La Traque Zéro

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Elle essaya de paraître plus sûre qu’elle ne l’était vraiment.

CHAPITRE DEUX

Reid Lawson monta rapidement l’escalier de sa maison d’Alexandria, en Virginie. Ses membres semblaient lourds, ses jambes étant encore engourdis par le choc ressenti quelques minutes plus tôt, mais son regard affichait une expression de pure détermination. Il monta les marches deux par deux jusqu’à l’étage, même s’il avait peur de ce qu’il allait trouver là-haut… ou plutôt ne pas trouver.

En bas et au dehors, ça grouillait d’activité. Dans la rue, devant sa maison, on ne comptait pas moins de quatre voitures de police, deux ambulances et un camion de pompier : tout le protocole dans un cas tel que celui-ci. Des flics en uniforme déroulaient un ruban jaune pour former un X devant sa porte d’entrée. L’équipe de légistes collectait des échantillons du sang de Thompson dans l’entrée et des follicules de cheveux sur les oreillers de ses filles.

Reid se souvenait à peine d’avoir prévenu les autorités. Il avait du mal à se rappeler les déclarations faites à la police, un patchwork décousu de phrases fragmentées, ponctuées de courtes respirations haletantes, tandis que son esprit imaginait des possibilités horribles.

Il était parti en week-end avec une amie. Un voisin surveillait ses filles.

Le voisin était mort à présent et ses filles avaient disparu.

Reid passa un coup de fil une fois arrivé en haut, à l’écart des oreilles indiscrètes.

“Vous auriez dû nous appeler en premier,” dit Cartwright en guise de bonjour. Le Directeur Adjoint Shawn Cartwright était à la tête de la Division des Activités Spéciales et, de façon non officielle, c’était le patron de Reid à la CIA.

Ils sont déjà au parfum. “Comment êtes-vous au courant ?”

“Vous êtes fiché,” répondit Cartwright. “Nous le sommes tous. À chaque fois que nos informations sont saisies dans un système, que ce soit le nom, l’adresse, les réseaux sociaux ou quoi que ce soit d’autre, c’est automatiquement envoyé à la NSA avec la mention prioritaire. Bon sang, l’agence aurait accéléré les choses, alors que la police ne va pas vous laisser partir de sitôt.”

“Je dois les retrouver.” Chaque seconde qui s’écoulait lui rappelait avec douleur qu’il ne reverrait peut-être jamais ses filles s’il ne se mettait pas immédiatement à leur recherche, sans perdre un seul instant. “J’ai vu le corps de Thompson. Il est mort depuis au moins vingt-quatre heures, ce qui fait une avance énorme sur nous. Il me faut de l’équipement et je dois y aller tout de suite.”

Deux ans plus tôt, quand sa femme Kate était soudainement morte d’une attaque ischémique, il s’était senti totalement impuissant. L’hébétement et le détachement s’étaient emparés de lui. Rien ne lui semblait réel, comme s’il allait se réveiller de ce cauchemar à tout moment et se rendre compte que tout ceci ne s’était passé que dans sa tête.

Il n’avait pas été là pour elle. Il assistait à une conférence sur l’histoire de l’Europe antique… non, ce n’était pas la vérité. C’était son mensonge de couverture pendant qu’il était en opération pour la CIA au Bangladesh, suivant la piste d’une faction terroriste.

Il n’avait pas été là pour Kate à l’époque. Et il n’était pas là non plus quand ses filles avaient été kidnappées.

Mais il ne faisait aucun doute qu’il allait être là pour elles maintenant.

“Nous allons vous aider, Zéro,” lui assura Cartwright. “Vous êtes l’un des nôtres et nous prenons soin des nôtres. Nous allons envoyer des techniciens chez vous pour assister la police dans son enquête en se faisant passer pour du personnel de la Sécurité Intérieure. Nos légistes sont plus rapides. Nous devrions avoir une idée de qui a fait ça dans la…”

“Je sais qui a fait ça,” coupa Reid. “C’est lui.” Reid n’avait aucun doute sur l’identité du responsable de tout ceci, de celui qui était venu pour lui prendre ses filles. “Rais.” Rien que prononcer son nom à haute voix faisait remonter la rage de Reid depuis sa poitrine, irradiant ensuite dans tous ses membres. Il serra les poings pour empêcher ses mains de trembler. “L’assassin d’Amon qui s’est échappé de Suisse : c’est lui.”

