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Beaucoup de Bruit pour Rien

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SCÈNE II

Une prison
DOGBERRY ET VERGES paraissent avec le SACRISTAIN, ils sont en robes. BORACHIO ET CONRAD sont devant eux

DOGBERRY. – Toute notre compagnie comparaît-elle enfin?

VERGES. – Vite, un coussin et un tabouret pour le sacristain.

LE SACRISTAIN. – Quels sont les malfaiteurs?

DOGBERRY. – Vraiment, c'est moi-même et mon collègue.

VERGES. – Oui, cela est certain. – Nous sommes commis pour examiner le procès.

LE SACRISTAIN, – Mais quels sont les coupables qui doivent être examinés? Faites-les avancer devant le maître constable.

DOGBERRY. – Oui, qu'ils s'avancent devant moi. Ami, quel est votre nom?

BORACHIO. – Borachio.

DOGBERRY. – Je vous prie, écrivez Borachio. – Et le vôtre, coquin?

CONRAD. – Je suis gentilhomme, monsieur, et mon nom est Conrad.

DOGBERRY. – Écrivez M. le gentilhomme Conrad. – Mes maîtres, servez-vous Dieu?

BORACHIO, CONRAD. – Nous l'espérons bien.

DOGBERRY. – Mettez par écrit qu'ils espèrent bien servir Dieu, et écrivez Dieu le premier. Car à Dieu ne plaise que Dieu marche devant de pareils vauriens! Camarades, il est déjà prouvé que vous ne valez guère mieux que des fripons, et l'on en sera bientôt au point de le croire. Que répondez-vous pour votre défense?

CONRAD. – Diantre! monsieur, nous disons que non.

DOGBERRY. – Voilà un compère étonnamment spirituel, je vous l'assure. – Mais je vais user de détour avec lui. Vous, coquin, venez ici: un mot à l'oreille. Monsieur, je vous dis qu'on vous croit tous deux des fripons.

BORACHIO. – Monsieur, je vous dis que nous ne sommes point ce que vous dites.

DOGBERRY. – Allons, tenez-vous à l'écart. Devant Dieu! ils n'ont qu'une réponse pour deux. Avez-vous mis en écrit qu'ils n'en sont point?

LE SACRISTAIN. – Messire constable, vous ne prenez pas la bonne manière pour les examiner. Vous devriez faire appeler les gardiens qui les accusent.

DOGBERRY. – Oui, sans doute, c'est la voie la plus courte; qu'on fasse comparaître la garde. (On fait venir la garde.) Mes maîtres, je vous somme, au nom du prince, d'accuser ces hommes.

PREMIER GARDIEN. – Cet homme a dit que don Juan, le frère du prince, était un scélérat.

DOGBERRY. – Écrivez, le prince don Juan un scélérat; ce n'est ni plus ni moins qu'un parjure d'appeler le frère d'un prince un scélérat!

BORACHIO. – Monsieur le constable…

DOGBERRY. – Je vous prie, camarade, silence. Votre regard me déplaît, je vous le déclare.

LE SACRISTAIN, au gardien. – Que lui avez-vous entendu dire de plus?

SECOND GARDIEN. – Ma foi! qu'il a reçu de don Juan mille ducats pour accuser faussement la signora Héro.

DOGBERRY. – Ceci est un vol avec effraction, si jamais il s'en est commis.

VERGES. – Oui, par la messe! c'en est un.

LE SACRISTAIN. – Quoi de plus, l'ami?

PREMIER GARDIEN. – Et que le comte Claudio avait résolu, d'après ses propos, de faire affront à Héro devant toute l'assemblée, et de ne pas l'épouser.

DOGBERRY. – O scélérat, tu seras condamné pour ce fait à la rédemption éternelle.

LE SACRISTAIN. – Et quoi encore?

SECOND GARDIEN. – C'est tout.

