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Ivanhoe. 4. Le retour du croisé

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CHAPITRE XXXIX

«Ô jeune fille! tout impitoyable que soit ton coeur,le mien ne le cède pas au tien pour la fierté.»

SEWARD.

Vers la fin du jour où le jugement, si on peut l'appeler ainsi, avait eu lieu, on frappa doucement à la porte de la chambre qui servait de prison à Rébecca. Ce bruit ne dérangea nullement la captive, qui, dans ce moment, récitait la prière du soir prescrite par sa religion, et qu'elle termina en chantant l'hymne suivant:

 
Quand Israël, peuple chéri de Dieu,
S'en retournait du pays d'esclavage,
L'astre sauveur marchait devant l'Hébreu;
Guide imposant, et qui sur ce rivage
S'environna d'un nuage de feu.
Durant le jour la colonne enflammée
Avec lenteur, sur les peuples surpris,
Suivait son cours voilé par la fumée,
Tandis qu'au loin les sables d'Idumée
Gardaient l'éclat de ses rayons chéris.
 
 
Les hymnes saints s'élevaient dans les nues,
Au son bruyant des clairons et des cors;
Et de Sion les vierges ingénues,
Aux chants guerriers unissaient leurs accords.
Nos ennemis dédaignent les prodiges;
Israël voit mourir ses faibles tiges;
En refusant de suivre les sentiers,
Nos fiers aïeux ont payé leurs prestiges,
Et de leurs maux tu nous rends héritiers.
 
 
Bien que présent, tu restes invisible,
Quand brilleront de plus fortunés jours,
Que ta mémoire offre un voile sensible,
Contre des feux qui nous trompent toujours;
Et quand la nuit, de ses noires ténèbres,
Aura couvert nos riantes cités,
Retiens tes coups dans ces momens funèbres,
Et prête-nous tes divines clartés.
 
 
À Babylone en silence et captives,
Ont dû gémir nos harpes fugitives:
Tout Israël est en proie aux tyrans.
Sur nos autels plus de feux odorans;
Et nos clairons et nos trompes sommeillent.
Mais ta clémence a dit: qu'ils se réveillent!
Le sang des boucs et la chair des béliers
N'ont aucun prix où mon regard s'attache;
D'humbles pensers, un coeur pur et sans tache,
Me sont plus chers et non moins familiers.
 

Lorsque le silence eut succédé au chant expressif de la piété de Rébecca, on frappa de nouveau à la porte. «Entre, dit-elle, si tu es un ami: si tu es un ennemi, je n'ai pas les moyens de te refuser l'entrée.» – «Je suis, dit Brian de Bois-Guilbert en entrant dans l'appartement, un ami ou un ennemi, suivant le résultat de cette entrevue.»

Alarmée à la vue de cet homme, dont elle regardait la passion licencieuse comme la cause de ses malheurs, Rébecca, d'un air timide et réservé, quoique animée d'un sentiment de crainte réelle qu'elle ne manifesta point, se retira dans la partie la plus reculée de l'appartement, comme bien déterminée à s'éloigner autant qu'elle le pourrait, mais aussi à défendre son terrain le plus long-temps possible. Elle prit une attitude, non de défi, mais de résolution, comme quelqu'un qui voudrait éviter de provoquer une attaque, mais qui serait bien décidé à repousser de tout son pouvoir celle que l'on tenterait de diriger contre lui.

«Vous n'avez aucun motif de me craindre, Rébecca, dit le templier, ou, s'il faut que je m'exprime avec plus de précision, vous n'avez, du moins en ce moment, aucun motif de me redouter.» – «Je ne vous crains point, dit Rébecca, dont la respiration oppressée semblait démentir l'héroïsme du discours; ma confiance est ferme et je ne vous crains point.»

«Vous n'en avez pas de sujet, répondit Bois-Guilbert; vous n'avez pas maintenant à redouter que je renouvelle mes précédentes tentatives dictées par la démence. À quelques pas d'ici sont des gardes sur lesquels je n'ai aucune autorité. Ils sont chargés de vous conduire à la mort, Rébecca, et néanmoins ils ne souffriraient pas que vous fussiez insultée par qui que ce soit, même par moi, si ma démence, car c'est réellement une démence, pouvait me faire oublier à ce point.»

