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Buch lesen: «Le mystère de la chambre jaune», Seite 14

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«Que me voulez-vous encore? demanda celui-ci au juge. Ne pourrait- on pas, monsieur, dans un moment pareil, me laisser un peu tranquille!

– Monsieur, fit le juge, il faut absolument que jaie, sur-le- champ, un entretien avec M. Robert Darzac. Ne pourriez-vous le décider à quitter la chambre de Mlle Stangerson? Sans quoi, je me verrais dans la nécessité den franchir le seuil avec tout lappareil de la justice.»

Le professeur ne répondit pas; il regarda le juge, le gendarme et tous ceux qui les accompagnaient comme une victime regarde ses bourreaux, et il rentra dans la chambre.

Aussitôt M. Robert Darzac en sortit. Il était bien pâle et bien défait; mais, quand le malheureux aperçut, derrière Frédéric Larsan, lemployé de chemin de fer, son visage se décomposa encore; ses yeux devinrent hagards et il ne put retenir un sourd gémissement.

Nous avions tous saisi le tragique mouvement de cette physionomie douloureuse. Nous ne pûmes nous empêcher de laisser échapper une exclamation de pitié. Nous sentîmes quil se passait alors quelque chose de définitif qui décidait de la perte de M. Robert Darzac. Seul, Frédéric Larsan avait une figure rayonnante et montrait la joie dun chien de chasse qui sest enfin emparé de sa proie.

M. de Marquet dit, montrant à M. Darzac le jeune employé à la barbiche blonde:

«Vous reconnaissez monsieur?

– Je le reconnais, fit Robert Darzac dune voix quil essayait en vain de rendre ferme. Cest un employé de lOrléans à la station dÉpinay-sur-Orge.

– Ce jeune homme, continua M. de Marquet, affirme quil vous a vu descendre de chemin de fer, à Épinay…

– Cette nuit, termina M. Darzac, à dix heures et demie… cest vrai! …»

Il y eut un silence…

«Monsieur Darzac, reprit le juge dinstruction sur un ton qui était empreint dune poignante émotion… Monsieur Darzac, que veniez-vous faire cette nuit à Épinay-sur-Orge, à quelques kilomètres de lendroit où lon assassinait Mlle Stangerson? …»

M. Darzac se tut. Il ne baissa pas la tête, mais il ferma les yeux, soit quil voulût dissimuler sa douleur, soit quil craignît quon pût lire dans son regard quelque chose de son secret.

«Monsieur Darzac, insista M. de Marquet… pouvez-vous me donner lemploi de votre temps, cette nuit?»

M. Darzac rouvrit les yeux. Il semblait avoir reconquis toute sa puissance sur lui-même.

«Non, monsieur! …

– Réfléchissez, monsieur! car je vais être dans la nécessité, si vous persistez dans votre étrange refus, de vous garder à ma disposition.

– Je refuse…

– Monsieur Darzac! Au nom de la loi, je vous arrête! …»

Le juge navait pas plutôt prononcé ces mots que je vis Rouletabille faire un mouvement brusque vers M. Darzac. Il allait certainement parler, mais celui-ci dun geste lui ferma la bouche… Du reste, le gendarme sapprochait déjà de son prisonnier… À ce moment un appel désespéré retentit:

«Robert! … Robert! …»

Nous reconnûmes la voix de Mlle Stangerson, et, à cet accent de douleur, pas un de nous qui ne frissonnât. Larsan lui-même, cette fois, en pâlit. Quant à M. Darzac, répondant à lappel, il sétait déjà précipité dans la chambre…

Le juge, le gendarme, Larsan sy réunirent derrière lui; Rouletabille et moi restâmes sur le pas de la porte. Spectacle déchirant: Mlle Stangerson, dont le visage avait la pâleur de la mort, sétait soulevée sur sa couche, malgré les deux médecins et son père… Elle tendait des bras tremblants vers Robert Darzac sur qui Larsan et le gendarme avaient mis la main… Ses yeux étaient grands ouverts… elle voyait… elle comprenait… Sa bouche sembla murmurer un mot… un mot qui expira sur ses lèvres exsangues… un mot que personne nentendit… et elle se renversa, évanouie… On emmena rapidement Darzac hors de la chambre… En attendant une voiture que Larsan était allé chercher, nous nous arrêtâmes dans le vestibule. Notre émotion à tous était extrême. M. de Marquet avait la larme à loeil. Rouletabille profita de ce moment dattendrissement général pour dire à M. Darzac:

«Vous ne vous défendrez pas?