LE SACRISTAIN. – C'en est plus, messieurs, que vous n'en pouvez nier. Le prince don Juan s'est secrètement évadé ce matin; c'est ainsi qu'Héro a été accusée et refusée; et elle en est tout à coup morte de douleur. Monsieur le constable, faites lier ces hommes et qu'on les conduise devant Léonato. Je vais les précéder et lui montrer leur interrogatoire.

(Il sort.)

DOGBERRY. – Allons aux opinions sur leur sort.

VERGES. – Qu'on les enchaîne.

CONRAD. – Retire-toi, faquin!

DOGBERRY. – O Dieu de ma vie, où est le sacristain? qu'il écrive que l'officier du prince est un faquin. Impudent varlet! Allons; garrottez-les.

CONRAD. – Arrière! tu n'es qu'un âne, tu n'es qu'un âne.

DOGBERRY. – Ne suspectez-vous pas ma place, ne suspectez-vous pas mon âge? Oh! que n'est-il ici pour écrire que je suis un âne! Mais, compagnons, souvenez-vous-en que je suis un âne. Quoique cela ne soit point écrit, n'oubliez pas que je suis un âne. Toi, méchant, tu es plein de piété, comme on le prouvera par bon témoignage. Je suis un homme sage, et qui plus est, un constable, et qui plus est encore, un bourgeois établi, et qui plus est, un homme aussi bien en chair que qui ce soit à Messine; un homme qui connaît la loi, va; un homme qui est riche assez, entends-tu, et qui a souffert des pertes, et qui a deux robes et tout ce qui s'ensuit à l'avenant. Emmenez, emmenez-le. Oh! que n'a-t-on écrit que j'étais un âne!

(Ils sortent.)
FIN DU QUATRIÈME ACTE

ACTE CINQUIÈME

SCÈNE I

Devant la maison de Léonato
Entrent LÉONATO ET ANTONIO

ANTONIO. – Si vous continuez, vous vous tuerez, et il n'est pas sage de servir ainsi le chagrin contre vous-même.

LÉONATO. – De grâce, cessez vos conseils, qui tombent dans mon oreille avec aussi peu de fruit que l'eau dans un crible. Ne me donnez plus d'avis, je ne veux écouter d'autre consolateur qu'un homme dont les malheurs égalent les miens. Amenez-moi un père qui ait autant aimé son enfant, et dont la joie qu'il goûtait en elle ait été anéantie comme la mienne, et dites-lui de me parler de patience. Mesurez la profondeur et l'étendue de sa douleur sur la mienne. Que ses regrets répondent à mes regrets, et que sa douleur soit en tout semblable à la mienne, trait pour trait dans la même forme et dans tous les rapports. Si un tel père veut sourire et se caresser la barbe en s'écriant, chagrin, loin de moi! et faire hum! lorsqu'il devrait gémir; raccommoder son affliction par des adages, et enivrer son infortune avec des buveurs nocturnes; amenez-le moi, et j'apprendrai de lui la patience: mais il n'y a point d'homme semblable. Les hommes, mon frère, peuvent bien donner des conseils et des consolations à la douleur qu'ils ne ressentent point eux-mêmes; mais une fois qu'ils l'ont goûtée, ceux qui prétendaient fournir un remède de maximes à la rage, enchaîner le délire forcené avec un réseau de soie, charmer les mots par les sons, et l'agonie avec des paroles, sont les premiers à changer leurs conseils en fureur. Non, non, c'est le métier de tous les hommes de parler de patience à ceux qui se tordent sous le poids de la douleur: mais il n'est pas au pouvoir de la vertu de l'homme de conserver tant de morale, lorsqu'il supporte lui-même la même souffrance. Ne me donnez donc point de conseils; mes maux crient plus haut que vos maximes.

ANTONIO. – Il s'ensuit que les hommes ne diffèrent en rien des enfants.

LÉONATO. – Je t'en prie, tais-toi; je suis de chair et de sang. Il n'y a jamais eu de philosophe qui pût endurer le mal de dents avec patience; cependant ils ont écrit dans le style des dieux et nargué le sort et la douleur.

ANTONIO. – Du moins ne tournez pas contre vous seul tout le chagrin; faites souffrir aussi ceux qui vous offensent.

