Nur auf LitRes lesen

Das Buch kann nicht als Datei heruntergeladen werden, kann aber in unserer App oder online auf der Website gelesen werden.

Buch lesen: «Les trappeur de l'Arkansas», Seite 9

Schriftart:

XIII. La chasse aux abeilles

À peine le soleil se levait à l’horizon que le général, dont le cheval était sellé, sortit de la cabane en roseaux qui lui servait de chambre à coucher et se prépara à partir. Au moment où il mettait le pied à l’étrier, une main mignonne souleva le rideau de la tente et doña Luz parut.

– Oh ! oh ! déjà levée, dit en souriant le général, tant mieux, chère enfant : de cette façon je pourrai vous embrasser avant de partir, cela me portera peut-être bonheur, ajouta-t-il en étouffant un soupir.

– Vous ne partirez pas ainsi, mon oncle, répondit-elle en lui présentant son front sur lequel il déposa un baiser.

– Pourquoi donc cela, mademoiselle ? demanda-t-il gaiement.

– Parce que je vous ai préparé quelque chose que je veux que vous preniez avant de monter à cheval ; vous ne me refuserez pas, n’est-ce pas, mon bon oncle ? fit-elle avec ce sourire câlin des enfants gâtés, qui réjouit le cœur des vieillards.

– Non, sans doute, chère enfant, à condition que le déjeuner que tu m’offres de si bonne grâce ne se fasse pas attendre, je suis pressé.

– Je ne vous demande que quelques minutes, répondit-elle en rentrant dans la tente.

– Va pour quelques minutes, dit-il en la suivant.

La jeune fille frappa dans ses mains avec joie.

En un clin d’œil, le déjeuner fut prêt et le général se mit à table avec sa nièce.

Tout en servant son oncle et en ayant bien soin qu’il ne manquât de rien, la jeune fille le regardait en dessous d’un air embarrassé, et cela avec tant d’affectation, que le vieux soldat finit par s’en apercevoir.

– Voyons, dit-il en s’arrêtant et en la considérant, vous avez quelque chose à me demander, Lucila ; vous savez bien que j’ai l’habitude de ne rien vous refuser.

– C’est vrai, mon oncle ; mais cette fois je crains que vous ne soyez plus difficile à convaincre.

– Ah bah ! fit joyeusement le général, c’est donc une chose bien grave ?

– Au contraire, mon oncle ; cependant je vous avoue que je crains que vous ne me refusiez.

– Va toujours, mon enfant, répondit le vieux soldat, qui ne tutoyait sa nièce que dans ses moments d’épanchement, parle sans crainte ; lorsque tu m’auras dit ce dont il s’agit, je te répondrai.

– Eh bien, mon oncle, fit en rougissant la jeune fille qui prit tout à coup son parti, je vous avoue que le séjour du camp n’a rien de bien agréable.

– Je conçois cela, mon enfant, mais que veux-tu que j’y fasse ?

– Tout.

– Comment cela ?

– Dame ! mon oncle, si vous étiez là, ce ne serait rien, je vous aurais auprès de moi.

– Ce que tu me dis est fort aimable ; mais tu sais que, puisque je m’absente tous les matins, je ne puis y être…

– Voilà justement où est la difficulté.

– C’est vrai.

– Mais, si vous le vouliez, on la lèverait facilement.

– Tu crois ?

– J’en suis sûre.

– Je ne vois pas trop comment. À moins de rester auprès de toi, ce qui est impossible.

– Oh ! il y a un autre moyen qui arrange tout.

– Ah bah !

– Oui, mon oncle, et bien simple, allez.

– Tiens, tiens, tiens, et quel est-il ce moyen, ma mignonne ?

– Vous ne me gronderez pas, mon oncle ?

– Folle ! est-ce que je te gronde jamais ?

– C’est vrai, vous êtes si bon !

– Voyons, parle, petite câline.

– Eh bien, mon oncle, ce moyen…

– Ce moyen ?

