Couscous Crème fraîche

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Couscous Crème fraîche
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Iris Maria vom Hof

Couscous Crème fraîche

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Inhaltsverzeichnis

Titel

Avant-propos

L’agression manquée

Violence bestiale

Fuck, c’est pas facile

Des poux plein la tête

Je veux me tirer d’ici

Quai de l’oubli

Just do it

Des roses pleines d’épines

Voix intérieures

Tout baigne

Face de pleine lune

Les rêves s’écroulent

Cœur déchiré

Douche de champagne

Je suis ma propre ennemie

Retour aux emmerdes

Complètement déjantés

Nonstop

Encore plus

L’éclipse de soleil

Un pur hasard

Les grands sentiments

Un point pour Katy

Monsieur homophobe

Impressum neobooks

Avant-propos

+++ Je suis Couscous Crème fraîche – c’est l’histoire émouvante de Katy Ben Ali. Née au Havre en 1959, Katy en voit de toutes les couleurs dès sa plus tendre enfance. Victime d’abus sexuels au sein de la famille, Katy connaîtra la drogue et la vie dans la rue ; elle se réfugie dans le milieu de la nuit parisienne, et travaillera dans un club de Pigalle – Katy connaît des hauts et des bas, et son destin ne prévoit pas de happy end… jusqu’à ce que, finalement, tout s’arrange.

+++ Le récit de la vie de Katy n’est pas toujours chronologique. Certains souvenirs se recoupent. Certains événements se rencontrent alors qu’ils se sont passés à des époques bien différentes. Le passé a sa propre logique.

