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Micah Clarke – Tome II. Le Capitaine Micah Clarke

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Après quoi, nous adressant un joli sourire, elle partit de son pas léger.

– Je voudrais pouvoir gouverner la ville comme cette fillette dirige cette maison, dit le Maire. Il n'est pas une chose nécessaire à laquelle elle ne pourvoie, avant même qu'on n'en sente le besoin. Elle lit mes pensées et y conforme ses actes avant que mes lèvres aient eu le temps de les exprimer. S'il me reste encore quelque force à consacrer au service public, c'est parce que ma vie privée est toute pleine d'une paix reposante. N'ayez nulle crainte au sujet du vin du Rhin: il vient de chez Brooke et Hellier, d'Abchurch-Lane, et il mérite toute confiance.

– Ce qui prouve que du moins il vient de Londres une bonne chose, fit remarquer Sir Gervas.

– Oui, c'est vrai, dit le vieillard, en souriant. Mais que pensez-vous de mes jeunes gens, monsieur? Il faut qu'ils soient d'une classe très différente de celle que vous connaissez, si comme on me le dit, vous avez fréquenté le monde de la cour.

– Mais parbleu oui, ce sont de fort braves jeunes gens, sans doute, répondit Sir Gervas, d'un ton léger. M'est avis toutefois qu'ils manquent un peu de sève. Ce qu'ils ont dans les veines, ce n'est pas du sang, mais du petit lait aigri.

– Non, non, répondit le Maire avec chaleur. Sur ce point, vous ne leur rendez pas justice. Leurs passions, leurs sentiments sont soumis à un contrôle. C'est ainsi qu'un bon cavalier tient son cheval en main. Mais ils existent tout autant que dans l'animal il existe de la vitesse et de l'endurance. Avez-vous remarqué le pieux jeune homme qui était assis à votre droite, et que j'ai eu maintes fois sujet de réprimander pour son excès de zèle? C'est un bon exemple à citer pour faire voir comment un homme peut garder la haute-main sur ses sentiments, et les maintenir sous la règle.

– Et comment y est-il arrivé? demandai-je.

– Hé bien, entre amis, dit le Maire, ce fut seulement à la dernière Annonciation qu'il demanda la main de ma petite fille Ruth. Son temps est presque terminé, et son père, Sam Derrick, est un estimable ouvrier, en sorte que le mariage serait assez bien assorti. La jeune personne l'a pris en grippe – les jeunes filles ont aussi leurs caprices – et il n'a plus été question de rien. Et pourtant il demeure sous le même toit, il la coudoie du matin jusqu'au soir, sans jamais laisser rien percer de cette passion, qui n'a pas pu s'éteindre aussi vite. Deux fois mon magasin à laines a été détruit au ras du sol par l'incendie, et deux fois il s'est mis à la tête de ceux qui luttaient contre les flammes. Bien peu de gens, après avoir vu leur demande repoussée, auraient été capables de faire preuve d'autant de résignation et de patience.

– Je suis tout disposé à reconnaître la justesse de votre appréciation, dit Sir Gervas Jérôme. J'ai appris à ne pas prendre au mot les antipathies trop promptes, et j'ai présent à l'esprit ce distique de John Dryden:

 
Les erreurs, comme les brins de paille, flottent à la surface,
Quiconque cherche des perles, doit plonger dans les profondeurs.
 

– Ou bien, dit Saxon, le digne Docteur Samuel Butler, qui dit, dans son immortel poème d'Hudibras:

 
Le sot ne voit que la peau;
Le sage s'efforce de regarder à l'intérieur.
 

– Je m'étonne, Colonel Saxon, dit notre hôte d'un ton sévère, de vous entendre parler avec éloge de ce poème licencieux. D'après ce que j'ai ouï dire, il a été composé dans le but exprès de jeter le ridicule sur les gens pieux. Je n'aurais pas été plus surpris de vous entendre louer l'ouvrage criminel et sot de Hobbes, qui soutient cette thèse malfaisante: «À Deo Rex, à Rege lex»: «De Dieu vient le Roi, du Roi vient la loi.»