Cartwright soupira. “Zéro, tant qu’il n’y a pas de preuve, nous n’en sommes pas sûrs.”

“Moi, si. Je le sais. Il m’a envoyé une photo d’elles.” Il avait effectivement reçu une photo, envoyée du téléphone de Sara sur celui de Maya. La photo montrait ses filles, encore en pyjama, l’une contre l’autre à l’arrière du pick-up volé de Thompson.

“Kent,” répondit le directeur adjoint avec précaution, “Vous vous êtes fait un tas d’ennemis. Cela ne confirme pas…”

“C’est lui. Je sais que c’est lui. Cette photo prouve qu’elles sont en vie. Il se fiche de moi. N’importe qui d’autre aurait juste…” Il n’arrivait pas à le dire à haute voix, mais n’importe lequel des innombrables autres ennemis que Kent Steele s’était fait au cours de sa carrière se seraient simplement contentés de tuer ses filles par vengeance. Rais faisait ça car c’était un fanatique qui pensait que son destin était de tuer Kent Steele. Ça voulait dire que l’assassin voulait que Reid finisse par le retrouver et ça signifiait, l’espérait-il, retrouver ses filles par la même occasion.

Qu’elles soient vivantes ou pas quand j’y arriverai, toutefois… Il posa ses deux mains sur son front, comme s’il était capable de retirer cette pensée de sa tête. Garde la tête froide. Tu ne peux pas penser à des trucs pareils.

“Zéro ?” dit Cartwright. “Vous êtes toujours là ?”

Reid inspira lentement pour se calmer. “Je suis là. Écoutez, il faut faire suivre le pick-up de Thompson. C’est un modèle récent, il dispose d’un GPS intégré. Il a aussi le téléphone de Maya. Je suis sûr que l’agence dispose du numéro dans ses fichiers.” Il faut tracer à la fois le pick-up et le téléphone. Si les emplacements coïncident et que Rais ne s‘est pas encore débarrassé d’eux, cela nous donnera une solide direction à suivre.

“Kent, écoutez…” Cartwright essaya de parler, mais Reid lui coupa immédiatement la parole.

“Nous savons qu’il y a des membres d’Amon aux États-Unis,” poursuivit-il, sans répit. Deux terroristes avaient déjà tenté de s’emparer de ses filles sur un quai du New Jersey. “Donc, il est possible qu’il y ait une planque d’Amon, quelque part, sur notre territoire. Nous devons contacter H-6 et voir si l’un des détenus peut nous fournir la moindre information.” H-6 était un site secret de la CIA au Maroc, où les membres arrêtés de l’organisation terroriste étaient actuellement détenus.

“Zéro…” Cartwright essaya de nouveau d’interrompre cette discussion à sens unique.

“Je prépare mon sac et je passe la porte dans deux minutes,” lui dit Reid en se précipitant dans sa chambre. Chaque instant qui passait était un moment de plus durant lequel ses filles étaient éloignées de lui. “L’Administration de la Sécurité des Transports doit être prévenue, au cas où il essaierait de leur faire quitter le pays. Il en va de même des ports et des gares. Et les caméras sur l’autoroute ? On peut y avoir accès ! Dès que nous aurons une piste, que quelqu’un vienne me rejoindre. Je vais avoir besoin d’une voiture, quelque chose de rapide, et d’un téléphone de l’agence, d’un traceur GPS, d’armes…”

“Kent !” Cartwright hurla dans le téléphone. “Arrêtez une seconde, d’accord ?”

