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La vie de Rossini, tome I

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Desdemona, restée seule au milieu de cette nuit terrible, et pendant que les éclats du tonnerre continuent à faire trembler le palais qu'elle habite, adresse au ciel une courte prière, dont le chant n'est pas encore tout ce qu'il pourrait être, mais qui parut cependant bien supérieur à la romance.

Elle s'approche de son lit dont les rideaux qui tombent la dérobent aux spectateurs.

Ici s'exécute, dans les grands théâtres d'Italie, une ritournelle superbe, que la mesquinerie pitoyable de la décoration de Louvois a obligé de supprimer à Paris. Pendant cette ritournelle, on aperçoit à une grande distance, tout à fait au fond de la scène, Othello qui, une lampe à la main et son cangiar nu sous le bras, pénètre dans l'appartement de son amie en descendant l'escalier étroit d'une tourelle. Cet escalier, qui se déploie en tournant, fait que la figure frappante d'Othello, éclairée par sa lampe, au milieu de cette vaste obscurité, disparaît plusieurs fois pour reparaître ensuite, suivant les détours du petit escalier qu'il est obligé de suivre; la lame du cangiar nu, que l'on voit briller de temps à autre éclairée par la lampe, apprend tout au spectateur et le glace d'effroi. Othello arrive enfin sur le devant de la scène, il s'approche du lit, il écarte le rideau. Toute description est ici superflue. Il faut se rappeler la figure superbe et la profonde émotion de Nozzari. Othello pose sa lampe; un coup de vent l'éteint. Il entend Desdemona qui s'écrie dans son sommeil: Amato ben! Les éclairs se succèdent rapidement désormais, comme dans un orage des pays du Midi, et portent la lumière dans cette chambre funeste. Heureusement pour le spectateur qu'il n'entend pas la cruelle sottise de l'auteur du libretto, qui, dans un tel moment, songe encore à faire de l'esprit. Othello s'écrie:

 
Ah! che tra i lampi, il cielo
A me più chiaro il suo delitto addita123!
 

Desdemona se réveille: il y a un duetto assez peu digne de la situation. Othello saisit son cangiar, Desdemona se réfugie vers son lit; comme elle y arrive, elle reçoit le coup mortel. Les rideaux cachent l'affreux spectacle qui a lieu tout au fond de la scène. Au même moment on entend de grands coups à la porte, et le doge paraît… La suite est connue.

Ce fut à une représentation d'Otello, à Venise, dans une de ces soirées de tristesse, ou plutôt de pensive mélancolie, qui, dans les pays du Midi, se rencontrent au milieu de la vie la plus heureuse, qu'à propos des malheurs qui poursuivent les amants véritables, madame Gherardi, de Brescia, nous conta l'histoire d'Hortensia et de Stradella. Elle produisit sur nous un effet que peut-être elle ne fera pas sur le lecteur; cette histoire est d'ailleurs fort connue: malgré tant de désavantages, la voici. Rien n'est ajouté à la vérité; le trait est historique, et peint les mœurs et même le gouvernement de Venise.