«Que le ciel soit loué! dit la juive; la mort est ce qui m'épouvante le moins dans ce repaire d'iniquité.» – «Sans doute, répliqua le templier, l'idée de la mort n'a rien d'effrayant pour une ame courageuse, lorsqu'elle se présente soudainement et ouvertement. Un coup porté par une lance ou par une épée, pour moi, serait peu de chose. Pour toi, sauter du haut d'une tour, te percer d'un poignard, n'inspire point de terreur; l'infamie, la perte de l'honneur, voilà ce que l'un et l'autre considérerait. Remarque bien, je te parle ainsi, parce que tu penses que mes idées et mes sentimens sur l'honneur sont différens des tiens; mais nous savons l'un et l'autre mourir pour lui.»

«Infortuné! dit la juive, es-tu donc condamné à exposer ta vie pour des principes dont tes propres réflexions et ton propre jugement ne reconnaissent point la solidité? Certes, c'est se dépouiller d'un trésor en échange d'une chose qui n'est pas du pain. Mais ne juge pas ainsi de moi. Ta résolution peut varier au gré des vagues agitées et inconstantes de l'opinion humaine, la mienne est ancrée sur le rocher des siècles.»

«Silence, jeune fille, répondit le templier, de pareils discours ne servent pas à grand'chose maintenant. Tu es condamnée à mourir, non d'une mort soudaine et douce, telle que le malheur la désire ou que le désespoir se la donne, mais d'une suite continue, lente, affreuse, prolongée, de tortures, organisées pour punir ce que la bigoterie diabolique de ces hommes appelle ton crime.»

«Et à qui, si tel doit être mon destin, dit Rébecca, à qui suis-je redevable de tout cela? Sûrement c'est à celui-là seul qui, pour un motif personnel et brutal, m'a traînée jusqu'ici, et qui maintenant, pour quelque autre motif secret, mais également personnel, s'efforce d'exagérer le sort épouvantable auquel lui-même m'a exposée.» – «Ne pense pas, dit le templier, que je t'aie exposée comme tu le dis; mon propre sein t'aurait servi de bouclier pour te garantir d'un tel danger, avec autant d'ardeur et d'abnégation que j'en ai mis à te garantir des traits qui sans cela t'auraient ôté la vie.»

«Si ton dessein eût été d'accorder une protection honorable à l'innocence, dit Rébecca, je t'aurais remercié de tes soins; mais comme il en est autrement, malgré les assertions contraires et souvent répétées, je te déclare que la vie n'est rien pour moi, si je devais la conserver au prix que tu voudrais exiger.»

«Fais trève à tes reproches, Rébecca, dit le templier; j'ai mes propres motifs de chagrin, et je ne supporterais pas que tu vinsses les aggraver.» – «Quel est donc ton dessein? sire chevalier, dit la juive. Dis-le en peu de mots. Si tu as quelque chose en vue, autre que d'être témoin du malheur dont tu es la cause, parle, et ensuite daigne, je t'en supplie, me laisser à moi-même; le passage du temps à l'éternité est court, mais il est terrible, et je n'ai que peu de momens pour m'y préparer.»

«Je m'aperçois, Rébecca, dit Bois-Guilbert, que tu continues à faire peser sur moi l'accusation des malheurs que j'aurais vivement désiré de pouvoir prévenir.» – «Sire chevalier, dit Rébecca, je voudrais éviter de faire des reproches; mais, comment peux-tu nier que je dois ma mort à ta passion effrénée?»

«C'est une erreur, c'est une erreur, s'écria précipitamment le templier; vous vous trompez si vous imputez à mes desseins ou à mes actions des circonstances que je ne pouvais ni prévoir ni empêcher. Pouvais-je deviner l'arrivée inattendue de ce vieil imbécille, que quelques éclairs de bravoure, et les louanges données aux stupides austérités d'un ascétique, ont élevé pour le moment à un rang bien au dessus de son mérite, au dessus du sens commun, au dessus de moi, au dessus de plusieurs centaines de chevaliers de notre ordre qui pensent et qui sentent comme des hommes exempts des sots et ridicules préjugés qui forment la base de ses opinions et de ses actions?»