“Arrêter ? Il s’agit de mes filles, Cartwright. J’ai besoin d’informations. J’ai besoin d’aide…”

Le directeur adjoint soupira fortement, et Reid sut immédiatement que quelque chose n’allait pas du tout. “Vous ne serez pas sur cette opération, Agent,” lui dit Cartwright. “Vous êtes trop impliqué.”

La poitrine de Reid se souleva, alors que sa colère enflait à nouveau. “Qu’est-ce que vous dîtes ?” demanda-t-il aussi calmement que possible. “Mais qu’est-ce que vous racontez ? Je vais chercher mes filles…”

“Non.”

“Ce sont mes enfants…”

“Écoutez-vous,” répliqua sèchement Cartwright. “Vous êtes déchaîné. Vous êtes émotif. Il y a conflit d’intérêt. Nous ne pouvons le permettre.”

“Vous savez que je suis le mieux qualifié pour cette affaire,” insista Reid. Personne d’autre n’irait chercher ses filles. Ce serait lui. Il fallait que ce soit lui.

“Je suis désolé, mais vous avez pour habitude d’attirer l’attention dans le mauvais sens du terme,” rétorqua Cartwright, comme s’il s’agissait d’une explication. “Ça vient d’en haut, ils préfèrent éviter… que l’histoire ne se répète si on vous laisse agir.”

Reid ne répliqua pas. Il savait exactement ce à quoi Cartwright faisait allusion, même s’il ne s’en souvenait pas à proprement parler. Deux ans auparavant, à la mort de sa femme Kate, Kent Steele avait combattu son chagrin en se lançant à corps perdu dans son travail. Il était parti en croisade pendant des semaines, coupant le contact avec son équipe, alors qu’il suivait les pistes relatives aux membres d’Amon dans toute l’Europe. Il avait refusé de rentrer quand la CIA le lui avait ordonné. Il n’écoutait plus personne, ni Maria Johansson, ni son meilleur ami Alan Reidigger. D’après ce que Reid avait appris, il avait laissé une traînée de corps dans son sillage, tout bonnement considérée par la plupart des gens comme un carnage. En fait, c’était la principale raison pour laquelle le nom “Agent Zéro” était murmuré autant avec peur qu’avec mépris par les rebelles du monde entier.

Et quand la CIA en avait eu assez, ils avaient envoyé quelqu’un pour l’éliminer. Ils avaient envoyé Reidigger à ses trousses. Mais Alan n’avait pas tué Kent Steele. Il avait trouvé un autre moyen : le suppresseur de mémoire expérimental qui lui avait permis d’oublier tout de sa vie en tant qu’agent de la CIA.

 

“Je comprends. Vous avez peur de ce que je pourrais faire.”

“Ouais,” confirma Cartwright. “C’est tout à fait ça.”

“Vous avez raison.”

“Zéro,” avertit le directeur adjoint, “ne faites pas ça. Laissez-nous agir à notre façon, afin que ce soit réglé rapidement, discrètement et proprement. Je ne vous le redirai pas une nouvelle fois.”

Reid raccrocha. Il allait chercher ses filles, avec l’aide de la CIA ou pas.

CHAPITRE TROIS

Après avoir raccroché au nez du directeur adjoint, Reid se retrouva devant la porte de la chambre de Sara, main sur la poignée. Il n’avait pas envie d’entrer. Mais il le fallait.

Il tâcha de se concentrer sur les détails dont il avait connaissance, les passant en revue dans sa tête : Rais était entré dans la maison par une porte non verrouillée. Il n’y avait aucun signe d’effraction, pas de fenêtres ou de serrures cassées. Thompson avait essayé de riposter. Il y avait des signes évidents de lutte. Le vieil homme avait fini par succomber aux coups de couteau portés à la poitrine. Aucun coup de feu n’avait été tiré, mais le Glock que Reid gardait près de la porte d’entrée avait disparu. C’était également le cas du Smith & Wesson que Thompson portait en permanence à la taille, ce qui voulait dire que Rais était armé.

Mais où les a-t-il emmenées ? Aucun des indices de cette scène de crime qu’était sa maison ne menait à la moindre destination.