Traduction française : Stéphanie Lux

+++ www.roman-couscous.fr = pour trouver l’audio livre et l’appli

L’agression manquée

Montreuil, novembre 2012 +++++ Une soirée froide et pluvieuse, station de métro Mairie de Montreuil. Putain, elle en a vraiment marre de cette merde. Le métro est bondé, et elle veut rentrer chez elle le plus vite possible. Katy force le passage, joue des coudes jusqu’aux portes automatiques et parvient de justesse à sortir de la rame. Sur le quai, toujours le même tableau. Putain d’asociaux. Des mecs à l’air indifférent, le bonnet enfoncé sur le visage, le portable collé à l’oreille : « Hein ?? – Nan, dans le métro, dans le métro !!! Hein ?? Mais oui, j’ai la caisse de bière ! Hein ? » Bien fort, sans gêne, tout dans le pantalon et rien dans le crâne. Peu importe l’heure à laquelle on passe, la racaille est toujours là. Katy a passé la plus grande partie de sa vie à se battre contre ce genre de dingues. Mais maintenant, elle a pigé. A 54 ans, on n’est plus innocent, elle a rayé de sa vie ce type de personnes. Oh oui. Elle aurait bien envie de faire un doigt d’honneur au premier idiot venu. Les bonnes femmes apathiques chargées de sacs en plastique avec trois ou quatre pleurnichards accrochés à leurs jupes font chier elles aussi. Elles se sont foutues là-dedans toutes seules. Des putes transformées en esclaves domestiques. Katy n’est pas tendre. Mais le pire, ce sont les dealers africains avec leur cour de prostituées dans le besoin et autres petits branleurs. Katy ne supporte pas ça. Quelle bande de criminels ! Les seuls qu’elle plaint un peu, ce sont les types qui jouent de la musique au coin des rues, qui ont froid, et pas d’endroit où se laver. Mais à part ça ? A moi non plus, on ne m’a pas fait de cadeaux, se dit-elle en se frayant un passage dans la foule. +++ Il s’en passe des choses dans le métro, même si ce n’est pas visible pour tout le monde. Le va-et-vient des passagers est propice au trafic de drogue. Certains serrent entre leurs doigts des billets roulés qu’ils échangent à toute vitesse contre un petit sachet emballé dans un papier quelconque ou une barre de shit. Ceux qui repartent les mains vides tirent la tronche. C’est quand même dingue, cette vie en marge. Quelle est cette mélancolie qui entraîne autant de gens dans ce cauchemar éveillé ? On continue à se piquer, à avaler des trucs, à fumer. Héroïne, cocaïne, amphétamines, tranquillisants, tout dépend des moyens qu’on a. Seringues, cuillères, aiguilles, tout est là. Mais quand tu n’as pas un centime en poche, tu fais comment ? Ceux qui ont les moyens recherchent en général l’excitation du plaisir interdit. Chichon, shit, drogues récréatives, aucun problème, tu peux tout avoir. En poudre, en comprimés, en cristaux, en liquide. Mais comment tu fais pour te camer à mort quand t’as pas un rond ? Quand tu ne peux même pas te payer un huitième de gramme de coke ? Si tu as de la chance, tu peux aider à préparer les sachets, contre un peu de dope peut-être. C’est un début, mais à la longue ça ne te suffira plus. Et après ? Quand tu as touché le fond, tu le fais pour 10 ou 15 euros. Et tu peux t’estimer heureuse si ton client accepte de mettre une capote. C’est comme ça que ça se passe. +++ Moi, c’est pas ma tasse de thé. Le visage de Katy s’éclaire d’un sourire. Grâce à des petits boulots réguliers avec des personnes âgées, Katy arrive à mettre suffisamment de côté pour remplir chaque jour le Tupperware qu’elle garde dans son sac en bandoulière. De l’herbe impec, de super qualité. En réserve, toujours un peu de shit. Du bon, on peut avoir confiance en ses sources, Katy les connaît depuis super longtemps. Sur le marché noir, tu ne sais jamais vraiment sur quoi tu tombes et si la substance est de qualité. Pour les richards, ceux qui n’ont pas de problèmes d’argent, ça ne veut peut-être rien dire, mais pour Katy, avoir de la bonne came est un symbole d’ascension sociale. Qu’elle s’en soit aussi bien sortie tient du miracle. Chez elle, ça sent bon, c’est propre et calme, Katy est hyper fière de son