Alessandro Stradella était en 1650 le chanteur le plus célèbre de Venise et de toute l'Italie. La composition de la musique était fort simple à cette époque; le maestro n'écrivait presque qu'un canavas; le chanteur était beaucoup plus créateur qu'il ne l'est aujourd'hui, et c'était son génie qui devait trouver presque tous les traits qu'il exécutait. C'est Rossini qui s'est avisé le premier d'écrire exactement tous les ornements, toutes les fioriture que le chanteur doit exécuter. On était bien éloigné de ce système en Italie, vers 1650. Il suivait de là que le charme de la musique était bien plus inhérent à la personne du chanteur, et l'on trouvait qu'aucun de ceux qui étaient alors à la mode n'approchait de Stradella: c'était un proverbe qu'il était le maître du cœur de ses auditeurs. Il vint jouir de sa gloire à Venise, alors la capitale la plus brillante de l'Italie et la ville la plus renommée pour les plaisirs dont on y jouissait et la galanterie de ses mœurs. Stradella fut reçu avec empressement dans les maisons les plus distinguées, et les dames de la première noblesse se disputèrent l'avantage de prendre de ses leçons. Il rencontra dans le monde Hortensia, dame romaine d'une haute naissance, alors veuve, et qui était publiquement courtisée par un noble vénitien d'une des familles les plus puissantes de la république. Il s'en fit aimer. Stradella, dont madame Gherardi nous fit voir le portrait dans le palais d'une de ses amies, le lendemain du jour où elle nous conta son histoire, portait sur une superbe figure une empreinte profonde de mélancolie, et de grands yeux noirs remplis de ce feu contenu qui fait tant d'impression. La perfection où l'école du Titien et du Giorgione avait porté à Venise l'art du portrait, permet encore aujourd'hui de juger parfaitement de la physionomie de Stradella. On n'a pas de peine à croire qu'un tel homme, distingué d'ailleurs par un grand talent, ait pu être aimé avec passion et l'emporter sur un grand seigneur, quoique lui-même sans fortune; il enleva Hortensia au noble vénitien. Les deux amants ne devaient plus songer qu'à sortir rapidement du territoire de la république. Ils se retirèrent à Rome, où ils se firent passer pour mariés. Mais, redoutant la vengeance du Vénitien, ils ne se rendirent point directement dans la patrie d'Hortensia; ils firent de grands détours, et, une fois arrivés, prirent un logement dans une partie de Rome fort déserte, et évitèrent de paraître dans les lieux fréquentés. Les assassins que le noble vénitien avait lancés à leur poursuite furent longtemps à les découvrir. Après les avoir inutilement cherchés dans les principales villes d'Italie, ils arrivèrent à Rome un soir qu'il y avait une grande funzione accompagnée de musique dans l'église de Saint-Jean-de-Latran; ils y entrèrent avec la foule, ils virent Stradella. Ravis d'avoir enfin trouvé leur victime au moment où ils désespéraient presque de la rencontrer, ils résolurent de ne pas perdre de temps et d'exécuter la commission pour laquelle ils étaient payés, au sortir même de Saint-Jean-de-Latran; ils se mirent à parcourir l'église dans tous les sens, pour voir si Hortensia ne serait pas parmi les spectateurs. Ils étaient tout occupés de leurs recherches, lorsque, après d'autres morceaux exécutés par des artistes vulgaires, Stradella commença enfin à chanter. Ils s'arrêtèrent, ils écoutèrent malgré eux cette voix sublime. Ces assassins l'avaient à peine entendue quelques instants, qu'ils se sentirent touchés: il n'y avait au monde qu'un seul artiste de cette perfection, et ils allaient éteindre pour jamais une voix si touchante! Ils eurent des remords, ils répandirent des larmes, et enfin le grand morceau de Stradella n'était pas fini qu'ils ne songeaient plus qu'à sauver les amants, dont, en recevant leur salaire, ils avaient juré la mort sur le livre des saints Évangiles. La cérémonie terminée, ils attendent longtemps Stradella en dehors de l'église; ils le voient enfin sortir par une petite porte dérobée, avec Hortensia. Ils s'approchent, le remercient du plaisir qu'il vient de leur donner, et lui avouent que c'est à l'impression que sa voix a faite sur eux et à l'attendrissement qu'elle leur a donné qu'il est redevable de la vie; ils lui expliquent l'affreux motif de leur voyage, et lui conseillent de quitter Rome sans délai, afin qu'ils puissent faire croire au Vénitien jaloux qu'ils sont arrivés trop tard.