«Et cependant, dit Rébecca, vous avez siégé comme mon juge, tout innocente, parfaitement innocente que j'étais, et que vous saviez que j'étais; vous avez participé à ma condamnation; bien plus, si je l'ai nettement compris, vous devez vous-même comparaître, en armes, pour soutenir l'accusation et assurer l'exécution de la sentence.»

«Patience, jeune fille, répliqua le templier, patience, je t'en supplie; il n'est pas de race qui sache aussi bien que la tienne céder à l'orage et gouverner sa barque de manière à tirer parti, même d'un vent contraire.»

«Déplorable, à jamais lamentable, dit Rébecca, l'heure à laquelle la maison d'Israël a été forcée d'avoir recours à cet art! Mais l'adversité courbe le coeur, comme le feu courbe l'acier indocile; et ceux qui ne se gouvernent plus par leurs propres lois, et qui ne sont plus habitans de leur état libre et indépendant, doivent se courber et s'humilier devant les étrangers. C'est une malédiction prononcée contre nous, sire chevalier, méritée sans doute en expiation de nos fautes et de celles de nos pères; mais vous, vous qui vous vantez de votre liberté comme d'un droit qui vous appartient dès votre naissance, combien n'est-il pas plus honteux pour vous de vous abaisser jusqu'à flatter et caresser les préjugés des autres, même en dépit de votre propre conviction?»

«Vos paroles sont amères, Rébecca, dit Bois-Guilbert en parcourant l'appartement avec un air d'impatience; mais je ne suis point venu pour faire assaut de reproches avec toi. Je veux que tu saches que Bois-Guilbert ne cède à homme quelconque, quoique les circonstances puissent l'engager pour un temps à apporter quelque changement à ses projets; sa volonté est comme le fleuve qui descend de la montagne, dont le cours peut bien être détourné pour quelques instans par un rocher, mais qui bientôt reprend sa direction vers l'océan. Ce billet qui t'a conseillé de réclamer le privilége d'un champion, de qui as-tu pu penser qu'il venait, si ce n'est de Bois-Guilbert? À quel autre individu as-tu pu inspirer de l'intérêt?»

 

«Répit bien court d'une mort instantanée, répliqua Rébecca, et qui me sera de bien peu d'utilité. Est-ce là tout ce que tu as pu faire pour une infortunée, sur la tête de qui tu as accumulé les chagrins, et que tu as conduite jusqu'au bord du tombeau?»

«Non, jeune fille, répondit Bois-Guilbert, ce n'est pas là tout ce que je m'étais proposé; sans la maudite intervention de ce vieux fanatique et de cet imbécille Goodalrick, lequel, bien que templier, affecte néanmoins de penser et de juger conformément aux lois ordinaires de l'humanité, l'office de champion défenseur était dévolu, non à un précepteur, mais à un compagnon de l'ordre. Alors moi-même, tel était mon projet au premier son de la trompette, je me serais présenté dans la lice comme ton champion, à la vérité sous le déguisement d'un chevalier errant qui va à la recherche des aventures, afin de prouver la bonté de son bouclier et de sa lance; et puis, que Beaumanoir eût choisi, non pas un, mais deux, trois des frères qui se trouvent maintenant ici, je n'avais pas le moindre doute que je ne leur eusse fait vider les étriers avec ma simple lance. C'est ainsi, Rébecca, que ton innocence aurait été prouvée, et je m'en serais remis à ta reconnaissance pour la récompense que tu m'aurais accordée comme vainqueur.»

«Tout ceci, sire chevalier, dit Rébecca, n'est que pure vanterie, une manière de vous faire un mérite de ce que vous auriez fait, si vous n'aviez pas trouvé convenable de faire autrement. Vous avez accepté mon gant; et mon champion, si une créature aussi abandonnée, aussi délaissée peut en trouver un, doit s'exposer aux coups de votre lance dans la lice; et vous voudriez, après cela, vous donner avec moi l'air d'un ami et d'un protecteur!»

