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Tous Les Moyens Nécessaires

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Aus der Reihe: Un Thriller Luke Stone #1
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Tous Les Moyens Nécessaires
Tous Les Moyens Nécessaires
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Wird gelesen Olivier Lovero
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Chapitre 12

“Vous n'avez pas le droit d'être ici!” hurla l'homme. “Sortez de chez moi!”

Ils se tenaient dans un large espace ouvert qui faisait office de salon. Un piano à queue blanc se trouvait dans un coin près de grandes baies vitrées offrant des vues spectaculaires. La lumière du matin inondait la pièce. À proximité, se trouvaient un divan blanc moderne et une table avec des fauteuils stylés, regroupés autour d'un écran plat géant fixé au mur. Au mur d'en face, était accrochée une grande toile de trois mètres de haut, décorée d'éclaboussures et de gouttes de couleur vive. Luke s'y connaissait un peu en art. Il devina qu'il s'agissait d'un Jackson Pollock.

“Ouais, c'est vrai, les gars dans le couloir nous ont dit la même chose,” dit Luke. “Qu'on n'a pas le droit d'être ici, et pourtant… on y est.”

L'homme n'était pas très grand. Il était épais et trapu et portait un peignoir en peluche blanche. Il avait une carabine en main et les tenait en joue. Il sembla à Luke qu'il s'agissait d'une ancienne carabine Browning de safari, probablement chargée de cartouches Winchester .270. Ce joujou abattrait un élan à trois-cent-cinquante mètres de distance.

Luke se déplaça vers la droite de la pièce tandis qu'Ed bougea vers la gauche. L'homme faisait des aller-retours de droite à gauche avec sa carabine, sans savoir qui viser.

“Ali Nassar?”

“Qui le demande?”

“Je suis Luke Stone. Voici Ed Newsam. Nous sommes des agents fédéraux.”

Luke et Ed s'approchèrent doucement de l'homme.

“Je suis un diplomate rattaché aux Nations Unies. Vous n'avez aucune autorité ici.”

“Nous voulons juste vous poser quelques questions.”

“J'ai appelé la police. Ils arriveront dans quelques instants.”

“Dans ce cas, pourquoi ne baissez-vous pas votre arme? C'est une vieille carabine avec un mécanisme à verrou. Si vous tirez un coup, vous n'aurez pas le temps de recharger pour le deuxième.”

“Alors je vous descends et je laisse l'autre vivre.”

Il tourna le canon vers Luke qui continuait à longer le mur et qui leva les bras pour bien montrer qu'il ne constituait pas une menace. Il avait eu tellement d'armes pointées sur lui dans le cours de sa vie qu'il en avait perdu le compte. Mais il n'était pas à l'aise avec celle-ci. Ali Nassar n'avait pas l'air d'être un bon tireur mais s'il appuyait sur la gâchette, ça allait faire un gros trou quelque part.

“Si j'étais vous, je descendrais le type costaud, là. Parce que si vous me tuez, je ne vous garantis pas sa réaction. Il m'aime bien.”

Nassar ne vacilla pas. “Non, c'est vous que je tuerai.”

Ed se trouvait déjà derrière l'homme, à seulement trois mètres de lui. Il franchit la distance en une fraction de seconde et donna un coup vers le haut sur le canon du fusil juste au moment où Nassar appuyait sur la gâchette.

PAN!

Le coup résonna au sein de l'appartement et arracha un bout de plâtre du plafond.

En un seul mouvement, Ed attrapa la carabine des mains de Nassar, lui assena un coup de poing dans la mâchoire et le força à s'assoir sur un des fauteuils stylés.

“OK maintenant, assieds-toi. Doucement.”

Nassar était encore secoué par le coup reçu et il lui fallut quelques secondes pour se recentrer. Il porta sa main potelée vers la rougeur qui commençait à apparaître à sa mâchoire.

Ed montra la carabine à Luke. “Tu as vu ce truc?” Elle était décorée, avec une crosse incrustée de perles et un canon poli. Elle était probablement encore accrochée à un mur quelque part seulement quelques minutes auparavant.

Luke se tourna vers l'homme assis dans le fauteuil. Il recommença depuis le début.

“Ali Nassar?”

L'homme faisait la moue. Il avait le même air fâché que Gunner, le fils de Luke, à l'âge de quatre ans.

Il hocha la tête. “Manifestement.”

