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Buch lesen: «La Vie en Famille: Comment Vivre à Deux?»

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CHAPITRE PREMIER
DEUX MOITIÉS FONT UN ENTIER

Le lecteur qui nous a suivi bienveillamment dans le cours de ces études de morale pratique et familière, sait ce que nous pensons sur la question du mariage.1. Nous n'y revenons ici que comme entrée en matière et pour mémoire. Il serait, en effet, assez oiseux de rechercher les conditions de la vie heureuse à deux, si l'on n'avait, au préalable, acquis la conviction que ni l'homme, d'un côté, ni la femme, de l'autre, ne sont faits pour vivre seuls. Or cette vie à deux – homme et femme – c'est justement, avec toutes les différences, profondes et troublantes parfois, qu'y apportent les climats, les races, les religions et les degrés de civilisation, – le mariage.

Il y a deux manières bien tranchées de le considérer, ou plutôt d'en parler. Les uns y cherchent matière à raillerie, et, rééditant avec constance des plaisanteries et des satires aussi vieilles que l'institution, font de l'esprit ou de l'humour à bon marché. Les autres le prennent pour ce qu'il est, c'est-à-dire pour l'élément primordial et constitutif de nos sociétés.

Les premiers, d'ailleurs, ne s'en marient pas moins que les seconds.

Sans nous attarder aux plaisanteries et gausseries dont le thème général et les données ordinaires sont connus de tous, nous citerons, comme spécimen plus rare, une boutade d'Anglais atrabilaire recueillie dans le Spectator:

«Je ne trouve, dit l'écrivain, dans cette première partie du siècle dix-huitième, que deux couples qui aient réussi: le premier est un capitaine de navire et sa femme qui, depuis le soir de leur mariage, ne se sont plus vus du tout. Le second est un honnête couple du voisinage; le mari, homme d'un bon sens solide et un peu vulgaire, d'un tempérament paisible: la femme, muette.»

Ceci n'est donné que comme un fait d'observation. Mais la conséquence en découle tout naturellement, et l'on a vite fait de la formuler en loi.

«Est-ce qu'il y a du mal à aimer son mari?» demande, dans une comédie de la même époque, une jeune femme à l'indispensable marquis. Et le marquis de répondre: «Du moins, il y a du ridicule. A la cour, un homme se marie pour avoir des héritiers, une femme pour avoir un nom, et c'est tout ce qu'elle a de commun avec son mari2

Ces deux moitiés-là ont beau se rapprocher: elles ne sauraient évidemment constituer un tout. Une demi-poire et une demi-pêche ne feront jamais un fruit complet.

Un autre critique à prétentions moralisantes ne va pas jusqu'à nier que, dans l'union conjugale, l'homme et la femme ne se doivent l'un à l'autre. Mais il fait une remarque qui mérite d'autant plus d'être signalée qu'elle a été refaite plus tard par un des plus fameux théoriciens de l'avenir.

«Je n'ai point, dit-il, connu de mari qui ne fût plus ou moins touché de la mort de sa femme. Les plus impérieuses et les plus acariâtres sont presque toujours celles qu'on regrette le plus: on ne s'en console point. L'humeur et la patience des hommes ont vraisemblablement besoin d'être exercées. La perte d'une femme douce et compatissante ne laisse pas le même vuide3

De même Stendhal: «En France, les hommes qui ont perdu leur femme sont tristes; les veuves, au contraire, gaies et heureuses. Il y a un proverbe parmi les femmes sur les félicités de cet état.» Et il conclut: «Il n'y a donc pas d'égalité dans le contrat d'union.»

On voit avec les yeux qu'on a, et ce qui paraît bleu au grand nombre semble rouge à quelques-uns. Pour mon compte, j'ai rencontré au moins autant de veuves désolées que de veufs accablés de regrets. Je crois même que, lorsque le veuvage survient après plusieurs années de ménage, si l'impression ressentie diffère selon les sexes, c'est chez la femme qu'elle est le plus durable. Je ne parle, est-il besoin de le dire, ni des écervelées, ni des névrosées, ni de celles qui se font appeler les grandes mondaines par les journaux.

Il est des esprits plus sérieux, qui ne discutent pas les mérites, la nécessité physique et sociale de la vie à deux, mais qui reculent devant le mariage à cause de son caractère perpétuel, de son indissolubilité.

