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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 7

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SARDANAPALE

Gardez-vous de penser que je ne vous rende pas justice; et puissent-ils ressembler plutôt à votre famille qu'à leur père. Je les confie à vous, à vos vertus: rendez-les dignes d'occuper un trône, ou, s'il leur est enlevé-Vous n'ignorez pas le tumulte de cette nuit?

ZARINA

Je l'avais presque oublié. J'aurais même appelé de mes vœux toutes autres peines que celles dont vous m'accablez, et qui m'amènent en ce moment près de vous.

SARDANAPALE

Le trône, – je ne le dis pas avec effroi, – le trône est en danger. Il se peut que jamais ils n'y montent; cependant, gardez-vous de leur faire oublier leurs droits. Je hasarderai tout pour le leur assurer; mais si je succombe, il faut qu'ils sachent eux-mêmes vaillamment le reconquérir: – puis, une fois reconquis, s'y maintenir avec sagesse, et ne pas gaspiller, comme je l'ai fait, la royauté.

ZARINA

Jamais ils n'apprendront de moi rien qui puisse flétrir la mémoire de leur père.

SARDANAPALE

Non; qu'ils entendent la vérité de vous plutôt que d'un monde insultant. S'ils éprouvent l'adversité, ils ne connaîtront que trop le mépris des sujets pour les princes privés de sujets; ils subiront, comme leurs propres fautes, celles de leur père. Mes enfans! mes pauvres enfans! – je supporterais tout, si je pouvais vous oublier.

ZARINA

Ne parle pas ainsi: – veux-tu empoisonner le peu de bonheur qui me reste, en maudissant ton nom de père? Si tu es vainqueur, ils régneront, ils vénéreront celui qui put se résoudre, pour eux, à conquérir un empire qui, pour lui-même, avait si peu de charmes; et si-

SARDANAPALE

Si je suis vaincu, toute la terre leur criera: Rendez-en grâce à votre père. – Et leur malédiction deviendra l'écho de la multitude.

ZARINA

Non, jamais il n'en sera ainsi; toujours leur vénération suivra le nom de celui qui, mourant en roi, fit plus pour sa gloire, dans ses derniers momens, que la plupart des monarques, dans une longue suite d'années restées comme un champ vide dans les annales du passé.

SARDANAPALE

Nos annales tirent peut-être à leur fin; quoi qu'il en soit, leurs derniers souvenirs égaleront la gloire des premiers, et comme notre aurore, notre déclin sera digne d'une mémoire éternelle.

ZARINA

Toutefois, ne soyez pas téméraire; songez à votre vie: conservez-la pour ceux qui vous aiment.

SARDANAPALE

Et ceux-là, qui sont-ils? C'est une esclave aveuglée par une tendresse passionnée, – et non par l'ambition; – elle a vu mon trône chanceler, son amour n'a pas faibli: – ce sont quelques amis, dont le plaisir a joint l'existence à la mienne, et qui cessent d'être si je succombe; c'est un frère auquel j'ai fait injure, – des enfans que j'ai négligés, et une épouse-

ZARINA

Qui vous aime.

SARDANAPALE

Me pardonne-t-elle?

ZARINA

Comment pardonnerais-je avant d'avoir condamné?

SARDANAPALE

Ma femme!

ZARINA

Oh! mille bénédictions sur toi pour ce mot! je n'espérais plus jamais l'entendre de ta bouche.

SARDANAPALE

Tu entendras bientôt ce que disent mes peuples: ces esclaves que j'avais nourris, flattés, comblés de plaisirs; auxquels j'avais donné la paix, et dont j'avais entretenu l'abondance; qui, grâce à moi, étaient, dans leur famille; autant de monarques absolus, – sont maintenant soulevés contre leur bienfaiteur. Ils demandent la mort de celui qui fit de leur vie une fête continuelle; et cependant quelques-uns, pour lesquels je n'avais rien fait, demeurent seuls fidèles. Telle est la vérité, tout incroyable qu'elle soit.

ZARINA

Trop vraisemblable, peut-être: – les bienfaits, dans les cœurs dégradés, se transforment en poison.

SARDANAPALE

Et dans les ames généreuses, le mal devient la source du bien: plus heureuses que l'abeille, qui ne peut tirer du miel que des fleurs.

ZARINA

Recueillez donc le miel, sans songer à ceux qui l'ont butiné. – Félicitez-vous: – tout le monde ne vous a pas abandonné.