Luke et Ed agirent rapidement, sans perdre de temps.

“Vous n'avez pas le droit de me faire ça,” dit Nassar.

Luke jeta un coup d'oeil à sa montre. Il était 7h du matin. Les flics allaient arriver d'un instant à l'autre.

Ils l'emmenèrent dans le bureau juste à côté du salon. Ils lui avaient enlevé son peignoir et ses pantoufles. Il portait un slip ajusté blanc et rien d'autre. Son gros ventre tendu saillait. Ils l'avaient assis dans un fauteuil et avaient attaché ses poignets aux accoudoirs et ses chevilles aux pattes.

Dans la pièce se trouvait un ordinateur de bureau de type traditionnel, dont le processeur était enfermé dans un coffret en acier épais, lui-même ancré au sol en pierre. Il n'y avait aucun moyen apparent d'ouvrir le coffret, aucun verrou, aucune porte, rien. Pour accéder au disque dur, il aurait fallu qu'un soudeur découpe le coffret et ils n'avaient pas le temps pour ça.

Luke et Ed se tenaient au-dessus de Nassar.

“Tu as un compte numéroté à la Royal Heritage Bank sur l'île de Grand Cayman,” dit Luke. “Le 3 mars, tu as effectué un virement de 250.000 dollars vers un compte appartenant à un homme nommé Ken Bryant. Ce dernier a été retrouvé étranglé cette nuit dans un appartement à Harlem.”

“Je ne sais pas de quoi vous me parlez.”

“Tu es l'employeur d'un homme appelé Ibrahim Abdulraman, décédé ce matin dans le sous-sol du Center Medical Center. Il a reçu une balle dans la tête alors qu'il dérobait des substances radioactives.”

Une lueur de reconnaissance passa sur le visage de Nassar.

“Je ne connais pas cet homme.”

Luke inspira profondément. En temps normal, il aurait disposé de plusieurs heures pour interroger un sujet comme celui-ci. Aujourd'hui il n'avait que quelques minutes. Il fallait donc qu'il bluffe un peu.

“Pourquoi ton ordinateur est-il boulonné au sol?”

Nassar haussa les épaules. Il commençait à reprendre confiance en lui. Luke le voyait venir. L'homme était sûr qu'il leur tiendrait tête.

“Cet ordinateur contient de nombreuses informations confidentielles. Je travaille avec des client sur des affaires impliquant des droits de propriété intellectuelle. Je suis également, comme je vous l'ai déjà indiqué, un diplomate assigné aux Nations Unies. Je reçois de temps en temps des informations qui sont… comment vous dites? Classifiées. Ça arrive car je suis connu pour ma discrétion.”

“Peut-être bien,” dit Luke. “Mais tu vas me donner le mot de passe afin que je puisse vérifier.”

“J'ai bien peur que ce ne soit pas possible.”

Le rire d'Ed résonna derrière Nassar, même si ça ressemblait plutôt à un grognement.

“Tu pourrais être surpris de savoir ce qui est possible,” dit Luke. “Le fait est que nous allons accéder à cet ordinateur et que tu vas nous donner le mot de passe. On peut y aller à la manière douce ou à la manière dure. C'est à toi de choisir.”

“Vous n'oseriez pas me faire du mal,” répondit Nassar. “Vous êtes déjà bien dans la merde.”

Luke jeta un coup d'oeil à Ed qui s'agenouilla à la droite de Nassar. Il prit sa main droite entre ses deux mains puissantes.

Luke et Ed s'étaient rencontrés pour la première fois durant la nuit dernière mais ils savaient déjà comment travailler ensemble sans avoir besoin de se parler. C'était comme s'ils lisaient la pensée de l'autre. C'était déjà arrivé que Luke ait ce genre d'expérience dans le passé, en général avec des types qui avaient fait partie d'unités d'opérations spéciales comme l'unité Delta. Mais la relation prenait en général plus longtemps à se développer.

“C'est toi qui joues du piano qui est là-bas?” demanda Luke.

Nassar hocha la tête. “J'ai une formation classique. Quand j'étais jeune, j'étais pianiste de concert. Je joue encore de temps à autre pour m'amuser.”

Luke s'accroupit pour se mettre au niveau des yeux de Nassar.