«Le mariage, dit Selden, est une affaire désespérée: les grenouilles, chez Esope, étaient extrêmement sages: elles avaient bien envie d'un peu d'eau, mais elles ne voulaient pas sauter dans le puits, parce qu'elles n'auraient plus été capables d'en sortir.»

Il n'entre point dans notre plan d'examiner ici cette question. Mariage religieux, mariage civil, union libre même avec les garanties que les enfants et la société peuvent réclamer: séparation, annulation, divorce, – toutes ces formes diverses de consécration ou de dissolution de la vie à deux ne sont pas ce qui nous occupe. Nous n'avons qu'à répondre ce que répondait naguère M. Alexandre Dumas à un journal anglais: «Le mariage étant un acte qui dépend absolument de la volonté des individus, que ceux qui veulent se marier se marient; que ceux qui ne veulent pas se marier ne se marient pas. Quant à ceux qui ont été mal et malgré eux mariés, disent-ils, le divorce existant dans tous les pays régis par la loi civile et l'annulation du mariage dans tous les pays régis par la loi ecclésiastique, qu'ils fassent rompre leur mariage par la magistrature ou qu'ils le fassent annuler par l'Église. Comme c'est simple!»

Ce n'est peut-être pas tout à fait aussi simple qu'il plaît au grand écrivain de le dire; mais, enfin, c'est la vérité.

On raconte que Socrate ayant fait un discours sur le mariage, tous les célibataires dans l'auditoire prirent la résolution de se marier à la première occasion, et tous les hommes mariés montèrent immédiatement à cheval pour se rendre auprès de leurs femmes au galop.

Et Socrate est un des plus fameux mal mariés dont l'histoire fasse mention.

Ce doit être sous le coup de quelque discours ou objurgation semblable que le rédacteur du Tattler écrivait: «Ce ne serait pas une mauvaise chose que le vieux célibataire, qui vit dans le mépris du mariage, fût obligé de donner sa dot à la vieille fille qui est disposée à y entrer.»

C'est ce que chantait Thérésa:

 
Nous voulons un impôt
Sur les célibataires!
 

Le caustique Chamfort ne voit point de moyen de guérir le mal du mariage; il est de l'avis d'Arlequin dans la farce italienne, lorsqu'il dit, «à propos des travers de chaque sexe, que nous serions tous parfaits si nous n'étions ni hommes ni femmes.»

Il est piquant d'entendre il signore Arlequino souhaiter à tous d'être changés en Auvergnats.

Le même Chamfort rapporte ce mot, qui a dû être repris depuis, pour servir de légende à quelque caricature de journal pour rire:

«Vous bâillez, disait une femme à son mari. – Ma chère amie, lui dit celui-ci, le mari et la femme ne sont qu'un, et quand je suis seul, je m'ennuie.»

Cela ne prouve pas en faveur de l'esprit du personnage. On ne s'ennuie guère que dans la compagnie d'un sot. Mais nous touchons ici, à travers l'enveloppe d'une assez grossière ironie, la véritable formule de la vie à deux. Vivre à deux c'est se compléter, se fondre, s'unir, en un mot, c'est-à-dire n'être qu'un.

Aussi n'est-il pas étonnant que le mariage, l'union légale et quasi indissoluble de l'homme et de la femme, ait été si souvent comparé à la fois au paradis et à l'enfer:

«Nous voyons bon nombre de gens tant heureux à ceste rencontre, dit Rabelais, qu'en leur mariage semble reluire quelque idée et représentation des joyes du paradis. Autres y sont tant malheureux, que les diables qui tentent les hermites par les desers ne le sont davantage.»

«Que pensez-vous du mariage?» dit la duchesse de Malfy dans une pièce de Webster; et Antonio répond:

 
«Je le considère comme ceux qui nient le purgatoire;
il contient, ou le ciel, ou l'enfer;
il n'y a point un troisième lieu en lui.»
 

Le risque est gros à courir, à moins qu'il n'y ait là quelque exagération, comme il arrive fréquemment aux imaginations vives qui, d'un bond, vont de l'une à l'autre extrémité d'un sujet. Il me semble bien que l'atmosphère conjugale n'est pas toujours et exclusivement ou éblouissante de soleil, ou bouleversée par la tempête. Il y a des temps gris et doux, qui ne sont pas les moins agréables, au goût de bien des gens.

«Je suis marié, j'ai près de cinquante ans, ma femme en a vingt-cinq, dit M. Guizot, dans l'ouvrage posthume intitulé: Le Temps passé; point de commentaire, je vous prie; nous sommes des gens raisonnables et heureux, cela n'est pas si rare qu'on le pense.»