– C’est de m’emmener avec vous tous les matins.

– Oh ! oh ! fit le général dont les sourcils froncèrent, que me demandes-tu donc là, chère enfant ?

– Mais, mon oncle, une chose bien naturelle, il me semble.

Le général ne répondit pas, il réfléchissait. La jeune fille suivait avec anxiété sur son visage les traces fugitives de ses pensées.

Au bout de quelques instants, il releva la tête.

– Au fait, murmura-t-il, cela vaudra peut-être mieux ainsi ; et fixant un regard perçant sur la jeune fille : cela te ferait donc bien plaisir de venir avec moi ? dit-il.

– Oui, mon oncle, répondit-elle.

– Eh bien, prépare-toi, chère enfant ; désormais tu m’accompagneras dans mes excursions.

La jeune fille se leva d’un bond, embrassa son oncle avec effusion et donna l’ordre de seller son cheval.

Un quart d’heure plus tard, doña Luz et son oncle, précédés par le Babillard et suivis de deux lanceros, quittaient le camp et s’enfonçaient dans la forêt.

– De quel côté voulez-vous vous diriger aujourd’hui, général ? demanda le guide.

– Conduisez-moi aux huttes de ces trappeurs dont hier vous m’avez parlé.

Le guide s’inclina en signe d’obéissance. La petite troupe s’avançait doucement et avec difficulté dans un sentier à peine tracé où, à chaque pas, les chevaux s’embarrassaient dans les lianes ou butaient contre des racines d’arbres à fleur de terre.

Doña Luz était heureuse. Peut-être, dans ces excursions, rencontrerait-elle le Cœur-Loyal.

Le Babillard, qui marchait à quelques pas en avant, poussa tout à coup un cri.

– Eh ! dit le général, que se passe-t-il donc d’extraordinaire, maître Babillard, que vous jugez convenable de parler ?

– Des abeilles, seigneurie.

– Comment des abeilles ! il y a des abeilles par ici ?

– Oh ! depuis peu seulement.

– Comment depuis peu ?

– Oui. Vous savez que les abeilles ont été apportées en Amérique par les Blancs.

– C’est vrai. Mais alors comment se fait-il qu’on en rencontre ici ?

– Rien de plus simple ; les abeilles sont les sentinelles avancées de Blancs : au fur et à mesure que les Blancs s’enfoncent dans l’intérieur de l’Amérique, les abeilles partent en avant pour leur tracer la route et leur indiquer les défrichements. Leur apparition dans une contrée inhabitée présage toujours l’arrivée d’une colonie de pionniers ou de squatters.

– Voilà qui est étrange, murmura le général, et vous êtes sûr de ce que vous me dites là ?

– Oh ! bien sûr, seigneurie, ce fait est connu de tous les Indiens, ils ne s’y trompent pas, allez, car à mesure qu’ils voient arriver les abeilles, ils se retirent.

– Ceci est véritablement singulier.

– Ce miel doit être bien bon, dit doña Luz.

– Excellent, señorita, et si vous le désirez, rien n’est plus facile que de nous en emparer.

– Faites, dit le général.

Le guide qui depuis quelques instants avait déposé sur les buissons un appât pour les abeilles, dont avec sa vue perçante il avait aperçu plusieurs voler au milieu des broussailles, fit signe à ceux qui le suivaient de s’arrêter.

Les abeilles s’étaient en effet posées sur l’appât et l’exploraient dans tous les sens, lorsqu’elles eurent fait leur provision, elles s’élevèrent très haut dans les airs, puis elles prirent leur vol en ligne droite avec une vélocité égale à celle d’une balle.

Le guide examina attentivement la direction qu’elles prenaient et, faisant signe au général, il se lança sur leurs traces suivi de toute la troupe, en se frayant un chemin à travers les racines entrelacées, les arbres tombés, les buissons et les broussailles, les yeux toujours tournés vers le ciel.

