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Micah Clarke – Tome II. Le Capitaine Micah Clarke

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Tout bien considéré, il valait mieux, à mon avis, ne rien dire de ma mission et tenir cachés mes papiers aussi longtemps que possible.

Mais je ne pus m'empêcher de me demander, pendant qu'on m'entraînait, quel motif avait poussé ces gens-là à m'attendre dans une embuscade, ainsi qu'ils l'avaient fait.

La route que j'avais suivie était fort écartée, et pourtant bon nombre des voyageurs qui se rendaient de l'Ouest à Bristol, par Weston, devaient la prendre.

La bande ne pouvait pas être occupée sans cesse à la garder.

Dès lors pourquoi avait-elle tendu ce piège, cette nuit-là?

Les contrebandiers, gens sans crainte de la loi, gens décidés à tout, ne s'abaissaient point, généralement, au rôle de voleurs allant à pied, de brigands.

Tant qu'on ne se mêlait pas de leurs affaires, il était rare qu'ils fussent les premiers à causer du désordre.

Donc, pourquoi m'avaient-ils guetté, moi qui ne leur avais jamais causé aucun tort?

Pouvait-il se faire que je leur eusse été dénoncé?

Je continuais à tourner et retourner ces questions en mon esprit, quand tout ce monde s'arrêta.

Le capitaine lança un coup de sifflet perçant, au moyen d'un sifflet qu'il portait suspendu au cou.

L'endroit où nous nous trouvions était le plus sombre et le plus accidenté de toute cette gorge sauvage.

Des deux côtés se dressaient de grands escarpements qui se rapprochaient au-dessus de nos têtes en une voûte dont les bords étaient frangés de bruyères et d'ajoncs, en sorte que le ciel noir et les étoiles scintillantes étaient presque cachés.

De gros rochers noirs apparaissaient vaguement dans la lumière indécise, et devant nous un haut fouillis de quelque chose qui ressemblait à des broussailles nous barrait le chemin.

Mais sur un second coup de sifflet, on aperçut à travers les branches un point lumineux, et toute la masse s'écarta d'un côté comme si elle avait tourné sur un pivot.

De l'autre côté se voyait un couloir sombre et tortueux, ouvert dans le flanc de la colline.

Nous descendîmes par là en nous baissant, car la voûte de rochers n'était pas très haute.

De chaque côté résonnait le bruit cadencé de la mer.

Après avoir franchi l'entrée, qui avait dû être pratiquée à grand renfort de travail à travers le roc massif, nous pénétrâmes dans un souterrain élevé et spacieux, éclairé à un bout par un feu et par plusieurs torches.

À en juger par leur lueur jaune et fumeuse, je pus voir que le toit était au moins à cinquante pieds au-dessus de nous, et que de tous côtés en pendaient des cristaux calcaires qui scintillaient de l'éclat le plus vif.

Le sol du souterrain était composé d'un sable fin, aussi doux, aussi velouté qu'un tapis de Wilton, et formant une pente douce.

Cela prouvait que l'ouverture du souterrain devait donner sur la mer; supposition confirmée par le bruit sourd et l'éclaboussement des vagues, par la fraîcheur et le goût salin de l'air qui remplissait toute la grotte.

Mais je ne vis pas l'eau, car un brusque changement de direction déroba l'issue à mes regards.

Dans cet espace libre, au sein des rochers, qui pouvait avoir soixante pas de long et trente de large, étaient entassés de grandes piles de barils, de tonneaux, de caisses, des mousquets.

Des coutelas, des bâtons, des triques, et de la paille étaient épars sur le sol.

À une extrémité flambait joyeusement un feu de bois, qui projetait des ombres bizarres sur les parois et se reflétait en milliers d'étincelles pareilles à des diamants, sur les cristaux de la voûte.

La fumée sortait par une grande fissure parmi les rochers.

Sept ou huit autres membres de la bande, les uns assis sur des caisses, les autres étendus sur le sable autour du feu, se levèrent promptement et allèrent au-devant de nous à notre entrée.

– L'avez-vous pris? crièrent-ils. Est-ce qu'il est vraiment venu? Était-il accompagné?

– Le voici, et il est seul, répondit le capitaine. Notre câble l'a descendu de cheval aussi proprement qu'une mouette est prise au filet par un grimpeur de falaises. Qu'avez-vous fait en notre absence, Silas?