SARDANAPALE

Je le crois, puisque je vis encore. Combien de tems, après avoir cessé d'être roi; jugez-vous que je resterai mortel, c'est-à-dire, où sont les mortels, et non pas où ils doivent être?

ZARINA

Je l'ignore. Mais vivez pour mes-pour vos enfans.

SARDANAPALE

Aimable et trop outragée Zarina! Je ne suis que l'aveugle esclave des circonstances et du moment; – le jouet du plus faible souffle; déplacé sur le trône, déplacé dans la vie. J'ignore ce que j'aurais dû être, mais je sens que je ne suis pas à ma place. – Poursuivons: c'est à toi que je m'adresse. Oui, j'étais indigne d'apprécier un amour, un esprit comme le tien, et d'être ravi de tes attraits, – tandis que je le fus de charmes bien inférieurs, par suite de mon aversion pour tout genre de devoir, et pour tout ce qui avait l'apparence d'une chaîne, pour moi ou pour les autres (j'en appelle à la révolte elle-même); daigne cependant écouter ces paroles, peut-être les dernières: – jamais personne ne rendit à tes vertus un plus sincère hommage, tout en négligeant d'en tirer avantage. – C'est ainsi que le mineur, en découvrant une veine d'or pur, n'y voit pas la source de son opulence; il l'a trouvée, mais elle n'est pas à lui: elle appartient au maître qui le chargea de creuser la mine, et non pas de partager la richesse qui jaillit à ses pieds; il n'ose ni la recueillir ni le peser, son unique soin doit être de remuer la vile terre.

ZARINA

Ah! crois-moi; si tu as enfin découvert que mon amour méritait quelque estime, je n'en demande pas plus. – Mais ne pouvons-nous ailleurs nous réunir; ne m'est-il pas permis, comme à toi, d'espérer encore le bonheur? La Syrie n'est pas toute la terre; – au-delà de ses limites, nous trouverons un autre monde; et nous pourrons y être plus fortunés que je ne le fus jamais, et toi-même, avec un empire sous nos ordres.

(Entre Salemènes.)
SALEMÈNES

Il faut vous séparer: – vous avez déjà perdu des momens précieux.

ZARINA

Cruel frère! nous envierais-tu des instans si solennels et si doux?

SALEMÈNES

Doux!

ZARINA

Il a été pour moi si bon, que je ne puis songer à le quitter.

SALEMÈNES

Ainsi, vos adieux vont ressembler à tous les départs féminins de ce genre; vous ne partirez pas: je l'avais prévu, et j'ai consenti, malgré moi, à votre entrevue. Mais cela ne peut être.

ZARINA

Ne peut être?

SALEMÈNES

Ou restez, et périssez. -

ZARINA

Avec mon époux-

SALEMÈNES

Et vos enfans.

ZARINA

Hélas!

SALEMÈNES

Écoutez-moi, ma sœur, mais en sœur: – tout est disposé pour assurer votre salut et celui des enfans, notre dernier espoir. Il ne s'agit pas seulement de nos sentimens privés, quelle que soit leur vivacité: – c'est une question d'état. Les rebelles feront tout pour se rendre maîtres des héritiers de leur roi et pour écraser-

ZARINA

Ah! de grâce, épargnez-moi.

SALEMÈNES

Écoutez-moi donc: une fois parvenus sains et saufs au-delà des frontières de Médie, les rebelles se verront frustrés de leur plus vif espoir: – la destruction de la race de Nemrod. Et quand le roi actuel viendrait à succomber, ses enfans vivront pour la victoire et la vengeance.

ZARINA

Mais enfin, moi, ne pourrais-je pas demeurer seule ici?

SALEMÈNES

Fort bien! laisser, avant votre mort, vos enfans orphelins de leur père et de leur mère; – les abandonner si jeunes dans une terre étrangère et lointaine!

ZARINA

Non, – mon cœur sera brisé.

SALEMÈNES

Maintenant, vous connaissez tout, – décidez.

SARDANAPALE

Zarina, je l'approuve; nous devons céder, pour un tems, à la nécessité. En restant ici, vous risquez de tout perdre; en partant, vous sauvez la plus précieuse partie de ce qui reste à chacun de nous, et aux ames loyales qui pensent encore à nous dans ce royaume.

SALEMÈNES

Le tems presse.