«Votre ami et votre protecteur! dit gravement le templier: eh bien, je veux encore l'être; mais remarquez bien à quel risque, ou plutôt avec quelle certitude de déshonneur; et ensuite ne me blâmez pas si je stipule mes conditions avant d'exposer tout ce que j'aie eu jamais de plus cher jusqu'ici, pour sauver la vie à une jeune fille juive.»

«Parle, dit Rébecca, je ne te comprends point.» – «Eh bien! dit Bois-Guilbert, je vais te parler avec autant de franchise que jamais bigot pénitent a parlé à son père spirituel, au tribunal de la pénitence. Rébecca, si je ne comparais point dans la lice, je perds mon rang et ma réputation; je perds ce qui m'est plus cher que l'air que je respire, je veux dire l'estime dont mes frères m'honorent, et l'espoir que j'ai d'être un jour investi de cette suprême autorité, dont jouit aujourd'hui ce bigot barbon, Lucas de Beaumanoir. Voilà le sort inévitable qui m'attend, si je ne comparais point contre toi. Que maudit soit ce Goodalrick qui m'a dressé un pareil piége! et doublement maudit Albert Malvoisin, qui m'a détourné de la résolution que j'avais prise de jeter ton gant à la figure de ce fanatique vieillard, qui avait écouté une accusation aussi absurde, et contre une créature aussi noble et aussi aimable que tu l'es!»

«Mais à quoi sert maintenant tout ce jargon emphatique de flatterie? dit Rébecca; tu as déclaré ton choix entre faire répandre le sang d'une femme innocente, et conserver ton rang et tes espérances temporelles. À quoi sert de discuter? ton choix est fait.»

«Non, Rébecca, dit le chevalier d'un ton plus doux et en se rapprochant d'elle, mon choix n'est point fixé; je dis plus, écoute-moi bien, c'est à toi à le faire. Si je parais dans la lice, il faut que je soutienne ma renommée comme guerrier, et si je fais cela, que tu aies un champion ou non, tu meurs par le poteau et le fagot, car il n'existe pas un chevalier qui ait combattu contre moi à égalité, encore moins à supériorité de résultat, excepté Richard Coeur-de-Lion et son favori Ivanhoe. Ivanhoe, tu le sais fort bien, n'est pas en état de vêtir son corselet, et Richard est prisonnier en pays étranger. Ainsi donc, si je me présente dans la lice, tu meurs, quand bien même tes charmes engageraient quelque jeune écervelé à entrer en lice pour ta défense.»

«Mais à quoi bon me répéter cela si souvent?» demanda Rébecca. – «Il le faut, répondit le templier, parce qu'il est essentiel que tu envisages ton destin sous tous les rapports.» – «Eh bien! dit Rébecca, tourne la tapisserie et fais-moi voir l'autre côté.»

«Si je me présente dans la lice, dit Bois-Guilbert, tu meurs d'une mort lente et cruelle, accompagnée de tourmens égaux à ceux que l'on dit être destinés aux coupables dans l'autre vie. Mais, si je ne me présente point, je suis un chevalier dégradé et déshonoré, accusé de sorcellerie et de communiquer avec les infidèles; le nom illustre que je porte, et que j'ai rendu encore plus illustre par mes exploits, devient une dénomination de mépris et de reproche; je perds la réputation; je perds l'honneur; je perds la perspective d'une grandeur à laquelle les empereurs même auraient peine à s'élever; je sacrifie mes projets d'ambition; je détruis les plans que j'avais construits aussi haut que les montagnes, par le moyen desquelles les païens disent que leur ciel faillit être escaladé… Eh bien, Rébecca! ajouta-t-il en se jetant à ses pieds, cette grandeur, je la sacrifie; cette renommée, j'y renonce; ce pouvoir, je ne l'ambitionne plus, même en ce moment où je suis près de m'en saisir, si tu veux dire: Bois-Guilbert, je t'accepte pour mon amant.»

«Laissons là toutes ces folies, sire chevalier, répondit Rébecca, et hâtez-vous d'aller trouver le régent, le prince Jean; par honneur pour la couronne, on ne peut tolérer les procédés de votre grand-maître. C'est ainsi que vous me ferez jouir de votre protection, sans sacrifice de votre part, et sans présent, pour demander une récompense de la mienne.»