– Il est vrai que je méprise et dédaigne l'usage que Butler a fait de sa satire, dit adroitement Saxon. Toutefois je puis admirer la satire elle-même, tout comme je puis admirer une lame damasquinée, sans approuver la querelle pour laquelle on la tire.

– Ces distinctions-là, je le crains, sont trop subtiles pour ma vieille cervelle, dit l'énergique vieux Puritain. Cette Angleterre, notre patrie, est divisée en deux camps, celui de Dieu, et celui de l'Antéchrist. Quiconque n'est point avec nous est contre nous, et aucun de ceux qui servent sous la bannière du démon n'aura rien de moi, sinon mon mépris et le tranchant acéré de mon épée.

– Bien, bien, dit Saxon, en remplissant son verre, je ne suis point un Laodicéen, non plus qu'un adorateur du succès. La cause ne trouvera point en défaut ma langue ni mon épée.

– Pour cela, j'en suis bien convaincu, mon digne ami, répondit le Maire, et si j'ai parlé en termes trop secs, vous voudrez bien m'excuser. Mais j'ai le regret d'avoir à vous annoncer de mauvaises nouvelles. Je ne les ai point fait connaître au corps communal, de peur de le décourager, mais je sais que l'adversité sera simplement la pierre sur laquelle votre ardeur s'aiguisera et prendra un tranchant plus fin. Le soulèvement d'Argyle a échoué. Lui et ses compagnons sont tombés entre les mains de l'homme qui n'a jamais su ce que c'est que le pardon.

À ces mots, nous sursautâmes tous sur nos chaises, en échangeant des regards effarés, à l'exception de Sir Gervas Jérôme, dont la sérénité naturelle était à l'épreuve de toute perturbation.

Vous vous le rappelez sans doute, mes enfants quand j'ai commencé à vous raconter ces incidents de ma vie, j'ai dit que les espérances du parti de Monmouth reposaient en grande partie sur l'invasion des exilés écossais dans le comté d'Ayr.

On comptait y faire naître ainsi des troubles, tels qu'ils détourneraient une bonne partie des forces du Roi Jacques, ce qui rendrait notre marche sur Londres moins difficile.

On y comptait d'autant plus sûrement que les domaines d'Argyle étaient situés dans cette région de l'Écosse, où il pouvait lever cinq mille hommes armés de sabres parmi les gens de son clan.

En outre, il y avait, dans les comtés de l'Ouest, un très grand nombre de farouches zélotes, tout prêts à soutenir la cause du Covenant, et qui avaient prouvé, en maintes escarmouches, leurs brillantes qualités guerrières.

Il semblait certain qu'avec le concours des Highlanders et des Covenantaires, Argyle serait capable de résister, d'autant mieux qu'il avait emmené avec lui en Écosse le puritain anglais Rumbold, et un grand nombre d'autres gens de guerre habiles.

La nouvelle inattendue de sa défaite complète était donc un coup terrible, car il en résultait que nous aurions affaire à toutes les forces du Gouvernement.

– Tenez-vous cette nouvelle d'une source sûre? demanda Decimus Saxon, après un long silence.

– C'est une certitude qui n'admet pas de doute, répondit Maître Stephen Timewell. Toutefois je comprends bien votre surprise, car le Duc était entouré de conseillers dignes de confiance. Il y avait Sir Patrick Hume, de Polwarth.

– Tout en paroles, rien en action, dit Saxon.

– Et Richard Rumbold.

– Tout en action, rien en paroles, dit notre compagnon. M'est avis qu'il aurait dû faire en sorte qu'on parlât mieux de lui.

– Puis il y avait le Major Elphinstone.

– Un sot et un fanfaron.

– Et Sir John Cochrane.