– Non! répliqua le prisonnier.

– Moi, je vous défendrai, monsieur…

– Vous ne le pouvez pas, affirma le malheureux avec un pauvre sourire… Ce que nous navons pu faire, Mlle Stangerson et moi, vous ne le ferez pas!

– Si, je le ferai.»

Et la voix de Rouletabille était étrangement calme et confiante.

Il continua:

«Je le ferai, monsieur Robert Darzac, parce que moi, jen sais plus long que vous!

– Allons donc! murmura Darzac presque avec colère.

– Oh! soyez tranquille, je ne saurai que ce quil sera utile de savoir pour vous sauver!

– Il ne faut rien savoir, jeune homme… si vous voulez avoir droit à ma reconnaissance.»

Rouletabille secoua la tête. Il sapprocha tout près, tout près de Darzac:

«Écoutez ce que je vais vous dire, fit-il à voix basse… et que cela vous donne confiance! Vous, vous ne savez que le nom de lassassin; Mlle Stangerson, elle, connaît seulement la moitié de lassassin; mais moi, je connais ses deux moitiés; je connais lassassin tout entier, moi! …»

Robert Darzac ouvrit des yeux qui attestaient quil ne comprenait pas un mot de ce que venait de lui dire Rouletabille. La voiture, sur ces entrefaites, arriva, conduite par Frédéric Larsan. On y fit monter Darzac et le gendarme. Larsan resta sur le siège. On emmenait le prisonnier à Corbeil.

XXV
Rouletabille part en voyage

Le soir même nous quittions le Glandier, Rouletabille et moi. Nous en étions fort heureux: cet endroit navait rien qui pût encore nous retenir. Je déclarai que je renonçais à percer tant de mystères, et Rouletabille, en me donnant une tape amicale sur lépaule, me confia quil navait plus rien à apprendre au Glandier, parce que le Glandier lui avait tout appris. Nous arrivâmes à Paris vers huit heures. Nous dînâmes rapidement, puis, fatigués, nous nous séparâmes en nous donnant rendez-vous le lendemain matin chez moi.

À lheure dite, Rouletabille entrait dans ma chambre. Il était vêtu dun complet à carreaux en drap anglais, avait un ulster sur le bras, une casquette sur la tête et un sac à la main. Il mapprit quil partait en voyage.

«Combien de temps serez-vous parti? lui demandai-je.

– Un mois ou deux, fit-il, cela dépend…»

Je nosai linterroger…

«Savez-vous, me dit-il, quel est le mot que Mlle Stangerson a prononcé hier avant de sévanouir… en regardant M. Robert Darzac? …

– Non, personne ne la entendu…

– Si! répliqua Rouletabille, moi! Elle lui disait: «parle!»

– Et M. Darzac parlera?

– Jamais!»

Jaurais voulu prolonger lentretien, mais il me serra fortement la main et me souhaita une bonne santé, je neus que le temps de lui demander:

«Vous ne craignez point que, pendant votre absence, il se commette de nouveaux attentats? …

– Je ne crains plus rien de ce genre, dit-il, depuis que M. Darzac est en prison.»

Sur cette parole bizarre, il me quitta. Je ne devais plus le revoir quen cour dassises, au moment du procès Darzac, lorsquil vint à la barre «expliquer linexplicable».

XXVI
Où Joseph Rouletabille est impatiemment attendu

Le 15 janvier suivant, cest-à-dire deux mois et demi après les tragiques événements que je viens de rapporter, LÉpoque publiait, en première colonne, première page, le sensationnel article suivant:

«Le jury de Seine-et-Oise est appelé aujourdhui, à juger lune des plus mystérieuses affaires qui soient dans les annales judiciaires. Jamais procès naura présenté tant de points obscurs, incompréhensibles, inexplicables. Et cependant laccusation na point hésité à faire asseoir sur le banc des assises un homme respecté, estimé, aimé de tous ceux qui le connaissent, un jeune savant, espoir de la science française, dont toute lexistence fut de travail et de probité. Quand Paris apprit larrestation de M. Robert Darzac, un cri unanime de protestation séleva de toutes parts. La Sorbonne tout entière, déshonorée par le geste inouï du juge dinstruction, proclama sa foi dans linnocence du fiancé de Mlle Stangerson. M. Stangerson lui-même attesta hautement lerreur où sétait fourvoyée la justice, et il ne fait de doute pour personne que, si la victime pouvait parler, elle viendrait réclamer aux douze jurés de Seine-et-Oise lhomme dont elle voulait faire son époux et que laccusation veut envoyer à léchafaud. Il faut espérer quun jour prochain Mlle Stangerson recouvrera sa raison qui a momentanément sombré dans lhorrible mystère du Glandier. Voulez-vous quelle la reperde lorsquelle apprendra que lhomme quelle aime est mort de la main du bourreau? Cette question sadresse au jury «auquel nous nous proposons davoir affaire, aujourdhui même».

