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Buch lesen: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11», Seite 22

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LETTRE CCCXVII

A M. MOORE

Palazzo Mocenigo, Canal Grande.

Venise, 1er juin 1818.

«Votre lettre me donne presque les seules nouvelles que j'aie encore eues du quatrième chant, et elle ne me fixe nullement sur son sort; du moins elle ne me dit pas comment le poème a été reçu par le public; mais je n'en augure pas grand'chose, d'abord à cause de «l'horrible silence» de Murray, puis d'après ce que vous me dites au sujet des stances qui entrent l'une dans l'autre 91; mais cette idée ne me paraît pas venir de vous, ce sont les bleus qui vous en auront étourdi les oreilles. Le fait est que la terza rima des Italiens, qui va toujours son train, peut bien m'avoir porté à faire quelques expériences, ou bien la nonchalance m'aura conduit à la présomption, ou, si vous voulez, la présomption à la nonchalance; dans l'un ou l'autre cas, il est probable qu'il faut renoncer au succès, et que ma jolie femme se terminera en poisson, de sorte que Childe Harold sera comme la syrène qui est dans l'écusson de ma famille, et son quatrième chant lui servira de queue. Quoi qu'il en soit, je ne veux pas chercher querelle au public, car les Bulgares ont ordinairement raison, et si j'ai manqué le but cette fois, je puis l'atteindre une autre; ainsi donc, que les dieux nous tiennent en joie........... ..............................

Note 91: (retour) Je lui disais, je crois, dans ma lettre, que cet usage de faire entrer une stance dans l'autre ressemblait un peu à prendre des chevaux pour une autre poste sans s'arrêter.(Note de Moore.)

»Vous aimez Beppo, vous avez raison.....

«Je n'ai pas encore vu les Fudges 92; mais je vis dans l'espoir qu'ils m'arriveront. Je n'ai pas besoin de vous dire que vos succès sont les miens. A propos, Lydia Volute est ici, et vient de m'emprunter mon exemplaire de votre Lalla Rookh......

Note 92: (retour) Ouvrage de Moore.

»Je ne connais de bon modèle pour la vie de Shéridan que celle de Savage. Rappelez-vous, cependant, qu'il est facile de rendre la vie d'un tel homme bien plus amusante que s'il eût été un Wilberforce, – et cela sans offenser les vivans et sans insulter les morts. Les whigs l'injurièrent, ce qui n'empêcha pas qu'il ne les abandonna jamais. – Quant à ses créanciers, rappelez-vous que Shéridan ne posséda jamais un scheling, qu'il se trouva jeté au milieu de la haute société avec de grandes facultés et de grandes passions, et porté au pinacle de la gloire sans aucun moyen apparent de se soutenir dans son élévation. Fox payait-il ses dettes? – et Shéridan accepta-t-il jamais une souscription? L'ivrognerie du duc de Norfolk était-elle plus excusable que la sienne? ses intrigues étaient-elles plus notoires que celles de ses contemporains? et sa mémoire sera-t-elle flétrie pendant que la leur est respectée? Ne vous laissez pas entraîner par des clameurs, mais comparez-le d'abord avec Fox, le faiseur de coalitions et le pensionnaire Burke, comme homme à principes politiques, comparez-le à cent mille autres, si vous voulez, en fait de rapports personnels, mais à personne pour le talent, car il laisse tout le monde loin derrière lui; sans moyens pécuniaires, sans liaisons, sans réputation, ce qui d'abord put être une injustice et finit ensuite par l'entraîner (du désespoir à la folie), il les surpassa tous dans tout ce qu'il entreprit jamais; mais, hélas! pauvre nature humaine! Bonne nuit, ou plutôt, bonjour. – Il est quatre heures; l'aurore brille sur le Grand Canal et découvre le Rialto. – Il faut aller coucher. – J'ai veillé toute la nuit; – mais, comme dit Georges Philpot, c'est là la vie, quoiqu'une diable de vie.

»Toujours tout à vous.