– Un traînard captieux, à la langue longue, à l'intelligence courte, dit le soldat de fortune. Commandée par de tels hommes, l'expédition était condamnée dès le début. Pourtant je me figure que tout au moins, et en admettant qu'ils ne fissent rien de plus, ils auraient pu se jeter dans la région montagneuse, où ces caterans aux jambes nues auraient pu se maintenir parmi les nuages et les brouillards de leur pays natal. Tous pris, dites-vous? C'est une leçon, un avertissement pour nous. Je vous le dis, si Monmouth n'infuse pas plus d'énergie dans ses conseils, s'il hésite à pousser tout droit vers le cœur, s'il fait des passes, des feintes d'escrime aux extrémités, nous nous trouverons dans la situation d'Argyle et de Rumbold. Que signifient ces deux journées gaspillées à Axminster, en un temps où chaque heure a son prix? Faudra-t-il chaque fois qu'il se frottera contre un corps de milice et le rejettera de côté, qu'il se repose quarante-huit heures, pour chanter «Te Deum» alors que Churchill et Feversham sont en route, je le sais, pour l'Ouest avec tous les hommes qu'ils ont pu ramasser, et que les Grenadiers hollandais pullulent comme les rats dans un magasin de grains?

– Vous avez parfaitement raison, Colonel Saxon, répondit le Maire, et j'espère que, quand le Roi arrivera ici, nous réussirons à lui inspirer une action plus rapide. Il a grand besoin de conseillers plus entendus à la guerre, car depuis le départ de Fletcher, il n'a guère autour de lui de gens qui aient appris le métier des armes.

– Bon, dit Saxon, d'un air bourru, maintenant qu'Argyle a disparu, nous voici face à face avec le Roi Jacques, sans pouvoir compter sur autre chose que nos bonnes épées.

– Sur elles et sur la justice de notre cause. Comment trouvez-vous ces nouvelles, jeunes messieurs? Est-ce qu'elles auraient fait perdre au vin tout son bouquet? Seriez-vous enclins à déserter le drapeau du Seigneur?

– Pour mon compte, dis-je, j'entends voir la chose jusqu'au dénouement.

– Et moi, dit Ruben Lockarby, je suivrai Micah Clarke partout où il ira.

– Quant à moi, dit Sir Gervas, la chose m'est parfaitement indifférente, tant que je suis en bonne compagnie et qu'il y a de quoi donner de fortes émotions.

– En ce cas, dit le Maire, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est que chacun remplisse son rôle propre, et que nous nous tenions prêts pour l'arrivée du Roi. Jusqu'alors, j'espère que vous me ferez l'honneur d'agréer mon humble toit.

– Je crains, dit Saxon, de ne pouvoir accepter cette offre si bienveillante. Quand je suis sous les armes, je me lève tôt et me couche tard. J'établirai donc mon quartier-général à l'auberge, qui n'est pas très bien fournie au point de vue des victuailles, mais qui peut m'offrir la nourriture simple à laquelle se bornent mes besoins, avec mon quart de bière noire d'octobre, et ma pipe de Trinidad.

 

Saxon tenant ferme dans sa décision, le Maire cessa d'insister auprès de lui, mais mes deux amis s'empressèrent de se joindre à moi pour accepter l'offre du digne marchand de laines, et nous nous installâmes pour la durée de notre séjour sous son toit hospitalier.

IV – Une mêlée nocturne

Si Decimus Saxon refusa de mettra à profit l'offre du logement et de la table que lui avait faite Maître Timewell, ce fut, ainsi que je l'appris plus tard, pour cette raison que le Maire étant un ferme Presbytérien, il croyait inopportun de laisser s'établir entre eux une intimité trop grande, qui lui nuirait auprès des Indépendants et autres zélotes.

À vrai dire, mes chers enfants, cet homme plein de ruse commença, dès ce jour, à régler sa vie et ses actes de façon à se concilier l'amitié des Sectaires, et de se faire considérer par eux comme leur chef.

En effet, il était fermement convaincu que dans des mouvements violents comme celui où nous étions engagés, le parti le plus extrême est sûr d'avoir enfin la haute main.

– Fanatisme, me disait-il un jour, cela signifie ferveur, et ferveur signifie qu'on sera âpre à la besogne, et l'âpreté à la besogne signifie la puissance.

Tel était le pivot de toutes ses intrigues, de tous ses projets.

En premier lieu, il s'appliqua à prouver qu'il était un excellent soldat. Il n'épargna ni le temps, ni la peine pour y arriver.

