Kostenlos

Micah Clarke – Tome II. Le Capitaine Micah Clarke

Text
0
Kritiken
iOSAndroidWindows Phone
Wohin soll der Link zur App geschickt werden?
Schließen Sie dieses Fenster erst, wenn Sie den Code auf Ihrem Mobilgerät eingegeben haben
Erneut versuchenLink gesendet

Auf Wunsch des Urheberrechtsinhabers steht dieses Buch nicht als Datei zum Download zur Verfügung.

Sie können es jedoch in unseren mobilen Anwendungen (auch ohne Verbindung zum Internet) und online auf der LitRes-Website lesen.

Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

Mais elles avaient été enlevées, et il ne restait plus d'autre indice des temps de troubles, qu'un monceau de piques et de hallebardes entassées dans un coin.

Au milieu de la chambre s'étendait une longue table massive, autour de laquelle étaient assis trente ou quarante personnes, pour la plupart des hommes.

Ils étaient tous debout à notre entrée.

À l'extrémité la plus éloignée de la table, un individu à figure grave débitait avec une prononciation traînante des actions de grâce qui n'en finissaient pas.

Cela commençait par une formule de reconnaissance, pour la nourriture, mais se perdait dans des histoires d'Église et d'État, pour finir par une supplication en faveur d'Israël, qui venait de prendre les armes pour livrer les batailles du Seigneur.

Pendant tout ce temps-là, nous formions un groupe près de la porte, nu-tête, et nous nous occupions à observer la compagnie et nous pouvions le faire de plus près que la politesse ne nous eût permis de le faire, si les gens n'avaient pas tenu les yeux baissés, et si leur pensée ne s'était pas portée ailleurs.

Il y en avait de tous les âges, depuis les barbons jusqu'aux jeunes garçons ayant à peine dépassé les dix-huit ans.

Tous avaient sur les traits la même expression austère et solennelle.

Tous étaient vêtus de la même façon, de costumes simples et sombres.

À part la blancheur de leurs larges cols et de leurs manches, pas un cordon de couleur n'égayait la triste sévérité de leur habillement.

Leurs vestes et leurs gilets noirs étaient de coupe droite et collante, et leurs souliers de cuir Cordoue, qui, au temps de notre jeunesse, étaient d'ordinaire l'endroit préféré pour quelques menus ornements, étaient tous, sans exception, à bouts carrés et attachés avec des cordons de couleur foncée.

La plupart portaient des baudriers simples en cuir non tanné, mais les armes elles-mêmes, ainsi que les larges chapeaux de feutres et les manteaux noirs, étaient entassés sur les bancs, ou déposés sur les sièges le long des murs.

Ils tenaient les mains jointes, la tête penchée et écoutaient cette allocution inopportune, en témoignant de temps à autre, par un gémissement ou une exclamation, de l'émotion que les paroles du prédicant excitaient en eux.

Les trop longues actions de grâces se terminèrent enfin.

La troupe s'assit et se mit sans autre retard ni cérémonie à attaquer les gros quartiers de viande qui fumaient devant elle.

Notre jeune hôtesse nous conduisit au bout de la table, où une haute chaise sculptée, pourvue d'un coussin noir, indiquait la place du maître de la maison.

Mistress Timewell s'assit à la droite du Maire, ayant à côté d'elle Sir Gervas et la place d'honneur, la gauche, étant donnée à Saxon.

À ma gauche était assis Lockarby, dont j'avais vu les yeux se fixer avec une admiration visible et persistante sur la jeune Puritaine depuis le premier instant où il l'avait aperçue.

La table n'étant pas très large, nous pouvions causer d'un bord à l'autre malgré le fracas de vaisselle et des plats, malgré l'affairement des domestiques et le grave bourdonnement des voix.

– C'est le personnel de la maison de mon père, fit remarquer notre hôtesse, s'adressant à Saxon. Il n'y a ici personne qui ne soit à son service. Il a un grand nombre d'apprentis dans le commerce de la laine. Nous sommes ici quarante à chaque repas, tous les jours de l'année.