»Excusez les méprises. – Je n'ai pas le tems de relire: la poste part à midi. Je vous écrirai bientôt du nouveau au sujet de votre plan de publication.»

Pendant la plus grande partie de l'époque que comprend cette série de lettres, Lord Byron avait continué d'occuper le même appartement, dans une petite rue fort étroite, chez un marchand de toile, à la femme duquel il consacrait une grande partie de ses pensées. Sa conduite prouve évidemment qu'il était alors attaché à cette femme, autant du moins qu'une passion si fugitive peut mériter le nom d'attachement. Le langage de ses lettres démontre suffisamment combien la nouveauté de cette liaison avait séduit son imagination; et les Vénitiens, chez qui de tels arrangemens sont des choses toutes naturelles, s'amusaient beaucoup de l'assiduité avec laquelle il accompagnait sa signora aux théâtres et aux redoutes. Ce fut même avec beaucoup de peine qu'il se décida à se séparer d'elle le tems qu'il lui fallait pour la courte visite qu'il fit à la ville immortelle où il acquit lui-même un de ses plus beaux titres à l'immortalité 93, et, dans l'espace de quelques semaines, ayant puisé plus d'inspirations dans tout ce qu'il voyait qu'il n'eût été susceptible d'en éprouver en d'autres lieux pendant des années entières, il se hâta de revenir sans étendre son voyage jusqu'à Naples, après avoir écrit à la belle Marianna de venir au-devant de lui à quelque distance de Venise.

Note 93: (retour) Par son poème des Plaintes du Tasse qu'il y composa, comme on l'aura vu dans ses lettres.(Note du Trad.)

Outre les marques de libéralité qu'il avait su donner à propos au mari, qui, à ce qu'il paraît, avait failli dans son commerce, il avait fait aussi présent à la dame d'une belle parure de diamans, et l'on raconte à ce sujet une anecdote qui montre l'excessive indulgence et facilité de son caractère envers ceux qui avaient su trouver quelque accès dans son cœur. Un écrin qu'on voulait vendre lui ayant été offert un jour, il ne fut pas peu surpris de reconnaître les mêmes bijoux qu'il avait, quelque tems auparavant, donnés à sa belle maîtresse, et qui, par quelque moyen très-peu romantique, avaient été remis de nouveau en circulation. Sans s'informer, cependant, de quelle manière la chose était arrivée, il racheta généreusement l'écrin, et en fit de nouveau présent à la dame, lui reprochant avec bonté le peu de cas qu'elle semblait faire de ses dons.

On ne peut dire jusqu'à quel point cet incident, peu sentimental, eut part à dissiper les illusions de sa passion; mais il est certain qu'avant l'expiration de la première année il commença à trouver que son logement dans la Spezieria était incommode; il entra alors en marché avec le comte Gritty pour son palais situé sur le Grand Canal, s'engageant à payer deux cents louis de loyer, ce qui est, je crois, regardé comme un prix considérable à Venise. S'étant aperçu, cependant, que, dans la copie de l'acte qu'on lui apporta à signer, on avait introduit une nouvelle clause qui l'empêchait, non-seulement de sous-louer la maison, s'il quittait Venise, mais encore d'en permettre l'occupation à aucun de ses amis pendant les absences momentanées qu'il pourrait faire, il refusa de conclure à ces conditions; et piqué qu'on se fût départi d'une manière si importante du premier engagement pris avec lui, il déclara dans une société qu'il donnerait volontiers le même prix, quoiqu'il fût reconnu exorbitant, de tout autre palais de Venise, quelque inférieur qu'il pût être à celui-là. Après une telle déclaration il ne devait pas s'attendre à rester long-tems sans maison, et la comtesse Mocenigo lui ayant offert un de ses trois palazzi sur le Grand Canal, il se transporta dans cette habitation dans l'été de la même année, et continua d'y résider pendant le reste de son séjour à Venise.

