Buch lesen: «Roméo et Juliette»
NOTICE SUR ROMÉO ET JULIETTE
Deux grandes familles de Vérone, les Montecchi et les Capelletti (les Montaigu et les Capulet), vivaient depuis longtemps dans une inimitié qui avait souvent donné lieu, dans les rues, à des combats sanglants. Alberto della Scala, second capitaine perpétuel de Vérone, avait inutilement travaillé à les réconcilier; mais du moins était-il parvenu à les contenir de telle sorte que lorsqu'ils se rencontraient, dit l'historien de Vérone, Girolamo della Corte, «les plus jeunes cédaient le pas aux plus âgés, ils se saluaient et se rendaient le salut.»
En 1303, sous Bartolommeo della Scala, élu capitaine perpétuel après la mort de son père Alberto, Antonio Cappelletto, chef de sa faction, donna, dans le carnaval, une grande fête, à laquelle il invita une partie de la noblesse de Vérone. Roméo Montecchio, âgé de vingt à vingt et un ans, et l'un des plus beaux et des plus aimables jeunes gens de la ville; s'y rendit masqué avec quelques-uns de ses amis. Au bout de quelque temps, ayant ôté son masque, il s'assit dans un coin d'où il pouvait voir et être vu. On s'étonna beaucoup de la hardiesse avec laquelle il venait ainsi au milieu de ses ennemis. Cependant, comme il était jeune et de manières agréables, ceux-ci, dit l'historien, «n'y firent pas autant d'attention qu'ils en auraient fait peut-être s'il eût été plus âgé.» Ses yeux et ceux de Juliette Cappelletto se rencontrèrent bientôt, et, frappés également d'admiration, ils ne cessèrent plus de se regarder. La fête s'étant terminée par une danse appelée chez nous, dit Girolamo, «la danse du chapeau» (dal cappello), une dame vint prendre Roméo, qui, se trouvant ainsi introduit dans la danse, après avoir fait quelques tours avec sa danseuse, la quitta pour aller prendre Juliette, qui dansait avec un autre. Aussitôt qu'elle l'eût senti lui toucher la main, elle lui dit: «Bénie soit votre venue!» Et lui, lui serrant la main, répondit: «Quelles bénédictions en recevez-vous, madame?» Et elle reprit en souriant: «Ne vous étonnez pas, seigneur, si je bénis votre venue; M. Mercutio était là depuis longtemps à me glacer, et par votre politesse vous êtes venu me réchauffer.» (Ce jeune homme, qui s'appelait Mercutio, dit le louche, et que l'agrément de son esprit faisait aimer de tout le monde, avait toujours eu les mains plus froides que la glace.) A ces mots, Roméo répondit: «Je suis grandement heureux de vous rendre service en quoi que ce soit.» Comme la danse finissait, Juliette ne put dire que ces mots: «Hélas! je suis plus à vous qu'à moi-même.»
Roméo s'étant rendu plusieurs fois dans une petite rue, sur laquelle donnaient les fenêtres de Juliette, un soir elle le reconnut à «son éternuement ou à quelque autre signe,» et elle ouvrit la fenêtre. Ils se saluèrent «très-poliment (cortesissimamente),» et, après s'être longtemps entretenus de leurs amours, ils convinrent qu'il fallait qu'ils se mariassent, quoi qu'il en pût arriver; et que cela devait se faire par l'entremise du frère Lonardo, franciscain, «théologien, grand philosophe, distillateur admirable, savant dans l'art de la magie,» et confesseur de presque toute la ville. Roméo l'alla trouver, et le frère, songeant au crédit qu'il acquerrait, non-seulement auprès du capitaine perpétuel, mais dans toute la ville, s'il parvenait à réconcilier les deux familles, se prêta aux désirs des deux jeunes gens. A l'époque de la Quadragésime, où la confession était d'obligation, Juliette se rendit avec sa mère dans l'église de Saint-François, dans la citadelle, et étant entrée la première dans le confessionnal, de l'autre côté duquel se trouvait Roméo, également venu à l'église avec son père, ils reçurent la bénédiction nuptiale par la fenêtre du confessionnal, que le frère avait eu soin d'ouvrir; puis, par les soins d'une très adroite vieille de la maison de Juliette, ils passèrent la nuit ensemble dans son jardin.
