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Un Cadet de Famille, v. 2/3

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LXXXIII

On croit que les Beajus sont une partie des aborigènes de la grande île de Bornéo, chassés dans l'intérieur du pays, qui se compose de collines et d'énormes montagnes sombres, escarpées et pleines de précipices. Une chaîne de ces montagnes avoisine la partie de l'île à laquelle nous étions amarrés, et les bases de ces montagnes, en s'étendant dans la mer, rendent en certains endroits l'approche de l'île fort dangereuse. Si les petites îles ne nous avaient pas protégés, nous n'aurions pu trouver un ancrage, même à la distance de plusieurs lieues. La mer, environne les deux côtés du pays, pendant que l'énorme marais forme une barrière dans l'intérieur; de sorte qu'à l'exception de quelques maraudeurs qui viennent dans leurs proas de temps en temps pour ravager les villages dispersés çà et là, sur une plaine qui se trouve aux limites du marais, les Beajus vivent en paix, grâce à l'impôt qu'ils payent à une colonie malaise située sur la côte ouest.

Libres d'être gouvernés par leurs propres chefs, les Beajus vivent avec une simplicité patriarcale. La chasse et la pêche sont leurs principales occupations, et ils ont une quantité suffisante de riz, de maïs et d'autres grains, ainsi que des fruits, des racines et des herbes.

La saison pluvieuse commence en avril; elle dure une moitié de l'année, et ne cesse de tomber avec des ouragans épouvantables au-dessus de l'immense marais. Les bêtes sauvages osent seules errer quelquefois dans cette affreuse solitude.

Ce marais a été nommé l'île de la Puissance destructive; on le dit peuplé de démons qui préparent là toutes les souffrances humaines pour les disperser sur le monde au gré de leurs caprices.

Afin d'adoucir la colère de ces démons, les Beajus leur offraient des sacrifices; mais ils n'en offraient pas, malgré leur croyance en elle, à la puissance bonne et suprême, disant: «Comme cette puissance ne fait que du bien, nous ne devons ni essayer de la corrompre par des sacrifices ni implorer sa clémence.»

Les chefs des Beajus étaient élus par des vieillards. Chaque chef de famille devait répondre de ceux qui lui appartenaient. Ils n'étaient cités devant une grande assemblée que pour de grands crimes, et l'adultère, étant considéré comme le plus atroce, était puni de mort.

Le bon service que de Ruyter avait rendu à ce peuple ne fut ni oublié ni méconnu, car leur reconnaissance fut sans bornes. Les deux cents personnes qu'il avait libérées se firent les esclaves de leur sauveur; elles nous rendirent toutes sortes de services et refusèrent d'en recevoir le payement. Les plus riches se tenaient constamment côte à côte à bord de nos vaisseaux pour nous donner des fruits, des volailles, du poisson, des chèvres et toutes les choses que produisait leur pays. Ils bâtirent des huttes très-commodes sur la plus grande des îles pour recevoir nos malades et nos blessés, qui étaient nombreux sur les deux vaisseaux. Ces huttes furent placées sous la surveillance de Van Scolpvelt, qui avait toujours soin d'être bien fourni de médicaments. D'ailleurs, herboriste lui-même, il consacrait ses heures de loisir à chercher des herbes et des plantes pour les distiller et en faire des décoctions et des onguents. Le docteur avait à ses ordres un des canots des Beajus, et, à l'aide de ce canot, il faisait sur la côte des excursions journalières.

Pendant quelques jours je fus exclusivement occupé à réparer le schooner, et, pour lui rendre toute sa force première, je cherchai dans les forêts les planches de bois dont j'avais besoin.

Malgré tous mes soins, j'avais à surmonter de grandes difficultés pour trouver un bois qui possédât les qualités nécessaires. Quant à un bois de charpente, il y en avait assez pour bâtir des flottes.