Tout blâmable qu'était, sous le rapport des mœurs et des convenances, le genre de vie qu'il menait chez M***, je me vois forcé d'avouer avec peine que c'était peu de chose en comparaison de la licence effrénée à laquelle, après avoir rompu cette liaison, il s'abandonna sans réserve et comme un homme qui veut tout braver; j'ai déjà cherché à donner quelque idée de l'état de son esprit avant son départ d'Angleterre, et j'ai dit, je crois, que parmi les sentimens qui se réunissaient en lui pour y produire cette force de résistance concentrée qu'il opposait alors à son sort, il y avait surtout une indignation pleine de mépris pour ses compatriotes, à cause des outrages qu'il croyait en avoir reçus; pendant quelque tems les sentimens affectueux qu'il conservait encore pour Lady Byron, et une espèce d'espérance vague que tout n'était peut-être pas perdu, le tinrent dans une situation d'esprit un peu plus douce et plus traitable, le laissant encore assez soumis à l'influence de l'opinion des Anglais pour l'empêcher de se révolter contre elle, comme il le fit malheureusement par la suite.

Tandis que d'une part la tentative d'une réconciliation avec lady Byron venait, en échouant, de briser le dernier lien qui l'attachait à sa patrie; de l'autre, malgré la vie tranquille et retirée qu'il menait à Genève, il ne voyait aucune trève à la guerre de calomnie qu'on faisait à sa réputation, le même esprit de malveillance qui s'était attaché chez lui à tous ses pas ayant réussi à l'épier dans son exil, avec une surveillance non moins perfide. A cette conviction, qui n'avait que trop de probabilité, il ajouta tout ce qu'une imagination comme la sienne peut prêter à la vérité, interprétant à sa manière tout ce qui était susceptible d'interprétation dans le silence des uns ou l'absence des autres, jusqu'à ce qu'enfin, s'armant contre des ennemis et des outrages imaginaires, et se regardant, à ce qu'il paraît, comme un proscrit, il résolut avec le même désespoir que, puisque ses compatriotes ne voulaient pas rendre justice au côté estimable de son caractère, il aurait au moins l'étrange satisfaction de les narguer, de les révolter par ce qu'il avait de vicieux; je suis convaincu que c'est à ce sentiment, bien plus qu'à un goût dépravé pour un tel genre de vie, qu'on doit attribuer les folies auxquelles il se livra pendant quelque tems. L'effet excitant produit par cette espèce d'existence, tant qu'elle dura, ressemble tellement à ce qu'il nous dit être toujours en lui le résultat d'une vive opposition et d'une violente résistance, que nous voyons assez combien ces derniers sentimens durent avoir de part à ses excès. Le lecteur aussi n'aura pu sans doute s'empêcher de remarquer le changement évident du caractère de ses lettres: on y trouve, avec une augmentation incontestable de vigueur intellectuelle, un ton de violence et de bravade qui éclate continuellement, et qui indique de quel degré de force répulsive il était parvenu à s'armer.

En effet, loin que les facultés de son esprit fussent affaiblies ou diminuées par ces désordres, peut-être à aucune autre époque de sa vie ne posséda-t-il aussi complètement toute son énergie; et son ami Shelley, qui alla à Venise vers ce tems pour le voir 94, disait souvent que tout ce qu'il avait remarqué alors de la capacité de son génie lui en avait donné une bien plus haute idée que celle qu'il en avait d'abord conçue. Ce fut effectivement alors que Shelley esquissa et écrivit en grande partie son poème de Julien et Maddalo, et qu'il a dépeint d'une manière si pittoresque son noble ami 95 dans le dernier de ces deux personnages. On m'a dit aussi que les allusions au cygne d'Albion, dans les vers écrits au milieu des collines Euganéennes, étaient le résultat de ce même accès d'enthousiasme et d'admiration.

Note 94: (retour) Voici un extrait d'une lettre de Shelley à un ami, à cette époque.

Venise, août 1818.

«Nous sommes venus de Padoue ici en gondole, et le gondolier, entr'autres choses, et sans que nous l'eussions mis sur la voie, se mit à nous parler de lord Byron. Il dit que c'était un giovanetto inglese, avec un nom bizarre, qui vivait dans un grand luxe et dépensait de grosses sommes d'argent.....................