SARDANAPALE

Séparons-nous donc. Si jamais nous nous rejoignons, peut-être serai-je moins indigne de vous; – et s'il en est autrement, rappelez-vous que mes fautes, hélas! irréparables, ont du moins pris fin. – Le dirai-je? je crains que tu n'aies bientôt sujet de déplorer le sort de l'ancien maître de l'Assyrie. – Mais je m'aperçois que je cesse d'être homme: contraignons-nous; je dois désormais me faire à l'insensibilité. Mes fautes sont toutes venues de mon naturel, d'un caractère trop faible. – Va, cache tes pleurs. – Je ne puis t'ordonner de n'en pas répandre: – il serait plus aisé de faire remonter l'Euphrate vers sa source que de retenir une seule larme d'un cœur vraiment tendre et sincère. – Mais, du moins, cache-les moi; elles m'enlèvent toute ma force, à l'instant même où je dois secouer ma première faiblesse. Mon frère, conduis-la dehors.

ZARINA

Ô ciel! ne le verrai-je donc plus!

SALEMÈNES, essayant de l'entraîner

Allons, ma sœur, il faut m'obéir.

ZARINA

Je resterai: – n'espérez pas me contraindre. Doit-il donc mourir seul, et moi supporter seule la vie!

 
SALEMÈNES

Il ne mourra pas seul, quoi qu'il arrive; mais vous, n'avez-vous pas, pendant longues années, vécu solitaire?

ZARINA

Vous vous trompez: il vivait; je le savais, et j'existais dans cette idée. – Laissez-moi demeurer.

SALEMÈNES, l'entraînant vers la porte

Il faut donc me résoudre à employer la force: vous pardonnerez à votre frère.

ZARINA

Non, jamais: au secours! Pouvez-vous, Sardanapale, souffrir que l'on m'arrache ainsi de vos bras?

SALEMÈNES

Fort bien. – Faudra-t-il tout perdre, au lieu de profiter de l'instant qui nous reste?

ZARINA

Ma tête se perd, – mes yeux s'égarent: – où est-il? (Elle s'évanouit.)

SARDANAPALE, s'approchant

Arrêtez, laissez-la: – elle est morte, – et c'est vous qui l'avez tuée.

SALEMÈNES

Pur effet d'une sensibilité excessive: l'impression de l'air la ranimera. Demeurez, je vous prie. – (À part.) Et nous, profitons de l'instant pour l'entraîner sur le fleuve, dans la galère royale, où ses enfans l'attendent.

(Salemènes sort, emportant Zarina.)
SARDANAPALE, seul

Encore! – il faut encore souffrir cela, – moi qui jamais n'affligeai volontairement un seul cœur! Mais je me trompais, – elle m'aimait, et je la chérissais. Passion fatale! pourquoi n'as-tu pas expiré au même instant dans les cœurs que tu avais en même tems pénétrés? Zarina! oh! que je paie cher l'affliction à laquelle je te condamne! Que ne l'ai-je seule aimée, et je serais encore un monarque absolu de nations respectueuses. Dans quel gouffre le plus léger écart des sentiers de la vertu conduit ceux qui sollicitent comme un droit l'hommage du genre humain, et qui ne l'obtiennent qu'autant qu'ils se respectent eux-mêmes!

(Entre Mirrha.)
SARDANAPALE

Vous ici! qui vous y a mandée?

MIRRHA

Personne. – Mais j'avais entendu de loin un accent de peine et des gémissemens; j'ai pensé-

SARDANAPALE

J'ignore qui peut vous avoir donné le droit d'entrer ici sans y être appelée.

MIRRHA

Je pourrais peut-être invoquer le souvenir de paroles bienveillantes, bien que dites aussi sur un ton de reproche, alors que je semblais craindre d'être indiscrète; je pourrais rappeler l'ordre que vous m'avez donné de ne jamais m'éloigner de vous, et même de vous aborder sans y être invitée: – je me retire.

SARDANAPALE

Non, demeurez, – puisque vous voici. Pardonnez-moi, je vous prie: les circonstances m'ont étourdi au point de me rendre intraitable. – Ne vous en effrayez pas: je redeviendrai bientôt moi-même.

MIRRHA

J'attends avec patience ce que je verrai avec plaisir.

SARDANAPALE

Justement à l'instant où vous pénétriez dans cette salle, Zarina, la reine d'Assyrie, en sortait.

MIRRHA

Ah!

SARDANAPALE

Pourquoi frémissez-vous?

MIRRHA

Vous vous trompez.

SARDANAPALE

Vous avez bien fait d'entrer d'un autre côté, car vous l'auriez rencontrée. Du moins cet instant douloureux lui fut épargné!