«Je n'ai point de rapports avec ces personnages, dit Bois-Guilbert tenant le bord de sa robe. C'est à toi seule que je m'adresse; et qu'est-ce qui peut contrarier ton choix? Penses-y bien; fussé-je un démon, le trépas est pire, et c'est le trépas que j'ai pour rival.»

«Je ne discute point sur la mesure de ces maux,» dit Rébecca qui craignait de provoquer le chevalier dont elle connaissait le caractère, mais qui était également déterminée à ne pas souffrir la passion ni même faire semblant de la souffrir. «Sois homme, sois chrétien. S'il est vrai que ta croyance vous recommande à tous cette charité que vous prêchez plus que vous ne pratiquez, sauve-moi de cette mort affreuse, sans stipuler une récompense qui transformerait ta magnanimité en vil trafic, en pure opération mercantile.»

«Non, dit le bouillant templier en se relevant, non, jeune fille, tu ne m'en imposeras pas ainsi. Si je renonce à ma renommée présente et à mes vues ambitieuses pour l'avenir, c'est pour toi que j'y renonce, et c'est ensemble que nous devons fuir. Écoute-moi, Rébecca, dit-il en prenant de nouveau un ton de douceur, l'Angleterre, l'Europe, tout cela ne compose pas l'univers. Il y a d'autres sphères dans lesquelles on peut se mouvoir, et assez vastes, même pour mon ambition. Nous irons en Palestine. Conrad de Montferrat13 est mon ami, un véritable ami, tout aussi exempt que moi de ces vains et sots scrupules qui tiennent la raison captive; plutôt faire ligue avec Saladin qu'endurer les dédains des bigots que nous méprisons. Je me fraierai de nouveaux sentiers pour m'élever au faîte des honneurs, ajouta-t-il en marchant de nouveau à grands pas dans l'appartement. L'Europe entendra le bruit des pas de celui qu'elle a retranché du nombre de ses enfans. Les millions d'hommes que ces croisés envoient pour ainsi dire à la boucherie en Palestine, ne peuvent la défendre aussi efficacement; les sabres des nombreux milliers de Sarrasins ne sauraient s'ouvrir une route aussi certaine dans cette terre pour la conquête de laquelle on voit des nations entières prendre les armes, que la force, la valeur et la discipline de moi et de ceux de nos frères qui, en dépit de ce vieux bigot, s'attacheront à moi, advienne ce qu'il pourra. Tu seras reine, Rébecca; c'est sur le mont Carmel que nous établirons le trône que ma valeur aura conquis, et le bâton après lequel j'ai si long-temps soupiré, je l'échangerai contre un sceptre.»

«Tout cela, dit Rébecca, n'est qu'un rêve, un vain songe, une vision de la nuit; mais, fût-ce même une réalité, rien de tout cela ne me touche. Il me suffit de te dire que toute cette haute puissance à laquelle tu te proposes de t'élever, je ne veux point la partager avec toi. D'ailleurs je ne regarde pas avec assez d'indifférence tous les liens qui nous attachent à notre patrie et à notre foi religieuse pour accorder mon estime à celui qui, après avoir brisé ceux qui devaient le retenir dans le sein d'un ordre dont il fait partie, ne craint point d'y renoncer uniquement dans la vue de satisfaire sa passion désordonnée pour la fille d'un autre peuple. Ne mets point de prix à la liberté que tu veux me procurer, sire chevalier; ne vends point un acte de générosité; protége l'opprimée par esprit de charité et non pour ton avantage personnel. Va te mettre au pied du trône d'Angleterre; Richard écoutera mon appel de la sentence de ces hommes cruels.»

«Jamais, Rébecca! dit fièrement le templier. Si je dois renoncer à mon ordre, c'est pour toi seule que j'y renoncerai. Si tu rejettes mon amour, l'ambition me restera; il ne faut pas que je perde de tous les côtés. Moi! abaisser mon cimier devant Richard! Solliciter un don de ce coeur altier et orgueilleux! Jamais, Rébecca; jamais je ne placerai à ses pieds l'ordre du Temple en ma personne. Je puis renoncer à mon ordre; mais le dégrader, mais l'avilir, non, jamais!»