»A trois heures j'étais chez lord Byron. Il fut enchanté de me voir, et notre première conversation roula naturellement sur l'objet de notre visite… Il me mena dans sa gondole de l'autre côté de la lagune, sur un long rivage sablé qui défend Venise de l'Adriatique. En débarquant, nous trouvâmes ses chevaux qui nous attendaient, et les ayant montés, nous nous promenâmes le long du rivage en causant. Notre conversation se composa en partie de l'histoire des outrages faits à sa sensibilité, de questions sur mes affaires, et de grandes assurances d'amitié et d'intérêt pour moi. Il me dit que s'il avait été en Angleterre au moment de l'affaire en chancellerie, il aurait remué ciel et terre pour empêcher un pareil arrêt. Il parla aussi de littérature, me dit que son quatrième chant était très-beau, et m'en répéta en effet quelques stances qui me parurent d'une grande force. Quand nous rentrâmes dans son palais, qui est un des plus beaux de Venise, etc., etc.»

Note 95: (retour) C'est dans la préface de ce poème que, sous le nom fictif de Comte Maddalo, on trouve le portrait suivant de lord Byron, aussi frappant que juste:

«C'est un homme du génie le plus consommé, et capable, s'il voulait diriger son énergie vers ce but, de devenir le régénérateur de son pays dégradé. Mais sa faiblesse est d'être orgueilleux; et dans la comparaison de son esprit extraordinaire avec les méprisables intelligences qui l'entourent, il puise une crainte profonde du néant de la vie humaine. Ses passions et ses facultés sont incomparablement supérieures à celles des autres hommes, et au lieu de s'être servi des dernières pour subjuguer les autres, elles se sont mutuellement prêté de la force. Je dis que Maddalo est orgueilleux, parce que je ne puis trouver d'autre expression pour peindre les sentimens impatiens et concentrés qui le dévorent, mais ce ne sont que ses espérances et ses affections personnelles qu'il semble fouler aux pieds; car dans la vie sociale personne n'est plus doux, plus patient, plus modeste que Maddalo. Il est enjoué, franc et spirituel. Sa conversation, plus sérieuse, a une espèce de charme enivrant. Il a beaucoup voyagé, et il met un attrait inexprimable dans la relation des aventures qui lui sont arrivées en divers pays.»

En parlant des dames vénitiennes, on se rappellera que Lord Byron, dans une de ses lettres précédentes, remarque que la beauté qui les rendit jadis célèbres ne se trouve plus maintenant dans le dame, ou classes supérieures, mais sous les fazzioli, ou mouchoirs des femmes du peuple. Ce fut malheureusement parmi ces derniers échantillons du bel sangue de Venise que, par une dégradation subite de goût que l'état capricieux de son esprit peut seul expliquer, il lui plut alors de choisir les compagnes de ses heures de loisir; et une nouvelle preuve que, dans cette courte et audacieuse carrière de libertinage, il ne cherchait qu'un soulagement à un esprit outragé et mortifié, et que:

Ce qui nous semblait crime pouvait n'être que malheur,

c'est que, plus d'une fois, le soir, lorsque sa maison était occupée par de tels hôtes, on a su que, se jetant dans sa gondole, il avait passé la plus grande partie de la nuit sur l'eau, comme si le retour chez lui lui eût été haïssable. Et il est effectivement certain qu'il se retraça toujours cette partie la plus blâmable de sa vie, pendant le peu d'années qui la composèrent encore, avec un pénible sentiment de reproche; et parmi les causes de l'horreur qu'il éprouva ensuite pour Venise, il faut surtout compter le souvenir des excès auxquels il s'était abandonné.