De cette façon, ils ne perdirent pas de vue les abeilles chargées et après une heure d’une poursuite des plus difficiles, ils les virent arriver à leur ruche pratiquée dans le creux d’un ébénier mort ; elles entrèrent après avoir bourdonné un moment, dans un trou situé à plus de quatre-vingts pieds du sol.

Alors le guide après avoir averti ses compagnons de rester à une distance respectueuse, afin d’être à l’abri de la chute de l’arbre et de la vengeance de ses habitants, saisit sa hache et attaqua vigoureusement l’ébénier par la base.

Les abeilles ne semblaient nullement effrayées des coups de hache, elles continuaient à rentrer et à sortir, se livrant en toute sécurité à leurs industrieux travaux. Un violent craquement, qui annonça la rupture du tronc, ne les détourna même pas de leurs occupations.

Enfin l’arbre tomba avec un horrible fracas et s’ouvrit dans toute sa longueur, laissant à découvert les trésors accumulés de la communauté.

Le guide saisit immédiatement un paquet de foin, qu’il avait préparé et qu’il alluma pour se défendre des mouches.

Mais elles n’attaquèrent personne ; elles ne cherchèrent point à se venger. Les pauvres bêtes étaient stupéfaites, elles couraient et voletaient dans tous les sens autour de leur empire détruit, sans songer à autre chose qu’à tâcher de se rendre compte de cette catastrophe.

Alors le guide et les lanceros se mirent à l’œuvre avec des cuillers et des machètes pour retirer les rayons et les renfermer dans des outres.

Plusieurs étaient d’un brun foncé et d’ancienne date, d’autres d’un beau blanc, le miel des cellules était presque limpide.

Pendant qu’on se hâtait de s’emparer des meilleurs rayons, de tous les points de l’horizon arrivèrent à tire d’aile des essaims innombrables de mouches à miel, qui se plongèrent dans les cellules des rayons brisés où elles se chargèrent, tandis que les ex-propriétaires de la ruche, mornes et hébétées, regardaient, sans chercher à en sauver la moindre parcelle, le pillage de leur miel.

L’ébahissement des abeilles absentes au moment de la catastrophe est impossible à décrire, au fur et à mesure qu’elles arrivaient avec leur cargaison ; elles décrivaient des cercles en l’air autour de l’ancienne place de l’arbre, étonnées de la trouver vide, enfin elles semblaient comprendre leur désastre et se rassemblaient en groupes sur une branche desséchée d’un arbre voisin, paraissant de là contempler la ruine gisante et se lamenter de la destruction de leur empire.

Doña Luz se sentit émue malgré elle du chagrin de ces pauvres insectes.

– Allons, dit-elle, je me repens d’avoir désiré du miel, ma gourmandise fait trop de malheureux.

– Partons, dit le général en souriant, laissons-leur ces quelques rayons.

– Oh ! fit le guide en haussant les épaules, ils seront bientôt emportés par la vermine.

– Comment la vermine ? de quelle vermine parlez-vous ? demanda le général.

– Oh ! les racoons, les opossums et surtout les ours.

– Les ours ? dit doña Luz.

– Oh ! señorita, reprit le guide, ce sont les plus adroites vermines du monde, pour découvrir un arbre d’abeilles et en tirer parti.

– Ils aiment donc le miel ? demanda la jeune fille avec curiosité.

– C’est-à-dire qu’ils en sont fous, señorita, reprit le guide qui semblait se dérider, figurez-vous qu’ils sont tellement gourmands qu’ils rongent un arbre pendant des semaines, jusqu’à ce qu’ils parviennent à y faire un trou assez large pour y passer leurs pattes, et alors ils emportent miel et abeilles, sans se donner la peine de choisir.

– Maintenant, dit le général, reprenons notre route et rendons-nous auprès des trappeurs.

– Oh ! nous y serons bientôt, seigneurie, répondit le guide, voici à quelques pas de nous la grande Canadienne, les trappeurs sont établis tout le long de ses affluents.

La petite troupe se remit en marche.