“Dans un instant, Ed va commencer à te briser les doigts. Ce sera difficile de jouer du piano après ça. Et ça va faire mal, probablement très mal. Je ne suis pas sûr que ce soit le genre de douleur à laquelle un homme comme toi soit habitué.”

“Vous n'oseriez pas.”

“La première fois, je vais compter jusqu'à trois. Ça te laissera quelques secondes de répit pour décider de ce que tu veux faire. À la différence de toi, nous prévenons les gens avant de leur faire du mal. Nous ne dérobons pas de substances radioactives avec l'objectif de massacrer des millions de personnes innocentes. En fait, ton traitement est plutôt léger comparé à celui que tu réserves aux autres. Mais après la première fois, il n'y aura plus d'avertissement. Je n'aurai qu'à regarder Ed et il te brisera un autre doigt. Est-ce que tu comprends?”

“Votre carrière est finie,” dit Nassar.

“Un.”

“Vous n'êtes qu'un petit bonhomme sans pouvoir. Vous regretterez d'être venu ici.”

“Deux.”

“Vous n'oserez pas!”

“Trois.”

Ed brisa le petit doigt de Nassar au niveau de la deuxième phalange, sans un bruit et sans effort. Luke entendit le craquement juste avant le hurlement de Nassar. Le petit doigt pendouillait maintenant de côté, selon un angle qui avait presque quelque chose d'obscène.

Luke prit le menton de Nassar dans sa main et lui releva la tête. Les dents de Nassar étaient serrées. Son visage était rouge et il respirait par saccades. Mais son regard était dur.

“Et ça, c'était juste le petit doigt,” dit Luke. “Le prochain, c'est le pouce. Ça fait bien plus mal! Sans oublier que les pouces sont bien plus importants.”

“Vous êtes des sauvages. Je ne vous dirai rien.”

Luke jeta un coup d'oeil à Ed. Son visage était dur. Il haussa les épaules et brisa le pouce. Cette fois-ci, le craquement se fit bien entendre.

Luke se mit debout et laissa l'homme hurler pendant un instant. Le son était assourdissant. Il pouvait en entendre l'écho à travers l'appartement, comme dans un film d'horreur. Peut-être qu'ils devraient utiliser une serviette comme bâillon.

Il fit les cent pas dans la pièce. Il n'aimait pas ce genre de choses. C'était de la torture, il le savait très bien. Mais les doigts de cet homme guériraient. Par contre, si une bombe sale explosait dans un métro, beaucoup mourraient. Les survivants seraient malades des radiations. Personne n'en guérirait jamais. À choisir entre les doigts de cet homme ou les morts dans un train, la décision était facile à prendre.

 

Nassar pleurait maintenant. Du mucus transparent coulait de l'une de ses narines. Il respirait de manière irrégulière.

“Regarde-moi,” dit Luke.

L'homme obéit. Son regard n'avait plus rien de dur.

“Je vois que le pouce a retenu toute ton attention. Le prochain, c'est le pouce de la main gauche. Après ça, on passe aux dents. Ed?”

Ed se plaça à la gauche de Nassar.

“Kahlil Gibran,” haleta Nassar.

“Qu'est-ce que tu dis? Je n'ai rien entendu.”

“Kahlil (tiret bas) Gibran. C'est le mot de passe.”

“Comme l'auteur?” demanda Luke.

“Oui.”

Et ça veut dire quoi de travailler avec amour?” dit Ed, citant Gibran.

Luke sourit. “C'est de tisser le chiffon avec les fils tirés de son propre coeur, comme si les personnes qui vous sont chères allaient porter ce chiffon. C'est une citation affichée sur le mur de notre cuisine. J'adore ce passage. Nous somme juste trois incurables romantiques ici.”

Luke alla à l'ordinateur et passa ses doigts sur le pavé tactile. La fenêtre du mot de passe apparut. Il tapa les lettres.

Kahlil_Gibran

L'écran de l'ordinateur apparut. La photo de fond d'écran représentait des montagnes aux sommets enneigés avec des prés jaunes et verts au premier-plan.

“On dirait qu'on y est enfin. Merci, Ali.”

Luke sortit de la poche de son pantalon treillis un disque dur externe qu'il avait reçu de Swann. Il le brancha au port USB. Le disque dur avait une capacité énorme. Il pouvait aisément enregistrer le contenu entier de l'ordinateur de Nassar. Ils se tracasseraient plus tard concernant de possibles décryptages.

