'hymen grave et convenable est comme un vieux menuet plein de décorum. Après suit le repentir qui, de ses deux jambes écloppées, tombe de plus en plus dans la sarabande jusqu'à ce qu'il descende dans le tombeau.



LÉONATO. – Ma nièce, vous voyez les choses d'un trop mauvais côté.



BÉATRICE. – J'ai de bons yeux, mon oncle, je peux voir une église en plein midi.



LÉONATO. – Voici les masques. – (

A Antonio

.) Allons, mon frère, faites placer.



(Entrent don Pèdre, Claudio, Bénédick, Balthazar, don Juan, Borachio, Marguerite, Ursule, et une foule d'autres masques.)

DON PÈDRE,

abordant Héro

. – Daignerez-vous, madame, vous promener avec un ami

10

10



Friend

, un ami; nous disons encore

un bon ami

, dans le même sens.



?



HÉRO. – Pourvu que vous vous promeniez lentement, que vous me regardiez avec douceur, et que vous ne disiez rien, je suis à vous pour la promenade; et surtout si je sors pour me promener.



DON PÈDRE. – Avec moi pour votre compagnie?



HÉRO. – Je pourrai vous le dire quand cela me plaira.



DON PÈDRE. – Et quand vous plaira-il de me le dire?



HÉRO. – Lorsque vos traits me plairont. Mais Dieu nous préserve que le luth ressemble à l'étui.



DON PÈDRE. – Mon masque est le toit de Philémon; Jupiter est dans la maison.



HÉRO. – En ce cas, pourquoi votre masque n'est-il pas en chaume?



DON PÈDRE. – Parlez bas, si vous parlez d'amour.



(Héro et don Pèdre s'éloignent.)

BÉNÉDICK

11

11


  Tout ce dialogue de Marguerite avec Bénédick est attribué, par d'autres, à Balthazar.



. Eh bien! je voudrais vous plaire!



MARGUERITE. – Je ne vous le souhaite pas pour l'amour de vous-même. J'ai mille défauts.



BÉNÉDICK. – Nommez-en un.



MARGUERITE. – Je dis tout haut mes prières.



BÉNÉDICK. – Vous m'en plaisez davantage. L'auditoire peut répondre

ainsi soit-il

.



MARGUERITE. – Veuille le ciel me joindre à un bon danseur!



BÉNÉDICK. – Ainsi soit-il!



MARGUERITE. – Et Dieu veuille l'ôter de ma vue quand la danse sera finie! Répondez, sacristain.



BÉNÉDICK. – Tout est dit; le sacristain a sa réponse.



URSULE. – Je vous connais du reste; vous êtes le seigneur Antonio.



ANTONIO. – En un mot, non.



URSULE. – Je vous reconnais au balancement de votre tête!



ANTONIO. – A dire la vérité, je le contrefais un peu.



URSULE. – Il n'est pas possible de le contrefaire si bien, à moins d'être lui; et voilà sa main sèche

12

12


  Comme signe d'un tempérament froid. Nous disons encore:

Vous avez les mains fraîches, vous devez être fidèle

.



 d'un bout à l'autre. Vous êtes Antonio, vous êtes Antonio.



ANTONIO. – En un mot, non.



URSULE. – Bon, bon; croyez-vous que je ne vous reconnaisse pas à votre esprit? Le mérite se peut-il cacher? Allons, chut! vous êtes Antonio; les grâces se trahissent toujours; et voilà tout.



BÉATRICE. – Vous ne voulez pas me dire qui vous a dit cela?



BÉNÉDICK. – Non; vous me pardonnerez ma discrétion.



BÉATRICE. – Ni me dire qui vous êtes?



BÉNÉDICK. – Pas pour le moment.



BÉATRICE. – On a donc prétendu que j'étais dédaigneuse, et que je puisais mon esprit dans les

Cent joyeux contes

13

13



The hundred merry tales

, collection populaire d'anecdotes licencieuses et de facéties sans finesse, publiée par John Rastell, au commencement du XVIe siècle, et réimprimée, il y a quelques années, par M. Singer, sous le titre:

Shakspeare's Jest Book

.



. Allons, c'est le seigneur Bénédick qui a dit cela.



BÉNÉDICK. Qui est-ce?



BÉATRICE. – Oh! je suis sûr que vous le connaissez bien.



BÉNÉDICK. – Pas du tout, croyez-moi.



BÉATRICE. – Comment, il ne vous a jamais fait rire?



BÉNÉDICK. – De grâce, qui est-ce?



BÉATRICE. – C'est le bouffon du prince, un fou insipide. Tout son talent consiste à débiter d'absurdes médisances. Il n'y a que des libertins qui puissent se plaire en sa compagnie; et encore ce n'est pas son esprit qui le leur rend agréable, mais bien sa méchanceté; il plaît aux hommes et les met en colère. On rit de lui, et on le bâtonne. Je suis sûre qu'il est dans le bal. Oh! je voudrais bien qu'il fût venu m'agacer.