La chasse aux abeilles avait à son insu laissé à la jeune fille une impression de tristesse, qu’elle ne pouvait vaincre ; ces pauvres petits animaux, si doux et si industrieux, attaqués et ruinés pour un caprice, la chagrinaient et malgré elle, la rendaient songeuse.

Son oncle s’aperçut de cette disposition de son esprit.

– Chère enfant, lui dit-il, que se passe-t-il donc en toi ? Tu n’es plus gaie comme au moment du départ, d’où vient ce brusque changement ?

– Mon Dieu, mon oncle, que cela ne vous inquiète pas, je suis comme toutes les jeunes filles, un peu folle et fantasque ; cette chasse dont je me promettais tant de plaisir m’a laissé malgré moi un fonds de tristesse, dont je ne puis me débarrasser.

– Heureuse enfant, murmura le général, qu’une cause aussi futile a encore le pouvoir de chagriner, Dieu veuille, ma mignonne, que tu restes longtemps encore dans cette disposition, et que des douleurs plus grandes et plus vraies ne t’atteignent jamais !

– Mon bon oncle, auprès de vous ne serai-je pas toujours heureuse !

– Hélas ! mon enfant, qui sait si Dieu me permettra de veiller longtemps sur toi ?

– Ne dites pas cela, mon oncle, j’espère que nous avons de longues années à passer ensemble.

Le général ne répondit que par un soupir.

– Mon oncle, reprit la jeune fille au bout d’un instant, ne trouvez-vous pas que l’aspect de la nature grandiose et sublime qui nous environne a quelque chose de saisissant qui ennoblit les idées, élève l’âme et rend l’homme meilleur ? Que ceux qui vivent dans ces solitudes sans bornes doivent être heureux !

Le général la regarda avec étonnement.

– D’où te viennent ces pensées, chère enfant ? lui dit-il.

– Je ne sais, mon oncle, répondit-elle timidement, je ne suis qu’une ignorante jeune fille, dont la vie si courte encore s’est écoulée jusqu’à ce moment douce et paisible auprès de vous, eh bien ! il y a des moments, où il me semble que je serais heureuse de vivre dans ces vastes déserts.

Le général surpris et intérieurement charmé de la naïve franchise de sa nièce se préparait à lui répondre lorsque le guide, se rapprochant tout à coup, fit un signe pour commander le silence en disant d’une voix faible comme un souffle :

– Un homme !…

XIV. L’Élan-Noir

Chacun s’arrêta.

Dans le désert, ce mot « un homme », veut presque toujours dire « un ennemi ».

L’homme dans la prairie est plus redouté de son semblable que la bête fauve la plus féroce.

Un homme, c’est un concurrent, un associé forcé, qui par le droit du plus fort vient partager avec le premier occupant, et souvent, pour ne pas dire toujours, chercher à lui enlever le fruit de ses ingrats labeurs.

Aussi, Blancs, Indiens ou demi-sang, lorsqu’ils se rencontrent dans la prairie, se saluent-ils toujours, l’œil au guet, les oreilles tendues et le doigt sur la détente de leur rifle.

À ce cri « un homme ! » le général et les lanceros s’étaient à tout hasard préparés contre une attaque soudaine, en armant leurs fusils, et s’effaçant le mieux possible derrière les buissons.

À cinquante pas devant eux se tenait un individu qui, la crosse en terre, les deux mains appuyées sur le haut du canon d’un long rifle, les considérait attentivement.

C’était un homme d’une taille élevée, aux traits énergiques, au regard franc et décidé.

Sa longue chevelure arrangée avec soin était tressée, entremêlée de peaux de loutre et de rubans de diverses couleurs.

Une blouse de chasse de cuir orné lui tombait jusqu’aux genoux : des guêtres d’une coupe singulière, ornées de cordons, de franges et d’une profusion de grelots, entouraient ses jambes ; sa chaussure se composait d’une paire de superbes mocksens, brodés de perles fausses.