LÉONATO. – En ceci vous parlez raison; oui, je le ferai. Mon âme me dit qu'Héro est calomniée; Claudio l'apprendra, le prince aussi, et tous ceux qui la déshonorent.

(Don Pèdre et Claudio entrent.)

ANTONIO. – Voici le prince et Claudio qui s'avancent à grands pas.

DON PÈDRE. – Bonsoir, bonsoir!

CLAUDIO. – Salut à vous deux.

LÉONATO. – Seigneurs, écoutez-moi…

DON PÈDRE. – Léonato, nous sommes un peu pressés

LÉONATO. – Un peu pressés, seigneurs? – Soit, adieu. Seigneurs, vous êtes donc pressés maintenant? Soit; peu importe!

DON PÈDRE. – Ne vous fâchez point contre nous, bon vieillard.

ANTONIO. – S'il pouvait, se fâchant, se faire justice à lui-même, quelques-uns de nous mordraient la poussière.

CLAUDIO. – Qui donc l'offense?

LÉONATO. – Toi, toi, tu m'offenses, toi, homme dissimulé. Va, ne porte point la main à ton épée; je ne te crains pas.

CLAUDIO. – Sur ma parole, je maudirais ma main, si elle donnait un pareil sujet de crainte à votre vieillesse. En vérité, ma main ne voulait rien à mon épée.

LÉONATO. – Fi donc! fi donc! Jeune homme, ne te moque pas et ne plaisante pas de moi! Je ne parle pas en radoteur ou en fou; et je ne me couvre point du privilège de l'âge, pour me vanter des exploits que j'ai faits étant jeune, ou de ceux que je ferais, si je n'étais pas vieux. Retiens, Claudio, ce que je te dis en face; tu as si cruellement outragé mon innocente fille et moi, que je suis forcé de déposer ma gravité et d'en venir, sous ces cheveux blancs et brisé par de longs jours, à te demander la satisfaction qu'un homme doit à un autre. Je te dis que tu as calomnié ma fille innocente, que ta calomnie lui a percé le coeur, et qu'elle est gisante, ensevelie avec ses ancêtres dans une tombe, hélas! où le déshonneur ne dormit jamais, avant celui dont ta lâche perfidie a souillé ma fille.

CLAUDIO. – Ma perfidie!

LÉONATO. – Ta perfidie, Claudio; je dis, la tienne.

DON PÈDRE. – Vous ne dites pas vrai, vieillard.

LÉONATO. – Seigneur, seigneur, je le prouverai sur son corps s'il ose accepter le défi; en dépit de son adresse à l'escrime, de son agilité, en dépit de sa robuste jeunesse et de la fleur de son printemps.

CLAUDIO. – Retirons-nous; je ne veux rien avoir à faire avec vous.

LÉONATO. – Peux-tu me rebuter ainsi? Tu as tué mon enfant; si tu me tues, mon garçon, tu auras tué un homme.

ANTONIO. – Il en tuera deux de nous, et qui sont vraiment des hommes. Mais n'importe; qu'il en tue d'abord un; qu'il vienne à bout de moi. – Laissez-le me faire raison. – Allons, suis-moi, mon garçon; viens, suis-moi. Monsieur le gamin, je parerai vos bottes avec un fouet; oui, comme je suis gentilhomme, je le ferai.

 

LÉONATO. – Mon frère!..

ANTONIO. – Soyez tranquille. Dieu sait que j'aimais ma nièce, et elle est morte, – elle est morte de la calomnie de ces traîtres, qui sont aussi hardis à répondre en face à un homme, que je le suis à prendre un serpent par la langue; des enfants, des singes, des vantards, des faquins, des poules mouillées.

LÉONATO. – Mon frère Antonio!..

ANTONIO. – Tenez-vous tranquille. Eh bien, quoi! – Je les connais bien, vous dis-je, et tout ce qu'ils valent, jusqu'à la dernière drachme. Des enfants tapageurs, impertinents, conduits par la mode, qui mentent, cajolent, raillent, corrompent et calomnient, se mettent au rebours du bon sens, affectent un air terrible, débitent une demi-douzaine de mots menaçants pour dire comment ils frapperaient leurs ennemis s'ils osaient, et voilà tout.