– Nous avons préparé les ballots pour le transport, répondit l'homme interpellé, un marin solide, hâlé, d'âge moyen. La soie et la dentelle sont emballées dans ces caisses carrées couvertes de toile à sac. J'ai marqué l'une du mot: traîne, et l'autre, jute; il y a un millier de malines, et un cent de brillant. Cela se fera contrepoids sur le dos d'une mule. L'eau-de-vie, le schnaps, le seniedam, l'eau d'or de Hambourg, tout est rangé en bon ordre. Le tabac est dans les caisses plates là-bas du côté du Trou Noir. Voilà une besogne qui nous a donné bien du mal, mais enfin ça a pris la tournure d'un arrimage. Le lougre flotte comme un plat à passoire, et il a tout juste assez de lest pour se tenir droit pour une brise de cinq nœuds.

– A-t-on aperçu quelque indice de la Fairy-Queen (Reine des fées)?

– Aucun. Le grand John est là-bas, au bord de l'eau, à guetter ses feux. Ce vent-ci devrait l'amener, si elle avait doublé la Pointe de la Combe Martin. On a vu une voile à environ dix milles à l'Est-Nord-Est vers le coucher du soleil. Il se peut que ce soit un schooner de Bristol. Il se peut aussi que ce soit un navire du roi, un bateau-mouche.

– Un bateau escargot, dit le Capitaine Murgatroyd, d'un air narquois. Nous ne pouvons pas pendre l'homme de l'Excise, avant que Venables amène la Fairy-Queen, car, après tout, c'est un homme de son équipage qui a écopé. Qu'il fasse lui-même sa sale besogne!

– Mille éclairs! cria le coquin de Hollandais. Ne serait-ce pas une galante façon d'accueillir le capitaine Venables que d'envoyer le gabelou par le Trou Noir avant son arrivée? Il peut bien avoir quelque autre besogne à faire pour nous un autre jour.

– Hein! l'ami, est-ce vous ou moi qui commande ici? dit le chef, d'une voix irritée. Qu'on amène le prisonnier devant ce feu! Maintenant entendez bien, chien de requin de terre, vous êtes aussi sûr de mourir que si vous étiez déjà allongé dans la bière, avec les cierges allumés. Regardez par ici.

À ces mots il prit une torche, et à sa rouge lumière, montra une large fente qui traversait le sol, à l'autre bout du souterrain.

– Vous pourrez juger de la profondeur du Trou-Noir, dit-il en prenant un baril vide, et le lançant dans le gouffre béant.

Nous écoutâmes en silence pendant dix secondes avant qu'un bruit lointain et sourd d'un objet qui se brise nous apprit qu'il était arrivé au fond.

– Ça le portera jusqu'à mi-chemin de l'enfer, avant que le souffle l'abandonne, dit l'un d'eux.

– C'est une mort plus douce que sur la potence de Devizes, dit un autre.

– Non, il faut qu'il aille d'abord à la potence, cria un troisième. C'est seulement son enterrement que nous arrangeons.

– Il n'a pas ouvert la bouche depuis, le moment où nous l'avons pris, dit l'homme qu'on nommait Dicon. Il est donc muet? Retrouvez votre langue, mon beau gaillard et apprenez-nous comment vous vous appelez. Il aurait mieux valu pour vous être muet de naissance, car vous n'auriez pu prêter un serment qui a causé la mort de notre camarade.

– J'attendais qu'on m'interrogeât poliment après tous ces braillements et ces injures, dis-je. Mon nom est Micah Clarke. Maintenant, veuillez me dire qui vous pouvez être, et de quel droit vous arrêtez les voyageurs paisibles sur la route publique.

– Notre droit, le voici, répondit Murgatroyd en mettant la main sur la poignée de son coutelas. Quant à ce que nous sommes, vous le savez de reste. Vous vous nommez non point Clarke, mais Westhouse ou Waterhouse, et vous êtes ce même, ce maudit employé de l'Excise qui a pincé notre pauvre camarade le tonnelier Dick, et dont le serment a causé sa mort à Ilchester.

– Je jure que vous vous trompez, répondis-je. Jamais de ma vie je ne suis allé dans ce pays-là!

– Belles paroles? Belles paroles! cria un autre contrebandier. Employé de l'Excise ou non, vous aurez à faire le saut, puisque vous connaissez le secret de notre souterrain.