Une couverture écarlate pendait de ses épaules, elle était nouée autour des reins par une ceinture rouge, dans laquelle étaient passés deux pistolets, un couteau et une pipe indienne.

Son rifle était décoré avec soin de vermillon et de petits clous de cuivre.

À quelques pas de lui, son cheval broutait la glandée.

Comme son maître, il était harnaché de la façon la plus fantastique, tacheté et rayé de vermillon, les rênes et la croupière ornées de perles fausses et de cocardes, sa tête, sa crinière et sa queue abondamment décorées de plumes d’aigle flottant au gré du vent.

À l’aspect de ce personnage, le général ne put retenir un cri de surprise.

– À quelle tribu indienne appartient cet homme ? demanda-t-il au guide.

– À aucune, répondit celui-ci.

– Comment, à aucune ?

– Non, c’est un trappeur blanc.

– Ainsi vêtu ?

Le guide haussa les épaules.

– Nous sommes dans les prairies, dit-il.

– C’est vrai, murmura le général.

Cependant l’individu que nous avons décrit, fatigué sans doute de l’hésitation de la petite troupe qui était devant lui, et voulant savoir à quoi s’en tenir sur son compte, prit résolument la parole.

– Eh ! eh ! dit-il en anglais, qui diable êtes-vous, vous autres, et que venez-vous chercher ici ?

– Caramba ! répondit le général en rejetant son fusil en arrière, et ordonnant à ses compagnons d’en faire autant, nous sommes des voyageurs harassés d’une longue route, le soleil est chaud, nous vous demandons l’autorisation de nous reposer quelques instants dans votre rancho.

Ces paroles ayant été dites en espagnol, le trappeur répondit dans la même langue.

– Approchez sans crainte, l’Élan-Noir est un bon diable, quand on ne cherche pas à le chagriner, vous partagerez le peu que je possède, et grand bien vous fasse.

À ce nom de l’Élan-Noir, le guide ne put réprimer un mouvement d’effroi, il voulut même dire quelques mots, mais il n’en eut pas le temps, car le chasseur, jetant son fusil sur son épaule et se mettant en selle d’un bond, s’était avancé au-devant des Mexicains, auprès desquels il se trouvait déjà.

– Mon rancho est à quelques pas d’ici, dit-il au général, si la señorita veut goûter d’une bosse de bison bien assaisonnée, je suis en mesure de lui faire cette galanterie.

– Je vous remercie, caballero, répondit en souriant la jeune fille, je vous avoue qu’en ce moment j’ai plus besoin de repos que d’autre chose.

– Chaque chose viendra en son temps, dit sentencieusement le trappeur, permettez-moi, pour quelques instants, de remplacer votre guide.

– Nous sommes à vos ordres, dit le général, marchez, nous vous suivons.

– En route donc, fit le trappeur qui se plaça en tête de la petite troupe. En ce moment ses yeux tombèrent par hasard sur le guide, ses épais sourcils se froncèrent : hum ! murmura-t-il entre ses dents, que signifie cela ? Nous verrons, ajouta-t-il.

Et, sans plus paraître s’occuper de cet homme, sans avoir l’air de le reconnaître, il donna le signal du départ.

Après avoir quelque temps marché silencieusement sur le bord d’un ruisseau assez large, le trappeur fit un brusque crochet, et s’en éloigna subitement en s’enfonçant de nouveau dans la forêt.

– Je vous demande pardon, dit-il, de vous faire faire ce détour, mais il y a ici un étang à castors, et je crains de les effaroucher.

– Oh ! s’écria le jeune fille, comme je serais heureuse de voir travailler ces industrieux animaux !

Le trappeur s’arrêta.

– Rien de plus facile, señorita, dit-il, si vous voulez me suivre pendant que vos compagnons resteront ici à nous attendre.

– Oui ! oui ! répondit doña Luz avec empressement, mais, se reprenant tout à coup, oh ! pardon mon oncle, dit-elle.

Le général jeta un regard sur le chasseur.

– Allez, mon enfant, nous vous attendrons ici, fit-il.