LÉONATO. – Mais, Antonio, mon frère…?

ANTONIO. – Allez, cela ne vous regarde pas; ne vous en mêlez pas; laissez-moi faire.

DON PÈDRE. – Messieurs, nous ne provoquerons point votre colère. – Mon coeur est vraiment affligé de la mort de votre fille. Mais, sur mon honneur, on ne l'a accusée de rien qui ne fût vrai, et dont la preuve ne fût évidente.

LÉONATO. – Seigneur, seigneur!

DON PÈDRE. – Je ne veux pas vous écouter.

LÉONATO. – Non? – Venez, mon frère; marchons. – Je veux qu'on m'écoute.

ANTONIO. – Et on vous écoutera; ou il y aura des gens parmi nous qui le payeront cher.

(Léonato et Antonio s'en vont.)
(Entre Bénédick.)

DON PÈDRE. – Voyez, voyez. Voici l'homme que nous allions chercher.

CLAUDIO. – Eh bien! seigneur? Quelles nouvelles?

BÉNÉDICK, au prince. – Salut, seigneur.

DON PÈDRE. – Soyez le bienvenu, Bénédick. Vous êtes presque venu à temps pour séparer des combattants.

CLAUDIO. – Nous avons été sur le point d'avoir le nez arraché par deux vieillards qui n'ont plus de dents.

DON PÈDRE. – Oui, par Léonato et son frère. Qu'en pensez-vous? Si nous en étions venus aux mains, je ne sais pas si nous aurions été trop jeunes pour eux.

BÉNÉDICK. – Il n'y a jamais de vrai courage dans une querelle injuste. Je suis venu vous chercher tous deux.

CLAUDIO. – Nous avons été à droite et à gauche pour vous chercher; car nous sommes atteints d'une profonde mélancolie, et nous serions charmés d'en être délivrés. Voulez-vous employer à cela votre esprit?

BÉNÉDICK. – Mon esprit est dans mon fourreau. Voulez-vous que je le tire?

DON PÈDRE. – Est-ce que vous portez votre esprit à votre côté?

CLAUDIO. – Cela ne s'est jamais vu, quoique bien des gens soient à côté de leur esprit. Je vous dirai de le tirer, comme on le dit aux musiciens: tirez-le pour nous divertir.

DON PÈDRE. – Aussi vrai que je suis un honnête homme, il pâlit. Êtes-vous malade ou en colère?

CLAUDIO. – Allons, du courage, allons. Quoique le souci ait pu tuer un chat, vous avez assez de coeur pour tuer le souci.

BÉNÉDICK. – Comte, je saurai rencontrer votre esprit en champ clos si vous chargez contre moi. – De grâce, choisissez un autre sujet.

CLAUDIO. – Allons, donnez-lui une autre lance: la dernière a été rompue.

DON PÈDRE. – Par la lumière du jour, il change de couleur de plus en plus. – Je crois, en vérité, qu'il est en colère.

CLAUDIO. – S'il est en colère, il sait tourner sa ceinture52.

BÉNÉDICK. – Pourrai-je vous dire un mot à l'oreille?

CLAUDIO. – Dieu me préserve d'un cartel!

BÉNÉDICK, bas à Claudio. – Vous êtes un lâche traître. Je ne plaisante point. – Je vous le prouverai comme vous voudrez, avec ce que vous voudrez et quand vous voudrez. – Donnez-moi satisfaction, ou je divulguerai votre lâcheté. – Vous avez fait mourir une dame aimable; mais sa mort retombera lourdement sur vous. Donnez-moi de vos nouvelles.

CLAUDIO, bas à Bénédick. – Soit. Je vous joindrai. (Haut.) Préparez-moi bonne chère.

DON PÈDRE. – Quoi? un festin? un festin?