«Que Dieu, dans sa bonté, daigne me soutenir, dit Rébecca, car je n'ai guère de secours à espérer de la part des hommes.» – «C'est la vérité, dit Bois-Guilbert, car toute fière que tu es, ma fierté est égale à la tienne. Si j'entre dans la lice, la lance en arrêt, il n'est pas de considération humaine qui puisse m'empêcher de faire usage de toute la force de mon bras, et alors pense au sort qui t'attend. Périr de la mort des plus grands criminels; être consumée au milieu des flammes d'un bûcher; savoir que tes cendres seront dispersées à travers les élémens dont nos corps sont mystiquement composés; pas un atome ne restera de cette organisation, toute gracieuse que nous puissions la représenter dans son éclat de mouvement et de vie, Rébecca, il n'est pas au pouvoir de la femme de s'arrêter à une pareille idée; tu céderas à mes instances; tu écouteras mon amour.»

«Bois-Guilbert, répondit la juive, tu ne connais pas le coeur de la femme, ou tu n'as jamais conversé qu'avec celles qui avaient perdu leurs plus nobles sentimens. Je te dis, fier templier, que jamais, dans tes batailles les plus sanglantes, tu n'as fait preuve d'un courage comparable à celui qu'a déployé la femme, quand il était commandé par l'affection ou le devoir. Moi-même, je suis une femme élevée avec tous les soins de la tendresse, naturellement timide dans le danger, et impatiente dans la douleur; et cependant, lorsque nous entrerons l'un et l'autre dans la lice, toi pour combattre, et moi pour souffrir, je sens au dedans de moi l'assurance que mon courage surpassera le tien. Adieu; je n'ai plus de paroles à perdre avec toi. Le peu de temps qui reste à la fille de Jacob à passer sur la terre doit être employé différemment. Elle doit chercher le consolateur, qui peut bien détourner les yeux de dessus son peuple, mais dont l'oreille est toujours ouverte au cri de celui qui le cherche avec ferveur et vérité.»

«C'est donc ainsi que nous nous séparons? dit le templier après quelques momens de silence; plût à Dieu que nous ne nous fussions jamais rencontrés, ou que tu fusses née noble et chrétienne! Oui, lorsque je te regarde, et que je pense quand et comment nous nous rencontrerons de nouveau, je voudrais pouvoir être membre de ta race dégradée, ma main comptant des shekels et transportant des lingots, au lieu de porter la lance et le bouclier, courbant la tête devant le dernier des nobles, et ne prenant un air terrible que pour le débiteur pauvre et insolvable; voilà, Rébecca, ce que je désirerais et à quoi je consentirais, pour passer ma vie avec lui, et pour éviter la part épouvantable que je dois avoir à ta mort.»

«Tu as dépeint le juif, dit Rébecca, tel que l'a rendu la persécution de ceux qui te ressemblent. Le ciel dans sa colère la chassé de son pays; mais l'industrie lui a ouvert le seul chemin à l'opulence et au pouvoir que l'oppression n'a pu lui fermer. Lis l'histoire du peuple de Dieu, et dis-moi si ceux par qui Jéhovah a opéré tant de merveilles parmi les nations étaient alors un peuple d'avares et d'usuriers. Sache aussi, orgueilleux chevalier, que nous comptons parmi nous des noms auprès desquels votre noblesse la plus ancienne n'est que comme la citrouille comparée au cèdre; des noms qui remontent à ces temps reculés où la divine présence faisait trembler le propitiatoire entre les chérubins, et qui ne tirent leur splendeur d'aucun prince de la terre, mais de la voix céleste qui ordonna à leurs pères de s'approcher le plus de la congrégation de la vision. Tels furent les princes de la maison de Jacob.»