Il faut croire que le tableau de ce bonheur serait moins fidèlement peint en couleurs éclatantes qu'en grisaille.

Quoi qu'il en soit, on ne peut que se ranger à l'avis du vicaire de Goldsmith, lequel pensait «que l'honnête homme qui se marie et élève une nombreuse famille rend plus de services que celui qui reste célibataire et se contente de parler de la population.»

Malthus ferait des objections et des calculs. Mais qui est-ce qui croit aujourd'hui aux objections et aux calculs de Malthus, hors ceux que leur intérêt de caste ou leur égoïsme personnel entraîne à y croire?

Le vieux proverbe part d'un point de vue moins général, mais non moins pratique, lorsqu'il dit:

 
De bonnes armes est armé
Qui à bonne femme est marié.
 

Et comme rien n'est malicieux comme la sagesse des nations, le vieux proverbe ajoute:

Tel homme, telle femme;

montrant ainsi que c'est à l'être le plus fort de former le plus faible, et que, dans le ménage, le rôle d'éducateur appartient au mari. Il y a, d'ailleurs, réciprocité, et ce que la force – j'entends l'énergie de caractère – de l'homme doit faire sur la femme, la douceur de la femme le doit faire sur l'homme. «Quand la femme traite bien son mari, il en vaut mieux4

Cette action mutuelle est trop évidente pour qu'il soit nécessaire d'y insister. Mais elle est trop intéressante aussi pour que les moralistes et les sociologues – excusez le mot – ne l'aient pas étudiée sous tous ses aspects et dans tous ses effets. L'évêque Landriot a dit avec un vrai bonheur d'expression:

«Le frottement du caractère de la femme sur celui de l'homme imite l'action de la pierre ponce: il enlève les aspérités, il polit.»

Ailleurs, en ces termes pompeux qu'affectionne l'éloquence de la chaire, mais avec beaucoup de justesse et de netteté, il fait le départ entre le rôle de l'homme et celui de la femme dans le mécanisme de la vie à deux. «A l'homme la force, dit-il, le courage et une certaine austérité dans l'intérieur de la famille. Cette austérité, je n'en veux pas dire de mal, car elle est nécessaire, et sans elle la famille se dissoudrait dans un excès de molle bonté; mais elle ne suffit pas, et son complément est dans le cœur et sur les lèvres de la femme. Quand le mari fait entendre cette voix pleine d'autorité qui met partout le mouvement et la vie, la femme arrive et, comme l'huile de suavité, elle se glisse à travers les rouages, elle adoucit les frottements, elle facilite l'exécution… A une parole énergique et paternelle, elle joint un conseil de mère, un mot de son cœur, un regard affectueux; et cette sage combinaison d'efforts continus fait que tout va bien dans la famille.»

C'est ce que madame Necker avait essayé d'exprimer, sans pouvoir éviter une subtilité et une sécheresse aussi peu propres à convaincre qu'à persuader. Voici la phrase: «Pour ajouter aux synonymes mener et conduire, il me semble qu'on pourrait dire: dans un ménage bien assorti, la femme doit mener et le mari doit conduire; l'un tient au sentiment et l'autre à la réflexion.»

Quelle que soit la forme donnée à la pensée, le fond en est toujours le même: la femme et l'homme sont nécessaires l'un à l'autre. De même qu'il faut que deux nuages se rencontrent pour que se dégage de chacun d'eux l'électricité qu'ils renferment, de même les énergies, les puissances, les qualités de l'homme et de la femme ne se manifestent en leur plein que lorsqu'ils sont unis et qu'ils s'influencent mutuellement.

«Une femme n'est jamais par elle-même tout ce qu'elle peut être, dit Ch. de Rémusat; il importe à sa perfection qu'elle soit aimée et qu'elle soit heureuse.»

Heureuse dans son amour et par son amour, – cela ne va-t-il pas de soi?

Ce n'est pas à dire, répétons-le, que le mariage ait en soi, et indépendamment de toute circonstance extérieure et de tout effort personnel, la vertu de donner à chacun des époux réunis ce qui lui manquait lorsqu'il était seul. C'est une condition – la meilleure, sans doute – pour l'acquérir; mais là encore nous sommes les artisans de notre propre bonheur. Aussi H. Raisson dit-il fort justement: «Le mariage donne de l'étendue ou à notre bonheur ou à nos misères.» Addison l'avait dit avant lui:

«Le mariage agrandit le théâtre de notre bonheur et de nos misères. Un mariage d'amour est agréable; un mariage d'intérêt commode; et un mariage où les deux choses se rencontrent, heureux. Un heureux mariage a en soi tous les plaisirs de l'amitié, toutes les jouissances du bon sens et de la raison, et, de fait, toutes les douceurs de la vie.»

