Kostenlos

Mont Oriol

Text
0
Kritiken
iOSAndroidWindows Phone
Wohin soll der Link zur App geschickt werden?
Schließen Sie dieses Fenster erst, wenn Sie den Code auf Ihrem Mobilgerät eingegeben haben
Erneut versuchenLink gesendet

Auf Wunsch des Urheberrechtsinhabers steht dieses Buch nicht als Datei zum Download zur Verfügung.

Sie können es jedoch in unseren mobilen Anwendungen (auch ohne Verbindung zum Internet) und online auf der LitRes-Website lesen.

Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

En route il rencontra le marquis de Ravenel qui lui dit:

– Ma fille est debout et s’étonne de ne vous avoir pas encore vu.

Il s’arrêta cependant sur les premières marches de l’escalier pour réfléchir à ce qu’il lui dirait. Comment allait-elle le recevoir? Serait-elle seule? Si elle parlait de son mariage, que répondrait-il.?

Depuis qu’il la savait accouchée il ne pouvait songer à elle sans frémir d’inquiétude; et la pensée de leur première rencontre, chaque fois qu’elle effleurait son esprit, le faisait brusquement rougir ou pâlir d’angoisse. Il songeait aussi, avec un trouble profond, à cet enfant inconnu dont il était le père, et il demeurait harcelé par le désir et la peur de le voir. Il se sentait enfoncé dans une de ces saletés morales qui tachent, jusqu’à sa mort, la conscience d’un homme. Mais il redoutait surtout le regard de cette femme qu’il avait aimée si fort et si peu longtemps.

Aurait-elle pour lui des reproches, des larmes ou du dédain? Ne le recevait-elle que pour le chasser?

Et quelle devait être son attitude à lui? Humble, désolée, suppliante ou froide? S’expliquerait-il ou écouterait-il sans répondre? Devait-il s’asseoir ou rester debout?

Et quand on lui montrerait l’enfant, que ferait-il? Que dirait-il? De quel sentiment apparent devrait-il être agité?

Devant la porte il s’arrêta de nouveau, et, au moment de toucher le timbre, il s’aperçut que sa main tremblait.

Il appuya son doigt cependant sur le petit bouton d’ivoire et il entendit dans l’intérieur de l’appartement tinter la sonnerie électrique.

Une domestique vint ouvrir, le fit entrer. Et, dès la porte du salon, il aperçut, au fond de la seconde chambre, Christiane qui le regardait, étendue sur sa chaise longue.

Ces deux pièces à traverser lui parurent interminables. Il se sentait chanceler, il avait peur de heurter des sièges et il n’osait pas regarder à ses pieds pour ne point baisser les yeux. Elle ne fit pas un geste, elle ne dit pas un mot, elle attendait qu’il fût près d’elle. Sa main droite restait allongée sur sa robe et sa main gauche appuyée sur le bord du berceau tout enveloppé de ses rideaux.

Quand il fut à trois pas il s’arrêta, ne sachant ce qu’il devait faire. La femme de chambre avait refermé la porte derrière lui. Ils étaient seuls.

Alors il eut envie de tomber à genoux et de demander pardon. Mais elle souleva avec lenteur sa main posée sur sa robe et, la lui tendant un peu:

– Bonjour, dit-elle d’une voix grave.

Il n’osait toucher ses doigts, qu’il effleura cependant de ses lèvres, en s’inclinant. Elle reprit:

– Asseyez-vous.

Et il s’assit sur une chaise basse, près de ses pieds.

Il sentait qu’il devait parler, mais il ne trouvait pas un mot, pas une idée, et il n’osait plus même la regarder. Il finit pourtant par balbutier:

– Votre mari avait oublié de me dire que vous m’attendiez, sans quoi je serais venu plus tôt.

Elle répondit:

– Oh! peu importe! Du moment que nous devions nous revoir… un peu plus tôt… un peu plus tard?…

Comme elle n’ajoutait plus rien, il s’empressa de demander:

– J’espère que vous allez bien, maintenant?

– Merci. Aussi bien qu’on peut aller, après des secousses pareilles.

Elle était fort pâle, maigrie, mais plus jolie qu’avant son accouchement. Ses yeux surtout avaient pris une profondeur d’expression qu’il ne leur connaissait pas. Ils semblaient assombris, d’un bleu moins clair, moins transparent, plus intense. Ses mains étaient si blanches qu’on eût dit de la chair de morte.

Elle reprit:

– Ce sont des heures très dures à passer. Mais, quand on a souffert ainsi, on se sent fort pour jusqu’à la fin de ses jours.

Il murmura, très ému:

– Oui, ce sont des épreuves terribles.

Elle répéta comme un écho:

– Terribles.

Depuis quelques secondes, de légers mouvements, ces bruits imperceptibles du réveil d’un enfant endormi, avaient lieu dans le berceau. Brétigny ne le quittait plus du regard, en proie à un malaise douloureux et grandissant, torturé par l’envie de voir ce qui vivait là-dedans.

Alors il s’aperçut que les rideaux du petit lit étaient clos du haut en bas avec des épingles d’or que Christiane portait ordinairement à son corsage. Il s’amusait souvent, autrefois, à les ôter et à les repiquer sur les épaules de sa bien-aimée, ces fines épingles dont la tête était formée d’un croissant de lune. Il comprit ce qu’elle avait voulu; et une émotion poignante le saisit, le crispa devant cette barrière de points d’or qui le séparait, pour toujours, de cet enfant.

Un cri léger, une plainte frêle s’éleva dans cette prison blanche. Christiane aussitôt balança la nacelle et, d’une voix un peu brusque:

– Je vous demande pardon de vous donner si peu de temps; mais il faut que je m’occupe de ma fille.

Il se leva, baisa de nouveau la main qu’elle lui tendait, et, comme il allait sortir:

– Je fais des voeux pour votre bonheur, dit-elle.

Antibes, Villa Muterse, 1886