 

Les joues de Rébecca se coloraient pendant qu'elle se vantait ainsi de l'ancienne gloire de ses ancêtres; mais ces couleurs s'évanouirent en soupirant: «tels étaient les princes d'Israël; mais à présent, tels ils ne sont plus; ils sont foulés aux pieds comme l'herbe fauchée et mêlée à la boue des grands chemins. Cependant il s'en trouve encore parmi eux qui ne démentent pas leur antique origine, et tu verras que la fille d'Isaac, fils d'Adonikam, est de ce nombre. Adieu; je n'envie ni tes honneurs achetés par des flots de sang, ni les barbares ancêtres venus des landes boréales, ni ta foi, qui est toujours dans ta bouche, et jamais dans ton coeur ou dans tes actions.»

«De par le ciel, un sort est jeté sur moi, s'écria le templier; je suis porté à croire que ce squelette vivant, notre grand-maître, a dit la vérité, et le regret avec lequel je me sépare de toi a quelque chose de surnaturel. Créature enchanteresse! ajouta-t-il en s'approchant plus près d'elle, mais d'un air respectueux; si jeune et si belle, si affranchie des craintes de la mort, et pourtant condamnée à mourir de la manière la plus cruelle et la plus ignominieuse: qui pourrait ne pas pleurer sur ton sort déplorable? Les larmes, qui depuis vingt ans étaient inconnues à mes yeux, les remplissent aujourd'hui pour toi, et je les sens couler sur mes joues en te considérant. C'en est donc fait, rien ne peut maintenant te sauver. Toi et moi nous ne sommes que les aveugles instrumens d'une fatalité irrésistible qui nous poursuit, comme deux vaisseaux poussés devant l'orage, luttant l'un contre l'autre pour s'abîmer ensemble et périr dans les flots. Pardonne-moi donc, et séparons-nous du moins en amis. J'ai vainement essayé d'ébranler ta résolution, et la mienne est également fixée comme les arrêts immuables du destin.»

«C'est ainsi, dit Rébecca, que les hommes rejettent sur le destin les suites de leurs violentes passions. Mais je vous pardonne, Bois-Guilbert, quoique vous soyez la cause de ma mort si prématurée. Il y a de grandes choses dont votre esprit était capable; mais c'est le jardin du paresseux, et l'ivraie s'y est mise pour étouffer la bonne semence.»

«Oui, Rébecca, dit le templier, je suis fier, indomptable; mais c'est ce qui m'a élevé au dessus des esprits vulgaires, des bigots et des lâches qui m'entourent. Je fus dès ma première jeunesse un enfant de la guerre, audacieux dans mes vues, ferme et invariable dans leur exécution: tel je serai toujours; impérieux, inébranlable et que rien ne pourrait faire dévier de ma route. L'univers en aura la preuve, mais tu m'as pardonné, n'est-ce pas, Rébecca?» – «Aussi librement que jamais victime pardonna à son bourreau.» – «Adieu donc, dit le templier,» et il quitta l'appartement.

Le commandeur Albert de Malvoisin attendait avec impatience dans une chambre contiguë le retour de Bois-Guilbert. – «Tu as tardé bien long-temps, lui dit-il; j'étais comme étendu sur des charbons ardens, par le désir que j'éprouvais de te revoir. Que serait-il arrivé si le grand-maître, ou Conrad son espion, fussent venus ici? j'aurais payé cher ma complaisance. Mais qu'as-tu donc, frère? tes pas sont chancelans, ton front est aussi sombre que la nuit14. Qu'as-tu donc, Bois-Guilbert?» – «Je suis, répondit le templier, dans le même état qu'un misérable condamné à mourir avant une heure. Non, par la sainte hostie, je suis encore plus mal, car il y en a qui dans une situation pareille quittent la vie aussi facilement qu'un vieil habit. Par le ciel, Malvoisin, cette jeune fille m'a désarmé et a détruit ma résolution. Je suis presque résolu d'aller trouver le grand-maître, et de lui déclarer que j'abjure l'ordre à sa barbe, et refuse de jouer le rôle cruel que sa tyrannie m'a imposé.»