Dans la chambre de Sara, la fenêtre était encore ouverte et l’échelle de secours en cas d’incendie était toujours déroulée depuis son seuil. Il semblait que ses filles avaient essayé, ou avaient du moins eu l’idée, de descendre ainsi. Mais elles n’avaient pas réussi.

Reid ferma les yeux et souffla entre ses mains, repoussant les nouvelles larmes qui menaçaient de couler, ainsi que de nouvelles visions d’horreur. Puis, il récupéra le chargeur du téléphone mobile de sa fille, encore branché à la prise murale près de sa table de chevet.

Il avait trouvé son téléphone au sous-sol, mais il ne l’avait pas signalé à la police. Il ne leur avait pas non plus montré la photo qui avait été envoyée dessus… envoyée dans le but qu’il la voie. Il ne pouvait se résoudre à leur donner le téléphone, même s’il s’agissait clairement d’une preuve.

Il lui serait peut-être utile.

Dans sa propre chambre, Reid mit à recharger le téléphone de Sara à une prise derrière son lit. Il configura l’appareil sur silencieux, puis s’occupa de paramétrer un transfert des appels et des messages vers son propre numéro. Pour finir, il cacha le téléphone de sa fille entre le matelas et le sommier à lattes. Il ne voulait pas que les flics le trouvent et il fallait qu’il reste allumé, au cas où de nouveaux messages arriveraient. Des messages qui deviendraient des pistes.

Il fourra à la hâte des vêtements de rechange dans un sac. Il ne savait pas combien de temps il allait s’absenter, ni s’il allait partir loin ou pas. Jusqu’au bout du monde, s’il le faut.

Il remplaça ses sneakers par des boots. Il laissa son portefeuille dans le tiroir supérieur de sa commode. Dans son placard, cachée jusqu’aux orteils dans une paire de chaussures chic, se trouvait une liasse de billets : environ cinq cents dollars en cas d’urgence. Il prit tout.

Au-dessus de sa commode, se trouvait une photo encadrée des filles. Son cœur se serra en la voyant.

Maya avait le bras passé par-dessus l’épaule de Sara. Les deux filles esquissaient un grand sourire, assises en face de lui dans un restaurant de fruits de mer, pendant qu’il prenait cette photo. C’était lors d’un voyage en Floride qu’ils avaient fait en famille l’été précédent. Il s’en souvenait bien : il avait pris la photo juste avant que leurs boissons ne soient servies. Maya avait bu un Virgin Daïquiri, assise en face de lui. Sara avait pris un milkshake à la vanille.

Elles étaient heureuses, souriantes, contentes et en sécurité. Avant qu’il ne cause toutes ces horreurs, elles étaient en sécurité. À l’époque où cette photo avait été prise, la simple idée d’être poursuivies par des radicaux ayant l’intention de leur faire du mal ou d’être kidnappées par des meurtriers n’aurait été que pure fiction.

Tout est ma faute.

Il retourna le cadre et l’ouvrit par l’arrière, tout en se faisant une promesse. Un fois qu’il les aurait retrouvées (et je vais les retrouver), il arrêterait tout. Fini la CIA, fini les opérations sous couverture. Fini de sauver le monde.

Que le monde aille au diable. Je veux juste que ma famille soit en sécurité et qu’elle le reste.

Ils partiraient loin, très loin, changeraient de nom s’il le fallait. Tout ce qui compterait pour le restant de ses jours serait leur sécurité et leur bonheur. Leur survie.

Il retira la photo du cadre, la plia en deux et la fourra dans la poche intérieure de sa veste.

Il lui fallait une arme. Il en trouverait certainement une dans la maison de Thompson, juste à côté, s’il pouvait échapper à la vue de la police et du personnel d’urgence…

Quelqu’un se râcla bruyamment la gorge dans le couloir, signe d’avertissement évident à son attention, afin qu’il puisse reprendre ses esprits.