MIRRHA

Je sais compatir à son sort.

SARDANAPALE

Cela est beaucoup, et même surnaturel. – Il ne peut y avoir entre vous aucun genre de sympathie: vous ne pouvez la plaindre, et, de son côté, elle ne peut que-

MIRRHA

Mépriser l'esclave favorite, autant, peut-être, mais non plus qu'elle ne s'est toujours méprisée.

SARDANAPALE

Méprisée! Eh quoi! vous, objet d'envie pour votre sexe, maîtresse du maître du monde?

MIRRHA

Fussiez-vous le maître d'un millier de mondes, – comme vous l'êtes d'un seul, qui vous échappe encore, – je me suis autant avilie, en étant votre maîtresse, qu'en étant celle d'un paysan: – que dis-je, bien plus encore, si ce paysan était un Grec.

SARDANAPALE

Vous parlez bien-

MIRRHA

Et avec vérité.

SARDANAPALE

Dans les heures d'adversité, tous les outrages sont permis contre ceux qui tombent; mais je ne suis pas encore complètement déchu; et je ne me sens nullement disposé, précisément parce que je les ai peut-être trop mérités, à subir des reproches. Séparons-nous, tandis que l'union règne encore entre nos deux cœurs.

MIRRHA

Nous séparer?

SARDANAPALE

Tous les êtres jadis vivans ne se sont-ils pas également séparés; tous ceux qui vivent ne se sépareront-ils pas un jour?

MIRRHA

Mais pourquoi?

SARDANAPALE

Pour votre salut, qui m'est toujours cher. Je vous fais conduire dans votre terre natale par une forte escorte; les dons que vous recevrez, dignes en tout d'une reine, rendront votre dot égale à celle d'un royaume.

MIRRHA

Ne parlez pas ainsi, je vous en conjure.

SARDANAPALE

Eh quoi! la reine est partie: rougiriez-vous de suivre son exemple? Je veux tomber seul: – je ne demande de compagnons que dans mes plaisirs.

MIRRHA

Et si mon seul plaisir, à moi, est de ne pas partir; persisterez-vous à m'arracher des lieux où vous êtes?

SARDANAPALE

Songez-y bien: – bientôt il sera trop tard.

MIRRHA

Que ne l'est-il déjà! rien alors ne pourrait me séparer de vous.

SARDANAPALE

Je ne le désire pas; mais je croyais que vous le souhaitiez.

MIRRHA

Moi?

SARDANAPALE

Vous parliez de votre avilissement.

MIRRHA

Ajoutez que je le sentais profondément, – plus profondément que tout au monde, excepté l'amour.

SARDANAPALE

Pourquoi donc ne pas vous y soustraire?

MIRRHA

Mon départ ne rappellerait pas le passé; – il ne me rendrait ni l'honneur, ni la liberté. Non, je reste ici, ou je meurs. Si vous demeurez victorieux, mon bonheur sera dans votre triomphe; si votre sort change, je ne pleurerai pas, je le partagerai. Ah! vous ne doutiez pas de moi, il n'y a qu'une heure!

SARDANAPALE

De votre courage, jamais. – Pour la première fois, je viens d'éprouver des doutes sur votre amour; et nulle autre que vous-même n'aurait pu m'inspirer cette défiance. Ces mots-

MIRRHA

Étaient des mots. Cherchez, je vous prie, de meilleures preuves dans une conduite passée, que vous vous plaisiez à vanter cette dernière nuit même, et dans ma conduite future, quelle que soit d'ailleurs votre destinée.

SARDANAPALE

Je suis satisfait; confiant dans ma cause, j'espère encore à la victoire et au retour de la paix, – la seule victoire que je souhaite. La guerre ne devait pas être la gloire, et les conquêtes, la renommée. La nécessité de défendre aujourd'hui mes droits est plus cruelle à mes yeux que tous les coups dont voudraient me frapper ces hommes ambitieux. Jamais, non jamais, dussé-je vivre assez pour en parler à d'autres générations, je n'oublierai cette horrible nuit. J'espérais, par mes bienfaisans efforts, introduire au milieu de nos annales sanguinaires une ère de douce paix, un abri plein de fraîcheur dans le désert de notre histoire, sous lequel la postérité viendrait se reposer et sourire, recueillir ses fruits, ou soupirer quand elle ne pourrait rappeler le règne d'or de Sardanapale. Je croyais avoir fait de mon empire un paradis, et de chaque lune une époque toujours nouvelle de plaisir. Hélas! j'ai pris le bruissement de la populace pour de l'amour, – la voix de mes amis pour la vérité, – et pour ma seule récompense, les lèvres d'une femme. – Et elles le sont en effet, chère Mirrha. (Il lui donne un baiser.) Embrasse-moi. Maintenant perdons, s'il le faut, mon royaume et la vie! Ils peuvent en disposer, mais jamais de toi!