BÉNÉDICK. – Dès que je connaîtrai ce cavalier, je lui dirai ce que vous dites.



BÉATRICE. – Oui, oui; j'en serai quitte pour un ou deux traits malicieux; et encore si par hasard ils ne sont pas remarqués ou s'ils ne font pas rire, le voilà frappé de mélancolie. Et c'est une aile de perdrix d'économisée, car l'insensé ne soupe pas ce soir-là. – (

On entend de la musique dans l'intérieur

). Il faut suivre ceux qui conduisent.



BÉNÉDICK. – Dans toutes les choses bonnes à suivre.



BÉATRICE. – D'accord. Si l'on me conduit vers quelque mauvais pas, je les quitte au premier détour.



(Danse. Tous sortent ensuite excepté don Juan, Borachio et Claudio.)

DON JUAN. – Sûrement mon frère est amoureux d'Héro; je l'ai vu tirant le père à l'écart pour lui en faire l'ouverture. Les dames la suivent, et il ne reste qu'un seul masque.



BORACHIO. – Et ce masque est Claudio, je le reconnais à sa démarche.



DON JUAN. – Seriez-vous le seigneur Bénédick?



CLAUDIO. – Vous ne vous trompez point, c'est moi.



DON JUAN. – Seigneur, vous êtes fort avancé dans les bonnes grâces de mon frère; il est épris de Héro. Je vous prie de le dissuader de cette idée. Héro n'est point d'une naissance égale à la sienne. Vous pouvez jouer en ceci le rôle d'un honnête homme.



CLAUDIO. – Comment savez-vous qu'il l'aime?



DON JUAN. – Je l'ai entendu lui jurer son amour.



BORACHIO. – Et moi aussi; il lui jurait de l'épouser cette nuit.



DON JUAN,

bas à Borachio

. – Viens; allons au banquet.



(Don Juan et Borachio se retirent.)

CLAUDIO

seul

. – Je réponds ainsi sous le nom de Bénédick; mais c'est de l'oreille de Claudio que j'entends ces fatales nouvelles! Rien n'est plus certain. Le prince fait la cour pour son propre compte. Dans toutes les affaires humaines, l'amitié se montre fidèle, hormis dans les affaires d'amour; que tous les coeurs amoureux se servent de leur propre langue; que l'oeil négocie seul pour lui-même, et ne se fie à aucun agent. La beauté est une enchanteresse, et la bonne foi qui s'expose à ses charmes se dissout en sang

14

14


  Allusion aux figures de cire des sorcières. Une ancienne superstition leur attribuait aussi le pouvoir de changer l'eau et le vin en sang.



. C'est une vérité dont la preuve s'offre à toute heure, et dont je ne me défiais pas! Adieu donc, Héro.



(Rentre Bénédick.)

BÉNÉDICK. – Le comte Claudio?



CLAUDIO. – Oui, lui-même.



BÉNÉDICK,

ôtant son masque

. – Voulez-vous me suivre? marchons.



CLAUDIO. – Où?



BÉNÉDICK. – Au pied du premier saule, comte, pour vos affaires. Comment voulez-vous porter la guirlande que nous tresserons? A votre cou comme la chaîne d'un usurier

15

15


  Parure des citoyens opulents du temps de Shakspeare.



, ou sous le bras comme l'écharpe d'un capitaine? Il faut la porter de façon ou d'autre, car le prince s'est emparé de votre Héro.



CLAUDIO. – Je lui souhaite beaucoup de bonheur avec elle.



BÉNÉDICK. – Vraiment vous parlez comme un honnête marchand de bétail; voilà comme ils vendent leurs boeufs. – Mais auriez-vous cru que le prince vous eût traité de cette manière?



CLAUDIO. – De grâce, laissez-moi.



BÉNÉDICK. – Oh! voilà que vous frappez comme un aveugle. C'est l'enfant qui vous a dérobé votre viande, et vous battez la borne

16

16


  Allusion à l'aveugle de Lazarille de Tormes.



.



CLAUDIO. – Puisqu'il ne vous plaît pas de me laisser, je vous laisse, moi.



(Il sort.)

BÉNÉDICK. – Hélas! pauvre oiseau blessé, il va se glisser dans quelque haie. Mais… que Béatrice me connaisse si bien… et pourtant me connaisse si mal! Le bouffon du prince! Ah! il se pourrait bien qu'on me donnât ce titre, parce que je suis jovial. – Non, je suis sujet à me faire injure à moi-même; je ne passe point pour cela. C'est l'esprit méchant, envieux de Béatrice, qui se dit le monde, et me peint sous ces couleurs. Fort bien, je me vengerai de mon mieux.