appartement. Elle a trouvé son nid. Séjour, cuisine, chambre et salle de bains. Là-haut, sur la colline de Montreuil, dans la seule tour de la rue Lenain de Tillemont. Avec vue imprenable sur Paris et la Tour Eiffel. Et la nuit, la mer de lumières de la métropole. Wow. Elle a une sacrée vue sur une des plus belles villes du monde. La ville de l’amour et des taxis où les couples s’embrassent sur la banquette arrière. « Sous le ciel de Paris, mmmhmmhmmmm... » +++ Son boulot fixe – elle s’occupait d’un jeune handicapé, François, atteint d’une maladie dégénérative – Katy l’a perdu à cause d’un accident stupide il y a sept ans. Plaque de verglas. Vol plané. Bras cassé, invalide à 14%. La totale. Ça lui a mis un sacré coup. 100% foutue. Ce bras esquinté l’a mise hors jeu. Logique qu’à son âge, elle ne se fasse pas trop d’illusions sur ses chances de retrouver du boulot. Niente. Finito. Le psychologue qu’elle doit aller voir pour toucher sa maigre pension d’invalidité lui sort cette phrase complètement débile : « Madame Ben Ali, il faut vous projeter dans l’avenir, soyez optimiste. » Super. Katy lui rétorque : « Je peux seulement me projeter contre le mur, docteur. » C’est vrai, quoi. « Qu’est-ce que j’ai, comme perspectives ? », grogne-t-elle. « Au mieux je peux mettre une petite annonce : handicapée cherche handicapé. Personne ne me redonnera du travail. » Dès le début, la tronche du psy ne lui est pas revenue. Non mais quel connard arrogant ! Projetez-vous… C’est ça ! Katy aurait bien envie de l’envoyer balader. Ça lui donne la gerbe, ce genre de types. Mais elle ne veut pas risquer de perdre sa pension d’invalidité pour un idiot pareil. C’est mieux comme ça. +++++ La tête enfoncée dans les épaules, les mains dans les poches de son manteau, Katy quitte la station de métro par une des étroites sorties latérales. Elle monte les quelques marches qui mènent à la rue et se hâte vers son arrêt de bus. Elle tourne le coin de la rue et l’aperçoit déjà. Ouf, plus que quelques minutes et le four micro-ondes va lui réchauffer son dîner. Le vent glacial soulève un gobelet qui vient s’écraser sur elle. Un mélange d’eau de pluie et de café froid vient souiller son manteau tout propre. Beurk ! Elle est en train de frotter la tache de café avec un mouchoir quand elle remarque le jeune type dans l’ombre d’un réverbère. Pas sorcier de deviner ses plans. Le sac en crochet qu’elle a fait elle-même ne la désigne pas comme une riche, mais tout le monde a quelques cents sur soi. Ah, tu veux m’enquiquiner, mon petit pote, eh ben vas-y, attaque-toi à la vieille ! Katy ralentit le pas et se retourne lentement. Une minute de plus, et elle voit à qui elle a affaire : parka mouillée. Visage délavé. Cheveux délavés dégoulinants. Jean délavé. Un débutant, quoi! Katy le toise, son visage prend une expression de défi. Comme on pouvait s’y attendre, le voleur du dimanche se met en travers de son chemin avec un sourire insolent. Si tu crois que j’ai peur de toi, se dit Katy avec un petit sourire. Tu te trompes. Femme d’un certain âge, sans défense, type couscous crème fraîche, qui boite. Espèce de petit saligaud. Tu vas être surpris. Katy a un plan. Elle se prépare tranquillement. Le regard baissé, son sac coincé sous le bras, elle attend l’attaque avec le flegme d’un professionnel qui connaît ses atouts. Bon. Le petit boutonneux tire sur la manche de Katy, il essaie d’attraper son sac. +++ « Donne ton sac, la vieille, ou ça va barder ! » Non mais quel empoté, je te jure. Katy le regarde avec de grands yeux en haussant les sourcils. Même sa voix a l’air mouillée. Il va s’étouffer avec sa propre salive. Reste concentrée, se dit Katy, reste concentrée. Non mais quelle agression bidon. Ça suffit, maintenant. Katy plonge résolument les deux mains sous la parka du gamin. Cherche la taille de son pantalon. Tire d’un coup sec sa ceinture vers le haut, lui coinçant les couilles dans son futal. C’était bien plus facile dans les années 80, avec les pantalons à pinces ! Pas évident d’attraper ces jeans qui leur descendent jusqu’aux