“M. Lawson.” L’homme fit un pas dans la chambre. Il était petit, légèrement bedonnant, mais il avait des traits durs au niveau du visage. Il rappelait un peu Thompson à Reid, mais c’était peut-être juste dû à la culpabilité. “Je suis le Détective Noles de la Police d’Alexandria. Je suis bien conscient que vous vivez un moment très dur. Je sais que vous avez déjà fait vos déclarations aux premiers officiers, mais il y a quelques questions de routine pour lesquelles j’aimerais enregistrer vos réponses, si vous voulez bien m’accompagner au poste.”

“Non.” Reid prit son sac. “Je pars retrouver mes filles.” Il quitta la pièce en passant devant le détective.

Noles se hâta de le suivre. “M. Lawson, nous incitons fortement les citoyens à ne pas agir dans une telle situation. Laissez-nous faire notre boulot. La meilleure chose à faire dans votre cas est de rester en sécurité quelque part, chez des amis ou de la famille, mais dans le coin…”

Reid s’arrêta au bas des marches. “Suis-je un suspect dans le kidnapping de mes propres filles, Monsieur le Détective ?” demanda-t-il d’une voix basse et hostile.

Noles le fixa des yeux et souffla rapidement par les narines. Reid savait bien que sa formation lui imposait, dans un tel cas, de se comporter avec délicatesse pour ne pas traumatiser encore plus les familles des victimes.

Mais Reid n’était pas traumatisé. Il était en colère.

“Comme je vous l’ai dit, il s’agit juste de quelques questions du routine,” dit Noles avec prudence. “J’aimerais beaucoup que vous veniez au poste avec moi.”

“Je me fiche de vos questions.” Reid le fixa des yeux à son tour. “À présent, je vais prendre ma voiture et partir. Le seul moyen de m’emmener où que ce soit est de me menotter.” Il avait vraiment envie que ce détective bedonnant disparaisse de sa vue. L’espace d’un instant, il songea même à mentionner son appartenance à la CIA, mais il n’avait rien sur lui pour le confirmer.

Noles n’ajouta rien tandis que Reid tournait les talons, passait la porte d’entrée et descendait l’allée.

Pourtant, le détective le suivit dehors et s’engagea dans l’allée à son tour. “M. Lawson, je ne vous le demanderai qu’une seule fois. Réfléchissez une seconde : de quoi ça a l’air ? Vous faites votre sac et vous fuyez alors que nous nous activons à chercher des preuves dans votre maison.”

Une vague de pure colère parcourut Reid de la base de son dos jusqu’au sommet de la tête. Il faillit laisser tomber son sac, tellement il avait envie de faire demi-tour et de balancer un coup de poing dans la mâchoire du Détective Noles pour avoir suggéré, ne serait-ce qu’indirectement, qu’il avait quelque chose à voir là-dedans.

Noles était un vétéran. Il était certainement capable de lire le langage du corps, mais il poursuivit quand même. “Vos filles ont disparu et votre voisin est mort. Tout ceci s’est produit durant votre absence et vous n’avez pas d’alibi solide. Vous ne pouvez pas nous dire où vous étiez, ni avec qui. Et maintenant, vous vous empressez de partir comme si vous aviez des infos que nous n’avons pas. J’ai des questions à vous poser, M. Lawson. Et je veux des réponses.”

Mon alibi. En fait, l’alibi de Reid, la vérité, c’est qu’il venait de passer ces dernières quarante-huit heures à courir après un leader religieux fou en possession d’échantillons d’une variole mutée d’ampleur apocalyptique. Son alibi était qu’il rentrait juste chez lui après avoir sauvé des millions de vies, peut-être même des milliards, et tout ça pour découvrir que les deux personnes qu’il aimait le plus au monde avaient disparu.

Mais il ne pouvait rien dire de tout ça, même s’il en mourait d’envie. Au lieu de ça, Reid ravala sa colère et retint à la fois son poing et sa langue. Il s’arrêta devant sa voiture et se retourna vers le détective. Au même moment, le petit homme mit sa main à la ceinture… sur une paire de menottes.