CLAUDIO. – Oui, et je l'en remercie. Il m'a invité à découper une tête de veau et un chapon; si je ne m'en acquitte pas de la manière la plus adroite, dites que mon couteau ne vaut rien. – N'y aura-t-il pas aussi une bécasse?

BÉNÉDICK. – Seigneur, votre esprit trotte bien: il a l'allure aisée.

DON PÈDRE. – Je veux vous raconter comment Béatrice faisait l'autre jour l'éloge de votre esprit. Je lui disais que vous étiez un bel esprit. «Sûrement, dit-elle, c'est un beau petit esprit. – Non pas, lui dis-je, c'est un grand esprit. Oh! oui, répondit-elle, un grand gros esprit. – Ce n'est pas cela, lui dis-je, dites un bon esprit. —Précisément, dit-elle, il ne blesse personne. – Mais, repris-je, le gentilhomme est sage. —Oh! certainement, répliqua-t-elle, un sage gentilhomme. – Comment! poursuivis-je, il possède plusieurs langues. —Je le crois, dit-elle, car il me jurait une chose lundi au soir, qu'il désavoua le mardi matin. Voilà une langue double; voilà deux langues. Enfin elle prit à tâche, pendant une heure entière, de défigurer vos qualités personnelles; et pourtant à la fin elle conclut, en poussant un soupir, que vous étiez le plus bel homme de l'Italie.

CLAUDIO. – Et là-dessus elle pleura de bon coeur, en disant, qu'elle ne s'en embarrassait guère.

DON PÈDRE. – Oui, voilà ce qu'elle dit; mais cependant, avec tout cela, si elle ne le haïssait pas à mort, elle l'aimerait tendrement. – La fille du vieillard nous a tout dit.

CLAUDIO. – Tout, tout, et en outre, Dieu le vit quand il était caché dans le jardin53.

DON PÈDRE. – Mais quand planterons-nous les cornes du buffle sur la tête du sage Bénédick?

CLAUDIO. – Oui; et quand écrirons-nous au-dessous: «Ici loge Bénédick, l'homme marié?»

BÉNÉDICK. – Adieu, mon garçon. Vous savez mes intentions. Je vous laisse à votre joyeux babil; vous faites assaut d'épigrammes, comme les matamores font de leurs lames, qui, grâce à Dieu, ne font pas de mal. – (A don Pèdre.) Seigneur, je vous rends grâces de vos nombreuses bontés; votre frère, le bâtard, s'est enfui de Messine. Vous avez, entre vous tous, tué une aimable et innocente personne. Quant à mon seigneur Sans-barbe, nous nous rencontrerons bientôt, et jusque-là, que la paix soit avec lui.

(Bénédick sort.)

DON PÈDRE. – Il parle sérieusement.

CLAUDIO. – Très-sérieusement; et cela, je vous garantis, pour l'amour de Béatrice.

DON PÈDRE. – Et vous a-t-il défié?

CLAUDIO. – Le plus sincèrement du monde.

DON PÈDRE. – Quelle jolie chose qu'un homme, lorsqu'il sort avec son pourpoint et son haut-de-chausses, et laisse en route son bon sens!

(Entrent Dogberry, Verges, avec Conrad et Borachio conduits par la garde.)

CLAUDIO. – C'est alors un géant devant un singe; mais aussi un singe est un docteur près d'un tel homme.

DON PÈDRE. – Arrêtez! laissons-le. – Réveille-toi, mon coeur, et sois sérieux. Ne nous a-t-il pas dit que mon frère s'était enfui?

DOGBERRY. – Allons, venez çà, monsieur. Si la justice ne vient pas à bout de vous réduire, elle n'aura plus jamais de raisons à peser dans sa balance; oui, et comme vous êtes un hypocrite fieffé, il faut veiller sur vous.

DON PÈDRE. – Que vois-je? deux hommes de mon frère, garrottés! Et Borachio en est un!

CLAUDIO. – Faites-vous instruire, seigneur, de la nature de leur faute.

DON PÈDRE. – Constable, quelle faute ont commise ces deux hommes?