genoux, de nos jours ! Pfiouu ! Le gamin a eu son compte. Katy s’est parfaitement défendue toute seule. Le petit con titube, s’effondre sur le pavé et se met à couiner comme un rat écrasé. Elle a visé juste, ça se voit. Mais surtout, il est mort de honte, et ça se voit aussi. Laissé sur le carreau par une vieille aux boucles grises, il ne pouvait rien lui arriver de pire. Espèce de petit branleur, se dit Katy en ricanant méchamment. +++ « Alors, t’as rien pu tirer de la vieille, hein ? Pas de chance. Dommage qu’il n’y avait pas un de tes potes pour voir ça. » Katy fait le monstre sans pitié. Le gamin se tourne sur le côté et essaie de se relever en poussant des gémissements. « Bon, mon petit gars, voilà, quoi. » Brasil, lalalalalalalala. Katy bouscule encore un peu le pauvre diable au rythme de la mélodie, avant de lui lancer par-dessus son épaule : « Rira bien qui rira le dernier, espèce de crétin de mongole, tu l’as bien cherché! Je vais te donner un bon conseil. Dorénavant, regarde bien à qui tu as affaire avant de décider si tu dois passer à l’action ou pas. T’as compris ? » +++++ C’est l’heure de pointe et les habituels bouchons sur la route, Katy s’endort à moitié à l’arrière du bus, elle prend une tablette de chewing-gum. Le petit con, il me fait rire, lui ! Venir s’en prendre à moi, qui ai connu des attaques bien pires que ça ! Un petit pisseux comme Laurent, le petit dernier. Et même si aujourd’hui, Katy n’en a plus rien à foutre de sa putain de famille, elle se souvient que le petit dernier, elle l’a toujours protégé. C’est comme si ç’avait été ma destinée, dit Katy, songeuse. Dès que j’ai été assez grande pour le faire, je me suis mise à le materner, je lavais tout ce que je pouvais, ses fringues toutes crades, et son cul aussi. Je passais mes journées à ranger, mais ça ne servait à rien. Bordel. C’était toujours le pur chaos chez nous. Oh oui. C’était dingue, complètement dingue. Pas une seule photo au mur, pas d’album, aucun souvenir ni carte postale. Je pissais vraiment dans un violon, moi. On ne peut pas le dire autrement. Je n’en avais pas rien à foutre, comme mes trois frères. Une fille, ça a besoin de tendresse, d’attention, or on ne m’en donnait jamais. Ça me fait encore mal aujourd’hui. La Cucaracha, la Cucaracha. Quand tu allais au pieu, chez nous, c’étaient les poux et les cafards qui t’attendaient. Beuhhh ! Pendant la journée, on écrasait nos poux entre deux doigts, super, comme activité. Des bêtes de la misère, des putains de monstres ! Le pire, c’était dans la cuisine : il y avait des limaces oranges qui se baladaient un peu partout. Ça faisait un bruit dégueulasse et mouillé quand on marchait dessus. Splotch. Une horreur. Une horreur ! L’espèce de porcherie dans laquelle on vivait était au rez-de-chaussée, c’était super humide. Chez nous, ça puait à la fois la bouffe et le moisi. Et aussi la White Star. Le Ricard. Les menthols de la mère et les Gauloises du père. Les limaces sortaient de sous l’évier. Mon petit frère et moi, on se mettait sous la table de la cuisine, et on les regardait sortir. C’était dans l’appartement du Havre, rue Turenne. Enfin. On était les premiers à avoir une télé et un frigo avec congélateur. Pas de machine à laver. Mais un lave-vaisselle qui n’a jamais marché. On était une vraie famille de dingues, il fallait le voir pour le croire. Je n’oublierai jamais comment Laurent, qui n’était pas le plus courageux, a un jour grimpé au rideau de la chambre et s’est laissé tomber sur moi. Il avait trois ans et moi quatre. A peu près. Boum. J’étais sur le pot, et je me suis retrouvée coincée dedans. Comme une tortue sur le dos, les quatre fers en l’air. Rien à faire, j’étais coincée, et Laurent n’arrivait pas à me tirer de là. Mon frère a dû appeler Nina à la rescousse, la voisine d’en face, elle est venue tout de suite et elle m’a sortie de là. Nina a couvert pas mal de nos conneries. Quelle famille de merde ! La même bande d’asociaux qu’à la station de métro. Katy ferme les yeux un moment. Oh oui. Finito. Elle n’a plus rien à voir avec eux.