Il commença le transfert de dossier. Sur l'écran, une barre horizontale vide s'afficha. Sur le côté gauche, la barre commença à se remplir de couleur verte. Trois pourcents vert, quatre pourcents, cinq. Sous la barre, des noms de dossiers apparaissaient et disparaissaient au fur et à mesure qu'ils étaient copiés sur le support de destination.

Huit pourcents. Neuf pourcents.

Il y eut soudain une certaine agitation dans la pièce principale. Les portes d'entrée s'ouvrirent brusquement.. “Police!” cria une voix. “Jetez vos armes! Au sol!”

Ils se déplaçaient à travers l'appartement, renversant des objets et défonçant des portes. On aurait dit qu'ils étaient nombreux. Ils allaient arriver à tout moment.

“Police! Au sol! Au sol! Maintenant!”

Luke jeta un coup d'oeil à la barre horizontale. On aurait dit qu'elle était calée à douze pourcents.

Nassar fixa Luke. Ses yeux étaient voilés et des larmes en coulaient. Ses lèvres tremblaient. Son visage était rouge et son corps presque nu était en sueur. Il n'avait pas l'air triomphant du tout.

Chapitre 13

7h05 du matin

Baltimore, Maryland – Sud du tunnel de Fort McHenry

Eldrick Thomas se réveilla au milieu d'un rêve.

Dans son rêve, il se trouvait dans une petite cabane en haute montagne. L'air était frais et sain. Il savait qu'il rêvait car il n'était jamais allé dans une cabane auparavant. Il y avait une cheminée en pierre avec un feu qui brûlait. Les flammes étaient chaudes et il tendit les mains vers elles. Dans la pièce à côté, il entendait la voix de sa grand-mère. Elle chantait un ancien cantique. Elle avait une très belle voix.

Il ouvrit les yeux dans la clarté du jour.

Il avait très mal. Il toucha sa poitrine. Elle était collante de sang mais les blessures par balle ne l'avaient pas tué. Il était malade à cause de la radioactivité. Ça, il s'en rappelait. Il jeta un oeil aux alentours. Il était couché dans la boue et était entouré de buissons épais. À sa gauche, coulait de l'eau, une rivière ou une berge de quelque sorte. Il entendait le bruit d'une autoroute à proximité.

Ezatullah l'avait poursuivi jusqu'ici. Mais c'était… il y a longtemps. Ezatullah était probablement parti maintenant.

“Allez, mon gars,” dit-il d'une voix rauque. “Il faut que tu bouges.”

Ce serait plus facile de rester là. Mais s'il faisait ça, il allait mourir. Et il ne voulait pas mourir. Il ne voulait plus être un jihadiste. Il voulait simplement vivre. Même s'il passait le reste de sa vie en prison, ce n'était pas grave. La prison, c'était bien. Il avait passé beaucoup de temps en prison. Ce n'était pas aussi mal que ce que les gens pensaient.

Il essaya de se lever mais il ne sentait plus ses jambes. Elles étaient insensibles. Il roula sur le ventre. La douleur le transperça comme un choc électrique. Il tourna de l'oeil. Un bout de temps passa. Puis il revint à la réalité. Il était toujours au même endroit.

Il commença à ramper, ses mains agrippant la terre et la boue, le tirant vers l'avant. Il se traîna vers un talus. Ce même talus dont il était tombé la nuit dernière. Probablement le talus qui lui avait sauvé la vie. Il pleurait de douleur mais il continua. Il  n'en avait rien à foutre de la douleur, il essayait juste d'arriver en haut de ce talus.

Un laps de temps conséquent s'écoula. Il était couché, le visage dans la boue. Les buissons étaient un peu moins denses ici. Il regarda autour de lui. Il se trouvait au-dessus de la rivière maintenant. L'ouverture dans la clôture se trouvait juste devant lui. Il rampa vers elle.

Il resta accroché à la clôture en la traversant. La douleur le fit hurler.

Deux hommes noir âgés étaient assis sur des seaux blancs à proximité. Eldrick les vit avec une précision surréaliste. Il n'avait jamais vu personne aussi clairement auparavant. Ils avaient des cannes à pêche, des boîtes d'accessoires et un grand seau blanc. Ils avaient aussi une grande glacière sur roues. Ils avaient des sachets blancs en papier et des plats déjeuner en polystyrène du McDonald's. Derrière eux, se trouvait une vieille Oldsmobile rouillée.