MIRRHA

Non, jamais! L'homme peut ravir à l'homme, son frère, tout ce qu'il y a de grand ou de brillant dans le monde; les empires tombent, les armées se dispersent, les amis s'éloignent, les esclaves fuient: tous enfin trahissent, et d'abord, les plus accablés de bienfaits. Mais un cœur dont l'ambition ne soutient pas l'amour n'imite pas l'univers: tu l'éprouveras.

(Entre Salemènes.)
SALEMÈNES

Je vous cherchais. – Eh quoi! elle encore ici?

SARDANAPALE

Ne renouvelez pas vos reproches: votre présence, sans doute, indique des circonstances autrement graves que la présence d'une femme.

SALEMÈNES

La seule femme à laquelle je m'intéressais doit, en ce moment, son salut à son absence: – la reine est embarquée.

SARDANAPALE

Heureusement? parlez.

SALEMÈNES

Oui, sa faiblesse une fois dissipée, elle s'assit dans la barque silencieusement, et sans répandre de larmes. Son visage pâle, ses yeux brillans demeurèrent, après un regard rapide jeté sur ses enfans endormis, fixés sur les tours du palais, tandis que la barque rapide fendait les flots murmurans, à la lueur des astres nocturnes; mais elle ne prononça pas une seule parole.

SARDANAPALE

Oh! que mon cœur n'est-il aussi silencieux qu'elle!

SALEMÈNES

Il est trop tard maintenant pour vous attendrir! votre sensibilité ne peut fermer une seule plaie. Pour en changer le cours, je vous annonce que les Mèdes et les Chaldéens révoltés, conduits par leurs deux chefs, ont déjà repris les armes; rangés en bataille, ils se préparent à une nouvelle et terrible attaque. Il faut que d'autres satrapes se soient réunis à eux.

SARDANAPALE

Eh quoi! encore des rebelles? Marchons donc les premiers à leur rencontre!

SALEMÈNES

C'était d'abord mon intention, mais il y aurait trop d'imprudence. Si d'ici à la chute du jour nous sommes rejoints par ceux que mes messagers auront dû prévenir, nous serons assez forts pour hasarder une attaque, et même espérer la victoire; mais, d'ici là, mon avis est d'attendre.

SARDANAPALE

J'ai horreur de tout retard. Sans doute, il est plus sûr de combattre à l'abri de hautes murailles, de précipiter ses ennemis dans les fosses profondes, ou de les recevoir à la pointe des glaives ou des lances; mais ce plaisir ne m'offre pas de charmes. Tout insouciant que je paraisse, si je viens à les poursuivre, fussent-ils protégés par d'inaccessibles montagnes, je saurais les joindre ou périr dans des flots de sang. – À la charge!

SALEMÈNES

Vous parlez en jeune soldat.

SARDANAPALE

Je suis homme, et non soldat. Ne prononcez pas ce mot, je le hais, et ceux qui se font orgueil de l'être; contentez-vous de me conduire sur leurs traces.

SALEMÈNES

Vous devez vous défendre d'une témérité qui exposerait votre vie. Elle n'est pas comme la mienne, ou celle de tout autre sujet: elle porte avec elle les destins de la guerre; elle seule la soulève et l'alimente; elle seule peut la prolonger ou la finir.

SARDANAPALE

Terminons-les donc toutes deux: cela vaut mieux peut-être que de les prolonger; je suis las de l'une, et peut-être également de l'autre.

(On entend au dehors une trompette.)
SALEMÈNES

Écoutons.

SARDANAPALE

Sachons répondre à ce signal, au lieu de l'écouter.

SALEMÈNES

Mais votre blessure?

SARDANAPALE

Fermée, – guérie: – je l'avais oubliée. Marchons! Une lancette m'eût piqué plus au vif: l'esclave qui m'atteignit aurait sujet de rougir de m'avoir si légèrement frappé.

SALEMÈNES

Puissiez-vous maintenant ne pas rencontrer de bras plus redoutable!

SARDANAPALE

Oui, si nous sommes vainqueurs; autrement, leur maladresse ne fera que me laisser un soin qu'ils devraient épargner à leur roi. En avant!