 

Violence bestiale

Le Havre, Mai 1968 +++++ Katy entend son père fermer la porte de l’appartement à clé. Il boucle tout le soir, pour que personne ne puisse se barrer. Katy n’est encore qu’une gamine, elle a le torse aussi plat que celui de ses frères. Elle a neuf ans et demi, pas encore de nichons, juste deux tétons tout riquiqui. Elle n’a pas encore de poils sur le pubis, elle a les cuisses minces d’une enfant. Katy disparaît sous sa couverture légère et essaie de dormir, mais pas moyen. La radio de la cuisine est à fond, c’est « Jeune homme », le tube de Johnny Halliday. Une image refait surface, celle de la première fois qu’elle s’est réveillée avec un de ses frères entre les jambes. Elle est envahie par la peur, la culpabilité, elle sait qu’elle aura de la visite tout à l’heure. D’abord son frère aîné, Gérard. Ensuite Denis, qui a un an de moins, et se jette sur elle. Ils pourraient passer leur temps à niquer. Les hormones les rendent fous. Alors comme ils ont la petite Katy sous la main, elle y passe tous les soirs. Ils font ça en douce, dans le noir, quand le père est en train de cuver son vin, et qu’il ne risque pas de venir voir. C’est vraiment dégueulasse. Katy ne comprend pas. Les salauds. Depuis qu’ils arrivent à bander, ses frères sont devenus complètement débiles ! Katy ne voit pas pourquoi ils sont tellement fiers de leur machin. Parce qu’il grandit et qu’ils peuvent le faire gicler ? Ils sont tout le temps en train de comparer la taille de leur bite. Katy a un frisson de dégoût. C’est Gérard qui a été le premier à lui dire je t’aime. Beurk, ça lui donne envie de vomir. Le tout premier type qui lui dit je t’aime, c’est son frère. Super. Mais Katy la ferme. Le père Ben Ali les battrait à mort s’il savait. L’un après l’autre, comme toujours quand il leur tape dessus. D’abord l’aîné, ensuite le cadet, toujours cette hiérarchie masculine. L’année dernière, cette brute a cassé un bras à Gérard, vraiment cassé, volontairement. Il lui a tordu le bras dans le dos, crrr, et crac. Sans déconner. D’ailleurs, depuis, il a le bras tordu. Terrible. Une autre fois, le père a découvert par hasard que Denis s’était fait tatouer un pistolet sur le cul. Il a entendu parler du pays : « Toi, la tapette, avec ton cul de pédé, si je te chope avec un mec, je te démonte. J’admets pas qu’un pédé mange à ma table, t’as compris, espèce de sale morveux ? » Il faut dire que Denis est plutôt beau garçon. Gérard n’est pas mal non plus, mais c’est Denis le plus beau. Plus mince, plus nerveux, même s’il a des fringues toutes pourries. Quand elle était plus jeune, Katy était super fière de ses grands frères, mais ils ont tout gâché. Les salauds ! +++++ « N’oublie jamais que tu nous as promis de la fermer ! » Denis vient en premier, ce soir. Katy s’en fiche au fond, que ce soit l’un ou l’autre, c’est le même programme. Il faut beaucoup de salive à Denis avant de réussir à introduire sa bite dans le sexe d’enfant de Katy. « Allez, putain, laisse-moi entrer », pleurniche-t-il avant de chuchoter des mots vulgaires genre petite vicieuse et autres conneries. Katy ne bouge pas. Mais lorsqu’elle voit que la bouche de Denis s’ouvre pour lui donner un baiser mouillé, elle ferme les yeux et la bouche de toutes ses forces. La langue de Denis dans sa bouche, c’est aussi dégueulasse que son machin dans sa chatte. Denis pue la mort. La mort. Qu’est-ce qu’il pourrait sentir d’autre ? Pas étonnant dans une maison où on n’utilise pas de brosses à dents et où les parents évitent la douche comme si c’était la source de leur vie pourrie. Personne ne se lave, le père se contente de se gratter les couilles. +++ « Ça te fait pas mal, quand même ? », demande ce sale hypocrite de Denis lorsqu’il remarque le sang chaud qui s’écoule du sexe de Katy. Il ne se retire pas pour autant. Son désir aveugle, l’envie de se satisfaire rapidement sont les plus forts. Il veut faire le gros dur qui baise une salope. Katy ne bouge pas, elle laisse Denis remuer en elle. Il la défonce en suant comme un porc. Terminé. Il roule sur le côté et se sauve comme un voleur, la tête basse. +++ Gérard, l’aîné, ne vient pas ce soir-là. Les joues barbouillées de larmes, Katy allume sa lampe de poche. Elle avance à tâtons dans le couloir jusqu’à la douche, où elle lave le sang noir qui a coulé sur ses jambes. Le drap souillé, elle le jette au linge sale. Katy a honte de ce que ses frères lui font subir. Revenue dans sa chambre sur la pointe des pieds, elle grimpe sur une chaise pour décrocher quelques oignons au-dessus de l’armoire. C’est là que le père de Katy garde ses réserves d’oignons rouges, jaunes et bruns, et d’échalotes. Il est d’avis qu’une fille n’a pas besoin d’une chambre pour elle toute seule et que la pièce doit servir à toute la famille. Bon. Comme ça, Katy a de quoi grignoter lorsqu’elle se réveille en pleine nuit, la faim au ventre. Ou lorsqu’elle a besoin de réconfort après les agressions de ses frères. Et puis les oignons chassent tous les microbes que ses frères lui ramènent. +++++ Plus tard, lorsque Katy repensera à ces violences sexuelles faites à son corps d’enfant, au désarroi, à la honte, à la douleur, autant physique que morale, elle ne saura plus vraiment dire quand et comment tout a commencé. Le voile du refoulement facilite l’oubli. Restent des fragments de souvenirs qu’elle recrache en un mélange de défi et de résignation quand elle a trop bu et trop fumé de shit. Des animaux, tous des animaux ! Pas seulement les frères, le papy branlette aussi. Lui aussi, il a abusé de Katy.