– Votre secret ne court aucun danger avec moi, répondis-je, mais si vous voulez me mettre à mort, j'accueillerai mon sort comme doit le faire un soldat. J'aurais préféré mourir sur le champ de bataille plutôt que d'être à la merci d'une pareille meute de rats-d'eau dans leur terrier.

– Par ma foi, dit Murgatroyd, voilà un langage trop fier pour être celui d'un homme de l'Excise. Puis il a l'attitude d'un vrai soldat. Il serait possible qu'en tendant un piège à la chouette, nous ayons pris le faucon. Et pourtant nous savions de source certaine qu'il passerait par là, et monté sur un cheval tout pareil.

– Qu'on fasse venir le grand John! suggéra le Hollandais. Je ne donnerais pas une chique de tabac de la Trinité pour la parole du coquin. Le grand John était avec Dick le tonnelier quand il a été pris.

– Oui, grogna le matelot Silas, il a reçu sur le bras une estafilade du couteau de l'employé. Si quelqu'un le reconnaît à sa figure, ce sera lui.

– Qu'on l'appelle alors!

Bientôt arriva de l'entrée du souterrain un long dégingandé, qui y était de garde.

Il avait autour du front un mouchoir rouge, et un tricot bleu, dont il releva lentement la manche tout en s'approchant.

– Où est l'employé Westhouse? cria-t-il. Il a laissé sa marque sur mon bras. Par ma foi, c'est à peine si elle est guérie. Cette fois, le soleil est du côté du mur ou nous sommes, l'employé. Mais… Hallo! camarade. Quel est-il celui que vous avez mis aux fers? Ce n'est pas notre homme.

– Pas notre homme! crièrent-ils avec une volée de jurons.

– Mais ce gaillard ferait deux hommes de la taille de l'employé, et il resterait de quoi faire le secrétaire d'un magistrat. Vous pouvez le pendre, pour plus de sûreté, mais enfin ce n'est pas notre homme.

 

– Oui, qu'on le pende! dit Pete le Hollandais. Sapperment! Faut-il que notre souterrain fasse parler de lui dans tout le pays? Alors où ira-t-elle la jolie Maria, avec ses soieries, et ses satins, ses barils et ses caisses? Faut-il risquer notre souterrain pour faire plaisir à cet individu? En outre, est-ce qu'il ne m'a pas frappé à la tête, n'a-t-il pas frappé la tête de votre tonnelier, comme s'il avait tapé sur moi avec mon propre maillet. Est-ce que ça ne mérite pas une cravate de chanvre?

– Est-ce que ça ne mérite pas un grand rumbo? s'écria Dicon. Avec votre permission, capitaine, je voudrais dire que nous ne sommes point une bande de brigands ni de petits voleurs, mais un équipage d'honnêtes marins, incapables de faire du mal excepté à ceux qui nous en font. L'employé de l'excise Westhouse a fait périr Dick le tonnelier et il est juste qu'il en soit puni par la mort, mais pour ce qui est de mettre à mort ce jeune soldat, je penserais plutôt à saborder la coquette Maria ou à hisser le gros Roger à la pomme de son mât.

Je ne sais quelle réponse on aurait faite à ce discours, car à ce moment même un coup de sifflet aigu retentit en dehors du souterrain, et deux contrebandiers parurent portant entre eux le corps d'un homme.

Celui-ci se laissait aller d'un air si inerte, que d'abord je le crus mort, mais lorsqu'ils l'eurent jeté sur le sable, il remua, et enfin se mit sur son séant avec l'expression d'un homme à demi tiré d'un évanouissement.

C'était un personnage trapu, à figure résolue, dont une longue cicatrice blanche traversait la joue.

Il était vêtu d'un habit bleu collant à boutons de cuivre.

– C'est l'homme de l'Excise, Westhouse, crièrent les voix avec ensemble.

– Oui, c'est l'homme de l'Excise, Westhouse, dit l'homme avec calme, en tordant le cou, comme s'il souffrait. Je représente la loi du Roi, et au nom de la loi, je vous arrête tous. Je déclare confisquées et saisies toutes les marchandises de contrebande que je vois autour de moi, conformément à la seconde section de la première clause du Statut sur le commerce illégal. S'il y a des honnêtes gens dans la compagnie, ils m'aideront à faire mon devoir.

En parlant ainsi, il fit un effort pour se mettre debout, mais il avait plus de courage que de force, et il retomba sur le sable au milieu des bruyants éclats de rires des grossiers marins.