– Merci, mon oncle, dit la jeune fille avec joie, en sautant à bas de son cheval.

– Je vous en réponds, dit franchement le trappeur, ne craignez rien.

– Je ne crains rien en vous la confiant, mon ami, répliqua le général.

– Merci ! et faisant un signe à doña Luz, l’Élan-Noir disparut avec elle au milieu des buissons et des arbres.

Lorsqu’ils furent arrivés à une certaine distance, le trappeur s’arrêta. Après avoir prêté l’oreille et regardé de tous les côtés, il se pencha vers la jeune fille, et lui appuyant légèrement la main sur le bras droit :

– Écoutez, lui dit-il.

Doña Luz s’arrêta inquiète et frémissante.

Le trappeur s’aperçut de son agitation.

– Soyez sans crainte, reprit-il, je suis un honnête homme, vous êtes aussi en sûreté, seule ici, dans ce désert avec moi, que si vous vous trouviez dans la cathédrale de Mexico, au pied du maître-autel.

La jeune fille jeta un regard à la dérobée sur le trappeur ; malgré son singulier costume, son visage avait une telle expression de franchise, son œil était si doux et si limpide en se fixant sur elle, qu’elle se sentit complètement rassurée.

– Parlez, dit-elle.

– Vous appartenez, reprit le trappeur, maintenant je vous reconnais, à cette troupe d’étrangers qui, depuis quelques jours, explorent la prairie dans tous les sens, n’est-ce pas ?

– Oui.

– Parmi vous, se trouve une espèce de fou qui porte des lunettes bleues et une perruque blonde, et qui s’amuse, je ne sais pourquoi, à faire provision d’herbes et de cailloux, au lieu de tâcher, comme un brave chasseur, de trapper un castor ou d’abattre un daim.

– Je connais l’homme dont vous parlez, il fait en effet partie de notre troupe, c’est un médecin fort savant.

– Je le sais, il me l’a dit, il vient souvent de ce côté, nous sommes bons amis ; au moyen d’une poudre qu’il m’a fait prendre, il m’a coupé complètement une fièvre qui depuis deux mois me tourmentait, et dont je ne pouvais me débarrasser.

– Tant mieux, je suis heureuse de ce résultat.

– Je voudrais faire quelque chose pour vous, afin de reconnaître ce service.

– Merci, mon ami, mais je ne sais trop à quoi vous pourrez m’être utile, si ce n’est en me montrant les castors.

Le trappeur secoua la tête.

– Peut-être à autre chose, dit-il, et plus tôt que vous le croyez. Écoutez-moi attentivement, señorita, je ne suis qu’un pauvre homme, mais ici, dans la prairie, nous savons bien des choses que Dieu nous révèle, parce que nous vivons face à face avec lui ; je veux vous donner un bon conseil : cet homme qui vous sert de guide est un fieffé coquin, il est connu pour tel dans toutes les prairies de l’Ouest ; je me trompe fort, ou il vous fera tomber dans quelque guet-apens, il ne manque pas par ici de mauvais drôles avec lesquels il peut s’entendre pour vous perdre, ou tout au moins pour vous dévaliser.

– Êtes-vous sûr de ce que vous dites ? s’écria la jeune fille, effrayée de ces paroles qui coïncidaient si étrangement avec ce que le Cœur-Loyal lui avait dit.

– J’en suis aussi sûr qu’un homme peut affirmer une chose dont il n’a pas de preuves, c’est-à-dire que, d’après les antécédents du Babillard, on doit s’attendre à tout de sa part ; croyez-moi, s’il ne vous a pas trahis encore, il ne tardera pas à le faire.

– Mon Dieu ! je vais avertir mon oncle.

– Gardez-vous-en bien, ce serait tout perdre ! les gens avec lesquels s’entend ou ne tardera pas à s’entendre votre guide, si ce n’est pas encore fait, sont nombreux, déterminés, et connaissent à fond la prairie.

– Que faire alors ? demanda la jeune fille avec anxiété.