(Les trompettes retentissent de nouveau.)
SALEMÈNES

Je marche à vos côtés.

 
SARDANAPALE

Holà! mes armes! mes armes!

(Ils sortent.)
FIN DU QUATRIÈME ACTE

ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE
(La même salle dans le palais.)
MIRRHA, BALÉA
MIRRHA, à la fenêtre

Enfin, le jour est arrivé. Quelle nuit l'a précédé! Les cieux, bien que traversés par un orage passager, semblent plus admirables encore par cet effet varié. Et cependant, quelles horreurs sur la terre! Repos, espérances, amour, plaisirs, tout, en une heure, s'est transformé, à la voix des passions humaines, en un chaos toujours également indistinct. – Le combat dure encore. Se peut-il que le soleil se lève aussi radieux! Voyez comme il transforme chaque nuage en vapeurs qui, plus belles qu'un ciel sans nuages, offrent à nos yeux des sommets dorés, des montagnes neigeuses, des vagues d'un reflet plus rose que celui de l'Océan. Le ciel reproduit, en les colorant, les objets de la terre, si fidèles qu'on pourrait les croire durables; si fugitifs, que nous les prendrions volontiers pour un rêve, tant ils se succèdent rapidement sous la voûte éternelle! Et cependant ce spectacle touche, calme et ravit notre ame, jusqu'à ce que le soleil apparaisse lui-même, et que sa naissance et sa disparition soient un double et éternel signal de mélancolie et d'amour. Ceux qui contemplent sans émotion ces deux instans solennels ne connaissent pas les lieux favoris habités par le double génie qui tourmente et purifie nos cœurs, et dont nous ne changerions pas les douces peines pour les éclats de la joie la plus bruyante. Ils passent rapidement; mais dans cette heure d'un calme fugitif, ils nous communiquent assez d'inspirations célestes pour nous donner la force de supporter la fatigue et l'ennui des autres heures du jour, et pour mêler à nos souffrances un souvenir agréable et rêveur. Mais, hélas! comme tous nos semblables, nous n'en consumons pas moins notre vie dans les alternatives de la joie et de la douleur; deux noms d'un seul sentiment, expression d'une agonie toujours diverse, toujours active, et qui vient sans cesse déjouer nos plus ardens vœux de bonheur.

BALÉA

Quelle raison dans vos plaintes! Pouvez-vous contempler avec tant de tranquillité un soleil qui peut-être ne se lèvera plus pour nous?

MIRRHA

C'est pour cela que je le contemple, et que mes yeux se reprochent de ne l'avoir pas plus regardé. Souvent, il est vrai, ils se sont arrêtés sur lui; mais sans le respect, sans l'enthousiasme du à tout ce qui ravit notre ame aux impressions de la terre. Le voilà! c'est le dieu des Chaldéens: aujourd'hui, que je le contemple, je suis presque convertie à la religion de votre Baal.

BALÉA

Oui, comme il règne à présent dans les cieux, tel, jadis, s'avançait-il sur la terre.

MIRRHA

Du moins, aujourd'hui, marche-t-il plus rapidement. Jamais monarque terrestre eut-il la moitié de la majesté et de la gloire qui sont l'attribut du plus faible de ses rayons?

BALÉA

Comment douter qu'il ne soit un dieu!

MIRRHA

Nous le croyons aussi, nous autres Grecs; et cependant j'ai quelquefois songé que cet orbe lumineux devait être plutôt le séjour de dieux que l'une des puissances immortelles. Voyez! il reste vainqueur de tous les nuages, il éblouit mes yeux d'une lumière qui déjà a ranimé le monde: je ne puis plus le regarder.

BALÉA

Mais écoutez! N'entendez-vous aucun bruit?

MIRRHA

Pure imagination; les combattans sont au-delà des murs, et nos appartemens ne sont plus, comme la dernière nuit, leur champ de bataille. Depuis cette heure de surprise, le palais s'est transformé en une forteresse: et du point central où nous sommes confinés, entourés de vastes cours, et de salles aux proportions pyramidales, qu'il faudra conquérir, l'une après l'autre, avant de pouvoir pénétrer aux lieux d'où ils furent repoussés, nous ne pouvons distinguer le moindre bruit de défaite ou de victoire.

BALÉA

Mais ils avaient bien su franchir tous ces obstacles.

MIRRHA

Oui, par surprise: ils en furent repoussés par la valeur. Maintenant, nous avons pour nous garder la valeur jointe à la vigilance.