– Nous l'avons trouvé étendu sur la route, en revenant de chez le père Microft, dit un des nouveaux venus.

C'étaient ceux qui avaient emmené mon cheval.

– Il a du passer aussitôt après vous. La corde l'a pris sous le menton et l'a fait tomber à une douzaine de pas. Nous avons vu sur son habit le bouton de l'Excise, c'est pourquoi nous l'avons apporté. Par mon corps, il en a donné des coups de pied et fait des ruades, jusqu'à ce qu'il fût aux trois quarts assommé.

– Avez-vous détendu la corde? demanda le capitaine.

– Nous avons dénoué un des bouts et laissé l'autre en place.

– C'est bien. Nous aurons à le garder pour le capitaine Venables. Mais maintenant il s'agit de notre premier prisonnier. Il faut le fouiller et examiner ses papiers, car il y a tant de navires qui font voile sous un faux pavillon, que nous sommes forcés d'être attentifs. Vous entendez, monsieur le soldat? Qu'est-ce qui vous amène dans ce pays et quel Roi servez-vous? Car j'ai entendu parler d'une mutinerie et de deux patrons qui se disputent le même grade dans le vieux vaisseau anglais.

– Je sers sous le Roi Monmouth, répondis-je, voyant que la fouille en question aboutirait à la découverte de mes papiers.

– Sous le Roi Monmouth! s'écria le contrebandier. Non, mon ami, voilà qui a un air de mensonge. Le bon Roi a trop grand besoin de ses amis dans le Sud, à ce que j'ai oui dire, pour envoyer un aussi bon soldat à l'aventure le long de la côte, comme un naufrageur de Cornouailles par un temps de Sud-Ouest.

– Je porte, dis-je, des dépêches de la propre main du Roi, adressées à Henri, Duc de Beaufort, dans son château de Badminton. Vous pourrez les trouver dans ma poche de dedans, mais je vous prie de ne pas rompre le cachet, car cela jetterait du discrédit sur ma mission.

– Monsieur, cria l'employé de l'Excise, en se soulevant sur son coude, je vous déclare pour cela en état d'arrestation, sous l'accusation de trahison, de fauteur de trahison, de vagabond et d'individu sans maître aux termes du quatrième statut de l'Acte. En ma qualité de représentant de la loi, je vous somme de vous soumettre à mon mandat.

– Fermez-lui la gueule avec votre écharpe, Jim, dit Murgatroyd. Quand Venables viendra, il trouvera bientôt le moyen d'enrayer son débit… Oui, reprit-il, en examinant le verso de mes papiers, il y est écrit: «De la part de Jacques II d'Angleterre, connu jusqu'à ce jour sous le nom de Duc de Monmouth, à Henri, Duc de Beaufort, Président de Galles, par les mains du capitaine Micah Clarke, du régiment d'infanterie du comté de Wilts, du colonel Saxon.» Enlevez les cordes, Dicon. Ainsi donc, Capitaine, vous voici redevenu libre, et je suis fâché que nous vous ayons maltraité sans le savoir. Nous sommes du premier au dernier, de bons Luthériens, et plus disposés à vous aider qu'à vous entraver dans votre mission.

– Ne pourrions-nous pas en effet l'aider à faire son voyage? dit le lieutenant Silas. Pour mon compte, je ne craindrais pas de mouiller ma jaquette ou de barbouiller ma main de goudron en faveur de la cause, et je suis certain que vous êtes tous dans les mêmes dispositions que moi. Maintenant, avec cette brise, nous pourrions pousser jusqu'à Bristol et débarquer le capitaine, le matin. Cela lui éviterait le danger d'être saisi au vol, par quelqu'un des requins de terre qui sont sur la route.

– Oui, oui, s'écria le grand John, la cavalerie du Roi bat le pays jusqu'au delà de Weston, mais il pourrait leur brûler la politesse, s'il était à bord de la Maria.

– Bon, dit Murgatroyd, nous pourrions être de retour en trois longues bordées. Venables aura besoin d'un jour ou deux pour débarquer ses marchandises. Si nous devons naviguer de compagnie, nous aurons du temps de reste. Ce plan vous arrangera-t-il, capitaine?

– Mon cheval, objectai-je.