Du matin jusqu'à midi, dans l'après-midi jusqu'à la nuit, nous faisions l'exercice, et encore l'exercice, si bien qu'enfin les commandements lancés à tue-tête, ce fracas des armes devinrent fatigants par leur monotonie.

Les bons bourgeois purent bien se figurer que l'infanterie du Wiltshire sous le colonel Saxon, faisait partie de la place du Marché au même titre que la croix de la ville ou le carcan de la paroisse.

Il fallait faire bien des choses en peu de temps, et même tant de choses que plus d'un aurait déclaré la tentative inutile.

Ce n'était pas seulement la manœuvre d'ensemble du régiment; il fallait de plus que chacun de nous habituât sa compagnie à l'exercice qui lui était propre.

Il nous fallait apprendre de notre mieux les noms et les besoins des hommes.

Mais notre tâche fut rendue plus aisée par la certitude que ce n'était point du temps perdu, car à chaque rassemblement nos patauds se tenaient plus droit et maniaient leurs armes avec plus de dextérité.

Depuis le chant du coq jusqu'au coucher du soleil, on n'entendit dans les rues d'autres cris que: «Portez armes, préparez armes, reposez vos armes, apprêtez vos amorces» et tous les autres commandements de l'ancien exercice de peloton.

À mesure que nous devenions meilleurs soldats, notre nombre augmentait, car notre apparence coquette attirait dans nos rangs l'élite des nouveaux-venus.

Ma compagnie s'accrut au point qu'il fallût la dédoubler.

Il en fut ainsi des autres dans la même proportion.

Les mousquetaires du baronnet atteignirent le chiffre d'une bonne centaine, gens sachant pour la plupart se servir du mousquet.

En totalité, nous passâmes de trois cents à quatre cent cinquante, et notre façon de manœuvrer se perfectionna au point de nous valoir de tous côtés des éloges sur l'état de nos hommes.

À une heure avancée de la soirée, je rentrais à cheval, lentement, à la maison de Maître Timewell, quand Ruben arriva à grand bruit derrière moi et me pria de revenir sur mes pas avec lui pour assister à un spectacle qui valait la peine d'être vu.

Bien que je ne me sentisse guère disposé à ce genre de plaisirs, je fis faire demi-tour à Covenant, et nous descendîmes toute la longueur de la Grande Rue, pour entrer dans le faubourg qui se nomme Shuttern.

Mon compagnon s'y arrêta devant un édifice nu, qui avait l'air d'une grange, et me dit de regarder dans l'intérieur par la fenêtre.

Le dedans se composait d'une seule grande chambre.

C'était le magasin, alors vide, dans lequel on avait l'habitude de mettre la laine.

Il était éclairé d'un bout à l'autre par des lampes et des chandelles.

Un grand nombre d'hommes parmi lesquels je reconnus des gens de ma compagnie, ou de celle de mon camarade, étaient couchés des deux côtés, occupés les uns à fumer, d'autres à prier, d'autres à polir leurs armes.

Dans le centre, sur toute la longueur, des bancs avaient été rangés bout à bout, et sur ses bancs étaient assis à cheval tous les cent mousquetaires du baronnet.

Chacun deux était en train de tresser en forme de queue la chevelure de l'homme assis devant lui.

Un jeune garçon allait et venait, un pot de graisse à la main, et avec cet ingrédient et de la ficelle à fouet, la besogne marchait rondement.

Sir Gervas en personne, muni d'une grande boîte pleine de farine, était assis, perché sur un ballot de laine au bout de la rangée, et aussitôt qu'une queue était achevée, il l'examinait à travers son monocle, et si elle lui paraissait convenablement faite, il la saupoudrait d'un geste précieux, en puisant dans sa boîte, et opérait avec autant de soin et de sérieux que s'il se fut agi d'une cérémonie de l'Église.

Jamais cuisinier, assaisonnant un plat, n'eût distribué ses épices avec autant d'exactitude et de jugement que notre ami n'en mettait à enfariner les têtes de sa compagnie.

Au milieu de son travail, il leva les yeux, et vit une ou deux figures souriantes à la fenêtre, mais son occupation l'absorbait trop pour qu'il se permit de l'interrompre, et nous finîmes par repartir à cheval sans lui avoir parlé.