– Et un repas fameux, dit Saxon, en jetant un regard sur la table, du saumon, des côtes de bœuf, des croupes de mouton, des pâtés de veau, qu'est-ce qu'un homme peut désirer de plus? De la bière brassée à la maison, servie en abondance, pour faire descendre tout cela. Si le digne Maître Timewell trouve le moyen d'approvisionner l'armée de cette façon, je serai le premier à lui en être reconnaissant. Une tasse d'eau sale, et un morceau de viande enfilé sur une baguette de fusil et charbonnée plutôt que rôtie au feu du bivouac, voilà probablement ce qui succédera à ces douceurs.

– Ne vaut-il pas mieux avoir la foi? dit la jeune Puritaine. Le Tout Puissant ne nourrira-t-il pas ses soldats, tout de même qu'Élisée fut nourri dans sa solitude et qu'Agar le fut dans le désert?

– Oui, dit un jeune homme à la tignasse frisée, au teint basané, qui était assis à la droite de Sir Gervas, il pourvoira à nos besoins, tout de même qu'un ruisseau jaillit des endroits secs, tout de même que les cailles et la manne tombèrent en abondance sur le sol stérile.

– Je l'espère bien, mon jeune monsieur, dit Saxon, mais il ne nous faudra pas moins organiser un service d'approvisionnement, avec une escorte de chariots numérotés, et un intendant pour chacun, à la façon allemande. Ce sont là choses qu'il ne faut point laisser au hasard.

À cette remarque, la jolie Mistress Timewell leva les yeux d'un air presque effaré, comme si elle en était scandalisée.

Ses pensées auraient pris la forme de paroles, si à ce moment même, son père n'était entré dans la salle, où toute la compagnie se leva et salua, pendant qu'il gagnait sa place.

– Asseyez-vous, mes amis, dit-il, en faisant un geste de la main… Colonel Saxon, nous sommes des gens simples, et l'antique vertu du respect pour nos anciens n'est point entièrement éteinte chez nous. J'espère, Ruth, reprit-il que tu as pourvu aux besoins de nos hôtes?

Nous protestâmes d'une seule voix que nous n'avions jamais été l'objet d'autant d'attention et d'hospitalité.

– C'est bien, c'est bien, dit le bon tisseur de laine, mais vos assiettes sont nettes et vos verres vides. William, veillez à cela. Un bon travailleur sait toujours découper à table. Si un de mes apprentis n'arrive pas à faire plat net, je sais que je ne tirerai pas grand chose de lui quand il maniera l'outil à carder et le chardon à foulon. Les muscles et les nerfs se font avec des matériaux… Une tranche de ce quartier de bœuf, William… À propos de cette bataille d'Obergranstock, colonel, quel fut le rôle qu'y joua ce régiment de Pandous dans lequel vous aviez une commission?

Sur une question de ce genre, vous pouviez vous imaginer que Saxon avait bien des choses à dire.

Les deux hommes ne tardèrent pas à s'enfoncer dans une discussion animée où les incidents de la Dune de Roundway et de la bande de Marston furent mis en parallèle avec les résultats d'une vingtaine d'affaires aux noms impossibles à prononcer, dans les Alpes de Styrie et sur les bords du Danube.

Dans sa vaillante jeunesse, Maître Timewell avait commandé d'abord un escadron, puis un régiment, pendant les guerres du Parlement, depuis la bataille de Chalgrove jusqu'à la lutte finale à Worcester, en sorte que ces aventures militaires, sans avoir autant de diversité et d'étendue que celles de son interlocuteur, étaient suffisantes pour lui permettre de formuler et défendre des opinions précises.

Au fond, elles étaient les mêmes que celles du soldat de fortune, mais lorsque leurs idées différaient sur quelque détail, aussitôt s'engageait un feu croisé d'expressions militaires.

Il était tant question d'estacades, de palissades, de comparaisons entre la cavalerie légère et la grosse cavalerie, entre piquiers et mousquetaires, entre lansquenets et lanciers que l'oreille du profane était étourdie de ce torrent de mots.