(Entrent don Pèdre, Héro et Léonato.)

DON PÈDRE. – Ah! signor, où trouverai-je le comte? L'avez-vous vu.



BÉNÉDICK. – Ma foi, seigneur, je viens de jouer le rôle de dame Renommée. J'ai trouvé ici le comte, aussi mélancolique qu'une cabane dans une garenne

17

17


  «Ce qui reste de la fille de Sion est comme une cabane dans un vignoble, comme une loge nocturne dans un jardin de concombres.» (

Isaïe

, chap. 1.)



. Je lui dis, et je crois avoir dit vrai, que Votre Altesse avait conquis les bonnes grâces de cette jeune dame. Puis je lui offre de l'accompagner jusqu'à un saule, soit pour lui tresser une guirlande, comme à un amant délaissé, ou pour lui fournir un faisceau de verges, comme à un homme qui mériterait d'être fouetté.



DON PÈDRE. – D'être fouetté! Et quelle est sa faute?



BÉNÉDICK. – La sottise d'un écolier qui, dans sa joie d'avoir trouvé un nid d'oiseau, le montre à son camarade, et celui-ci le vole.



DON PÈDRE. – Traiterez-vous de faute une marque de confiance? La faute est au voleur.



BÉNÉDICK. – Et cependant il n'eût pas été mal à propos qu'on eut préparé et les verges et la guirlande. Le comte aurait pu porter la guirlande, et il aurait pu donner les verges à Votre Altesse qui, à ce que je crois, lui a volé son nid d'oiseaux.

 



DON PÈDRE. – Je ne veux que leur apprendre à chanter, et les rendre ensuite à leur légitime maître.



BÉNÉDICK. – Si leur chant s'accorde avec votre langage, vous parlez en honnête homme.



DON PÈDRE. – La signora Béatrice vous prépare une querelle. Le cavalier qui dansait avec elle lui a dit que vous lui faisiez beaucoup de tort.



BÉNÉDICK. – Oh! elle m'a maltraité à faire perdre patience à un bloc! Un chêne, n'ayant plus qu'une feuille verte, lui aurait répondu. Mon masque même commençait à prendre vie et à la quereller. Elle m'a dit, sans se douter qu'elle me parlait à moi-même, que j'étais le bouffon du prince, et que j'étais plus insipide qu'un grand dégel. Entassant sarcasmes sur sarcasmes, avec une habileté inconcevable, elle m'en a tant dit que je suis resté comme un homme en butte aux traits de toute une armée qui tire sur lui. Ses propos sont des poignards; chaque mot vous tue. Si son souffle était aussi terrible que ses expressions, il n'y aurait auprès d'elle personne en vie, elle lancerait la mort jusqu'au pôle. – Eût-elle tous les biens dont Adam fut le maître, avant qu'il eût transgressé, je ne voudrais pas d'elle pour mon épouse. Elle eût fait tourner la broche à Hercule, et aurait fendu sa massue pour entretenir le feu. Allons, ne me parlez pas d'elle, c'est l'infernale Àté

18

18


  Déesse de la vengeance ou de la discorde.



 bien habillée. Plût à Dieu que quelque clerc daignât la conjurer! car, tant qu'elle sera sur cette terre, on pourrait vivre en enfer aussi tranquillement que dans un sanctuaire; et les gens pèchent exprès afin d'y arriver plus tôt, tant la peine, le trouble et l'horreur la suivent partout.



(Rentrent Claudio et Béatrice.)

DON PÈDRE. – Regardez, la voici qui vient.



BÉNÉDICK. – Voulez-vous m'envoyer au bout du monde pour votre service? Je vais à l'instant aux antipodes sous le plus léger prétexte que vous puissiez inventer. Je cours vous chercher un cure-dent aux dernières limites de l'Asie, prendre la mesure du pied du Prêtre-Jean

19

19


  Souverain de l'Abyssinie, ou de la Haute-Asie.



, vous chercher un poil de la barbe du grand Cham, négocier quelque ambassade chez les Pygmées, plutôt que de soutenir un entretien de trois paroles avec cette harpie. N'avez-vous aucun emploi à me confier?



DON PÈDRE. – Nul autre que de tenir à votre bonne compagnie.



BÉNÉDICK. – O Dieu! seigneur, vous avez céans un mets qui n'est pas de mon goût; je ne puis souffrir madame

Caquet

.



(Il sort.)

DON PÈDRE. – Je vous apprends, madame, que vous avez perdu le coeur du seigneur Bénédick.



BÉATRICE. – Il est vrai, prince, qu'il me l'a prêté jadis un moment, et je lui en donnai l'intérêt, un coeur double pour un coeur simple. Il m'a regagné son coeur avec des dés pipés. Ainsi Votre Altesse fait bien de dire que je l'ai perdu.



DON PÈDRE. – Vous l'avez mis par terre, madame, vous l'avez mis par terre.