À ce moment, la ville était fort tranquille et silencieuse, car les gens de cette région étaient habitués à se coucher tôt, à moins que quelque occasion ne les tînt sur pied.

Nous parcourions, au pas lent de nos chevaux, les rues muettes.

Les fers de nos montures résonnaient d'un bruit clair sur le pavé de galets, et nous tenions de ces propos légers qui sont d'usage entre jeunes gens.

Au dessus de nous, la lune brillait d'un vif éclat, répandait une lueur argentée sur les larges rues, et dessinait en un réseau d'ombres les pointes et les clochetons des églises.

Arrivé dans la cour de Maître Timewell, je mis pied à terre, mais Ruben, charmé par le calme et la beauté de la scène, continua sa promenade à cheval, dans l'intention de pousser jusqu'à la porte de la ville.

J'étais encore occupé à défaire les boucles de la sangle, et à enlever mon harnais, quand tout à coup arriva d'une des rues voisines, un grand cri, un bruit de lutte, de choc d'épées en même temps que la voix de mon camarade appelant à l'aide.

Je tirai mon épée et sortis en courant.

À une faible distance de là, se trouvait un assez large espace, tout blanc de clarté lunaire, et au centre j'aperçus la silhouette trapue de mon ami.

Il faisait des bonds avec une agilité dont je ne l'avais jamais cru capable, et échangeait des coups de pointe avec trois ou quatre hommes qui le serraient de près.

Sur le sol gisait une figure sombre.

Du groupe de combattants, la jument de Ruben se dressait, se baissait comme si elle comprenait le danger que courait son maître.

Comme j'accourais, criant, l'épée haute, les assaillants s'enfuirent par une rue latérale, excepté l'un d'eux, un homme de haute taille, musculeux, qui avait une épée.

Il se lança contre Ruben, en lui portant un furieux coup de pointe, jurant, et le traitant de trouble-fête.

J'éprouvai une sensation d'horreur en voyant la lame passer à travers la parade de mon ami, qui leva les bras, et tomba la face en avant, pendant que l'autre, après avoir lancé un dernier coup, s'enfuyait par une des ruelles étroites et tortueuses qui allaient de la rue de l'Est à la rive de la Tone.

– Au nom du ciel, où êtes-vous atteint? m'écriai-je en me jetant à genoux près du corps étendu. Où êtes-vous blessé, Ruben?

– Surtout dans le soufflet, dit-il en soufflant comme un soufflet de forge, et aussi derrière la tête. Donnez-moi la main, je vous prie.

– Vraiment, vous n'êtes pas touché? m'écriai-je, le cœur soulagé d'un grand poids, en l'aidant à se relever. Je croyais que ce gredin vous avait transpercé.

– Autant chercher à percer un crabe de Warsash avec un épingle à cheveux, dit-il. Grâce au bon Sir Jacob Clancing, jadis de Snellaby Hall, et présentement de la Plaine de Salisbury, leurs rapières n'ont produit d'autre effet que de rayer ma cuirasse impénétrable. Mais où en est la demoiselle?

– Quelle demoiselle?

– Oui, c'était pour la sauver que j'ai dégainé. Elle était assaillie par des rôdeurs de nuit. Voyez, elle se relève. Ils l'avaient jetée à terre quand j'ai fondu sur eux.

– Comment vous trouvez-vous, madame? demandai-je, car la personne gisante à terre s'était relevée et avait pris l'aspect d'une femme, jeune et gracieuse, d'après toutes les apparences, mais dont la figure était enveloppée dans un manteau. J'espère que vous n'avez eu aucun mal?

– Aucun, monsieur, répondit-elle d'une voix basse et douce, mais si j'ai échappé, je le dois à la valeur et à l'empressement de votre ami, ainsi qu'à la sagesse prévoyante de Celui qui confond les complots des méchants. Sans doute tout homme digne de ce nom aurait rendu ce service à une jeune personne en détresse, quelle qu'elle fût, et pourtant, ce qui contribuera peut-être à votre satisfaction, ce sera d'apprendre que votre protégée ne vous est pas inconnue.

Et en parlant ainsi, elle laissa tomber son manteau et tourna sa figure vers nous sous la clarté de la lune.