Le Havre, avril 1964 +++++ Tch-tch-tch. La branlette de papy. Dès que mamie est sortie, il appelle Katy. Gaston, son papy-branlette. « Ah, ma chérie, grogne-t-il, réchauffe-moi les tripes, mon trésor ! » Elle doit alors lui tailler une pipe ou le branler avec ses petites mains. Quand elle n’y arrive pas bien, il l’aide. Et elle n’a pas le droit de détourner les yeux. Ou alors il l’assied sur ses genoux et frotte sa queue entre ses fesses. Les poils tout durs sur ses couilles. Katy en a déjà eu la peau irritée jusqu’au sang. Elle subit tout. « T’es vraiment une naine avec une mini chatte », grommelle-t-il en l’asseyant sur elle. Puis il dit un truc du genre : « mon enfant, ton environnement intime se rebelle encore, mais ça changera bientôt. » +++ Ces phrases débiles font plus rire Katy que pleurer. Elle ne comprend rien, de toute façon. Oh non. Elle ne va pas encore à l’école. Lorsqu’il a fini, son affreux machin se rabougrit pour redevenir le petit truc dont sa grand-mère croit qu’il ne s’en sert que pour pisser. Il caresse tendrement les cheveux de Katy et lui donne un morceau de chocolat ou un paquet de chewing-gums. Est-ce que papy demandait aussi à sa propre fille de lui réchauffer les tripes ? Elle aurait peut-être fait un peu plus attention à sa gamine. Pas dit, cette grosse larve ne bouge jamais son cul ! Quoi qu’il en soit, ça finit par se savoir. Katy n’a pas dit un mot. Qu’est-ce que mamie Marceline va penser d’elle ? Katy ne peut pas lui faire ça. Katy préfère sa mamie à son papy. C’est la seule qui la prend dans ses bras, qui la coiffe. Marceline est la seule personne qui est gentille avec elle. Katy n’a pas le droit de faire du chagrin à sa mamie adorée ! Oh non. Mais un jour, Katy fait une gaffe, et la bombe explose. Elle est sur les toilettes. Son père ouvre la porte, déjà déboutonné, son machin à la main. Katy a un fou rire, elle crie : « On dirait celui de papy ! » Le père lui en colle une. « Dégage, bonne à rien ! » Katy remonte vite son slip et va se réfugier sous la table de la cuisine. Le père fait son affaire, sort des toilettes et chope la mère : « Appelle tout de suite ton père ! Dis-lui de venir immédiatement ! Immédiatement, tu entends ?! » Lorsque papy arrive, c’est le scandale. La panique se lit sur le visage des deux frères quand ils comprennent de quoi il retourne. Si ça se trouve, la gamine va tout déballer ! +++ Mais Katy la ferme. Elle ne raconte rien sur papy, et elle ne trahit pas ses frères. « J’ai juste vu les couilles de papy, une fois », avoue-t-elle, penaude. On ne pourra rien en tirer de plus. C’est mieux comme ça. Son ivrogne de père a toujours sa carabine et son revolver à portée de main. Ils ont déjà dû se planquer plus d’une fois parce qu’il était complètement bourré et tirait dans tous les sens. C’était une terreur, le père. Oh oui. Pour sûr. Ils ont souvent dû se planquer sous le lit avec la larve, quand elle n’était pas encore trop grosse. Dès qu’ils entendaient le bruit sec de la carabine qu’on recharge, plop-plop, ils se retrouvaient tous à plat ventre dans la chambre des parents. Le pauvre con. Le jour de l’histoire de papy, il cogne sur tout le monde. Papy, la mère, les frères. Deux chaises de cuisine y passent aussi, et la vaisselle sale qui était dans l’évier. Putain, et le lien entre Katy et ses grands-parents est définitivement foutu. Quant à Katy, le père la saisit par le poignet et l’envoie valser contre la cuisinière. Pshhh, fait la peau de sa main gauche en rencontrant la paroi brûlante de la cocotte-minute. Katy ne se rend compte de rien, elle est complètement dans les vapes.