«Nous sommes décidés, en effet, à ne point laisser douze braves gens commettre une abominable erreur judiciaire. Certes, des coïncidences terribles, des traces accusatrices, un silence inexplicable de la part de laccusé, un emploi du temps énigmatique, labsence de tout alibi, ont pu entraîner la conviction du parquet qui, «ayant vainement cherché la vérité ailleurs», sest résolu à la trouver là. Les charges sont, en apparence, si accablantes pour M. Robert Darzac, quil faut même excuser un policier aussi averti, aussi intelligent, et généralement aussi heureux que M. Frédéric Larsan de sêtre laissé aveugler par elles. Jusqualors, tout est venu accuser M. Robert Darzac, devant linstruction; aujourdhui, nous allons, nous, le défendre devant le jury; et nous apporterons à la barre une lumière telle que tout le mystère du Glandier en sera illuminé. «Car nous possédons la vérité.»

«Si nous navons point parlé plus tôt, cest que lintérêt même de la cause que nous voulons défendre lexigeait sans doute. Nos lecteurs nont pas oublié ces sensationnelles enquêtes anonymes que nous avons publiées sur le «Pied gauche de la rue Oberkampf», sur le fameux vol du «Crédit universel» et sur laffaire des «Lingots dor de la Monnaie». Elles nous faisaient prévoir la vérité, avant même que ladmirable ingéniosité dun Frédéric Larsan ne leût dévoilée tout entière. Ces enquêtes étaient conduites par notre plus jeune rédacteur, un enfant de dix-huit ans, Joseph Rouletabille, qui sera illustre demain. Quand laffaire du Glandier éclata, notre petit reporter se rendit sur les lieux, força toutes les portes et sinstalla dans le château doù tous les représentants de la presse avaient été chassés. À côté de Frédéric Larsan, il chercha la vérité; il vit avec épouvante lerreur où sabîmait tout le génie du célèbre policier; en vain essaya-t-il de le rejeter hors de la mauvaise piste où il sétait engagé: le grand Fred ne voulut point consentir à recevoir des leçons de ce petit journaliste. Nous savons où cela a conduit M. Robert Darzac.

«Or, il faut que la France sache, il faut que le monde sache que, le soir même de larrestation de M. Robert Darzac, le jeune Joseph Rouletabille pénétrait dans le bureau de notre directeur et lui disait: «Je pars en voyage. Combien de tempsserai-je parti, je ne pourrais vous le dire;peut-être un mois, deux mois, trois mois…peut-être ne reviendrai-je jamais… Voici unelettre… Si je ne suis pas revenu le jour où M.Darzac comparaîtra devant les assises, vous ouvrirez cette lettre en cour dassises, après ledéfilé des témoins. Entendez-vous pour cela aveclavocat de M. Robert Darzac. M. Robert Darzacest innocent. Dans cette lettre il y a le nom delassassin, et, je ne dirai point: les preuves, car, les preuves, je vais les chercher,mais _lexplication irréfutable de sa__culpabilité.»_ Et notre rédacteur partit. Nous sommes restés longtemps sans nouvelles mais un inconnu est venu trouver notre directeur, il y a huit jours, pour lui dire: «Agissez suivant les instructions de Joseph Rouletabille, si la chose devient nécessaire. Il y a la vérité dans cette lettre.» Cet homme na point voulu nous dire son nom.

«Aujourdhui, 15 janvier, nous voici au grand jour des assises; Joseph Rouletabille nest pas de retour; peut-être ne le reverrons-nous jamais. La presse, elle aussi, compte ses héros, victimes du devoir: le devoir professionnel, le premier de tous les devoirs. Peut-être, à cette heure, y a-t-il succombé! Nous saurons le venger. Notre directeur, cet après-midi, sera à la cour dassises de Versailles, avec la lettre: la lettre qui contient le nom de lassassin!»

En tête de larticle, on avait mis le portrait de Rouletabille.