BÉATRICE. – Je serais bien fâchée qu'il prît un jour sa revanche sur moi, seigneur; je craindrais trop d'être la mère de quelques imbéciles. – J'ai amené le comte Claudio que j'ai envoyé chercher.



DON PÈDRE. – Eh bien! qu'avez-vous, comte? Pourquoi êtes-vous triste?



CLAUDIO. – Seigneur, je ne suis point triste.



DON PÈDRE. – Qu'êtes-vous donc? malade?



CLAUDIO. – Ni malade, seigneur.



BÉATRICE. – Le comte n'est ni triste ni malade, ni bien portant ni gai. – Mais vous êtes poli, comte, poli comme une orange, et un peu de la même teinte jalouse.



DON PÈDRE. – Sérieusement, madame, je crois votre blason fidèle; et cependant si Claudio est ainsi, je lui jure que ses soupçons sont injustes. – Voilà, Claudio, j'ai fait la cour en votre nom; et la belle Héro s'est rendue. Je viens de sonder son père; il donne son agrément. Indiquez le jour du mariage, et que Dieu vous rende heureux.



LÉONATO. – Comte, recevez ma fille de ma main, et avec elle ma fortune. Son Altesse a fait le mariage, et que tous y applaudissent.



BÉATRICE. – Parlez, comte, c'est votre tour.



CLAUDIO. – Le silence est l'interprète le plus éloquent de la joie. Je ne serais que faiblement heureux si je pouvais dire combien je le suis. – (

A Héro

.) Si vous êtes à moi, madame, je suis à vous; je me donne en échange de vous, et suis passionnément heureux de ce marché.



BÉATRICE. – Parlez, ma cousine; ou si vous ne pouvez pas, fermez lui la bouche par un baiser, et ne le laissez pas parler non plus.



DON PÈDRE. – En vérité, mademoiselle, vous avez le coeur gai.



BÉATRICE. – Oui, monseigneur, je l'en remercie; le pauvre diable se tient toujours contre le vent du souci. – Ma cousine lui dit à l'oreille qu'il habite dans son coeur.



CLAUDIO. – Et c'est en effet ce qu'elle me dit, ma cousine.



BÉATRICE. – Bon Dieu! voilà donc encore une alliance! – C'est ainsi que chacun entre dans le monde; il n'y a que moi qui sois brûlée du soleil

20

20


  J'ai perdu ma beauté, les maris seront rares.



. Il faut que j'aille m'asseoir dans un coin, pour crier:

Holà! un mari!



DON PÈDRE. – Béatrice, je veux vous en procurer un.



BÉATRICE. – J'aimerais mieux en avoir un de la main de votre père. Votre Altesse n'aurait-elle point un frère qui lui ressemble? Votre père faisait d'excellents maris… si une pauvre fille pouvait atteindre jusqu'à eux.



DON PÈDRE. – Voudriez-vous de moi, madame?



BÉATRICE. – Non, monseigneur, à moins d'en avoir un second pour les jours ouvrables. Votre Altesse est d'un trop grand prix pour qu'on s'en serve tous les jours; mais je vous prie, pardonnez-moi, je suis née pour dire toujours des folies qui n'ont point de fond.



DON PÈDRE. – Votre silence seul me blesse. La gaieté est ce qui vous sied le mieux. Sans aucun doute, vous êtes née dans une heure joyeuse.



BÉATRICE. – Non sûrement, seigneur, ma mère criait, mais une étoile dansait alors, et je naquis sous son aspect. – Cousins, que Dieu vous donne le bonheur!



LÉONATO. – Ma nièce, voulez-vous voir à cette chose dont je vous ai parlé?



BÉATRICE. – Ah! je vous demande pardon, mon oncle; avec la permission de Votre Altesse.



(Elle sort.)

DON PÈDRE. – Voilà sans contredit une femme enjouée.



LÉONATO. – Il est vrai, seigneur, que la mélancolie est un élément qui domine peu chez elle; elle n'est sérieuse que quand elle dort, encore pas toujours. J'ai ouï dire à ma fille que Béatrice rêvait à des malheurs et se réveillait à force de rire.



DON PÈDRE. – Elle ne peut souffrir qu'on lui parle d'un mari.



LÉONATO. – Oh! du tout. Elle décourage tous les aspirants par ses railleries.



DON PÈDRE. – Ce serait une femme parfaite pour Bénédick.



LÉONATO. – Ahl Seigneur! s'ils étaient mariés, monseigneur, seulement huit jours, ils deviendraient fous à force de parler.



DON PÈDRE. – Comte Claudio, quand vous proposez-vous d'aller à l'église?



CLAUDIO. – Demain, seigneur: le temps se traîne sur des béquilles jusqu'à ce que l'Amour ait vu ses rites accomplis.



LÉONAT