Cependant, après les fêtes de Pâques, une troupe nombreuse de Capelletti rencontra, à peu de distance des portes de Vérone, quelques Montecchi, et les attaqua, animée par Tébaldo, cousin germain de Juliette, qui, voyant que Roméo faisait tous ses efforts pour arrêter le combat, s'attacha à lui, et, le forçant à se défendre, en reçut un coup d'épée dans la gorge, dont il tomba mort sur-le-champ. Roméo fut banni, et, peu de temps après, Juliette, près de se voir contrainte d'en épouser un autre, eut recours au frère Lonardo, qui lui donna à avaler une poudre au moyen de laquelle elle devait passer pour morte, et être portée dans la sépulture de sa famille, qui se trouvait placée dans l'église du couvent de Lonardo. Celui-ci devait venir l'en retirer et la faire passer ensuite, déguisée, à Mantoue, où était Roméo, qu'il se chargeait d'instruire de tout.
Les choses se passèrent comme l'avait annoncé Lonardo; mais Roméo ayant appris indirectement la mort de Juliette avant d'avoir reçu la lettre du religieux, partit sur-le-champ pour Vérone avec un seul domestique, et, muni d'un poison violent, se rendit au tombeau, qu'il ouvrit, baigna de larmes le corps de Juliette, avala le poison et mourut. Juliette, réveillée l'instant d'après, voyant Roméo mort et ayant appris du religieux, qui venait d'arriver, ce qui s'était passé, fut saisie d'une douleur si forte que, «sans pouvoir dire une parole, elle demeura morte sur le sein de son Roméo1.»
Cette histoire est racontée comme véritable par Girolamo della Corte; il assure avoir vu plusieurs fois le tombeau de Juliette et de Roméo, qui, s'élevant un peu au-dessus de terre et placé près d'un puits, servait alors de lavoir à la maison des orphelins de Saint-François, que l'on bâtissait en cet endroit. Il rapporte en même temps que le cavalier Gerardo Boldiero, son oncle, qui l'avait mené à ce tombeau, lui avait montré dans un coin du mur, près du couvent des Capucins, l'endroit d'où il avait entendu dire qu'un grand nombre d'années auparavant on avait retiré les restes de Juliette et de Roméo, ainsi que de plusieurs autres. Le capitaine Bréval, dans ses voyages, dit également avoir vu à Vérone, en 1762, un vieux bâtiment qui était alors une maison d'orphelins, et qui, selon son guide, avait renfermé le tombeau de Roméo et de Juliette; mais il n'existait plus.
Ce n'est probablement pas sur le récit de Girolamo della Corte que Shakspeare a composé sa tragédie; elle fut d'abord représentée, à ce qu'il paraît, en 1595, chez lord Hundsdon, lord chambellan de la reine Élisabeth, et imprimée pour la première fois en 1597. Or, l'ouvrage de Girolamo della Corte, qui devait avoir vingt-deux livres, se trouve interrompu au milieu du vingtième livre et à l'année 1560 par la maladie de l'auteur. On voit de plus, dans la préface de l'éditeur, que cette maladie fut longue et amena la mort de l'historien, que la nécessité de revoir le travail auquel Girolamo n'avait pu mettre lui-même la dernière main prit un temps considérable, et enfin que les procès, tant «civils que criminels,» dont fut tourmenté l'éditeur, ne lui permirent pas de mener à fin son entreprise aussi promptement qu'il l'aurait désiré; en sorte que l'ouvrage de Girolamo ne put être publié que longtemps après sa mort: l'édition de 1594 est donc, selon toute apparence, la première, et ne pouvait guère, en 1595, être déjà venue à la connaissance de Shakspeare.