– Il ne faut pas que cela nous arrête. Je peux gréer une écurie confortable avec mes espars de rechange et du grillage. Le vent est tombé. Le lougre pourrait être amené à la côte de l'Homme Mort, et on y ferait entrer le cheval. Courez chez le vieux père, Jim, et vous, Silas, occupez-vous du bateau. Voici de la viande froide, capitaine, et du biscuit – l'ordinaire du marin – avec un verre de vrai Jamaïque pour les faire descendre, et vous ne devez pas avoir l'estomac trop délicat pour des mets grossiers.

Je m'assis sur un baril près du feu et étirai mes membres raidis et engourdis par leur immobilité pendant qu'un des marins lavait la coupure de ma tête avec un mouchoir mouillé et qu'un autre mettait de la nourriture sur une caisse devant moi.

Le reste de la bande s'était rendu à l'entrée de la caverne pour mettre le lougre en état, à l'exception de deux ou trois qui gardaient l'infortuné employé de l'Excise.

Il était assis le dos contre la paroi de la caverne, les bras croisés sur sa poitrine, jetant de temps à autre sur les contrebandiers des regards menaçants, tels qu'un vieux mâtin plein de courage en jetterait à une meute de loups qui l'auraient terrassé.

Je me demandais intérieurement s'il ne serait pas possible de tenter quelque chose pour le tirer d'affaire, quand Murgatroyd survint, et plongeant une tasse de fer blanc dans le baril de rhum défoncé, la vida au succès de ma mission.

– J'enverrai Silas Bolitho avec vous, dit-il, pendant que je resterai ici à attendre Venables, qui commande mon navire compagnon. Si je puis faire quelque chose pour vous faire oublier ce mauvais traitement…

– Une seule chose, dis-je avec vivacité. C'est autant, ou plus encore pour vous que pour moi, que je vous le demande. Ne laissez pas tuer ce malheureux.

La figure de Murgatroyd s'empourpra de colère.

– Vous avez le langage franc, dit-il. Ce n'est point un meurtre, mais un acte de justice. Quel mal faisons-nous ici? Il n'y a pas dans tout le pays une seule vieille ménagère qui ne nous bénisse. Où achètera-t-elle son souchong, ou son eau-de-vie, si ce n'est chez nous? Nous demandons un faible profit, et n'imposons nos marchandises à personne. Nous sommes de paisibles commerçants. Et pourtant cet homme et ses pareils sont sans cesse à aboyer sur nos talons. On dirait des chiens marins après un banc de morues. Nous avons été harcelés, pourchassés. Nous avons reçu des balles, au point qu'il nous a fallu chercher un abri dans des cavernes comme celle-ci. Il y a un mois, quatre de nos hommes portaient un baril, de l'autre côté de la montagne au fermier Black, qui a fait des affaires avec nous depuis ces cinq dernières années. Tout à coup surgissent une dizaine de cavaliers, conduits par cet employé de l'Excise. Ils jouent de la pointe et du tranchant, fendent le bras au grand John et font prisonnier Dick le tonnelier.

«Dick a été traîné dans la prison d'Ilchester, et pendu après les assises, comme on pend une fouine sur la porte d'un garde-chasse. Nous avons appris que ce même employé de l'Excise passerait par là, et il ne se doutait guère que nous le guetterions. Qu'y a-t-il d'étonnant à ce que nous lui ayons tendu un piège et qu'après l'avoir pris, nous lui fassions subir la même justice qu'il a infligée à nos camarades!

– Il n'est qu'un serviteur, objectai-je; ce n'est pas lui qui a fait la loi; c'est son devoir de l'appliquer. C'est avec la loi elle-même que vous êtes en querelle.

– Vous avez raison, dit le contrebandier d'un air sombre. C'est surtout avec le juge Moorcroft que nous aurons à régler le compte. Il se peut que dans sa tournée il passe sur cette route. Fasse le ciel qu'il prenne ce chemin! Mais nous pendrons aussi l'employé de l'Excise. Maintenant il connaît notre souterrain, et ce serait folie de le laisser partir.

Je vis qu'il était inutile d'argumenter plus longtemps.

Aussi je me contentai de laisser tomber mon couteau de poche sur le sable à portée de la main du prisonnier dans l'espoir que cela pourrait lui servir.

Ses gardes riaient et plaisantaient ensemble, et ne s'occupaient guère de leur captif, mais l'employé avait l'esprit suffisamment en éveil, car je vis sa main se fermer sur le couteau.