Un des plus anciens et des plus nobles dépôts de la sagesse humaine chez les hommes de notre race, le livre des Védas, contient cette maxime: «L'homme n'est complet que par la femme, et tout homme qui ne se marie pas dès l'âge de la virilité doit être noté d'infamie.» Il dit encore: «La femme est l'âme de l'humanité.» Belle parole qui, comme le fait remarquer M. Armand Hayem dans son livre Le Mariage, remet en mémoire un mot de Prudhon frappé au même coin: «La femme est la conscience de l'homme personnifiée.»

«Ainsi, ajoute M. Hayem, c'est une manière de l'homme de se compléter que de s'unir à la femme.»

C'est même la seule, déclarons-le.

Il y a, sur les vieilles filles et les vieux garçons, un double proverbe à rimes trop triviales pour que je le rapporte ici, mais qui dénote bien le sentiment populaire à cet égard. Ce sentiment n'éclate-t-il pas, d'ailleurs, avec une force irrésistible dans l'unanimité de toutes les langues à faire du mot moitié le synonyme d'époux?

Une anecdote, racontée par M. Lorédan Larchey dans son ouvrage intitulé: Nos vieux Proverbes, fait sentir d'une façon poignante que cette métaphore apparente est bien, après tout, l'expression d'une réalité. On nous saura gré de la transcrire:

«Un jour, dans la Loire-Inférieure, nous vîmes une pauvre petite vieille filant solitaire à la porte d'une chaumière perdue sur les rives du lac de Grandlieu.

»Au moment où nous passions, une pluie d'orage la contraignit de rentrer, en nous offrant l'abri de son toit. Tout, dans l'unique pièce, était d'une extrême propreté; et, comme on l'en complimentait, elle dit:

» – Hé! mon Dieu! je n'y ai point de mérite, je suis toute seule.

» – Et vous avez toujours été de même?

» – Dame, non! j'avais un mari, mais, hélas! sa compagnie m'a quittée.

»Elle se tut en essuyant une larme. Et je n'oublierai jamais comment elle avait su, en trois mots, faire mesurer le vide profond laissé par la mort de son homme.»

Le couple humain, souche de la famille et embryon de la société, est donc un tout parfait, formé de deux moitiés distinctes. Mais pour que l'entier se constitue et se maintienne, il est indispensable que ces deux moitiés s'adaptent de telle sorte que ni tiraillements ni chocs ne parviennent à les séparer.

CHAPITRE II
A LA DÉCOUVERTE

Ce que je sais le mieux c'est mon commencement, s'écriait l'Intimé. Il n'est guère de jeune marié qui puisse en dire autant. On se trouve, du jour au lendemain, lancé dans des eaux inconnues, où il faut naviguer à la découverte. La moindre imprudence peut être funeste. Toute fausse manœuvre peut faire prendre une direction qui éloignera à jamais du port, si elle n'amène pas du premier coup le naufrage. On ne saurait donc trop consulter la boussole et se conformer aux règles de la navigation, au début de ce voyage au long cours dans des mers ignorées.

Ce sont ces dangers qu'ont en vue les moralistes et les pères de famille lorsqu'ils mettent en garde contre les unions précipitées.

«Dans la jeunesse, dit Ferrand dans ses conseils à son fils, on est exposé souvent à se laisser séduire par les apparences; on croit voir des avantages réels dans ce qui n'en a que les dehors. On contracte étourdiment un lien indissoluble; on reconnaît trop tard son erreur: l'union se perd, l'aigreur s'en mêle, de là les séparations, les scandales publics, et la mauvaise éducation que reçoivent presque toujours des enfants nés d'un mariage mal assorti.»

Il dit encore: «Il est affreux d'être uni à un être dont la société est un tourment qui ne doit finir qu'avec la vie; surtout gardez-vous de vous laisser séduire par les charmes de sa figure, avant de savoir quel est son caractère… La figure passe, le caractère reste; et l'on se trouve condamné aux regrets d'avoir été trompé, et de l'être pour toujours.»