Enfin, à propos d'un détail de fortification, le Maire traça le plan de ses ouvrages avancés avec des cuillers et des fourchettes, pendant que Saxon ouvrait ses parallèles avec des lignes de morceaux de pain, les poussait rapidement en traverses et chemins couverts, pour s'établir sur l'angle rentrant de la redoute du Maire.

De là partit une nouvelle discussion au sujet des contre mines, ce qui eût pour effet de donner au débat un redoublement d'ardeur.

Pendant que cette dispute amicale avait lieu entre les anciens, Sir Gervas Jérôme et Mistress s'étaient mis à causer d'un bout de la table à l'autre.

– Mes chers enfants, j'ai rarement vu une figure aussi belle que celle de cette demoiselle puritaine.

Elle était belle de cette sorte de beauté modeste et virginale où les traits doivent leur charme au charme de l'âme qui les illumine.

Le corps, dans sa perfection de forme, semblait n'être que l'expression de l'esprit accompli qui l'habitait.

Sa chevelure brun foncé tombait en arrière depuis son front large et blanc, qu'embellissaient deux sourcils fortement marqués, et de grands yeux bleus et pensifs.

L'ensemble de ses traits avait un caractère de douceur qui faisait songer à la tourterelle.

Néanmoins il y avait dans la bouche une fermeté, dans le menton une délicate saillie qui indiquaient qu'en des temps de trouble et de danger, la petite demoiselle saurait se montrer la digne descendante du soldat Tête-Ronde et du magistrat puritain.

Je suis certain qu'en des circonstances où des matrones, à la voix plus forte et plus autoritaire, se seraient vues réduites au silence, la jeune fille du Maire, avec sa douce voix, n'aurait pas été longtemps à perdre son accent de conciliation et à laisser apparaître l'énergie naturelle qu'elle cachait.

Je fus fort diverti en observant le mal que Sir Gervas se donnait pour causer avec elle, car la demoiselle et lui appartenaient à des mondes si profondément divers, qu'il lui fallait toute sa galanterie, tout son esprit, pour se maintenir sur un terrain où ses propos fussent intelligibles pour elle.

– Sans doute, Mistress Ruth, vous employez une grande partie de votre temps à la lecture, remarqua Sir Gervas, je me demande si vous pouvez faire autre chose, étant aussi loin de la Ville.

– De la ville? dit-elle d'un air surpris. Est-ce que Taunton n'est point une ville.

– Le Ciel me préserve de dire le contraire, répondit Sir Gervas et tout particulièrement en présence d'un aussi grand nombre de dignes bourgeois qui passent pour être assez susceptibles en ce qui regarde l'honneur de leur cité natale. Il n'en est pas moins vrai, belle Mistress, que la ville de Londres l'emporte sur toutes les autres villes à tel point qu'on la nomme la Ville, ainsi que je viens de le faire.

 

– Elle est bien grande alors, s'écria-t-elle, avec un joli étonnement. Mais on bâtit de nouvelles maisons à Taunton, en dehors des anciennes murailles, et de l'autre côté de Shuttern, et même sur l'autre bord de la rivière. Peut-être sera-t-elle aussi grande, avec le temps.

– Quand bien même on ajouterait toute la population de Taunton à Londres, dit Sir Gervas, personne n'y remarquerait le moindre accroissement.

– Mais non, vous vous moquez de moi, s'écria la petite provinciale. C'est contre toute raison.

– Votre grand-père confirmera mes paroles, dit Sir Gervas. Mais pour revenir à vos lectures, je parierais qu'il n'y a pas une page de Scudéry et de son Grand Cyrus que vous n'ayez lue. Sans nul doute vous connaissez très bien les choses sentimentales qui se trouvent dans Cowley, dans Waller, ou Dryden?

– Qui sont ces gens-là? demanda-t-elle. Dans quelle église prêchent-ils?

– Sur ma foi! s'écria le baronnet en riant, l'honnête John prêche dans l'église de Will Unwin, connue de tout le monde sous la dénomination de «Chez Will», et bien souvent deux heures du matin sonnent avant la fin de son sermon. Mais pourquoi cette question? Croyez-vous que nul n'a le droit d'écrire sur du papier, à moins qu'il ne porte une robe et n'ait grimpé dans une chaire. Je me figurais que toutes les personnes de votre sexe avaient lu Dryden. Dites-moi, je vous prie, quels sont vos livres favoris.