– Rien. Attendre, et, sans en avoir l’air, surveiller avec soin toutes les démarches de votre guide.

– Mais…

– Vous comprenez bien, interrompit le trappeur, que si je vous engage à vous méfier de lui, ce n’est pas pour, le moment venu où vous aurez besoin de secours, vous laisser dans l’embarras.

– Je le crois.

– Eh bien, voici ce que vous ferez ; dès que vous serez assurée que votre guide vous trahit, vous m’expédierez votre vieux fou de docteur, vous pouvez compter sur lui, n’est-ce pas ?

– Entièrement.

– Bien. Alors, comme je vous l’ai dit, vous me l’enverrez en le chargeant de me dire seulement ceci : l’Élan-Noir ; l’Élan-Noir, c’est moi.

– Je le sais, vous nous l’avez dit.

– Très bien, il me dira donc : l’Élan-Noir, l’heure sonne. Pas autre chose. Vous vous rappellerez bien ces mots ?

– Parfaitement. Seulement, je ne comprends pas bien en quoi cela pourra nous être utile.

Le trappeur sourit d’un air mystérieux.

– Hum ! fit-il au bout d’un instant, ces quelques mots vous donneront en deux heures les cinquante hommes les plus résolus de la prairie. Hommes qui, sur un signe de leur chef, se feront tuer pour vous enlever des mains de ceux qui se seront emparés de vous, si ce que je prévois arrive.

Il y eut un moment de silence, doña Luz semblait rêveuse.

Le trappeur sourit.

– Ne soyez pas étonnée du vif intérêt que je vous témoigne, dit-il, un homme qui a tout pouvoir sur moi, m’a fait jurer de veiller sur vous pendant une absence qu’il a été obligé de faire.

– Que voulez-vous dire ? fit-elle avec curiosité, et quel est cet homme ?

– Cet homme est un chasseur qui commande à tous les trappeurs blancs des prairies ; sachant que vous aviez le Babillard pour guide, il a soupçonné ce métis d’avoir l’intention de vous entraîner dans un guet-apens.

– Mais le nom de cet homme, s’écria-t-elle d’une voix anxieuse.

– Le Cœur-Loyal ; aurez-vous confiance en moi, maintenant ?

– Merci, mon ami, merci, répondit la jeune fille avec effusion, je n’oublierai pas votre recommandation, et le moment venu, si par malheur il arrive, je n’hésiterai pas à vous rappeler votre promesse.

– Et vous ferez bien, señorita, parce que ce sera alors la seule voie de salut qui vous restera. Allons, vous m’avez compris, tout est bien, gardez pour vous notre conversation ; surtout, n’ayez pas l’air de vous entendre avec moi, ce diable de métis est fin comme un castor ; s’il se doutait de quelque chose, il vous glisserait entre les doigts comme une vipère qu’il est.

– Soyez tranquille, je serai muette.

– Maintenant, continuons notre route vers l’étang des castors. Le Cœur-Loyal veille sur vous.

– Déjà il nous a sauvé la vie, lors de l’incendie de la prairie, dit-elle avec effusion.

– Ah ! ah ! murmura le trappeur, en fixant sur elle un regard d’une expression singulière, tout est pour le mieux alors ; puis il ajouta à voix haute : Soyez sans crainte, señorita, si vous suivez de point en point le conseil que je vous ai donné, il ne vous arrivera rien dans la prairie, quelles que soient les trahisons dont vous serez victime.

– Oh ! s’écria-t-elle avec exaltation, à l’heure du danger, je n’hésiterai pas à recourir à vous, je vous le jure !

– Voilà qui est convenu, dit l’Élan-Noir en souriant, maintenant, allons voir les castors.

Ils reprirent leur marche, et au bout de quelques minutes, ils arrivèrent sur la lisière de la forêt.

Alors le trappeur s’arrêta en faisant un geste à la jeune fille, pour lui recommander l’immobilité, et, se tournant vers elle :

– Regardez, lui dit-il.