Deux officiers en uniforme, en train d’enquêter dehors, remarquèrent que le ton montait et s’approchèrent lentement, mains également à la ceinture.

Depuis que le suppresseur de mémoire avait été retiré de sa tête, il semblait à Reid qu’il avait deux esprits. D’un côté, le logique Professeur Lawson lui disait : Arrête. Fais ce qu’il dit. Sinon, tu vas finir en prison et tu ne retrouveras jamais les filles.

Mais l’autre côté, celui de Kent Steele l’agent secret, le renégat, l’amateur de frissons, parlait plus fort et lui hurlait qu’il savait d’expérience que chaque seconde comptait et qu’il n’y avait pas de temps à perdre.

Et c’est ce côté-là qui l’emporta. Reid se raidit, prêt à se battre.

CHAPITRE QUATRE

Pendant ce qui parût être un long moment, personne ne bougea : ni Reid, ni Noles, ni les deux flics derrière le détective. Reid serrait si fort son sac que le sang avait quitté ses doigts. S’il essayait de monter en voiture et de se tirer, les officiers allaient certainement lui tomber dessus. Et il savait qu’il ne se laisserait pas faire.

Soudain, on entendit un crissement de pneus et tous les yeux se tournèrent vers un SUV noir qui venait de s’arrêter net au bout de l’allée, perpendiculairement au véhicule de Reid, lui barrant ainsi le passage. Une silhouette apparût et marcha rapidement vers eux pour dénouer la situation.

Watson ? Reid faillit le dire à haute voix.

John Watson était un collègue, agent de terrain comme lui. C’était un grand afro-américain qui avait toujours l’air impassible. Son bras droit était soutenu par une écharpe bleu marine. Il avait pris une balle perdue dans l’épaule la veille, sur l’opération en vue d’empêcher des radicaux islamiques de libérer leur virus.

“Détective.” Watson fit un signe de tête à Noles. “Je suis l’Agent Hopkins du Département de la Sécurité Intérieure.” De son bras valide, il montra un badge plus vrai que nature. “Cet homme doit venir avec moi.”

Noles fronça les sourcils La tension palpable l’instant d’avant s’était évaporée pour faire place à la confusion. “Et maintenant, quoi ? La Sécurité Intérieure ?”

Watson acquiesça d’un air grave. “Nous pensons que l’enlèvement a quelque chose à voir avec une enquête ouverte. Il faut que M. Lawson vienne immédiatement avec moi.”

“Attendez une minute.” Noles secoua la tête, pas encore remis de cette intrusion soudaine et de ces explications à la va-vite. “Vous ne pouvez pas débarquer ici et prendre le contrôle…”

“Cet homme est un élément clé pour notre département,” le coupa Watson. Il gardait la voix basse, comme s’il parlait d’une conspiration secrète, même si Reid savait bien qu’il s’agissait d’un subterfuge de la CIA. “C’est un WITSEC.”

Les yeux de Noles s’écarquillèrent à tel point qu’on aurait dit qu’ils allaient lui tomber de la tête. Reid savait parfaitement que WITSEC était un acronyme désignant le programme de protection des témoins du Département de la Justice des États-Unis. Mais il ne dit rien. Reid se contenta de croiser les bras sur sa poitrine en fusillant le détective du regard.

“Quand bien même…” dit Noles avec hésitation, “Il va me falloir plus qu’un simple badge de votre part…” Le téléphone mobile du détective se mit soudain à sonner.

“Je suppose que c’est la confirmation que vous attendez de la part de mon département,” dit Watson pendant que Noles cherchait son téléphone. “Je vous conseille de prendre cet appel. M. Lawson, par ici, s’il vous plaît.”

 

Watson s’éloigna, laissant le Détective Noles, confus, farfouiller à la recherche de son téléphone. Reid passa son sac sur l’épaule et le suivit, mais s’arrêta net devant le SUV.

“Attends,” dit-il avant que Watson n’ait pu s’installer au volant. “C’est quoi ce cirque ? Où est-ce qu’on va ?”

“Nous pouvons parler en route ou nous pouvons parler ici et perdre du temps.”