Leurs vies semblaient paradisiaques.

Dieu, s'il te plaît, laisse-moi être à leur place.

Quand il hurla, les hommes coururent en sa direction.

“Ne me touchez pas!” cria-t-il. “Je suis contaminé.”

Chapitre 14

7h09 du matin

La Maison Blanche – Washington DC

Thomas Hayes, Président des États-Unis, se tenait en pantalon et en chemise dans la cuisine familiale de la Maison Blanche. Il pelait une banane et attendait que son café infuse. Quand il était seul, il préférait venir silencieusement ici et se préparer lui-même un simple petit déjeuner. Il n'avait pas encore noué sa cravate. Il était pieds nus. Et des pensées sombres le tourmentaient.

Ces gens sont occupés à me bouffer tout crû.

Cette pensée n'était pas bienvenue mais c'était le genre de pensées qui lui venaient de plus en plus souvent à l'esprit ces derniers jours. Il y eut un temps où il était la personne la plus optimiste qu'il connaisse. Depuis son plus jeune âge, il avait toujours été le meilleur, quelle que soit la situation où il se trouvait. Major de sa promotion au lycée, capitaine de l'équipe d'aviron, président du corps étudiant. Mention d'excellence à Yale et à Stanford. Chercheur à Fullbright, Président du Sénat de l'état de Pennsylvannie, Gouverneur de Pennsylvannie.

Il avait toujours été persuadé de pouvoir trouver la solution adéquate à tout problème. Il avait toujours cru en son pouvoir de commandement. Et il avait toujours cru en la bonté inhérente des gens. Mais toutes ces choses n'étaient plus vraies aujourd'hui. Cinq ans en fonction avaient effacé l'optimiste qui était en lui.

Il était capable d'assumer de longues journées de travail. Il pouvait gérer les nombreux départements et la vaste bureaucratie. Jusqu'à récemment, il était en bons termes avec le Pentagone. Il parvenait à vivre 24h/24 avec les intrusions permanentes des Services Secrets dans tous les aspects de sa vie.

Il pouvait même gérer les médias et la manière peu cultivée qu'ils avaient de l'attaquer. Il pouvait vivre avec la façon dont ils se moquaient de son “éducation de country club” et de sa manière d'être un “libéral limousine” prétendument loin de toute simplicité. Le problème, ce n'était pas les médias.

Le problème, c'était la Chambre des Représentants. Ils étaient immatures, stupides et sadiques. Ce n'était qu'une bande de vandales cherchant à le démonter pièce par pièce. C'était comme si la Chambre était un congrès étudiant de lycée mais un congrès où les enfants auraient élu les pires délinquants juvéniles de l'école.

Les principaux républicains constituaient une horde déchaînée de barbares médiévaux et les partisans du “Tea Party” n'étaient que des anarchistes lanceurs de bombes. Pendant ce temps, plus près de là, le chef de la minorité à la Chambre envisageait sa propre future candidature pour le Bureau Ovale et ne cachait pas qu'il aimerait jeter le Président actuel aux oubliettes. Les démocrates Blue Dog n'étaient que des traîtres à deux visages – d'optimistes personnalités ouvertes le temps d'un instant, des hommes blancs en colère contre les Arabes, les immigrés et la criminalité du centre-ville l'instant d'après. Chaque matin, Thomas Hayes se réveillait en sachant que son groupe d'amis et d'alliés diminuait à chaque heure qui passait.

“Thomas, tu es avec moi?”

Hayes leva les yeux.

David Halstram, son chef de personnel, se tenait devant lui, entièrement habillé, semblable à lui-même – réveillé, énergique, plein de vie, et prêt pour la bataille. David avait 34 ans et ça ne faisait que neuf mois qu'il tenait ce poste. Il fallait lui laisser un peu de temps.

“Quand est-ce que l'histoire est devenue publique?” demanda Hayes.

“Il y a environ vingt minutes,” dit David. “Ça fait déjà la une des tous les médias sociaux et les chaînes de télé cherchent à aligner des invités pour les débats de 8h du  matin. Il y a de la matière. Entre le Président Ryan, la débâcle iranienne et les terroristes à New York, notre position n'est pas vraiment à envier pour l'instant.”