«Beauté de femme n'enrichit homme», dit le proverbe.

Pour éviter cet écueil, on a conseillé de n'arriver au mariage qu'après de longues fiançailles, permettant aux futurs époux de bien se connaître avant de s'engager. C'est ainsi que nous lisons dans un des Essais du Spectator: «Généralement les mariages où il y a le plus d'amour et de constance sont ceux qu'une longue cour a précédés. Il faut que la passion jette des racines et acquière de la force, avant d'y greffer le mariage. Une longue suite d'espérance et d'attente fixe l'idée dans notre esprit, et nous habitue à la tendresse pour la personne aimée.»

L'écrivain anglais ne s'arrête pas là. Il nous donne les indices d'après lesquels on pourra pronostiquer l'avenir du ménage:

«Un bon naturel et une humeur égale vous donneront pour la vie une compagne – ou un compagnon – facile; la vertu et le bon sens, un ami agréable; – l'amour et la constance, une bonne femme – ou un bon mari.»

Il est vrai qu'il ajoute cette remarque amère:

«Pour une personne que l'on rencontre avec ces qualités à la fois, on en trouve cent qui n'en ont pas même une.»

Espérons que la proportion n'est pas exacte, et ne soyons pas trop exigeants, chacun de notre côté. Si le jeune mari ne se sent pas toutes les qualités requises, de quel droit les réclamerait-il chez sa femme? Et réciproquement. Que celles qu'on a fassent oublier celles qu'on n'a pas, et que l'indulgence mutuelle supplée finalement à ce qui fait défaut. Et puis, s'il est bon d'avoir un idéal très élevé et d'en poursuivre la réalisation, c'est chez soi et en vue de sa propre amélioration, bien plus que chez autrui. Dans les rêves du jeune homme, la fiancée prend des allures d'ange; et quand la jeune fille évoque l'image de celui qui sera son mari, à peine les flamboyants chérubins ou les séraphins doux et charmants de Jéhovah paraissent-ils dignes de lui être comparés. Mais, comme le dit excellemment Fontenelle, «les choses ne passent point de l'imagination à la réalité, qu'il n'y ait de la perte,» et c'est ce qu'il est bien important de ne point oublier. C'est le meilleur moyen de ne pas donner raison au proverbe:

Aujourd'hui marié, demain marri.

La grande part de responsabilité – je ne dis pas toute la responsabilité, – à cette époque des débuts, appartient à celui des deux époux qui a, d'ordinaire, le plus d'expérience, le plus de sang-froid, la volonté la plus nette et la plus ferme, c'est-à-dire à l'homme. «Le bonheur d'un ménage, fait dire fort justement à un de ses personnages un romancier contemporain, dépend plus souvent du mari que de la femme: à lui de bien diriger sa barque, de savoir où il veut aller. A moins de se heurter à une nature exceptionnelle, à un tempérament terrible, on doit pouvoir se créer l'existence que l'on cherche en se mariant5

Le spirituel auteur d'un petit livre publié chez J. – P. Roret, en 1829, sous le titre de Code Conjugal, Horace Raisson, éclaire d'une comparaison saisissante ce que nous voulons faire comprendre ici. «S'il faut en tout temps, écrit-il, être attentif à écarter les sujets de désordre, on doit s'y appliquer davantage encore dans le commencement de son union. Rien n'est plus aisé que de séparer deux pièces de bois fraîchement unies ensemble: au bout de quelque temps, on a peine à les détacher par le fer et le feu.»

Il insiste et ajoute avec un grand bon sens: «La lune de miel est le véritable moment critique du mariage. Tout en en savourant la douceur, il faut se tracer pour l'avenir une ligne de conduite fixe et immuable, et ne pas imiter ces maris, charmants durant le premier quartier, et détestables dès la pleine lune.

»… En ménage (et la lune de miel est déjà du ménage), il faut, avant tout, du naturel. La seule manière de prolonger la lune de miel est donc de ne pas jouer le rôle d'amant-mari, et de se montrer dès le premier jour ce que l'on sera constamment.»

C'est une pensée analogue qui fait dire à madame de Lambert dans son opuscule sur l'amitié: «Nous sommes d'ordinaire avec les autres comme nous sommes avec nous-mêmes. Les personnes sages savent établir la paix chez eux, et la communiquent aux autres. Sénèque dit: «J'ai assez profité pour apprendre à être mon ami.» Quiconque sait vivre avec soi-même, sait vivre avec les autres. Les caractères doux et paisibles répandent de l'onction sur tout ce qui les approche.»