Stradella et son amie comprennent toute l'importance du conseil qu'on leur donne, frètent un navire, s'embarquent le même soir sur le Tibre, vont par mer jusqu'à la Spezzia, et de là gagnent Turin par des chemins détournés. Le noble vénitien, de son côté, reçoit le rapport de ses buli, n'en devient que plus furieux, prend la résolution de se charger lui-même du soin de sa vengeance, et commence par se rendre à Rome auprès du père d'Hortensia. Il fait entendre à ce vieillard qu'il ne peut laver sa honte que dans le sang de sa fille et de son ravisseur. Les républiques du moyen âge avaient laissé dans les cœurs italiens cet esprit de vengeance si oublié aujourd'hui: c'était l'honneur de ces temps féroces, le seul supplément aux lois, la seule défense de la sûreté personelle124, dans un pays où le duel eût semblé ridicule. Le noble vénitien et le vieillard firent exécuter des recherches dans toutes les villes d'Italie. Quand enfin on eut appris de Turin que Stradella s'y trouvait, le vieux Romain, père d'Hortensia, prit avec lui deux assassins connus pour leur adresse, se pourvut de lettres de recommandation pour M. le marquis de Villars, qui était alors ambassadeur de France à la cour de Turin, et partit pour le Piémont.

De son côté, Stradella averti par son aventure de Rome, avait fait des démarches à Turin pour se procurer des appuis. Son talent lui avait valu la protection de la duchesse de Savoie, alors régente de l'État. Cette princesse entreprit de soustraire les deux amants à la fureur de leur ennemi; elle fit entrer Hortensia dans un couvent, et donna à Stradella le titre de son premier chanteur ainsi qu'un logement dans son palais. Ces précautions parurent suffisantes, et les amants jouissaient depuis quelques mois d'une parfaite tranquillité; ils commençaient à croire qu'après l'aventure de Rome, le noble vénitien s'était lassé de les poursuivre, quand un soir Stradella, qui prenait l'air sur les remparts de Turin, fut assailli par trois hommes qui le laissèrent pour mort avec un coup de poignard dans la poitrine. C'était le vieux Romain, père d'Hortensia, et ses deux assassins, qui, aussitôt le crime commis, cherchèrent un asile dans le palais de l'ambassadeur de France. M. de Villars, ne voulant ni les protéger après un assassinat qui fit la nouvelle du jour à Turin, ni les livrer à la justice après que son palais leur avait servi d'asile, prit le parti de les faire évader125.

 

Cependant, contre toute apparence, Stradella guérit de sa blessure, qui le mit hors d'état de chanter, et le Vénitien vit échouer ses projets pour la seconde fois, mais sans abandonner le soin de sa vengeance. Seulement, rendu prudent par le manque de succès, il prit un nom obscur, et vint s'établir à Turin, se contentant, pour le moment, de faire épier Hortensia et son amant.

On sera peut-être étonné de cet acharnement, mais tel était l'honneur de ces temps; si le noble vénitien eût abandonné sa vengeance, il eût été méprisé126.

Un an se passa ainsi; la duchesse de Savoie, de plus en plus touchée du sort des deux amants, voulut rendre leur union légitime et la consacrer par le mariage. Après la cérémonie, Hortensia, ennuyée du séjour du couvent, eut envie de voir la rivière de Gênes; Stradella l'y conduisit, et le lendemain de leur arrivée à Gênes, ils furent trouvés poignardés dans leur lit.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
123Ah! le ciel par ses feux rend son crime plus clair à mes yeux! Cela veut dire que l'éclair lui fait voir que Desdemona est endormie, et que les mots caro ben (toi que j'aime) sont adressés en songe à l'homme qu'elle aime, et non pas à lui Othello, qui s'avance, et qu'elle ne peut pas voir s'approcher, puisqu'elle dort.
124Voir les Mémoires de Benvenuto, et l'excellente Histoire de Toscane de Pignotti, 1814. C'est un livre de bonne foi, et bien supérieur à celui de M. Sismondi, qui ne sait pas peindre les mœurs et la physionomie d'un siècle.
125Fait absolument semblable à Chambéry, juillet 1823.
126Anecdote de mon ami de Bergame, obligé, par la rumeur publique, d'assassiner d'un coup de fusil, dans la rue, un sbire qui l'avait regardé de travers (1782). Il en fut quitte pour un séjour de six semaines en Suisse.