La plus distinguée, et à la fin la sultane favorite de ce honteux harem, était une femme nommée Margarita Cogni, dont il a déjà été question dans l'une de ces lettres, et qui, d'après l'état de son mari, était connue sous le titre de la Fornarina. Un portrait de cette belle virago, peint par Harlowe pendant son séjour à Venise, étant tombé entre les mains d'un des amis de Lord Byron, après la mort de l'artiste, cet ami demanda au noble poète quelques renseignemens sur cette héroïne, et il en reçut une longue lettre à ce sujet, dont voici quelques extraits.

«Puisque, vous désirez connaître l'histoire de Margarita Cogni, je vais vous en faire le récit, quoiqu'il puisse être un peu long.

»Ses traits ont la belle empreinte vénitienne des vieux tems; sa taille, quoiqu'un peu trop élevée peut-être, n'est pas moins belle, et l'un et l'autre s'accordent parfaitement avec le costume national.

»Pendant l'été de 1817, *** et moi nous nous promenions un soir à cheval le long de la Brenta, quand, parmi un groupe de paysannes, nous remarquâmes les deux plus jolies filles que nous eussions vues de quelque tems. Vers cette époque, il y avait eu beaucoup de misère dans le pays, et j'avais distribué quelques secours au peuple. On peut, à Venise, se donner un grand air de générosité à très-peu de frais, et on avait probablement exagéré la mienne à cause de ma qualité d'Anglais. – Je ne sais si elles remarquèrent que nous les regardions, mais l'une d'elles me cria en vénitien: – Pourquoi, vous qui soulagez les autres, ne pensez-vous pas à nous? – Je lui répondis 96: Cara, tu sei troppo bella e giovane per aver bisogno del soccorso mio. Elle répliqua: – Si vous voyiez ma cabane et ma nourriture, vous ne parleriez pas ainsi. Tout ceci se passa moitié en plaisantant, et je n'en entendis pas parler de quelques jours.

Note 96: (retour) «Ma chère, tu es trop jeune et trop belle pour avoir besoin de mon secours.»

»Quelques soirées après celle-là, nous rencontrâmes encore ces deux filles, et elles s'adressèrent à nous plus sérieusement, nous assurant de la vérité de leur récit. Elles étaient cousines. Margarita était mariée, et l'autre point. – Comme je doutais encore des circonstances qu'elles m'exposaient, je considérai la chose sous un point de vue différent, et lui donnai rendez-vous pour le lendemain soir… .............. ............... ...............

»Enfin, en quelques soirées, tout fut arrangé entre nous, et pendant long-tems elle fut la seule qui conserva sur moi un ascendant qui lui fut souvent disputé, mais jamais enlevé.

»Les causes de cet ascendant étaient d'abord sa personne. – Elle était très-brune grande, avec la physionomie vénitienne, de très-beaux yeux noirs, et n'avait que vingt-deux ans… Elle était d'ailleurs toute vénitienne, dans son dialecte, dans sa manière de penser, dans sa physionomie, enfin dans tout ce qui lui appartenait, et elle avait toute la naïveté et l'originalité de Pantalon, son compatriote. D'ailleurs elle ne savait ni lire ni écrire, et ne pouvait pas m'assommer de lettres. – Il ne lui arriva que deux fois de donner douze sous à un écrivain public, dans la Piazza, pour lui faire une lettre, dans une circonstance où j'étais malade et ne pouvais la voir. Elle était d'ailleurs un peu violente et prepotente, c'est-à-dire impérieuse, et entrait tout droit, quand cela lui convenait, sans avoir beaucoup d'égard au tems, aux lieux, ni aux personnes; – et si elle trouvait quelque femme qui la gênât, elle l'étendait par terre d'un coup de poing.