Hayes serra le poing. Il n'avait frappé que deux personnes dans toute sa vie et ça remontait à longtemps, lorsqu'il était à l'école. Mais en ce moment, il aimerait faire du Représentant Bill Ryan le numéro trois.

“Il était prévu qu'on déjeune ensemble demain,” dit-il. “Je pensais que c'était un pas en avant. Pas que nous puissions tout arranger en une seule réunion, mais…”

David balaya cette idée. “Il nous a harponnés à un moment où nous étions mal préparés. Il faut dire que ça a été un coup assez astucieux. Essentiellement, il demande ta destitution car tu ne veux pas commencer une Troisième Guerre Mondiale. Et il le fait via un journaliste sympathique, dans un magazine comme Newsmax où il n'y aura aucun commentaire critique s'y opposant et aucune retenue dans l'article lui-même. L'entièreté peut être partagée via tweet et blog par les conservateurs durant toute la journée et il n'a pas besoin de dire un mot de plus. Cette histoire commence déjà à avoir sa vie propre. Entretemps, il faut que nous nous comportions comme des adultes. Il faut tenir une conférence de presse afin d'adresser la menace d'une attaque terroriste et la possibilité qu'elle ait été commanditée par l'Iran. Il nous faut répondre aux questions concernant l'existence ou pas d'un large soutien pour ta destitution et concernant notre action de protection des substances radioactives à travers le pays.”

“C'est quoi notre action?”

“Au sujet des substances radioactives?”

“Oui.”

David haussa les épaules. “Ça dépend de ce que tu veux dire. La politique, c'est que les déchets radioactifs sont stockés de manière sécurisée. Mais ce n'est pas toujours vrai. OK, la grande majorité d'entre eux est gérée de manière correcte. De nombreux endroits, comme le Center Medical Center d'ailleurs, veillent à les manipuler de manière adéquate et à les envoyer à des sites sécurisés. Mais ils les envoient tout de même dans des camions de confinement sans personnel de sécurité et utilisant des routes publiques. Puis il y a des hôpitaux qui stockent leurs substances radioactives avec des matières à risque biologique. Il existe même une poignée d'hôpitaux, spécialement dans le sud, qui jettent leur substances radioactives dans les poubelles. Ce n'est pas une blague. Et ne parlons même pas du secteur nucléaire. À l'origine, toutes les barres de combustible nucléaire usé étaient supposées être transférées dans des installations de stockage sécurisé mais ce n'est jamais arrivé. Les installations n'ont jamais été développées. La grande majorité des barres de combustible usé aux États-Unis, et ce depuis le début des années 70, est stockée sur place aux réacteurs où elles ont été utilisées. Et il existe des preuves suggérant que près de 90% des réacteurs du pays ont des fuites, dont certaines dans les eaux souterraines du voisinage.”

 

Le Président Hayes regarda fixement son chef du personnel. “Pourquoi je ne suis pas au courant de tout ça?”

“En fait, techniquement, tu as connaissance de tout ça. Tu as été mis au courant mais ça n'a jamais été une haute priorité avant aujourd'hui.”

“Quand est-ce que j'ai été mis au courant?”

“Tu veux que je retrouve les dates?”

“Oui, je veux les dates, le personnel présent, le contenu des informations. Bien sûr.”

Les épaules de David s'affaisèrent. Il fit une pause. “Thomas, je peux te procurer tout ça. Mais après, quoi? Tu vas relire un compte-rendu de la Commission de Régulation nucléaire d'il y a trois ans? Je pense qu'on a d'autres chats à fouetter pour l'instant. Il y a une crise en cours au Moyen-Orient et un appel à la déclaration de guerre dans les médias et dans les couloirs du Congrès. Nous avons sur les bras le problème des substances radioactives dérobées et une possible attaque terroriste sur New York City. Nous sommes occupés à perdre le flanc droit dans notre propre parti. Si ça se trouve, ils passeront tous en masse de l'autre côté cet après-midi même. Et le deuxième homme le plus influent de Washington vient de demander ta destitution. Nous sommes sur une île et le niveau de l'eau est occupé à monter. Il faut agir et il faut que ce soit aujourd'hui même.”

Hayes ne s'était jamais senti aussi perdu. C'était de trop. Sa femmes et ses filles étaient en vacances à Hawaï. Tant mieux pour elles. Il désirerait être là-bas avec elle au lieu d'être ici.