J'avais passé environ une heure à me promener en fumant, lorsque le lieutenant Silas reparut, annonçant que le lougre était prêt, et le cheval à bord.

Je dis adieu à Murgatroyd, et hasardais en faveur de l'employé de l'Excise quelques mots qui furent accueillis par un froncement de sourcils et un serrement de main où il y avait de la mauvaise humeur.

Un canot était tiré sur le sable en dedans du souterrain, près du bord de l'eau.

J'y entrai, comme on me dit de le faire, avec mon sabre et mes pistolets, qui m'avaient été rendus.

L'équipage le poussa au large et s'y embarqua d'un saut dès qu'il fut en eau profonde.

À la faible lueur de la torche unique que Murgatroyd tenait sur l'extrême bord, je vis que le toit de la grotte s'abaissait rapidement au-dessus de nous, pendant que nous ramions du côté de l'entrée. Il finissait par baisser tellement qu'il y avait à peine quelques pieds de distance entre lui et la mer, et qu'il nous fallut courber la tête pour éviter les rochers qui nous dominaient.

Les rameurs donnèrent deux bons coups d'aviron, et nous passâmes brusquement sous le rideau vertical, pour nous trouver au grand air, sous les étoiles, qui brillaient d'un éclat trouble, et la lune, qui se montrait en un contour vague et indécis, à travers un brouillard de plus en plus dense.

Juste en face de nous se présentait une tache foncée, mal délimitée, qui à notre approche prit la forme d'un lougre de grande taille se soulevant et s'abaissant suivant les pulsations de la mer.

Ses vergues longues et minces, le réseau délicat des cordages montaient au-dessus de nous pendant que nous nous glissions sous la voûte, et que le grincement des poulies, le froissement des câbles, indiquaient qu'il était prêt à accomplir ce voyage.

Il allait d'une allure légère et gracieuse, pareil à un gigantesque oiseau de mer déployant une aile, puis l'autre, pour se préparer à prendre son vol.

Les bateliers nous mirent bord à bord et attachèrent le canot, pendant que j'escaladais les bastingages et mettais le pied sur le pont.

C'était un navire spacieux, très large au milieu, avec une élégante courbure aux bans, et des mâts d'une hauteur bien supérieure à tous ceux que j'avais vus aux navires de ce genre sur le Solent.

 

Il était ponté à l'avant, mais avait l'arrière fort profond, avec des cordages figés sur toute la longueur des côtés pour assujettir les barils, lorsque la soute était pleine.

Au milieu de cet arrière-pont, les marins avaient établi une solide écurie où se tenait debout mon brave cheval devant un seau d'avoine.

Mon vieil ami frotta ses naseaux contre ma figure, dès que je fus à bord, et poussa un hennissement de joie en retrouvant son maître.

Nous étions encore à échanger des caresses, lorsque la tête grisonnante du lieutenant Bolitho apparut brusquement à l'écoutille de la cabine.

– Nous voici en bon chemin, Capitaine Clarke, dit-il, la brise est tout à fait tombée, comme vous pouvez le voir, et il pourra s'écouler assez longtemps avant que nous soyons arrivés à votre port. N'êtes-vous pas fatigué?

– Je suis un peu las, avouai-je. J'ai encore des battements dans la tête par suite de la fêlure que j'ai attrapé quand votre corde m'a jetée à terre.

– Une heure ou deux de sommeil vous rendront aussi dispos qu'un poulet de la mère Carey. Votre cheval est bien soigné, et vous pouvez le quitter sans crainte. Je chargerai un homme de s'occuper de lui, bien que, à dire la vérité, les coquins s'entendent en bonnettes et en drisses, mieux qu'en ce qui regarde les chevaux et leurs besoins. En tous cas, il ne peut lui survenir rien de fâcheux. Aussi ferez-vous mieux de descendre et d'entrer.

Je descendis donc les marches raides qui conduisaient à la cabine basse de plafond du lougre.

Des deux côtés un enfoncement dans la paroi avait été aménagé en couchette.

– Voici votre lit, dit-il, en me montrant l'une d'elles. Nous vous appellerons quand nous aurons du nouveau à vous apprendre.

Je n'eus pas besoin d'une seconde invitation. Je m'étendis aussitôt sans me déshabiller, et au bout de quelques minutes je tombai dans un sommeil sans rêves, que ne purent interrompre ni le doux mouvement du navire, ni les piétinements qui résonnaient au-dessus de ma tête.