Montrons-nous donc tels que nous sommes, mais tâchons d'être bons et commodes à vivre. Ce serait pallier le mal pour un temps plus ou moins bref, mais nullement le guérir, que se revêtir d'un masque, changer artificiellement et artificieusement nos allures, exprimer des sentiments qui ne sont point nôtres, faire, en un mot, fût-ce pour le plus louable des motifs, le personnage de Faux-Semblant.

Croyons-en l'observation de madame de Rémusat: «Dans un nouveau ménage, si un caractère se prononce avec rudesse, le plus doux plie et ruse; c'est assurément la femme qui se soumet ainsi le plus souvent; mais quelquefois aussi c'est l'homme. Au surplus, alors, quel que soit le trompeur ou le trompé, le but de l'association est manqué; je n'espère plus de tendresse, ni d'estime, là où je ne vois ni confiance ni sincérité.»

Ce n'est pas qu'il soit interdit d'être adroit. C'est fourbe et vil qu'il ne faut pas être. La vie isolée est, dans toutes les conditions, un art complexe et difficile; combien plus la vie à deux! Nous n'hésiterons donc pas à transcrire les conseils, à la fois mondains, sages et pratiques, qu'Horace Raisson donne au nouvel époux qui rencontre inopinément chez sa jeune femme des habitudes et des goûts opposés aux siens ou en désaccord avec son état dans le monde.

«Un mari, suppose-t-il, aime l'étude, la simplicité, la retraite; sa femme ne se plaît que dans le monde, le faste, la dissipation; sera-t-il nécessaire que l'un sacrifie son bonheur au caprice de l'autre? La philosophie conjugale n'est-elle pas alors un devoir, presque une vertu? Il y a toujours danger à contrarier un vif désir ou une habitude dès longtemps contractée; le plus sage est de laisser une jeune femme satisfaire ses goûts de danse, de parure, de spectacles, au lieu de s'opposer à sa volonté. On fait ainsi naître la satiété, où l'on aurait aiguillonné le caprice, et la soumission se montre bientôt, où se fût stimulée la résistance.»

Je ne sais au juste ce que Raisson entendait par soumission et résistance, et je ne veux point revenir sur ce que j'ai eu l'occasion de déclarer à propos de l'obéissance, dont le code fait aux femmes une obligation au bénéfice des maris. Pour nous, l'arbitraire est toujours de la tyrannie, et le mari n'a de droit sur la conduite de sa femme que celui qu'il puise dans une raison plus mûre et une expérience plus étendue. C'est dans ces limites seulement et avec cette interprétation que je me range à la méthode préconisée par Horace Raisson dans le passage qui précède; et je conclus d'autant plus facilement avec lui que «l'art d'obtenir beaucoup consiste à ne rien exiger».

De tout ce qui vient d'être dit, – insistons sur ce point, – la femme peut et doit faire son profit, aussi bien que l'homme. Les préjugés dûs à une éducation surannée, mais à laquelle bien peu de jeunes filles échappent encore, une timidité exagérée et hors de place, des scrupules d'autant plus tenaces qu'ils sont dictés par l'ignorance, des maladresses de parole ou d'action qui sont des naïvetés et que le mari ressent parfois comme des injures, des riens de mille sortes qui tirent une importance capitale du moment et du lieu, sont souvent des semences que la jeune femme jette étourdiment sur le terrain conjugal, encore inexploré, et qui, si le mari ne sarcle ces mauvaises herbes à mesure qu'elles germent, porteront une moisson de querelles, de désordre et de destruction.

Si donc le jeune mari, en raison de son éducation physique, intellectuelle et morale, encore plus qu'en raison d'une supériorité quelconque de nature dont il serait vain d'arguer, est presque toujours le plus directement responsable, des deux côtés la tâche est égale; car les doigts délicats de la femme peuvent, aussi bien que la rude main de l'homme, briser, dès le départ, le vase trop fragile du bonheur commun.

1.Voir Doit-on se marier? Paris, Librairie illustrée; 1 vol. in-18.
2.D'Allainval: L'Ecole des Maris. 1728.
3.Doutes sur différentes opinions reçues dans la Société. Nlle éd. Londres et Paris, 1783, 2 vol. in-16.
4.Encyclopédie des Proverbes.
5.G. Toudouze, Le Train jaune.