Les parisiens qui se rendirent ce jour-là à Versailles pour le procès dit du «Mystère de la Chambre Jaune» nont certainement pas oublié lincroyable cohue qui se bousculait à la gare Saint- Lazare. On ne trouvait plus de place dans les trains et lon dut improviser des convois supplémentaires. Larticle de LÉpoque avait bouleversé tout le monde, excité toutes les curiosités, poussé jusquà lexaspération la passion des discussions. Des coups de poing furent échangés entre les partisans de Joseph Rouletabille et les fanatiques de Frédéric Larsan, car, chose bizarre, la fièvre de ces gens venait moins de ce quon allait peut-être condamner un innocent que de lintérêt quils portaient à leur propre compréhension du «mystère de la Chambre Jaune». Chacun avait son explication et la tenait pour bonne. Tous ceux qui expliquaient le crime comme Frédéric Larsan nadmettaient point quon pût mettre en doute la perspicacité de ce policier populaire; et tous les autres, qui avaient une explication autre que celle de Frédéric Larsan, prétendaient naturellement quelle devait être celle de Joseph Rouletabille quils ne connaissaient pas encore. Le numéro de LÉpoque à la main, les «Larsan «et les «Rouletabille «se disputèrent, se chamaillèrent, jusque sur les marches du palais de justice de Versailles, jusque dans le prétoire. Un service dordre extraordinaire avait été commandé. Linnombrable foule qui ne put pénétrer dans le palais resta jusquau soir aux alentours du monument, maintenue difficilement par la troupe et la police, avide de nouvelles, accueillant les rumeurs les plus fantastiques. Un moment, le bruit circula quon venait darrêter, en pleine audience, M. Stangerson lui-même, qui sétait avoué lassassin de sa fille… Cétait de la folie. Lénervement était à son comble. Et lon attendait toujours Rouletabille. Des gens prétendaient le connaître et le reconnaître; et, quand un jeune homme, muni dun laissez-passer, traversait la place libre qui séparait la foule du palais de justice, des bousculades se produisaient. On sécrasait. On criait: «Rouletabille! Voici Rouletabille!» Des témoins, qui ressemblaient plus ou moins vaguement au portrait publié par LÉpoque, furent aussi acclamés. Larrivée du directeur de LÉpoque fut encore le signal de quelques manifestations. Les uns applaudirent, les autres sifflèrent. Il y avait beaucoup de femmes dans la foule.

Dans la salle des assises, le procès se déroulait sous la présidence de M. De Rocoux, un magistrat imbu de tous les préjugés des gens de robe, mais foncièrement honnête. On avait fait lappel des témoins. Jen étais, naturellement, ainsi que tous ceux qui, de près ou de loin, avaient touché les mystères du Glandier: M. Stangerson, vieilli de dix ans, méconnaissable, Larsan, M. Arthur W. Rance, la figure toujours enluminée, le père Jacques, le père Mathieu, qui fut amené, menottes aux mains, entre deux gendarmes, MmeMathieu, toute en larmes, les Bernier, les deux gardes-malades, le maître dhôtel, tous les domestiques du château, lemployé de poste du bureau 40, lemployé du chemin de fer dÉpinay, quelques amis de M. et de Mlle Stangerson, et tous les témoins à décharge de M. Robert Darzac. Jeus la chance dêtre entendu parmi les premiers témoins, ce qui me permit dassister à presque tout le procès.

Je nai point besoin de vous dire que lon sécrasait dans le prétoire. Des avocats étaient assis jusque sur les marches de «la cour»; et, derrière les magistrats en robe rouge, tous les parquets des environs étaient représentés. M. Robert Darzac apparut au banc des accusés, entre les gendarmes, si calme, si grand et si beau, quun murmure dadmiration plus que de compassion laccueillit. Il se pencha aussitôt vers son avocat, maître Henri-Robert, qui, assisté de son premier secrétaire, maître André Hesse, alors débutant, avait déjà commencé à feuilleter son dossier.

Beaucoup sattendaient à ce que M. Stangerson allât serrer la main de laccusé; mais lappel des témoins eut lieu et ceux-ci quittèrent tous la salle sans que cette démonstration sensationnelle se fût produite. Au moment où les jurés prirent place, on remarqua quils avaient eu lair de sintéresser beaucoup à un rapide entretien que maître Henri-Robert avait eu avec le directeur de LÉpoque. Celui-ci sen fut ensuite prendre place au premier rang de public. Quelques-uns sétonnèrent quil ne suivît point les témoins dans la salle qui leur était réservée.