«Tu es fou, répondit Malvoisin, c'est vouloir te ruiner sans pour cela conserver une seule chance de sauver cette juive qui te paraît si chère. Beaumanoir nommera un autre champion pour soutenir son jugement à ta place, et l'accusée ne périra pas moins que si tu eusses rempli le triste devoir qu'il t'impose.» – «Cela est faux, répliqua Bois-Guilbert, je prendrai moi-même les armes pour la défendre; et si je le fais, Malvoisin, je pense que tu ne connais pas un seul des chevaliers de notre ordre qui veuille se tenir sur la selle devant la pointe de ma lance.»

«Soit; mais tu oublies que tu n'auras ni le loisir, ni les moyens d'exécuter ce projet insensé. Va trouver Lucas de Beaumanoir, dis-lui que tu as renoncé à ton voeu d'obéissance, et tu verras combien de temps le vieux despote te laissera libre de ta personne. Tes paroles se seront à peine échappées de tes lèvres, que tu seras jeté à cent pieds sous terre, dans les cachots de la préceptorerie, pour subir un jugement comme chevalier félon; ou s'il continue à croire que tu es ensorcelé, tu n'auras plus pour lit que de la paille, du pain et de l'eau pour aliment, les ténèbres pour clarté, et des chaînes pour jouets dans quelque cellule de couvent, isolé, étourdi par les exorcismes, et noyé d'eau bénite pour chasser l'ennemi qui se sera emparé de toi. Il faut te présenter dans la lice, ou tu es un homme perdu et déshonoré.»

«Je fuirai, dit Bois-Guilbert, j'irai dans une contrée lointaine, où la folie et le fanatisme n'ont pas encore pénétré; aucune goutte du sang de cette créature angélique ne sera répandu de mon consentement.» – «Tu ne saurais fuir, lui dit le précepteur, ton délire a excité le soupçon, et l'on ne te permettra point de sortir de la commanderie. Essaie si tu veux; présente-toi à la porte et tu verras comment les sentinelles t'y recevront. Tu es surpris et blessé de pareilles précautions; mais si tu fuyais tu encourrais le déshonneur de ta race et ta propre dégradation, en même temps que tes exploits se trouveraient comme effacés du souvenir. Songe à cela. En quel lieu iront-ils cacher leurs têtes, ces compagnons d'armes qui te sont si dévoués, quand Bois-Guilbert, la meilleure lame de l'ordre, sera proclamé renégat et félon devant le peuple assemblé? Quel deuil pour la cour de France, quelle joie pour l'orgueilleux Richard, quand il apprendra que le chevalier qui sut lui tenir tête en Palestine, et dont la renommée éclipsa la sienne propre, a perdu toute sa gloire et son honneur pour le seul amour d'une juive qu'il n'a pu même sauver par un tel sacrifice!»

«Malvoisin, dit le chevalier, je te remercie; tu as touché la corde la plus sensible de mon coeur. Quoi qu'il arrive, jamais le titre de félon ne sera ajouté au nom de Bois-Guilbert. Plût à Dieu que Richard lui-même ou quelqu'un de ses favoris d'Angleterre, parût dans l'arène! Mais ils seront absens, aucun ne risquera de rompre une lance pour une fille innocente et persécutée.» – «Tant mieux pour toi, si cela est, dit le précepteur; si aucun champion ne se présente pour la défense de cette jeune infortunée, tu auras été étranger au sort fatal de Rébecca, tout le blâme retombera sur le grand-maître qui néanmoins s'en fera gloire.»

«Tu dis vrai, répondit Bois-Guilbert; si aucun champion ne paraît, je n'aurai rien à me reprocher, et je ne serai que témoin du spectacle, monté sur mon palefroi et couvert de mes armes au milieu de la lice; je ne prendrai aucune part à ce qui doit en résulter.» – «Pas la moindre, dit Malvoisin, pas plus que la bannière de saint-Georges, quand on la porte dans une procession.» – «Eh bien, ma résolution est prise. La juive m'a rebuté, méprisé, accablé de reproches; pourquoi lui sacrifierais-je l'estime que j'ai acquise de mes semblables? Oui, Malvoisin, je viendrai dans l'arène.»

13Le texte porte Montserrat. A. M.
14Thy brow is as black as night: image vraiment ossianique remplacée par cette idée commune: «ton front paraît chargé de noirs soucis,» dans la version de M. Defauconpret.A. M.