– Il y a le Tocsin sonné aux Inconvertis d'Alleine, dit-elle. C'est un ouvrage qui vous remue, un ouvrage qui a opéré beaucoup de bien. N'avez-vous pas ressenti des fruits abondants à sa lecture?

– Je n'ai point lu l'ouvrage que vous désignez, avoua Sir Gervas.

– Point lu? s'écria-t-elle en levant les sourcils. Vraiment, je croyais que tout le monde avait lu le Tocsin. Alors, que pensez-vous des Combats du Fidèle?

– Je ne l'ai point lu.

– Ou bien des Sermons de Baxter? demanda-t-elle.

– Je ne les ai point lus.

– Et le Cordial de l'Esprit, par Bull?

– Je ne l'ai point lu.

Mistress Ruth le regarda en ouvrant de grands yeux, pleins d'un étonnement sincère.

– Vous trouverez peut-être qu'en parlant ainsi je manque d'éducation, mais je ne puis m'empêcher d'être surprise. Où donc avez-vous été? Qu'avez-vous fait pendant toute votre vie? Mais voyons, les enfants des rues eux-mêmes ont lu ces livres.

– La vérité, c'est que des ouvrages de cette sorte ne se rencontrent guère sur notre chemin, à Londres, répondit Sir Gervas. Une pièce de Georges Etheredge, des bouts-rimés de Sir John Suckling sont choses plus légères, bien qu'elles soient peut-être moins nourrissantes pour l'esprit. À Londres, on peut se tenir au fait de ce qui se passe dans le monde des lettres, sans avoir beaucoup de lectures à faire, car sans parler des commérages des cafés et des nouvelles à la main qu'on rencontre sur sa route, il y a les bavardages des poètes et les beaux-esprits dans les assemblées, puis de temps en temps, peut-être une soirée ou deux dans la semaine, le théâtre, avec Vanbrugh ou Farquhar. Ainsi on ne fausse pas longtemps compagnie aux Muses. Puis, après la pièce, si l'on se sent disposé à tenter la fortune au tapis-vert chez Groom Porter, on peut aller faire un tour au «Cocotier» si l'on est Tory, ou à Saint-James, si l'on est un Whig. Il y a dix contre un à parier que la conversation tournera sur la façon de composer des alcaïques, ou sur la rivalité entre le vers blanc et le vers rimé. Puis, après un arrière-souper, on s'en ira chez Will ou chez Slaughter où l'on trouvera le vieux John, ainsi que Tickell, Congrève, et le reste de la troupe, en train de travailler ferme sur les unités dramatiques, ou sur la justice poétique, ou d'autres sujets analogues. J'avoue que mes goûts ne me portent guère dans cette direction, et qu'à cette heure-là, j'avais le tort de consacrer mon temps à la bouteille de vin, au cornet à dés, ou bien…

– Hem! Hem! fis-je très bruyamment pour le mettre sur ses gardes, car plusieurs des Puritains étaient aux écoutes, avec des mines qui exprimaient toute autre chose que de l'approbation.

– Ce que vous dites de Londres m'intéresse vivement, dit la jeune Puritaine, bien que ces noms et ces endroits n'aient pas beaucoup de sens pour mes oreilles d'ignorante. Mais vous avez parlé du théâtre. Assurément, personne ne s'approche de ces antres d'iniquité, de ces pièges que tend le Mauvais? Le bon et sanctifié Maître Bull déclara du haut de la chaire que ce sont là les lieux où se rassemblent les effrontés, les lieux que hantent de préférence les pervers Assyriens, et qui sont aussi dangereux pour l'âme qu'aucune de ces constructions papistes pourvues d'un clocher, où la créature est d'une manière sacrilège confondue avec le Créateur.