– Grands Dieux! C'est Mistress Timewell, m'écriai-je tout abasourdi.

– Rentrons à la maison, dit-elle d'une voix ferme et rapide. Les voisins ont pris l'alarme et il y aura bientôt un rassemblement de populace. Échappons aux commentaires.

En effet, on entendait déjà de tous côtés le bruit des fenêtres, et des gens demandant à tue-tête de quel malheur il s'agissait.

Bien loin, au bout de la rue, nous pouvions apercevoir la lueur des lanternes se balançant et annonçant la patrouille qui arrivait à grands pas.

Nous nous dérobâmes cependant, à la faveur de l'ombre, et fûmes bientôt en sûreté dans la cour du Maire, sans être interpellés ou arrêtés.

– J'espère, monsieur, que vous n'avez pas été blessé, bien vrai? dit la jeune demoiselle à mon compagnon.

Depuis qu'elle avait découvert sa figure, Ruben n'avait pas dit un mot.

Il avait tout l'air d'un homme qui est bercé par un rêve agréable et qui n'est fâché que d'en être réveillé.

– Non, je ne suis pas blessé, répondit-il, mais je voudrais que vous nous disiez quels sont ces spadassins errants et où l'on peut les trouver.

– Non, non, dit-elle, le doigt levé, vous ne pousserez pas l'affaire plus loin. Quant à ces hommes, je ne puis dire avec certitude qui ils pouvaient être. J'étais sortie pour rendre visite à Dame Clatworthy, qui a la fièvre tierce, et ils m'ont assaillie pendant que je revenais. Peut-être sont-ce des gens qui ne partagent pas les opinions de mon grand-père sur les affaires de l'État, et est-ce lui qu'ils ont visé par-dessus moi. Mais vous fûtes tous deux si bons pour moi, que vous ne me refuserez pas une autre faveur que j'ai à vous demander.

Nous protestâmes que cela nous était impossible, en mettant la main sur la garde de nos épées.

– Non, gardez-les pour la cause de Dieu, dit-elle, en souriant de notre geste. Tout ce que je vous demande, c'est de ne rien dire de cette affaire à mon grand-père, car la moindre chose suffit pour le mettre en feu, malgré son grand âge. Je ne voudrais pas que son attention fût détournée des affaires publiques par un détail personnel comme celui-là. Ai-je votre parole?

– La mienne! dis-je en m'inclinant.

– La mienne aussi! dit Lockarby.

– Merci, mes bons amis! Ah! J'ai laissé tomber mon gant dans la rue. Mais cela n'a pas d'importance. Je rends grâce à Dieu de ce qu'il n'est arrivé malheur à personne. Merci encore une fois, et que des rêves agréables vous attendent.

Elle gravit lestement les marches et disparut en un instant.

Ruben et moi, nous ôtâmes les harnais de nos chevaux et assistâmes en silence aux soins qu'on leur donna.

Nous entrâmes alors dans la maison, pour regagner nos chambres, toujours sans mot dire.

Arrivé sur le seuil de sa porte, Ruben s'arrêta.

– J'ai déjà entendu la voix de l'homme au long corps, Micah, dit-il.

– Et moi aussi, répondis-je. Le vieillard fera bien de se méfier de ses apprentis. J'ai presque envie de sortir pour aller chercher le gant de la fillette.

 

Un joyeux clignement d'yeux brilla dans le nuage qui avait obscurci la figure de Ruben. Il ouvrit la main gauche et me montra le gant de peau de daim froissé entre ses doigts.

– Je ne le troquerais pas contre tout l'or qui se trouve dans les coffres de son grand-père, dit-il avec une explosion soudaine d'ardeur.

Puis riant à la fois et rougissant, il se hâta de rentrer et me laissa à mes pensées.

Ce fut ainsi que j'appris pour la première fois, mes chers enfants, que mon bon camarade avait été percé par les flèches du petit dieu.

Quand un homme ne compte que vingt ans, l'amour jaillit en lui, ainsi que la citrouille dont parle l'Écriture et qui poussa en une seule nuit.