Il attrapa David Halstram comme s'il s'agissait d'une bouée de sauvetage au milieu d'une mer déchaînée.

“Qu'est-ce qu'on fait?”

“On prend une position défensive,” répondit David. “Ton cabinet est toujours solide. Ils te soutiennent. J'ai pris la liberté d'organiser une réunion plus tard dans la matinée. Nous allons rassembler les meilleurs cerveaux et construire un front unifié. Kate Hoelscher du Trésor. Marcus Jones du Département d'État. Dave Delliger de la Défense ne pourra pas assister pour des raisons évidentes mais il appellera sur une ligne sécurisée. Et Susan Hopkins est en route depuis la côte ouest au moment où on parle.”

“Susan,” dit Hayes.

Il n'arrivait même pas à dire son nom en entier. Pendant plus de cinq ans, il avait fait tout son possible pour se distancier de sa colistière et Vice Présidente. Toute la situation avec Susan, sa réalité, le gênait. Elle avait débuté sa carrière comme top modèle. Quand elle eut pris sa retraite à l'âge de 24 ans, elle s'était mariée avec un milliardaire de la technologie. Quand ses enfants eurent atteint l'âge d'aller à l'école, elle s'était lancée dans la politique avec l'argent de son mari.

Les gens l'aimaient car elle était belle. Elle était restée mince et en pleine santé. C'était une femme enthousiaste d'âge moyen. Un magazine pour femmes l'avait récemment photographiée faisant son jogging en pantalon de yoga orange et en débardeur. C'était une oratrice publique décente. Elle était imparable aux inaugurations et aux festins. Ses thèmes de prédilection étaient la sensibilisation au cancer du sein (comme si les gens n'étaient pas encore au courant), l'exercice continu et l'obésité chez les enfants.

Ce n'était pas Eleanor Roosevelt.

David leva la main. “Je sais, je sais. Tu penses que Susan est trop légère mais tu ne lui as jamais donné sa chance. Elle a fait deux mandats en tant que Sénateur de Californie, Thomas. C'est la première femme Vice Présidente de l'histoire des États-Unis. Ce ne sont pas de petits accomplissements. Elle est intelligente et elle s'entend bien avec les gens. Et plus important, elle est de ton côté. Tu as besoin de tous les appuis possibles pour l'instant et je pense qu'elle peut t'aider.”

“À quoi peut-elle bien nous servir? On n'organise pas un concours de beauté, que je sache.”

David haussa les épaules. “Ta cote d'approbation générale la plus récente s'élève à 12% et c'était il y a trois jours, avant ce dernier désastre. Tu pourrais bien te retrouver en-dessous de dix pourcents la semaine prochaine. Ton opposant Bill Ryan ne score pas beaucoup mieux. Il est à 17% surtout parce qu'il n'a pas été capable de faire adopter une déclaration de guerre. Son score va certainement monter temporairement suite à sa menace de te destituer.”

“D'accord. Le peuple n'est pas satisfait du gouvernement.”

David leva un doigt. “Pour la plupart, c'est vrai. Excepté pour Susan. Cette question iranienne ne l'a pas affectée. Sa cote générale est de 62% et c'est une valeur sûre parmi les femmes, excepté la droite religieuse. Les hommes libéraux et indépendants l'adorent. C'est la personnalité politique la plus populaire en Amérique et elle pourrait te prêter un peu de cette popularité.”

“Comment?”

“En vous photographiant ici à la Maison Blanche, à travailler côte à côte sur les questions les plus pressantes auxquelles fait face ce pays. En faisant des apparitions publiques en ta compagnie, s'inspirant de ton leadership comme si tu étais son héros.”

“Mon dieu.”

“Écarte cette option à tes propres risques, Thomas. Nous en sommes là. J'ai parlé avec elle avant de venir ici. Elle comprend ce qui est en jeu et elle est prête à faire toutes ces choses. Elle est également prête à transmettre à des émissions toute déclaration que nous désirons faire passer afin qu'elles se répercutent jusque dans les campagnes.”

Hayes se caressa le menton. “Il faut juste que je décide si c'est ce dont j'ai envie.”

David secoua la tête. “Le moment de prendre une décison concernant Susan est passé depuis longtemps. Nous avons besoin d'elle. Sincèrement, tu ne l'as pas vraiment bien traitée dans le passé et franchement, tu devrais être content qu'elle veuille bien encore te parler.”