– Voilà qui est bien parlé, et qui est bien vrai, Mistress Timewell, s'écria le jeune et efflanqué Puritain de gauche, qui avait prêté une oreille attentive à toute la conversation. Il y a plus de choses mauvaises en ces maisons-là, qu'en toutes les cités de la plaine. Je ne doute point que la colère du Seigneur ne fonde un jour sur elles et ne les détruise entièrement, ainsi que les hommes dissolus et les femmes perdues qui les fréquentent.

– Vos opinions tranchées sont sans doute, mon ami, fondées sur une connaissance complète de votre sujet, dit avec calme Sir Gervas. Combien de fois, dites-moi, êtes-vous entré dans ces maisons que vous décriez?

– Grâce au Seigneur, je n'ai jamais été tenté de m'écarter du droit chemin jusqu'au point de mettre les pieds dans une seule. Je n'ai pas même pénétré dans ce vaste égout qu'on appelle Londres. Toutefois, j'espère, et avec moi d'autres fidèles, que nous arriverons un jour à nous mettre en marche dans cette direction, nos estocs au côté, avant que cette affaire-ci soit terminée, et alors, je vous en réponds, nous ne nous bornerons pas, comme fit Cromwell, à clore ces séjours du vice, mais nous n'en laisserons pas pierre sur pierre, nous sèmerons du sel sur leur emplacement, si bien qu'ils deviennent pour le peuple un proverbe et une occasion de siffler.

– Vous avez raison, John Derrick, dit le Maire, qui avait saisi au vol la fin de ces remarques. Toutefois m'est avis que de parler moins haut et de vous mettre moins en avant, vous siérait mieux, quand vous vous entretenez avec les invités de votre maître… À propos de ces mêmes théâtres, colonel, cette fois-ci, quand nous aurons le dessus, nous ne tolérerons pas que l'ivraie d'autrefois étouffe le nouveau froment. Nous savons quel fruit ont produit ces endroits-là au temps de Charles, les Gwynn, les Palmer, et toute la vile bande de parasites impurs, prostitués. Êtes-vous jamais allé à Londres, capitaine Clarke?

– Non, monsieur, je suis né et j'ai été élevé à la campagne.

– Vous n'en valez que mieux, dit notre hôte. J'y suis allé deux fois. La première, ce fut au temps du Parlement Croupion, lorsque Lambert amena sa division pour terrifier les Communes. Je fus alors logé à l'Enseigne des Quatre Croix dans Southwark, alors tenue par un digne homme, un nommé John Dolman, avec lequel j'eus plus d'un édifiant entretien au sujet de la prédestination. Tout était tranquille et bien réglé alors, je vous en réponds, et vous auriez pu aller à pied de Westminster à la Tour, en pleine nuit, que vous n'auriez pas entendu d'autre bruit que le murmure des prières et le chant des hymnes. Dès qu'il faisait sombre, on ne rencontrait dans les rues pas un ruffian, pas une péronnelle, rien que des citadins bien posés allant à leurs affaires, ou des hallebardiers de la garde. La seconde visite que je fis eut lieu au sujet de cette affaire de la démolition des remparts. Alors moi et l'ami Foster, le gantier, nous fûmes envoyés à la tête d'une députation de cette ville au Conseil Privé de Charles. Qui aurait cru que si peu d'années auraient pu produire un pareil changement? Toutes les mauvaises choses qu'on avait fait rentrer sous terre à coups de pieds avaient germé, pullulé, si bien qu'enfin cette vermine déborda dans les rues, et que les gens pieux furent réduits à fuir la lumière du jour. Apollyon en personne triompha vraiment pendant quelque temps. Un homme paisible ne pouvait parcourir à pied les rues sans être bousculé dans le ruisseau par des bravaches, des rodomonts, ou accosté par des femelles fardées. Brigands et volereaux, manteaux brodés, éperons sonores, bottes découpées à jour, grandes plumes, querelleurs, souteneurs, jurons et blasphèmes, je vous réponds que l'enfer s'enrichissait. Et jusque dans l'isolement de votre voiture, vous n'étiez pas à l'abri du larron.

– Comment cela, monsieur? demanda Ruben.