 

Le Havre, octobre 1970 +++++ Il s’est passé à peu près deux ans depuis les premières visites nocturnes de ses frères lorsque Katy est agressée par un inconnu. Un fils de pute qui lui joue un sacré tour. L’incident se produit en début de soirée. Katy porte le gros châle de sa mère sur sa robe légère, elle doit aller chercher une bouteille d’huile. La cuisine kabyle en fait une consommation impressionnante. Katy s’occupe de tout à la maison. Elle manie le balai depuis ses neuf ans. Le midi, elle prépare des pommes de terre pour ses frères. Le soir, elle prépare le couscous pour le père. Et elle sert la grosse larve toute la journée. Apporte-moi une tasse de thé, mon trésor, fais du café, ma chérie, etc. Ou bien : tu peux pas passer le balai, salope ?! Ou encore : ramasse tout de suite mon roman, lorsqu’elle s’est une fois de plus endormie sur une de ses histoires à l’eau de rose. Katy a le même volume de travail qu’une aide familiale. Une des deux cocotte-minute que possède la famille est toujours sur le feu ; l’autre, Katy grimpe dessus pour remuer la soupe. Des pâtes à la bolognaise, quand ils ont des sous. Sinon, des légumes du jardin. Et des tonnes de salade de patates à la vinaigrette, c’est ça qui tient le mieux au ventre. Le dimanche, il arrive qu’il y ait des frites et du rôti, mais uniquement dans les périodes fastes. Les enfants doivent boire une cuillérée de sang de rôti. Ça rend fort comme un ours. Avec cette brute de père, ils en ont bien besoin, les gamins. +++ Elle a pris un peu d’argent du ménage et s’est mise en route, lorsqu’un homme à mobylette l’arrête. Il est bien rasé et porte une veste de cuir toute neuve. « Salut, petite. Hé, attends ! Tu peux me dépanner ? - Moi, monsieur, comment est-ce que je pourrais vous aider ? - Eh bien, tu vas à l’école, et si tu habites par ici, ce que je suppose fortement, tu vas à Claude Bernard ? - Oui, monsieur. - Bien, ma petite… comment tu t’appelles ? - Katy, monsieur. - Ecoute, Katy, ça fait plusieurs heures que je tourne, et je n’arrive pas à trouver cette école. » +++ Le chemin le plus court vers Claude Bernard. Pas évident. Quand elle va à l’école, Katy suit ses frères sans s’occuper du chemin. Katy fait un gros effort de mémoire, elle voudrait bien aider ce monsieur. Elle est comme ça depuis toute petite, Katy. Elle fait tout pour les autres. Jusqu’à l’épuisement. Elle a un cœur en or, cette petite Katy, mais elle s’en prend toujours plein la tronche. « Alors, monsieur, commence Katy, si vous prenez par… - Tu sais quoi, propose le monsieur, tu n’as qu’à monter derrière pour me montrer le chemin. Ok ? » « D’accord, monsieur. » « Dès que je sais où c’est, je te ramène. A moins que tu n’aimes pas faire de la mobylette, parce que tu es une fille ? Ce serait dommage. » « Non, non, monsieur, j’adore les mobylettes ! » « Alors monte. Et tiens-toi bien, hein, je ne voudrais pas que tu tombes. » +++ Ils démarrent, et un vent glacial se met à souffler dans le visage de Katy. D’une main, Katy serre contre elle la bouteille d’huile vide, de l’autre elle empêche sa robe légère de trop remonter, tout en criant contre le vent : « A droite, monsieur ! A gauche, monsieur… Dites, vous m’entendez ?! » Katy se rend rapidement compte que l’inconnu a d’autres plans. Putain de caisse ! Ça fait longtemps qu’ils ont laissé l’école derrière eux. Et le type appuie sur le champignon. Il va trop vite pour que Katy puisse sauter en marche. Les pensées fusent dans la tête de Katy : oh là, qu’est-ce qui va se passer ? Je vais arriver en retard à la maison. Comment est-ce que je vais me sortir de cette merde ? +++ Le type s’arrête enfin, au milieu de nulle part. Personne