Mais l'histoire de Roméo et de Juliette, sans doute très-populaire à Vérone, avait déjà fait le sujet d'une nouvelle, composée par Luigi da Porto, et publiée à Venise en 1535, six ans après la mort de l'auteur, sous le titre de la Giulietta. Cette nouvelle, réimprimée, traduite, imitée dans plusieurs langues, fournit à Arthur Brooke le sujet d'un poëme anglais, publié en 15622, et où Shakspeare a certainement puisé le sujet de sa tragédie. L'imitation est complète. Juliette, dans le poëme de Brooke ainsi que dans la nouvelle de Luigi da Porto, se tue avec le poignard de Roméo, au lieu de mourir de douleur comme dans l'histoire de Girolamo della Corte; mais ce qu'il y a de singulier, c'est que le poëme d'Arthur Brooke, et Shakspeare qui l'a suivi, fassent mourir Roméo comme dans l'histoire, avant le réveil de Juliette, tandis que, dans la nouvelle de Luigi da Porto, il ne meurt qu'après l'avoir vue se réveiller et avoir eu avec elle une scène de douleur et d'adieux. On a reproché à Shakspeare de ne s'être pas conformé à cette circonstance qui lui fournissait une situation très-pathétique, et on en a conclu qu'il ne connaissait pas la nouvelle italienne, bien que traduite en anglais. Cependant quelques circonstances donnent lieu de croire que Shakspeare connaissait cette traduction. Quant à ses motifs pour préférer le récit du poëte à celui du romancier, il peut en avoir eu plusieurs: d'abord, pour s'être écarté en un point si important de la nouvelle de Luigi da Porto, qu'il a suivie scrupuleusement sur presque tous les autres, peut-être Arthur Brooke, l'auteur même du poëme, avait-il eu quelques renseignements sur l'histoire véritable, telle que l'avait racontée Girolamo della Corte, contemporain de Shakspeare; il aura pu les lui communiquer, et l'exactitude de Shakspeare à se rapprocher, autant qu'il le pouvait, de l'histoire ou des récits reçus comme tels, ne lui aura pas permis d'hésiter dans le choix. D'ailleurs, et c'est probablement ici la vraie raison du poëte, Shakspeare ne fait presque jamais précéder une résolution forte par de longs discours: «Les discours, dit Macbeth, jettent un souffle trop froid sur l'action.» Quelques angoisses que la réflexion ajoute à la douleur, elle porte l'esprit sur un trop grand nombre d'objets pour ne pas le distraire de l'idée unique qui conduit aux actions désespérées. Après avoir reçu les adieux de Roméo, après avoir pleuré sa mort avec lui, il eût pu arriver que Juliette la pleurât toute sa vie au lieu de se tuer à l'instant. Garrick a refait cette scène du tombeau d'après la supposition adoptée par la nouvelle de Luigi da Porto; la scène est touchante, mais, comme cela était peut-être inévitable dans une situation pareille, impossible à rendre par des paroles; les sentiments en sont trop et trop peu agités, le désespoir trop et trop peu violent. Il y a dans le laconisme de la Juliette et du Roméo de Shakspeare, à ces derniers moments, bien plus de passion et de vérité.
Ce laconisme est d'autant plus remarquable que, dans tout le cours de la pièce, Shakspeare s'est livré sans contrainte à cette abondance de réflexions et de paroles qui est l'un des caractères de son génie. Nulle part le contraste n'est plus frappant entre le fond des sentiments que peint le poëte et la forme sous laquelle il les exprime. Shakspeare excelle à voir les sentiments humains tels qu'ils se présentent, tels qu'ils sont réellement dans la nature, sans préméditation, sans travail de l'homme sur lui-même, naïfs et impétueux, mêlés de bien et de mal, d'instincts vulgaires et d'élans sublimes, comme l'est l'âme humaine dans son état primitif et spontané. Quoi de plus vrai que l'amour de Roméo et de Juliette, cet amour si jeune, si vif, si irréfléchi, plein à la fois de passion physique et de tendresse morale, abandonné sans mesure et pourtant sans grossièreté, parce que les délicatesses du coeur s'unissent partout à l'emportement des sens! Il n'y a rien là de subtil, ni de factice, ni de spirituellement arrangé par le poëte; ce n'est ni l'amour pur des imaginations pieusement exaltées, ni l'amour licencieux des vies blasées et perverties; c'est l'amour lui-même, l'amour tout entier, involontaire, souverain, sans contrainte et sans corruption, tel qu'il éclate à l'entrée de la jeunesse, dans le coeur de l'homme, à la fois simple et divers, comme Dieu l'a fait. Roméo et Juliette est vraiment la tragédie de l'amour, comme Othello celle de la jalousie, et Macbeth celle de l'ambition. Chacun des grands drames de Shakspeare est dédié à l'un des grands sentiments de l'humanité; et le sentiment qui remplit le drame est bien réellement celui qui remplit et possède l'âme humaine quand elle s'y livre; Shakspeare n'y retranche, n'y ajoute et n'y change rien; il le représente simplement, hardiment, dans son énergique et complète vérité.