BALÉA

Puisse le succès les accompagner!

MIRRHA

C'est la prière de beaucoup, et l'effroi d'un plus grand nombre. Heure d'inquiétude mortelle! j'ai beau vouloir donner le change à mes pensées, hélas! c'est en vain.

BALÉA

On dit que la conduite du roi, dans le dernier combat, n'inspira guère plus d'effroi aux révoltés que d'étonnement aux sujets restés fidèles.

MIRRHA

Il est si facile de surprendre ou d'effrayer une multitude transformée en hordes d'esclaves. Au reste, il s'est comporté en brave guerrier.

BALÉA

N'a-t-il pas tué Belèses? J'ai ouï dire aux soldats qu'il l'avait terrassé.

MIRRHA

En effet; mais le misérable fut sauvé, pour triompher peut-être aujourd'hui de celui qui, l'ayant vaincu les armes à la main, l'avait alors épargné, et, par cette pitié déplacée, risquait une couronne.

BALÉA

Écoutez!

MIRRHA

Vous avez raison, le bruit des pas se fait entendre, quoique sourdement.

(Entrent des soldats portant Salemènes blessé d'une javeline qui s'est brisée dans son côté: ils l'étendent sur l'une des couches qui décorent l'appartement.)
MIRRHA

Ô puissant Jupiter!

BALÉA

Ainsi, tout est perdu!

SALEMÈNES

Cela est faux. Qu'on immole l'esclave qui parle ainsi, si c'est un soldat.

MIRRHA

Grâce! – il ne l'est pas. Ce n'est que l'un de ces papillons qui bourdonnent autour du char de triomphe des rois.

SALEMÈNES

Eh bien, qu'il vive!

MIRRHA

Et vous aussi, je l'espère?

SALEMÈNES

Je voudrais encore vivre une heure, jusqu'à ce que tout fût décidé; mais j'en doute. Pourquoi m'a-t-on transporté ici?

SOLDAT

Le roi l'a ordonné. Quand la javeline vous atteignit, vous êtes tombé sans force; son ordre exprès fut de vous conduire dans cet appartement.

SALEMÈNES

Il a bien fait, car dans ce moment d'incertitude et d'hésitation, la vue de mon cadavre pouvait ébranler nos soldats; mais-c'est en vain. Je me sens suffoqué.

MIRRHA

Laissez-moi voir la blessure; j'ai quelque connaissance: dans ma patrie, celle-ci forme une partie de notre éducation. La guerre, toujours renouvelée, nous rend la vue des blessures familière.

SOLDAT

Le mieux serait d'arracher la javeline.

MIRRHA

Arrêtez! non, non: gardez-vous-en bien!

SALEMÈNES

C'en est donc fait?

MIRRHA

Non; mais le sang qui jaillirait en abondance de la plaie ouverte me ferait craindre pour ta vie.

SALEMÈNES

Pour moi, je ne crains pas la mort. Où était le roi quand vous m'avez arraché du champ de bataille?

SOLDAT

À quelques pas de là, animant de la voix et du geste les troupes découragées, qui vous avaient vu tomber et perdre connaissance.

SALEMÈNES

Et qui entendîtes-vous transmettre les ordres à ma place?

SOLDAT

Je n'ai rien entendu.

SALEMÈNES

Courez donc; et dites au roi que mon dernier vœu serait que Zames me remplaçât, jusqu'à la jonction tant désirée et si tardive du satrape de Suse, Ofratanes. Laissez-moi ici: nos troupes ne sont pas assez nombreuses pour se passer de votre présence.

SOLDAT

Mais, prince-

SALEMÈNES

Partez, vous dis-je. Il me resté ici un courtisan et une femme, c'est la meilleure société d'un appartement. Et puisque vous ne m'avez pas permis de mourir sur le champ de bataille, je ne veux pas de mauvais soldats autour de mon lit de mort. Partez! et remplissez mes ordres!

(Les soldats sortent.)
MIRRHA

Ame grande et généreuse! faut-il que la terre se referme sitôt sur toi!

SALEMÈNES

Telle est la fin que j'aurais préférée, aimable Mirrha, si, par ce moyen, j'avais pu sauver le monarque ou la monarchie; et quoi qu'il en soit, je ne leur survivrai pas.

MIRRHA

Vous pâlissez.

SALEMÈNES

Votre main, je vous prie. Le tronçon de cette arme ne fait que prolonger mon agonie, sans me laisser assez de vie pour la rendre utile à mon pays: je l'arracherais de mon sein, et avec lui mon existence, si je ne désirais auparavant connaître le sort du combat.