La lecture de lacte daccusation saccomplit comme presque toujours, sans incident. Je ne relaterai pas ici le long interrogatoire que subit M. Darzac. Il répondit à la foi de la façon la plus naturelle et la plus mystérieuse. «Tout ce quil pouvait dire» parut naturel, tout ce quil tut parut terrible pour lui, même aux yeux de ceux qui «sentaient» son innocence. Son silence sur les points que nous connaissons se dressa contre lui et il semblait bien que ce silence dût fatalement lécraser. Il résista aux objurgations du président des assises et du ministère public. On lui dit que se taire, en une pareille circonstance, équivalait à la mort.

«Cest bien, dit-il, je la subirai donc; mais je suis innocent!»

Avec cette habileté prodigieuse qui a fait sa renommée, et profitant de lincident, maître Henri-Robert essaya de grandir le caractère de son client, par le fait même de son silence, en faisant allusion à des devoirs moraux que seules des âmes héroïques sont susceptibles de simposer. Léminent avocat ne parvint quà convaincre tout à fait ceux qui connaissaient M. Darzac, mais les autres restèrent hésitants. Il y eut une suspension daudience, puis le défilé des témoins commença et Rouletabille narrivait toujours point. Chaque fois quune porte souvrait, tous les yeux allaient à cette porte, puis se reportaient sur le directeur de LÉpoque qui restait, impassible, à sa place. On le vit enfin qui fouillait dans sa poche et qui «en tirait une lettre». Une grosse rumeur suivit ce geste.

Mon intention nest point de retracer ici tous les incidents de ce procès. Jai assez longuement rappelé toutes les étapes de laffaire pour ne point imposer aux lecteurs le défilé nouveau des événements entourés de leur mystère. Jai hâte darriver au moment vraiment dramatique de cette journée inoubliable. Il survint, comme maître Henri-Robert posait quelques questions au père Mathieu, qui, à la barre des témoins, se défendait, entre ses deux gendarmes, davoir assassiné «lhomme vert». Sa femme fut appelée et confrontée avec lui. Elle avoua, en éclatant en sanglots, quelle avait été «lamie» du garde, que son mari sen était douté; mais elle affirma encore que celui-ci nétait pour rien dans lassassinat de son «ami». Maître Henri-Robert demanda alors à la cour de bien vouloir entendre immédiatement, sur ce point, Frédéric Larsan.

«Dans une courte conversation que je viens davoir avec Frédéric Larsan, pendant la suspension daudience, déclara lavocat, celui- ci ma fait comprendre que lon pouvait expliquer la mort du garde autrement que par lintervention du père Mathieu. Il serait intéressant de connaître lhypothèse de Frédéric Larsan.»

Frédéric Larsan fut introduit. Il sexpliqua fort nettement.

«Je ne vois point, dit-il, la nécessité de faire intervenir le père Mathieu en tout ceci. Je lai dit à M. de Marquet, mais les propos meurtriers de cet homme lui ont évidemment nui dans lesprit de M. le juge dinstruction. Pour moi, lassassinat de Mlle Stangerson et lassassinat du garde «sont la même affaire». On a tiré sur lassassin de Mlle Stangerson, fuyant dans la cour dhonneur; on a pu croire lavoir atteint, on a pu croire lavoir tué; à la vérité il na fait que trébucher au moment où il disparaissait derrière laile droite du château. Là, lassassin a rencontré le garde qui voulut sans doute sopposer à sa fuite. Lassassin avait encore à la main le couteau dont il venait de frapper Mlle Stangerson, il en frappa le garde au coeur, et le garde en est mort.

Cette explication si simple parut dautant plus plausible que, déjà, beaucoup de ceux qui sintéressaient aux mystères du Glandier lavaient trouvée. Un murmure dapprobation se fit entendre.

«Et lassassin, quest-il devenu, dans tout cela? demanda le président.

– Il sest évidemment caché, monsieur le président, dans un coin obscur de ce bout de cour et, après le départ des gens du château qui emportaient le corps, il a pu tranquillement senfuir.»

À ce moment, du fond du «public debout», une voix juvénile séleva. Au milieu de la stupeur de tous, elle disait:

«Je suis de lavis de Frédéric Larsan pour le coup de couteau au coeur. Mais je ne suis plus de son avis sur la manière dont lassassin sest enfui du bout de cour!»

Tout le monde se retourna; les huissiers se précipitèrent, ordonnant le silence. Le président demanda avec irritation qui avait élevé la voix et ordonna lexpulsion immédiate de lintrus; mais on réentendit la même voix claire qui criait:

«Cest moi, monsieur le président, cest moi, Joseph Rouletabille!»

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12+
Veröffentlichungsdatum auf Litres:
21 Juli 2018
Umfang:
310 S. 1 Illustration
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