Un jour, étant allé bien loin le long de la côte, je débarquai dans une petite baie dont l'approche était inaccessible du côté de la terre, car elle se trouvait gardée par une montagne couverte de jungles. Les buissons et les cannes de ces jungles, entrelacés ensemble par d'énormes plantes rampantes, laissaient croire qu'un rat seul avait la possibilité d'en franchir les sinueux détours. La vue de quelques sapins me détermina cependant à tenter l'approche de cet impénétrable fourré. En conséquence, après avoir fait aborder Zéla sur le rivage, j'envoyai mon bateau au schooner avec l'ordre de ramener les charpentiers. Nous étions cependant à une distance considérable du vaisseau; mais ma petite barque naviguait admirablement bien, et, comme le vent était bon, je calculai que les ouvriers pouvaient se rendre à mes ordres dans l'espace de quelques heures.

En attendant le retour de mes envoyés, nous examinâmes la place, afin de trouver un chemin praticable; mais nos recherches furent complétement inutiles. En désespoir de cause, nous nous promenâmes çà et là sur le bord de la mer, et nous ramassâmes des huîtres et des moules, car de hauts rochers qui s'avançaient au-dessus de nous en étaient couverts.

Pendant que Zéla s'occupait à préparer du café, je fis ma sieste, étendu sur un fragment de rocher, et bientôt le bruit monotone des vagues, le chant du coq des jungles et la voix éloignée du faon, voix aiguë et plaintive, m'endormirent profondément. Tous ceux qui ont joué un rôle dans les actives scènes de la vie maritime ou militaire ont trouvé un bonheur exquis dans les douceurs du repos, soit qu'on le goûtât dans l'isolement, soit qu'il fût partagé avec une compagne jeune, belle et chérie. Dans cette solitude enchanteresse, on peut décharger les fardeaux qui pèsent sur le cœur, se confier mutuellement ses joies ou ses angoisses, être libre enfin, échapper à la dédaigneuse pitié des amis dont les paroles banales sont plutôt un ennui qu'une consolation. Les amis sont généralement des prophètes officieux qui prévoient les malheurs et qui avertissent d'éviter ce qui est inévitable; puis, quand le mal est sans remède, ils justifient leur conscience par ces mots:

– Il n'a pas voulu écouter mes conseils; c'est une faute dont il subit les conséquences!..

Quand le café fut prêt, Zéla mit sa tête sur mon épaule et me montra une tache blanche sur les eaux en me disant:

– C'est un canot du pays, très-cher; cachons-nous!

– C'est notre bateau, mon amour, il n'y a aucun danger à craindre.

– Parions, dit Zéla.

– Parions, répétai-je d'un ton joyeux.

Mais afin qu'on ne m'accuse pas d'avoir de si bonne heure le goût du jeu, il faut que je dise que le gain de nos paris n'était que des baisers. De sorte que, bateau ou canot, je gagnais toujours, car c'était donner au lieu de recevoir, ce qui est aussi agréable l'un que l'autre. Quand j'eus persuadé à Zéla que la tache blanche était notre bateau, je lui demandai un baiser. La chère enfant me le donna; mais je fus obligé de le lui rendre. Le sujet de notre joyeux pari était le canot du docteur. Tout à coup un petit bruit sourd se fit entendre dans les jungles. Cachés par une saillie du rocher, il nous fut facile de nous mettre sans être vus en état de défense; j'armai silencieusement ma carabine.

Un taoo parut au-dessus de nos têtes.

– Soyez prudent, mon ami, me dit Zéla: un tigre s'approche, car cet oiseau le précède toujours de quelques pas.