DOGBERRY. – Vraiment, ils ont commis un faux rapport; de plus, ils ont dit des mensonges; en second lieu, ce sont des calomniateurs; et pour sixième et dernier délit, ils ont noirci la réputation d'une dame; troisièmement, ils ont déclaré des choses injustes; et pour conclure, ce sont de fieffés menteurs.

DON PÈDRE. – D'abord, je vous demande ce qu'ils ont fait; troisièmement, je vous demande quelle est leur offense; en sixième et dernier lieu, pourquoi ils sont prisonniers, et pour conclusion, ce dont vous les accusez.

CLAUDIO. – Fort bien raisonné, seigneur! et suivant sa propre division; sur ma conscience, voilà une question bien retournée.

DON PÈDRE. – Messieurs, qui avez-vous offensé, pour être ainsi garrottés et tenus d'en répondre? Ce savant constable est trop fin pour qu'on le comprenne, quel est votre délit?

BORACHIO. – Noble prince, ne permettez pas qu'on me conduise plus loin pour subir mon interrogatoire; entendez-moi vous-même; et qu'ensuite le comte me tue. J'ai abusé vos yeux, et ce que n'a pu découvrir votre prudence, ces imbéciles l'ont relevé à la lumière. Ce sont eux qui, dans l'ombre de la nuit, m'ont entendu avouer à cet homme, comment don Juan, votre frère, m'avait engagé à calomnier la signora Héro; comment vous aviez été conduits dans le verger, et m'aviez vu faire ma cour à Marguerite, vêtue des habits d'Héro; enfin comment vous l'aviez déshonorée au moment où vous deviez l'épouser. Ils ont fait un rapport de toute ma trahison; et j'aime mieux le sceller par ma mort que d'en répéter les détails à ma honte. La dame est morte sur la fausse accusation tramée par moi et par mon maître; et bref, je ne demande autre chose que le salaire dû à un misérable.

DON PÈDRE. – Chacune de ces paroles ne court-elle pas dans votre sang comme de l'acier?

CLAUDIO. – J'avalais du poison pendant qu'il les proférait.

DON PÈDRE, à Borachio. – Mais est-ce mon frère qui t'a incité à ceci?

BORACHIO. – Oui, seigneur; et il m'a richement payé pour l'accomplir.

DON PÈDRE. – C'est un composé de trahison et de perfidie! – Et il s'est enfui après cette scélératesse!

CLAUDIO. – Douce Héro! Ton image revient se présenter à moi, sous les traits célestes qui me l'avaient fait aimer d'abord!

DOGBERRY, à la garde. – Allons, ramenez les plaignants; notre sacristain, à l'heure qu'il est, a réformé le seigneur Léonato de l'affaire. – Et, n'oubliez pas, camarades, de faire mention, en temps et lieu, que je suis un âne.

VERGES. – Voyez, voici venir le seigneur Léonato, et le sacristain aussi.

(Léonato revient avec Antonio et le sacristain.)

LÉONATO. – Quel est le misérable?.. Faites-moi voir ses yeux, afin que, lorsque j'apercevrai un homme qui lui ressemble, je puisse l'éviter; lequel est-ce d'entre eux?

BORACHIO. – Si vous voulez connaître l'auteur de vos maux, regardez-moi.

LÉONATO. – Es-tu le vil esclave dont le souffle a tué mon innocente enfant?

BORACHIO. – Oui; c'est moi seul.

LÉONATO. – Seul? Non, non, misérable, tu te calomnies toi-même. Voilà un couple d'illustres personnages (le troisième s'est enfui) qui y ont mis la main. Je vous rends grâces, princes, de la mort de ma fille. Inscrivez-la parmi vos nobles et beaux exploits. Si vous voulez y réfléchir, c'est une glorieuse action.

CLAUDIO. – Je ne sais comment implorer votre patience; cependant il faut que je parle. Choisissez vous-même votre vengeance; imposez-moi la pénitence que vous pourrez inventer pour punir mon crime; et cependant je n'ai péché que par méprise.