en vue, elle ne sait absolument pas où elle est. Des champs, des broussailles, des clôtures, les lumières de la ville sont loin derrière eux. L’homme ne quitte pas Katy des yeux. Il gare sa mobylette avec précaution, et Katy se prend à espérer que les choses ne tournent pas si mal que ça. Un homme avec une belle veste en cuir comme ça, ça ne peut pas être un criminel, si ? Mais soudain, l’homme l’empoigne brutalement et la jette par terre. Boum. La terre est humide et sombre, elle est froide. Le type se jette sur Katy, l’espèce de sale bête. Elle sent son corps dur sur elle. Froid comme la mort. Il va lui régler son compte. Katy essaie de crier, mais aucun son ne sort de sa bouche. Elle voudrait le mordre et le griffer, mais ses membres ne lui obéissent pas. Lorsque l’homme presse un genou entre ses cuisses, elle pisse dans sa culotte tellement elle a peur. Ça le déstabilise. Katy échappe à son étreinte, elle part en courant, mais elle est rattrapée par la mobylette, se prend un coup dans le dos. Aïe, ça fait mal ! Ça fait vraiment mal. Cette fois, c’est la fin. L’homme l’écrase de son corps glacé, et elle sait ce qu’il va faire. Brasil, lalalalalalalala ! Ce type est super balèze, et aussi lourd que ses deux frères réunis. Tap. Tap. Tap. Tandis qu’il lui baisse la culotte, Katy tâtonne à côté d’elle dans la pénombre et finit par trouver une pierre. Une sacrée grosse pierre. Bam. Un bon gros coup dans la tronche. Pah, tu vas voir. Katy frappe jusqu’à ce que le sang jaillisse de son arcade sourcilière. « Sale bête ! Petite pute ! Vermine ! » Tandis qu’il s’essuie le sang qui lui coule dans les yeux, Katy lui échappe et remonte à toute blinde vers la route. Lorsqu’elle voit une voiture qui approche, elle se met au milieu de la route et lui fait de grands signes. « Au secours ! Au secours ! » La voiture ralentit, le conducteur baisse sa vitre, mais il ne s’arrête pas. « S’il vous plaît, emmenez-moi, s’il vous plaît, il y a un type qui me fait des misères… Mais le conducteur n’en a rien à faire. Katy essaie d’arrêter encore deux autres voitures, puis elle abandonne. Elle est obligée de rentrer à pied. Elle traverse les banlieues et leurs tours. En zigzag. Une fois à gauche, une fois à droite. La peur au ventre, en voyant déjà ce sale type la rattraper avec sa mobylette. Merde. Elle a oublié la bouteille d’huile et le châle de la mère. Elle cherche l’argent, et se rend compte qu’elle l’a perdu aussi. Merde. Elle va se prendre une raclée, pas de doute. Qu’elle ait tout perdu ou pas. Qu’est-ce que tu veux faire. +++++ A douze ans, Katy est déjà convaincue qu’une vie comme la sienne ne vaut rien du tout. Même si elle allait voir l’assistante sociale ou la police pour leur raconter les viols, ça ne changerait rien. Rien du tout. Il faut déjà trouver le courage de les raconter, ces horreurs. Et puis, trahir toute sa famille ? Jamais. On ne fait pas ça à sa meute. +++ Comme Katy est maigre à cette époque. Maigre et légère comme une plume. Lors d’une visite médicale à l’école, on lui demande même si elle mange à sa faim. Alors qu’elle fait la cuisine elle-même, pah ! Mais par la même occasion, on remarque les bleus qu’elle a dans le dos et sur les jambes, et sa bosse violette et noire à la tête. Katy sort une belle vérité aux bonnes femmes de la visite médicale : « Qu’est-ce qu’on s’amuse quand on est la seule fille et qu’on n’a que des frères ! Ça déménage, attention ! Ha, ha, ha ! » C’est le genre d’histoire qu’elles peuvent comprendre, qui rentre dans leur tête. D’autres questions ? La vérité qui se cache derrière cette histoire n’éclatera pas au grand jour. Parfois, Katy préfèrerait être morte. Rideau.