»Quand je fis connaissance avec elle, j'étais en relation avec la signora ***, qui fut assez sotte, un soir à Dolo, avec quelques-unes de ses amies, pour lui faire des menaces, car les commères de la Villeggiatura avaient déjà deviné, en entendant un soir le hennissement de mon cheval, que je sortais de nuit pour aller trouver la Fornarina. Margarita rejeta son voile (fazziolo) en arrière, et dit en vénitien très-clair. – Vous n'êtes pas sa femme, je ne suis pas sa femme; vous êtes sa donna, et moi aussi, je suis sa donna; votre mari est un becco, et le mien en est un autre. Au surplus, quel droit avez-vous de me faire des reproches? S'il me préfère à vous, est-ce ma faute? Si vous voulez vous en assurer, attachez-le aux cordons de votre tablier; – mais ne croyez pas que si vous me parlez, je n'oserai pas vous répondre, parce que vous êtes plus riche que moi. Après avoir donné cet échantillon de son éloquence, que je traduis tel qu'il me fut rapporté par un témoin, elle passa son chemin, laissant Mme ***, avec un nombreux auditoire, méditer à loisir sur le dialogue qui venait d'avoir lieu.

»Quand je revins à Venise pour l'hiver, elle me suivit; et s'étant aperçue qu'elle me plaisait, elle venait assez souvent. Mais elle avait un amour-propre insatiable, et n'était pas tolérante avec les autres femmes. À la cavalchina, mascarade qui a lieu le dernier jour du carnaval, et où tout le monde va, elle arracha le masque de Mme Contarini, dame d'une naissance noble et d'une conduite décente, et cela, par la seule raison qu'elle s'appuyait sur mon bras. Vous imaginez bien que ceci fit un bruit du diable; mais ce n'est là qu'un échantillon de ses tours.

»À la fin, elle se prit de querelle avec son mari; et s'enfuyant de chez lui, elle se réfugia chez moi. Je lui dis que cela ne se pouvait pas. – Elle me répondit qu'elle coucherait dans la rue, mais ne retournerait pas avec lui; qu'il la battait (la douce tigresse!); qu'il lui mangeait son argent, et la négligeait d'une manière scandaleuse. Comme il était minuit, – je lui permis de rester, et le lendemain, il n'y eut pas moyen de la faire bouger. Son mari vint pleurant et beuglant, et la suppliant de revenir; – mais, non, elle s'en garda bien. – Alors il s'adressa à la police, et la police à moi. Je leur dis de la reprendre; que je n'avais pas besoin d'elle; qu'elle était venue chez moi; que je ne pouvais pas la faire jeter par la fenêtre, mais qu'ils pouvaient la faire passer par là ou par la porte, si bon leur semblait. Elle alla devant le commissaire, et fut obligée de retourner avec ce becco ettico, nom qu'elle donnait au pauvre homme, qui avait une phthisie. Quelques jours après, elle déserta de nouveau. – Après beaucoup de tapage, elle s'établit dans ma maison, réellement et véritablement, sans mon consentement, mais à cause de ma nonchalance et de mon impossibilité de garder mon sérieux: car lorsque je commençais à me mettre en colère, elle finissait toujours par me faire rire par quelque pantalonnade vénitienne; et la sorcière, qui savait bien cela, et qui connaissait également ses autres moyens de conviction, les déploya avec le tact et le succès ordinaires à tous les êtres féminins de haut ou de bas étage, car ils se ressemblent tous en cela.

»Mme Benzoni aussi la prit sous sa protection, et alors la tête lui tourna. – Elle était toujours dans les extrêmes; tantôt pleurant, tantôt riant, et si furieuse, quand elle était en colère, qu'elle faisait la terreur des hommes, des femmes et des enfans: – car elle avait la force d'une amazone, avec le caractère de Médée. C'était un bel animal, mais impossible à apprivoiser. J'étais la seule personne qui pût un peu la ramener à l'ordre, et lorsqu'elle me voyait véritablement en colère (ce qui, dit-on, est un spectacle assez farouche), elle s'appaisait. – Elle était superbe avec son fazziolo, vêtement des classes inférieures; mais, hélas! elle aspirait après un chapeau à plumes, et tout ce que je pus dire ou faire (et j'en dis beaucoup) ne put l'empêcher de se travestir de cette manière. Je jetai le premier au feu; mais je me fatiguai de brûler ses chapeaux avant qu'elle se lassât d'en acheter, de sorte qu'elle réussit à faire d'elle une caricature, car ils ne lui allaient pas du tout.