– Eh bien, tenez, voici comment. Comme c'est moi qui en ai pâti, j'ai mieux que tout autre le droit de conter la chose. Vous saurez qu'après avoir été reçus, d'une façon très froide – car nous étions aussi bien vus du Conseil Privé que le collecteur de l'impôt du foyer l'est de la ménagère villageoise – on nous invita par raillerie, je suppose, plutôt que par courtoisie, à la réception du soir au Palais de Buckingham. Nous n'aurions pas demandé mieux, que de nous en excuser, mais nous redoutions que notre refus ne fût regardé comme une offense gratuite, et qu'il ne fût nuisible au succès de notre mission. Mes habits de gros drap étaient un peu grossiers pour une telle circonstance, mais je résolus de les garder pour me présenter, en y ajoutant un gilet neuf de baye à devant de soie, et une bonne perruque, que je payai trois livres dix shillings au Haymarket.

Le jeune Puritain qui faisait vis-à-vis, fit des yeux blancs en murmurant quelques mots comme «sacrifier à Dagon,» et qui heureusement ne furent pas entendus de l'énergique vieillard.

– Ce n'était là que vanité mondaine, dit le Maire, car avec toute la déférence possible, Sir Gervas Jérôme, la chevelure naturelle d'un homme, quand elle est arrangée avec un peu de goût, avec peut-être une pincée de poudre, est, à mon avis, l'ornement qui convient le mieux à sa tête. Ce qui a de la valeur, c'est le contenu et non le contenant. Après avoir disposé cette friperie, le bon Maître Foster et moi nous louâmes une calash, et on partit pour le Palais. Nous étions tout entiers dans une conversation sérieuse, et, je l'espère, profitable, pendant qu'on parcourait les rues interminables de la ville, lorsque soudain je sentis une violente traction à la tête, et mon chapeau fut lancé sur mes genoux. Je levai les mains: le croiriez-vous, elles touchèrent ma tête nue. La perruque avait disparu. Nous descendions à ce moment Fleet-Street, et il n'y avait dans la calash d'autre personne que l'ami Foster, qui était aussi abasourdi que moi. Nous regardâmes en haut, en bas, sur les sièges et par-dessous: pas la moindre trace de la perruque. Elle s'était évaporée sans laisser d'indices.

– Dans quel endroit, alors? demandâmes-nous d'une seule voix.

– C'était la question que nous cherchâmes à résoudre. Je vous assure que pendant un moment nous crûmes que c'était là une punition pour avoir accordé autant d'attention à de telles sottises charnelles.

«Puis, il me vint à l'esprit que cela pourrait bien être le fait de quelque lutin malicieux, comme le tambour de Tedworth, ou ceux qui causèrent quelques désordres il n'y avait pas fort longtemps à la maison Gast, à Little Burton dans notre comté de Somerset.

«Croyant cela, nous appelâmes le cocher, et lui dîmes ce qui était arrivé. L'homme descendit de son perchoir, et quand il eut entendu notre récit, il se répandit en propos des plus grossiers, passa derrière son calash, et nous fit voir qu'une fente avait été pratiquée dans le cuir dont la capote était faite.

«Le voleur avait glissé sa main par là et avait fait passer ma perruque par le trou, en se tenant debout sur la barre de traverse de la voiture.

«C'était chose assez commune, dit-il, et les voleurs de perruques formaient une corporation nombreuse. Ils se tenaient au guet dans les environs des boutiques des perruquiers, et lorsqu'ils voyaient un client sortir avec une emplette qui en valait la peine, ils le suivaient et si par hasard celui-ci partait en voiture, ils employaient ce moyen pour le voler.

«Qu'il en soit ainsi ou autrement, je n'ai jamais revu ma perruque, et je fus obligé d'en acheter une autre, avant de me hasarder en présence du Roi.

– Voilà vraiment une étrange aventure, s'écria Saxon. Mais comment la chose tourna-t-elle pour vous dans la soirée?

– D'une façon fort piteuse, car la figure de Charles, qui avait le teint assez sombre en tout temps, s'assombrit encore à notre entrée, et son frère le Papiste ne se montra guère plus complaisant. On ne nous avait amenés là que dans le but de nous éblouir de leur clinquant, de leurs hochets, et pour que nous eussions à raconter de belles choses aux gens de l'Ouest.