DON PÈDRE. – Et moi de même, sur mon âme; et cependant, pour donner satisfaction à ce digne vieillard, je me courberais sous n'importe quel poids pesant il voudrait m'imposer.

LÉONATO. – Je ne puis vous ordonner de commander à ma fille de vivre; cela est impossible. Mais je vous prie tous deux de proclamer ici, devant tout le peuple de Messine, qu'elle est morte innocente; et si votre amour peut trouver quelques vers touchants, suspendez-les en épitaphe, sur sa tombe et chantez-les sur ses restes. Chantez-les ce soir. – Demain matin, rendez-vous à ma maison, et puisque vous ne pouvez pas être mon gendre, devenez du moins mon neveu. Mon frère a une fille qui est presque trait pour trait le portrait de ma fille qui est morte, et elle est l'unique héritière de nous deux; donnez-lui le titre que vous auriez donné à sa cousine; là expire ma vengeance.

 

CLAUDIO. – O noble seigneur, votre excès de bonté m'arrache des larmes. J'embrasse votre offre, et désormais disposez du pauvre Claudio.

LÉONATO. – Ainsi, demain matin je vous attendrai chez moi; je prends ce soir congé de vous. – Ce misérable sera confronté avec Marguerite qui, je le crois, est complice de cette mauvaise action, et gagnée par votre frère.

BORACHIO. – Non, sur mon âme, elle n'y eut aucune part; et elle ne savait pas ce qu'elle faisait, lorsqu'elle me parlait: au contraire, elle a toujours été juste et vertueuse dans tout ce que j'ai connu d'elle.

DOGBERRY. – En outre, seigneur (ce qui, en vérité, n'a pas été mis en blanc et en noir), ce plaignant que voilà, le criminel, m'a appelé âne. Je vous en conjure, souvenez-vous-en dans sa punition; et encore la garde les a entendus parler d'un certain La Mode: ils disent qu'il porte une clef à son oreille, avec une boucle de cheveux qui y est suspendue, et qu'il emprunte de l'argent au nom de Dieu; ce qu'il a fait si souvent et depuis si longtemps, sans jamais le rendre, qu'aujourd'hui les hommes ont le coeur endurci, et ne veulent rien prêter pour l'amour de Dieu: je vous en prie, examinez-le sur ce chef.

LÉONATO. – Je te remercie de tes peines et de tes bons offices.

DOGBERRY. – Votre Seigneurie parle comme un jeune homme bien reconnaissant et bien vénérable; et je rends grâces à Dieu pour vous.

LÉONATO. – Voilà pour tes peines.

DOGBERRY. – Dieu garde la fondation!

LÉONATO. – Va, je te décharge de ton prisonnier, et je te remercie.

DOGBERRY. – Je laisse un franc vaurien entre les mains de votre Seigneurie, et je conjure votre Seigneurie de le bien châtier vous-même pour l'exemple des autres. Dieu conserve votre Seigneurie! Je fais des voeux pour le bonheur de votre Seigneurie: Dieu vous rende la santé. – Je vous donne humblement la liberté de vous en aller; et si l'on peut vous souhaiter une heureuse rencontre, Dieu nous en préserve! (A Verges.) Allons-nous-en, voisin.

(Dogberry et Verges sortent.)

LÉONATO. – Adieu, seigneurs; jusqu'à demain matin.

ANTONIO. – Adieu, seigneurs, nous vous attendons demain matin.

DON PÈDRE. – Nous n'y manquerons pas.

CLAUDIO. – Cette nuit je pleurerai Héro.

LÉONATO, à la garde. – Emmenez ces hommes avec nous: nous voulons causer avec Marguerite, et savoir comment est venue sa connaissance avec ce mauvais sujet.

52Proverbe; le sens est sans doute: S'il est de mauvaise humeur, qu'il s'occupe à se distraire.
53Allusion profane au passage de l'Écriture (Genèse III), où il est dit que Dieu vit Adam quand il était caché dans le jardin, en même temps qu'à la conversation entendue par Bénédick.