»Ensuite elle voulut avoir une queue à ses robes, – tout comme une dame, vraiment; rien ne pouvait la satisfaire que l'abito colla coua ou cua (c'est l'expression vénitienne pour la coua, la queue d'une robe); et comme sa diable de prononciation me faisait rire, cela mettait un terme à la discussion, et elle traînait sa maudite queue partout après elle.

»Cependant elle battait les femmes de la maison, et interceptait mes lettres. Je la surpris un jour méditant sur une d'elles, essayant de deviner, à la forme si elle venait d'une femme ou non; – et puis elle se plaignait de son ignorance, et se mit réellement à étudier l'alphabet, afin, déclara-t-elle, d'ouvrir toutes mes lettres, et de pouvoir en lire le contenu.

»Je ne dois pas oublier de rendre justice à ses qualités relatives à la tenue d'une maison. – Après son entrée dans ma maison, en qualité de donna di governo 97, les dépenses furent réduites de plus de moitié; tout le monde faisait mieux son devoir; les appartemens étaient mieux tenus, et tout s'y sentait d'un meilleur ordre, à l'exception d'elle-même.

Note 97: (retour) Femme de charge.

»J'ai cependant quelques raisons de croire qu'au milieu de toutes ses extravagances, elle avait au fond, pour moi, un véritable attachement: j'en donnerai un exemple. Étant allé un jour d'automne au Lido avec mes gondoliers, nous fûmes surpris par un grain assez violent, et qui mit la gondole en péril. – Nos chapeaux avaient été enlevés, la barque se remplissait, une rame était perdue; nous étions au milieu d'une mer furieuse, le tonnerre grondait, la pluie tombait par torrens, la nuit approchait, et le vent ne cessait pas. A notre retour, après une lutte pénible, je la trouvai sur les degrés extérieurs du palais Mocenigo, sur le Grand Canal, ses grands yeux noirs étincelant à travers ses larmes, et ses longs cheveux d'ébène, qui étaient flottans, trempés de pluie, couvraient sa figure et son sein. Elle était complètement exposée à l'orage, et le vent qui agitait ses cheveux et ses vêtemens autour de sa taille svelte et élevée, l'éclair qui jaillissait autour d'elle et les vagues qui se roulaient à ses pieds, la faisaient ressembler à Médée descendue de son chariot, ou à la sibylle de la tempête qui grondait autour d'elle: – c'était le seul objet vivant, excepté nous, qui nous apparût en ce moment pour nous recevoir. En me voyant sain et sauf, elle ne s'approcha pas pour me féliciter, comme on aurait pu le croire, mais me cria: -Ah! can della Madona, è esto un tempo per andar all'Lido! (ah! chien de la bonne Vierge, est-ce là un tems pour aller au Lido!); puis courant dans la maison, elle se soulagea le cœur en grondant les bateliers de n'avoir pas prévu le temporale (l'orage). Les domestiques me dirent que la seule chose qui l'eût empêchée de venir au-devant de moi en bateau, c'est qu'aucun des gondoliers du canal n'avait voulu se risquer sur l'eau dans un tel moment. Elle s'était assise alors sur les degrés du palais, pendant le plus fort de l'orage, persistant à n'en pas bouger et à repousser toute espèce de consolation. Sa joie, en me revoyant, était mêlée d'une teinte modérée de férocité, et me représenta les transports d'une tigresse en retrouvant ses petits.