Je vous aurais mal raconté mon histoire, si je ne vous avais pas fait comprendre que mon ami était un jeune homme franc, au cœur chaud, tout de premier mouvement, chez qui la raison était rarement de faction en présence de ses penchants.

Un homme de cette sorte est aussi peu capable de s'éloigner d'une jeune fille attrayante que l'aiguille de fuir l'aimant.

Il aime, tout comme l'alouette chante, tout comme joue un chaton.

Or, un garçon à l'esprit lent et lourd comme moi, et dans les veines duquel le sang avait toujours coulé avec quelque froideur, quelque réserve, peut entrer dans l'amour ainsi qu'un cheval entre dans un cours d'eau aux rives en talus, degré par degré, mais un homme tel que Ruben frappe du talon un seul instant sur le bord, et l'instant d'après, il s'est lancé jusqu'aux oreilles dans l'endroit le plus profond.

Le ciel seul sait quelle mèche avait mis le feu à l'étoupe.

Tout ce que je puis dire, c'est que depuis ce jour, mon camarade était mélancolique et assombri une heure, puis gai, et plein d'entrain l'heure suivante.

Il n'avait plus rien de son flot constant de bonne humeur, il devenait aussi piteux qu'un poussin qui mue, chose qui m'a toujours paru un des plus singuliers résultats de ce que les poètes ont appelé le joyeux état de l'amour.

Mais, il faut le dire, en ce monde, joie et plaisir se touchent de si près, qu'on dirait qu'ils sont à l'attache dans des stalles contiguës, et qu'une ruade suffirait pour faire tomber la cloison qui les sépare.

Voici un homme aussi plein de soupirs qu'une grenade est bourrée de poudre.

Il fait triste figure; il a l'air abattu. Son esprit va à l'aventure et si vous lui faites remarquer qu'il est très malheureux dans cet état, il vous répondra, vous pouvez en être certain, qu'il ne l'échangerait pas pour les Puissances ni pour les Principautés du ciel.

Pour lui les larmes sont de l'or, et le rire n'est que de la fausse monnaie.

Mais, mes chers enfants, c'est peine perdue pour moi que de vous expliquer une chose que moi-même je n'entends point.

Si comme je l'ai entendu dire, il est impossible de trouver deux empreintes du pouce qui soient identiques, comment espérer de faire coïncider les pensées et les sentiments les plus intimes de deux êtres.

Toutefois, il est une chose que je puis affirmer comme vraie, c'est que quand je demandai la main de votre grand-mère, je ne m'abaissai point à prendre la mine d'un homme qui mène un enterrement.

Elle me rendra ce témoignage que j'allai à elle avec la figure souriante, bien que j'eusse tout de même une petite palpitation au cœur, et je lui dis…

Mais diantre, ou me suis-je laissé entraîner?

Qu'y a-t-il de commun entre tout cela et la ville de Taunton, et la révolte de 1685?

Le mercredi soir, 17 juin, nous apprîmes que le Roi, (c'était ainsi qu'on désignait Monmouth dans tout l'Ouest) était campé à moins de dix milles de là, avec toutes ces forces, et que le lendemain matin, il ferait son entrée dans la fidèle ville de Taunton.

On s'ingénia tant qu'on put, comme vous le pensez bien, pour lui souhaiter la bienvenue d'une façon qui fût digne de la ville d'Angleterre la plus attachée aux Whigs et au Protestantisme.

Un arc de plantes vertes avait déjà été dressé à la porte de l'ouest.

Il portait cette devise: «Bienvenue au Roi Monmouth!»

Un second s'élevait depuis l'entrée de la place du Marché jusqu'à la fenêtre la plus haute de l'hôtellerie du Blanc-Cerf, avec ces mots en grandes lettres écarlate «Salut au Chef Protestant.»

Un troisième, si je m'en souviens bien, surmontait l'entrée de la cour du château, mais je ne me rappelle plus la devise qui s'y lisait.

L'industrie du drap et de la laine est, ainsi que je vous l'ai dit, la principale occupation de la ville.

Les marchands n'avaient pas ménagé leurs marchandises.

Ils les avaient étalées à profusion pour embellir les rues.