La seule raison qui venait à l’esprit de Reid concernant la présence de Watson était que l’agence l’avait envoyé dans le but de récupérer l’Agent Zéro afin de pouvoir garder un œil sur lui.

Il secoua la tête. “Je ne vais pas à Langley.”

“Moi non plus,” répondit Watson. “Je suis là pour t’aider. Monte dans la voiture.” Il se glissa sur le siège conducteur.

Reid hésita un court instant. Il fallait qu’il avance, mais il n’avait pas de destination. Il avait besoin d’une piste et il n’avait aucune raison de croire qu’on lui mentait : Watson était l’un des agents les plus honnêtes et intègres qu’il connaisse.

Reid grimpa sur le siège passager à côté de lui. Avec son bras droit en écharpe, Watson devait se pencher pour passer les vitesses et il dirigeait le volant d’une seule main. En quelques secondes, ils furent déjà loin, roulant à quinze kilomètres heure au-dessus de la vitesse autorisée, avançant vite mais sans pour autant attirer l’attention.

Il jeta un œil au sac noir sur les genoux de Reid. “Tu comptais aller où comme ça ?”

“Il faut que je les retrouve, John.” Sa vision s’embruma à l’idée de les savoir dans la nature, seules aux mains de ce tueur fou.

“Tout seul ? Sans armes et avec un téléphone mobile civil ?” L’Agent Watson secoua la tête. “Tu m’as habitué à mieux.”

“J’ai déjà parlé à Cartwright,” répondit sèchement Reid.

Watson haussa les épaules. “Et tu crois que Cartwright était seul dans la pièce quand il t’a parlé ? Tu penses qu’il était sur une ligne sécurisée dans un bureau de Langley ?”

Reid fronça les sourcils. “Je ne suis pas sûr de comprendre. Est-ce que tu es en train de me dire que Cartwright veut que je fasse tout l’opposé de ce qu’il m’a dit de faire ?”

Watson fit non de la tête, sans quitter la route des yeux. “Disons qu’il sait bien que tu vas faire ce que tu as à faire, qu’il le veuille ou non. Il te connait mieux que tu crois et, de la manière dont il voit les choses, il pense que le meilleur moyen d’éviter de nouveaux problèmes est de t’apporter du soutien cette fois.”

“Il t’a envoyé,” murmura Reid. Watson ne confirma pas, ne nia pas non plus, mais il n’en avait nul besoin. Cartwright savait que Zéro partirait à la recherche de ses filles. Leur conversation n’avait servi qu’à être entendue par d’autres oreilles à Langley. Toutefois, connaissant le penchant de Watson à respecter scrupuleusement le protocole, il semblait illogique pour Reid qu’il veuille l’aider. “Et toi ? Pourquoi tu fais ça ?”

Watson haussa légèrement les épaules. “Il y a deux gamines quelque part dehors. Apeurées, seules et entre de mauvaises mains. Je n’aime pas trop ça.”

Ce n’était pas vraiment une réponse et ce n’était peut-être même pas la vérité, mais Reid savait qu’il ne tirerait rien de plus du stoïque agent.

Il ne pouvait s’empêcher de penser que Cartwright l’aidait en partie parce qu’il se sentait coupable d’une certaine manière. Par deux fois pendant son absence, Reid avait demandé au directeur adjoint de conduire ses filles en lieu sûr. Mais ce dernier lui avait fourni des excuses à propos du manque de ressources humaines disponibles… Et maintenant, elles avaient disparu.

Cartwright aurait pu éviter ça. Il aurait pu apporter son aide. Une nouvelle fois, Reid sentit son visage rougir de colère, mais il se contrôla une fois de plus. Ce n’était pas le moment de s’énerver. L’heure était venue de partir à leur recherche et rien d’autre ne comptait.

Je vais les trouver, je vais les récupérer et je vais tuer Rais.

Reid prit une profonde inspiration par le nez et expira par la bouche. “Donc, qu’est-ce qu’on sait pour le moment ?”