Passez maintenant du fond à la forme et du sentiment même au langage que lui prête le poëte; quel contraste! Autant le sentiment est vrai et profondément connu et compris, autant l'expression en est souvent factice, chargée de développements et d'ornements où se complaît l'esprit du poëte, mais qui ne se placent point naturellement dans la bouche du personnage. Roméo et Juliette est peut-être même, entre les grandes pièces de Shakspeare, celle où ce défaut abonde le plus. On dirait que Shakspeare a voulu imiter ce luxe de paroles, cette facilité verbeuse qui, dans la littérature comme dans la vie, caractérisent en général les peuples du midi; il avait certainement lu, du moins dans les traductions, quelques poëtes italiens; et les innombrables subtilités dont le langage de tous les personnages de Roméo et Juliette est, pour ainsi dire, tissu, les continuelles comparaisons avec le soleil, les fleurs et les étoiles, quoique souvent brillantes et gracieuses, sont évidemment une imitation du style des sonnets et une dette payée à la couleur locale. C'est peut-être parce que les sonnets italiens sont presque toujours sur le ton plaintif que la recherche et l'exagération de langage se font particulièrement sentir dans les plaintes des deux amants; l'expression de leur court bonheur est, surtout dans la bouche de Juliette, d'une simplicité ravissante; et quand ils arrivent au terme extrême de leur destinée, quand le poëte entre dans la dernière scène de cette douloureuse tragédie, alors il renonce à toutes ses velléités d'imitation, à toutes ses réflexions spirituellement savantes; ses personnages, à qui, dit Johnson, «il a toujours laissé un concetti dans leur misère,» n'en retrouvent plus dès que la misère a frappé ses grands coups; l'imagination cesse de se jouer; la passion elle-même ne se montre plus qu'en s'unissant à des sentiments solides, graves, presque sévères; et cette amante si avide des joies de l'amour, Juliette, menacée dans sa fidélité conjugale, ne songe plus qu'à remplir ses devoirs et à conserver sans tache l'épouse de son cher Roméo. Admirable trait de sens moral et de bon sens dans le génie adonné à peindre la passion!
Du reste, Shakspeare se trompait lorsqu'en prodiguant les réflexions, les images et les paroles, il croyait imiter l'Italie et ses poëtes. Il n'imitait pas du moins les maîtres de la poésie italienne, ses pareils, les seuls qui méritassent ses regards. Entre eux et lui, la différence est immense et singulière: c'est par l'intelligence des sentiments naturels que Shakspeare excelle; il les peint aussi vrais et aussi simples, au fond, qu'il leur prête d'affectation et quelquefois de bizarrerie dans le langage; c'est au contraire dans les sentiments mêmes que les grands poëtes italiens du XIVe siècle, Pétrarque surtout, introduisent souvent autant de recherche et de subtilité que d'élévation et de grâce; ils altèrent et transforment, selon leurs croyances, religieuses et morales, ou même selon leurs goûts littéraires, ces instincts et ces passions du coeur humain auxquels Shakspeare laisse leur physionomie et leur liberté natives. Quoi de moins semblable que l'amour de Pétrarque pour Laure et celui de Juliette pour Roméo? En revanche, l'expression, dans Pétrarque, est presque toujours aussi naturelle que le sentiment est raffiné; et tandis que Shakspeare présente, sous une forme étrange et affectée, des émotions parfaitement simples et vraies, Pétrarque prête à des émotions mystiques, ou du moins singulières et très-contenues, tout le charme d'une forme simple et pure.
Je veux citer un seul exemple de cette différence entre les deux poëtes, mais un exemple bien frappant, car c'est sur la même situation, le même sentiment, presque sur la même image que, dans cette occasion, ils se sont exercés l'un et l'autre.
Laure est morte. Pétrarque veut peindre, à son entrée dans le sommeil de la mort, celle qu'il a peinte, si souvent et avec tant de passion charmante, dans l'éclat de la vie et de la jeunesse:
Non come fiamma che per forza è spenta,
Ma che per se medesma si consume,
Sen' andò in pace l'anima contenta,
A guisa d'un soave e chiaro lume,
Cui nutrimento a poco a poco manca,
Tenendo al fin il suo usato costume.
Pallida nò, ma più che neve bianca
Che senza vento in un bel colle fiocchi,
Parea posar come persona stanca.
Quasi un dolce dormir ne' suoi begli occhi,
Sendo lo spirto già da lei diviso,
Era quel che morir chiaman gli schiocchi.
Morte bella parea nel suo bel viso3.