 

«Il y avait là des courtisans à l'échine souple, des nobles à la démarche guindée, des courtisanes aux épaules nues, et qui sans leur haute naissance, auraient été envoyées à Bridewell aussi bien que pas une des pauvres filles qu'on a promenées derrière une charrette. Puis, il y avait là les gentilshommes de la chambre, avec leurs habits couleur de cinnamome ou de prune, et un bel étalage de dentelle, d'or, de soie, de plumes d'autruche.

«L'ami Foster et moi, nous nous faisions l'effet de deux corbeaux qui se seraient égarés parmi une troupe de paons. Mais nous avions présent à l'esprit Celui à l'image duquel nous avons été créés, et nous nous comportâmes, je l'espère, en citoyens anglais, indépendants.

«Sa Grâce le Duc de Buckingham se permit de nous railler.

«Rochester nous tint des propos narquois.

«Les femmes minaudaient, mais nous présentâmes notre front de bataille, mon ami et moi, pour discuter, ainsi que je m'en souviens bien, les très précieuses doctrines de l'élection et de la réprobation, sans faire grande attention à ceux qui se moquaient de nous, non plus qu'aux gens qui jouaient, à notre gauche, ni aux gens qui dansaient à notre droite.

«Nous tînmes bon ainsi pendant toute la soirée.

«Alors s'apercevant que ces gens-là ne s'amuseraient guère à nos dépens, Milord Clarendon, le chancelier, nous fit signe de nous retirer, ce que nous fîmes sans nous presser, après avoir salué le Roi et la société.

– Non, pour cela, je ne l'aurais jamais fait, s'écria le jeune Puritain qui avait écouté attentivement le récit de son ancien. N'eût-il pas été bien plus à propos de lever vos mains et d'appeler la vengeance sur eux, ainsi que le fit le saint homme de jadis sur les cités criminelles.

– Plus à propos, dites-vous? répondit le Maire avec impatience. Ce qui est le plus à propos, c'est que la jeunesse se taise, jusqu'au moment où on lui demande son avis sur des affaires de ce genre. La colère de Dieu marche avec des pieds de plomb, mais elle frappe avec des mains de fer. Au moment propice qu'il s'est choisi, il a jugé quand serait pleine à déborder la coupe des iniquités de ces hommes-là. Ce n'est point à nous à l'en instruire. Ainsi que l'a dit le Sage, les malédictions ont l'habitude de revenir à leur perchoir. Mettez-vous cela dans l'esprit, Maître Derrick, et n'en soyez pas trop libéral.

Le jeune apprenti – car c'en était un – courba la tête d'un air maussade sous cette réprimande.

Puis le Maire, après un court silence, reprit son récit:

– Comme la nuit était belle, dit-il, nous décidâmes de regagner à pied notre logement, mais jamais je n'oublierai les scènes scandaleuses que nous vîmes en route. Le bon Maître Bunyan, d'Elstow, aurait pu ajouter quelques pages à sa description de la Foire aux Vanités, s'il s'était trouvé avec nous. Des femmes avec des mouches, aux cheveux teints, aux fronts d'airain, les hommes, aux allures désordonnées, tapageuses, et blasphémant, et les cris, et le maquerellage, et l'ivrognerie. C'était bien le royaume qui méritait d'être gouverné par une cour pareille. À la fin, nous passâmes par des rues plus tranquilles, et nous espérions en avoir fini avec nos aventures, quand tout à coup arriva au galop une troupe de cavaliers à moitié ivres, sortant d'une rue latérale, qui attaquèrent les passants à coups d'épée, comme si nous étions tombés dans une embuscade de sauvages en quelques pays de mécréants. Ils étaient, à ce que je supposais, de la même couvée que ceux au sujet de qui l'excellent John Milton À écrit: «Fils de Bélial, gonflés d'insolence et de vin.» Hélas! ma mémoire n'est plus ce qu'elle était: car il fut un temps où j'aurais pu réciter par cœur des chants entiers de ce noble et pieux poème.

– Et comment vous êtes-vous tiré d'affaire avec ces querelleurs, monsieur? demandai-je.