Watson secoua la tête. “Pas grand-chose. Nous l’avons appris juste après toi, quand tu as appelé les flics. Mais l’agence travaille dessus. Nous devrions rapidement avoir une piste.”

“Qui s’en occupe ? Quelqu’un que je connais ?”

“Le Directeur Mullen a refilé le bébé aux Opérations Spéciales, donc c’est Riker qui gère…”

Reid ricana à haute voix. Moins de quarante-huit heures plus tôt, un souvenir lui était revenu à propos de son ancienne vie en tant qu’Agent Kent Steele. Il était encore brumeux et fragmenté, mais il était question d’une conspiration, une sorte de complot gouvernemental secret. Une guerre imminente. Deux ans plus tôt, il avait été au courant de son existence, du moins en partie, et travaillait à monter un dossier. Même s’il ne savait que très peu de choses, il était sûr qu’au moins quelques membres de la CIA étaient impliqués.

Au sommet de sa liste se trouvait Ashleigh Riker, fraîchement nommée Directrice Adjointe à la tête du Groupe des Opérations Spéciales. Et son manque de confiance en elle aidant, il ne s’attendait absolument pas à ce qu’elle fasse de son mieux pour retrouver ses filles.

“Elle a confié cette mission à un nouveau, jeune mais capable,” poursuivit Watson. “Il s’appelle Strickland. C’est un ancien Ranger de l’armée, excellent pisteur. Si quiconque peut trouver qui a fait ça, c’est bien lui. À part toi, bien sûr.”

“Je sais qui a fait ça, John.” Reid secoua amèrement la tête. Il pensa immédiatement à Maria. C’était une coéquipière, une amie, peut-être plus… en tout cas l’une des seules personnes en qui Reid pouvait avoir confiance. La dernière fois qu’il avait eu des nouvelles, Maria Johansson partait en opération pour retrouver la trace de Rais en Russie. “Je dois contacter Johansson. Il faut qu’elle sache ce qui s’est passé.” Il savait que tant qu’il ne pourrait pas prouver que c’était Rais, la CIA ne la rappellerait pas.

“Impossible… pas tant qu’elle est sur le terrain,” répondit Watson. “Mais je peux essayer de lui faire passer le message d’une autre façon. Je lui demanderai de te rappeler dès qu’elle pourra obtenir une ligne sécurisée.”

Reid acquiesça. Il n’aimait pas le fait de ne pas pouvoir contacter Maria, mais il n’avait pas d’autre choix. Les téléphones personnels n’étaient jamais emportés sur les opérations et la CIA surveillait certainement son activité téléphonique.

“Est-ce que tu vas me dire où on va à la fin ?” demanda Reid. Il commencer à se sentir anxieux.

“Voir quelqu’un qui pourra nous aider. Tiens.” Il tendit à Reid un petit téléphone argenté à rabat, un modèle à carte prépayée que la CIA ne pourrait pas tracer à moins d’être au courant et d’avoir le numéro. “Il y a quelques numéros programmés dedans. L’un d’entre eux est une ligne sécurisée pour me joindre et il y en a un similaire pour Mitch.”

Reid cligna des yeux. Il ne connaissait pas de Mitch. “C’est qui ce Mitch ?”

En guise de réponse, Watson quitta la route principale et s’engagea dans l’allée d’un atelier de garagiste du nom de Third Street Garage. Il avança tout droit jusqu’à une porte ouverte du garage, puis entra dedans et stoppa le véhicule. Dès qu’il eut coupé le contact, la porte du garage redescendit lentement derrière eux.

Ils sortirent tous deux de voiture et les yeux de Reid eurent besoin de s’adapter à l’obscurité relative. C’est alors que les lumières s’allumèrent, de vives ampoules fluorescentes qui firent danser des points devant ses yeux.

À côté du SUV, derrière la seconde porte du garage, se trouvait une voiture noire, un modèle Trans Am de la fin des années quatre-vingt. Elle n’était pas beaucoup plus jeune que lui, mais la peinture semblait neuve et lustrée.