«Comme un flambeau qui n'est pas éteint violemment, mais qui se consume de lui-même, son âme sereine s'en alla en paix, semblable à une lumière claire et douce à qui l'aliment manque peu à peu, et qui garde jusqu'à la fin son apparence accoutumée. Elle n'était point pâle, mais, plus blanche que la neige qui tombe à flocons, sans un souffle de vent, sur une gracieuse colline, elle semblait se reposer, comme une personne fatiguée. L'esprit s'étant déjà séparé d'elle, ses beaux yeux semblaient dormir doucement de ce sommeil que les insensés appellent la mort, et la mort paraissait belle sur son beau visage.»
Juliette aussi est morte. Roméo la contemple dans son tombeau, et lui aussi il la trouve toujours belle:
… O, my love, my wife!
Death, that has suck'd the honey of thy breath,
Has had no power yet upon thy beauty;
Thou art not conquer'd; beauty's ensign yet
Is crimson in thy lips and in thy cheeks;
And death's pale flag is not advanced there!
«O mon amour, ma femme! la mort, qui a sucé le miel de ton haleine, n'a point eu encore de pouvoir sur ta beauté; tu n'es pas sa conquête; la couleur de la beauté, l'incarnat brille encore sur tes lèvres et sur tes joues, et la mort n'a pas planté ici son pâle drapeau!»
Je n'ai garde d'insister sur la comparaison. Qui ne sent combien la forme est plus simple et plus belle dans Pétrarque? C'est la poésie suave et brillante du Midi à côté de l'imagination forte, rude et heurtée du Nord.
L'amour de Roméo pour Rosalinde est une invention de Luigi da Porto, conservée dans le poëme d'Arthur Brooke. Cette invention jette si peu d'intérêt sur les premiers actes de la pièce, que Shakspeare ne l'a probablement adoptée que pour faire mieux ressortir ce caractère de soudaineté propre aux passions du climat. Le personnage de Mercutio lui a été indiqué par ces vers du poëme anglais:
A courtier that eche where was highly had in price,
For he was courteous of his speech, and pleasant of devise.
Even as a lyon would among the lambs be bold,
Such was among the bashful maydes Mercutio to behold.
«Un courtisan que, quelque part qu'il se trouvât, chacun tenait en très-haute estime, car il était courtois dans ses discours et devisait plaisamment; autant un lion serait hardi au milieu des agneaux, autant Mercutio le paraissait au milieu des jeunes filles timides.»
Tel était sans doute le bel air du temps de Shakspeare, et c'est comme le type de l'homme aimable et amusant qu'il a peint Mercutio. Cependant, si la hardiesse lui a manqué pour attaquer, comme Molière, les ridicules de la cour, il laisse assez souvent entrevoir que le ton lui en était à charge. Le rôle de Mercutio paraît avoir coûté à son goût et à la justesse de son esprit. Dryden rapporte, comme une tradition de son temps, que Shakspeare disait «qu'il avait été obligé de tuer Mercutio au troisième acte, de peur que Mercutio ne le tuât.» Cependant Mercutio a conservé en Angleterre de zélés partisans; Johnson entre autres, à cette occasion, traite assez durement Dryden pour quelques paroles irrévérentes sur cet aimable Mercutio, dont les «saillies, dit-il, ne sont peut-être pas toujours à sa portée.» L'éloignement de Shakspeare pour le genre d'esprit qu'il a prodigué dans Roméo est, du reste, suffisamment prouvé par l'injonction du frère Laurence à Roméo, lorsque celui-ci commence à lui expliquer ses affaires en style de sonnet: «Mon fils, lui dit-il, parle simplement.» Le frère Laurence est l'homme sage de la pièce, et ses discours sont en général aussi simples que de son temps il était permis à un philosophe de l'être.
Le rôle de la nourrice de Juliette offre également peu de ces subtilités que Shakspeare paraît, dans cet ouvrage, avoir réservées aux gens de la haute classe, et quelquefois aux valets qui les imitent. Ce caractère de la nourrice est indiqué dans le poëme d'Arthur Brooke, où il est loin cependant d'avoir la même vérité grossière que dans la pièce de Shakspeare.
Partout où ils échappent aux concetti, les vers de Roméo et Juliette sont peut-être les plus gracieux et les plus brillants qui soient sortis de la plume de Shakspeare; ils sont en grande partie rimés, autre hommage rendu aux habitudes italiennes.
Roméo et Juliette fut jouée pour la première fois, en 1596, par les serviteurs de lord Hundsdon, les grands seigneurs ayant joui jusqu'au règne de Jacques Ier d'une liberté illimitée quant à la protection qu'ils accordaient aux acteurs. Un acte du Parlement y apporta alors quelque restriction.