– Ils nous assaillirent, nous et quelques autres honnêtes citadins qui regagnaient leur domicile. Brandissant leurs épées, ils nous sommèrent de poser les armes et de leur rendre hommage.

« – À qui? demandai-je.

«Ils montrèrent l'un d'eux qui était vêtu d'un costume plus voyant et était un peu plus ivre que les autres.

« – Voici notre très souverain soigneur.

« – Souverain de quoi? demandai-je.

« – Souverain des Tityre-tu, répondirent-ils. Oh! très barbares et cocus de bourgeois, ne vous apercevez-vous pas que vous êtes tombés entre les mains de cet ordre très noble?

« – Ce n'est point votre véritable monarque, dis-je, car celui-ci est enchaîné dans l'abîme, au-dessous de nous, et c'est là qu'un jour il réunira autour de lui ses fidèles sujets.

« – Entendez-vous, il a tenu des propos de traître, crièrent-ils.

«Sur quoi, sans autre préambule, ils foncèrent sur nous, l'épée et le poignard en main.

«L'ami Foster et moi, nous nous adossâmes contre un mur, et nos manteaux roulés autour de notre bras gauche, nous jouâmes de nos armes, et fîmes si bien que nous atteignîmes un ou deux de ces fendants de la vieille ruelle de Wigan.

«L'ami Foster, en particulier, piqua le Roi de telle façon que Sa Majesté s'enfuit dans la rue en hurlant comme un petit bouledogue qu'on saigne.

«Mais nous étions accablés par le nombre, et notre mission aurait peut-être été terminée à ce moment et à cet endroit, si la garde n'était pas entrée en scène, pour faire tomber nos armes d'un coup de hallebarde, et n'avait ainsi arrêté toute la troupe.

«Pendant qu'avait lieu cette échauffourée, les bourgeois des maisons voisines versaient de l'eau sur nous, comme sur des chats de gouttières, et si cela ne refroidit pas notre ardeur au combat, cela nous mit dans un état fâcheux et peu présentable.

«Nous fûmes traînés ainsi au poste de garde, et nous y passâmes la nuit en compagnie de braillards, de voleurs et de marchandes d'oranges, mais je suis fier de pouvoir dire que mon ami Foster et moi-même nous dîmes à celles-ci quelques paroles de joie et de réconfort.

«On nous relâcha dans la matinée, et secouant aussitôt de nos souliers la poussière de Londres, nous partîmes.

«Et je souhaite de n'y jamais retourner, à moins que ce ne soit à la tête de nos régiments du Comte de Somerset, pour voir le Roi Monmouth poser sur sa tête la couronne, qu'il aura arrachée, dans une lutte loyale, au corrupteur papiste.

Lorsque Maître Stephen Timewell eut achevé son récit, il se fit un brouhaha général, et on se leva de tous côtés, ce qui annonçait la fin du repas.

La compagnie sortit en lent défilé par ordre d'ancienneté.

Tous avaient la même expression sombre et sérieuse, la démarche grave, les yeux baissés.

Ces façons puritaines m'étaient, il est vrai, familières depuis mon enfance, mais jusqu'alors je ne les avais point vu pratiquées par une maisonnée nombreuse, et je n'avais point remarqué leur effet sur un aussi grand nombre de jeunes gens.

– Vous resterez quelques instants encore, dit le Maire, au moment où nous allions les suivre. William, apportez un flacon de vieux vin du Rhin à cachet vert. Ces réconforts charnels, je ne les offre point devant mes jeunes gens, car ce qui leur convient le mieux, c'est le bœuf et une bière saine. À l'occasion toutefois, je partage l'opinion de Paul à savoir qu'un flacon de vin entre amis n'est point chose mauvaise pour l'esprit et le corps. Vous pouvez vous retirer maintenant, ma chérie, si vous avez quelque chose à faire.

– Est-ce que vous allez sortir de nouveau? demanda Ruth.

– Bientôt. Je dois aller à l'Hôtel de Ville. La revue des armes n'est pas terminée.

– Je tiendrai votre costume prêt, ainsi que les chambres de nos hôtes, répondit-elle.