De riches tapisseries, des velours lustrés, de précieux brocarts flottaient aux fenêtres ou décoraient les balcons.

La rue de l'Est, la Grande Rue, la rue d'Avant, étaient tendues des greniers jusqu'à terre d'étoffes rares et belles.

De gais étendards étaient suspendus aux toits des deux côtés, ou voltigeaient en longues guirlandes d'une maison à l'autre.

La bannière royale d'Angleterre était déployée au clocher élevé de Sainte Marie-Madeleine, et le drapeau de Monmouth flottait au clocher tout pareil de Saint Jacques.

Jusqu'à une heure avancée de la nuit, on manœuvra le rabot, le marteau, on travailla, on inventa, si bien que le jeudi 18 juin, quand le soleil se leva, il éclaira le plus beau déploiement de couleurs et de verdure qui ait jamais paré une ville.

Une sorte de magie avait changé la ville de Taunton en un jardin fleuri.

Maître Stephen Timewell s'était occupé de ces préparatifs, mais il s'était dit en même temps que le signe de bienvenue le plus agréable qu'il pût offrir aux yeux de Monmouth serait la vue du gros corps d'hommes armés qui étaient prêts à suivre sa fortune.

Il y en avait seize cents dans la ville.

Deux cents d'entre eux formaient la cavalerie.

La plupart étaient bien armés et équipés.

Ils furent rangés de façon que le Roi passât devant eux à son entrée.

Les gens de la ville bordaient, sur trois rangs de profondeur, la place du Marché, depuis la porte du Château jusqu'à l'entrée de la Grande Rue.

De là jusqu'à Shuttern, les paysans du comté de Dorset et ceux de Frome étaient placés sur les deux côtés de la rue.

Notre régiment était posté à la porte de l'Ouest.

Avec des armes bien astiquées, des rangs bien alignés, et des branches vertes à tous les bonnets, aucun chef ne pouvait s'abstenir de souhaiter de voir son armée ainsi accrue.

Lorsque tous furent à leurs places, que les bourgeois et leurs épouses se furent parés de leurs atours des jours de fête, avec des figures réjouies, des corbeilles pleines de fleurs, tout fût prêt pour la réception du royal visiteur.

– Voici mes ordres, dit Saxon en s'avançant vers nous sur son cheval, au moment où nous prenions nos places près de nos compagnons. Moi et mes capitaines, nous nous réunirons à l'escorte du Roi, quand il passera, et nous l'accompagnerons ainsi jusqu'à la place du Marché. Vos hommes présenteront les armes et resteront en place jusqu'à notre retour.

Nous tirâmes, tous les trois, nos sabres et nous fîmes le salut.

– Si vous voulez bien venir avec moi, messieurs, et prendre position à droite de cette porte-ci, dit-il, je pourrai vous dire quelques mots au sujet de ces gens, quand ils défileront. Trente ans de guerre, sous bien des climats, m'ont bien donné le droit de parler en maître-ouvrier qui instruit ses apprentis.

Nous suivîmes son invitation avec empressement.

On franchit la porte, qui maintenant se réduisait à une large brèche parmi les tas de déblais marquant l'emplacement des anciennes murailles.

– On ne les aperçoit pas encore, fis-je remarquer, pendant que nous montions sur une hauteur commode. Je suppose qu'ils doivent arriver par cette route dont les détours suivent la vallée en face de vous.

– Il y a deux sortes de mauvais généraux, dit Saxon, l'homme qui va trop vite et celui qui va trop lentement. Les conseillers de Sa Majesté ne seront jamais accusés du premier de ces défauts, quelques erreurs qu'ils puissent commettre d'ailleurs. Le vieux Maréchal Grunberg, avec qui j'ai fait trente-six mois de campagne en Bohème, avait pour principe de voler à travers le pays, pêle-mêle, cavalerie, infanterie, artillerie, comme s'il avait le diable à ses trousses. Il aurait pu commettre cinquante fautes, mais l'ennemi n'avait jamais le temps d'en profiter. Je me rappelle un raid que nous fîmes en Silésie. Après deux jours de marche dans les montagnes, son chef d'état-major lui dit que l'artillerie était hors d'état de suivre.