(Entrent Sardanapale et soldats.)
SARDANAPALE

Mon excellent frère!

SALEMÈNES

Et la bataille, est-elle perdue?

SARDANAPALE, à demi-voix

Vous me voyez ici.

SALEMÈNES

Et je voudrais vous voir à ma place!

(Il arrache violemment le trait de sa blessure, et meurt.)
SARDANAPALE

Cet exemple, je le suivrai; à moins que le secours, dernière lueur de nos espérances, n'arrive avec Ofratanes.

MIRRHA

N'avez-vous pas reçu un courrier de votre frère, qui, avant de mourir, désignait pour chef Zames?

SARDANAPALE

Oui.

MIRRHA

Zames, où est-il?

SARDANAPALE

Mort.

MIRRHA

Et Altada?

SARDANAPALE

Mourant.

MIRRHA

Pania, Sféro?

SARDANAPALE

Pania vit encore; mais Sféro est en fuite ou captif: je reste seul.

MIRRHA

Tout est-il donc perdu?

SARDANAPALE

Nos murs, quoique faiblement défendus, peuvent encore résister à leurs forces présentes, à tout même excepté à la trahison; mais en pleine campagne-

MIRRHA

Je croyais que l'intention de Salemènes était de ne pas risquer de saillie avant l'arrivée des secours attendus.

SARDANAPALE

J'ai méprisé ses conseils.

MIRRHA

Bien: c'est une faute héroïque.

SARDANAPALE

Mais fatale. Ô mon frère! je donnerais ces états, dont tu fus la gloire; je donnerais mon épée, mon bouclier, l'honneur que j'ai reconquis, pour te rappeler à la vie; – mais je ne t'accorderai pas de larmes: il faut te pleurer comme tu désirais de l'être. Seulement, j'ai l'ame oppressée de ce qu'en quittant la vie tu parus croire que je survivrais à notre longue royauté héréditaire, à laquelle tu sacrifias tes jours. Si je parviens à la ressaisir, je t'offrirai en sacrifice le sang de milliers, les pleurs de millions d'hommes (quant aux regrets des gens de bien, ils te sont déjà acquis). S'il en est autrement, et si les ames survivent à notre terrestre existence, nous nous réunirons bientôt; mais tu lis dès à présent dans mon cœur, et tu me rends justice. Laisse-moi rapprocher ce cœur immobile d'un cœur qui bat encore si douloureusement. (Il embrasse le corps.) Maintenant, qu'on le transporte.

SOLDAT

Où?

SARDANAPALE

Dans mon appartement. Placez-le sous mon dais, comme si le roi lui-même reposait: plus tard, nous parlerons des honneurs dus à de pareilles cendres.

(Les soldats sortent avec le corps de Salemènes. – Entre Pania.)
SARDANAPALE

Eh bien, Pania! avez-vous placé les gardes, et donné le mot d'ordre convenu?

PANIA

Sire, j'ai obéi.

SARDANAPALE

Et les soldats, quelle est leur contenance?

PANIA

Sire?

SARDANAPALE

Il suffit. Quand un roi demande deux fois, et n'obtient pour réponse qu'une nouvelle question, il connaît son sort. Ainsi, ils sont tous découragés?

PANIA

La mort de Salemènes et les transports bruyans des révoltés au signal de sa chute-

SARDANAPALE

Quoi! cela n'a pas excité leur rage, plutôt que leur consternation! Nous trouverons le moyen de ranimer leur valeur.

PANIA

Une pareille perte flétrirait même une victoire.

SARDANAPALE

Hélas! qui peut le sentir aussi vivement que moi! Mais enfin, bien que resserrés dans nos murs, les remparts sont forts, et nous avons des guerriers au-dedans qui s'ouvriront volontiers un chemin au travers des ennemis, pour rendre la demeure du souverain ce qu'elle était: – un palais, et non pas une prison ni une forteresse.

(Un officier entre à la hâte.)
SARDANAPALE

Ton visage est sinistre, parle!

L'OFFICIER

Je ne l'ose.

SARDANAPALE

Tu ne l'oses! quand des millions d'autres osent se révolter, le glaive en main! cela est étrange. Romps, je te prie, ce fidèle silence; tu viens trop tard pour frapper de nouveaux coups ton souverain; crois-moi, je puis supporter plus que tout ce que tu vas m'apprendre.