»Mais son règne tirait à sa fin. Quelques mois après, elle devint tout-à-fait indomptable; et un concours de plaintes, dont les unes étaient fondées, les autres injustes (car un favori n'a pas d'amis), me détermina enfin à me séparer d'elle. Je lui dis tranquillement qu'il fallait qu'elle retournât chez elle (elle avait acquis suffisamment de quoi vivre pour elle et sa mère pendant qu'elle était restée à mon service); mais elle refusa de quitter ma maison. Je tins bon, et elle me menaça de couteaux et de vengeance. – Je lui répondis que ce ne serait pas la première fois que j'aurais vu des couteaux nus, et que, si elle voulait commencer, il y avait sur la table un couteau et une fourchette qui étaient bien à son service, – mais qu'il ne fallait pas qu'elle se flattât de m'intimider. Le lendemain, pendant que j'étais à table, elle entra, après avoir forcé une porte en glace qui conduisait de la salle à manger à l'escalier; et, s'avançant droit vers la table, elle m'arracha le couteau que j'avais à la main, et me blessa légèrement au pouce dans cette action. Je ne sais si son dessein était de s'en servir contre elle ou contre moi; peut-être ni contre l'un ni contre l'autre; – mais Fletcher la saisit par le bras et la désarma. J'appelai alors mes gondoliers, et je leur ordonnai de préparer la gondole pour la reconduire chez elle, en ayant soin qu'elle ne se fît pas de mal en route. Elle parut tout-à-fait calme, et descendit. Je continuai de dîner; tout-à-coup nous entendîmes un grand bruit: je sortis, et les rencontrai sur l'escalier qui la portaient en haut; elle s'était jetée dans le canal. Je ne crois pas cependant qu'elle eût l'intention de se détruire; mais quand on réfléchit à la peur que les femmes et les hommes qui ne savent pas nager ont de l'eau (et surtout les Vénitiens, quoiqu'ils vivent sur les vagues); quand on songe qu'il faisait nuit et très-froid, on est forcé d'avouer qu'il y avait en elle une espèce de courage diabolique. On l'en avait retirée sans beaucoup de difficulté ni de mal, sauf l'eau salée qu'elle avait avalée et le bain qu'elle avait pris.

»Je prévis que son intention était de s'établir de nouveau chez moi; et ayant envoyé chercher un médecin, je lui demandai combien d'heures il faudrait pour la remettre de son agitation: – il me le dit. Eh bien, repris-je, je lui donne ce tems, et plus, s'il le faut; mais, à l'expiration de cet intervalle prescrit; si elle ne quitte pas la maison, moi je la quitterai.

»Tous mes gens étaient consternés. – Ils avaient toujours eu peur d'elle; mais alors ils étaient paralysés de frayeur. Ils me priaient de m'adresser à la police pour me mettre en garde contre elle, etc., comme une bande de lâches et d'imbécilles qu'ils étaient. Je ne fis rien de la sorte, pensant qu'il était indifférent de finir de cette manière-là ou d'une autre; d'ailleurs j'avais été habitué à ces femmes sauvages, et connaissais leur manière d'agir.

»Je la fis renvoyer tranquillement chez elle lorsqu'elle fut remise, et ne l'ai jamais revue depuis, excepté une fois ou deux à l'opéra, mais de loin; – elle fit plusieurs tentatives pour revenir, mais sans aucune violence. – Voilà l'histoire de Margarita Cogni, dans les rapports qu'elle a eus avec moi.

»J'ai oublié de vous dire qu'elle était fort dévote, et se signait quand elle entendait sonner l'heure de la prière.............. ...............................

»Elle avait la répartie vive. – Un jour, par exemple, qu'elle m'avait mis fort en colère, en battant quelqu'un de la maison, je l'appelai vacca, vache (vache est une grande injure en italien). Elle se retourna en me faisant la révérence: -Vacca tua, eccelenza (votre vache, n'en déplaise à votre excellence). Bref, comme je l'ai déjà dit, c'était un très-bel animal, d'une beauté et d'une énergie extraordinaires, et qui avait plusieurs bonnes et amusantes qualités, mais farouche comme une sorcière et fougueuse comme un démon. Elle avait coutume de se vanter publiquement de son ascendant sur moi, en se comparant à d'autres femmes, et de l'expliquer par diverses raisons. Il est vrai de dire qu'elles cherchèrent toutes à la faire partir, et qu'aucune n'avait pu réussir, lorsque sa propre extravagance vint enfin à leur secours.

Altersbeschränkung:
12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
03 Juli 2017
Umfang:
430 S. 1 Illustration
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Rechteinhaber:
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