LXXXIV

J'ajoutai une balle de plomb à ma carabine, dont j'appuyai la crosse sur le rocher, décidé à ne faire feu qu'en cas d'attaque, et je calculai rapidement qu'il nous serait possible de fuir et de gagner le bateau à la nage si notre ennemi n'était pas atteint par ma balle. Après avoir ôté ma casquette, je jetai un coup d'œil au-dessus du rocher; le bruit ne cessait pas. Tout à coup, et à ma grande surprise, j'aperçus un vieillard gris et couvert de poils. Il écarta les buissons, et après un long examen de son entourage, il se baissa et sortit de l'ouverture de la petite baie. Au geste que je fis pour m'élancer vers l'inconnu, Zéla tressaillit, et me prit la main en murmurant à voix basse:

– Cachez-vous et ne bougez pas.

L'étranger avait la plus étonnante figure du monde, et cette figure ne ressemblait à aucune de celles que j'avais vues chez les différents peuples de la mer des Indes. Ses membres étaient remarquablement longs, et la seule arme qu'il portât était une énorme massue, pareille, du reste, à celles dont se servent les insulaires du Sud. La figure de cet homme était noire, couverte de poils gris et profondément ridée; sa taille semblait courbée par l'âge et par les infirmités, mais néanmoins il marchait à grands pas sur le terrain inégal. Les yeux de cet étrange personnage avaient une expression de malignité qui les faisait ressembler à ceux d'un démon.

Quand il fut arrivé sur les bords de la mer, mais dans une direction opposée à celle où nous nous trouvions, il s'assit sur un rocher, et, à l'aide d'une pierre pointue qu'il avait ramassée, il arracha des moules qu'il dévora d'un air horriblement avide. Après avoir terminé son repas, le sauvage cueillit une grande feuille, y mit des huîtres et des moules, puis il serra sa pêche avec soin. Avant de s'éloigner, l'homme examina pendant quelques minutes le canot de Van, qui voguait rapidement vers nous, hocha la tête, et d'un pas alerte il reprit le chemin des jungles et disparut.

– Je veux le suivre, dis-je à Zéla, et je me levai vivement.

Zéla voulut me retenir.

– C'est un Jungle-Admée, me dit-elle; on assure qu'ils sont plus rusés, plus cruels et plus féroces que les tigres et les lions.

– Il est seul, mon amie, et bien certainement j'ai assez de force et d'énergie pour lui tenir tête; d'ailleurs, en le suivant, je trouverai un chemin qui me sera utile.

Je mis aussitôt mon idée à exécution, et, après m'être traîné sous un massif de kantak, je découvris un étroit et tortueux sentier que le vieillard suivait à pas lents; je me glissai sur ses traces, accompagné de l'intrépide Zéla.

 

Après un quart d'heure de marche, le vieillard dirigea sa promenade vers le marais, traversa le lit d'un ruisseau de la montagne, grimpa sur un rocher d'une quinzaine de pieds de haut, et de là sur un vieux pin couvert de mousse.

Quand le sauvage eut gravi le tronc de l'arbre, il se trouva plus élevé que le rocher; alors il s'attacha par les bras à une branche horizontale, et, semblable à un matelot qui traverse les étais d'un mât et change continuellement la position de ses membres, l'étranger gagna le sommet du rocher. Une fois là, il soutint son corps avec ses mains, et, se laissant doucement tomber de l'autre côté, il continua sa marche. Nous le suivîmes en évitant avec soin de faire le moindre bruit.

L'inconnu franchit plusieurs rochers, dans les crevasses desquels poussaient les pins dont j'avais besoin.

Arrivé là, le vieillard suspendit sa marche pour considérer un énorme pin qui, tombé de vieillesse, produisait encore une infinité de vigoureux rejetons. Le sauvage arracha quatre jeunes pins, qu'il dépouilla de leurs branches pour les placer commodément sur son épaule gauche. Cela fait, il se dirigea vers un petit espace de terrain sur lequel se trouvaient des mangoustans sauvages et des bananes. Après avoir cueilli quelques fruits bien mûrs, le sauvage fit plusieurs détours et arriva sur un petit emplacement ombragé par un arbre couvert de grandes fleurs blanches. Sous la merveilleuse épaisseur des branches de cet arbre, nous aperçûmes une jolie petite hutte construite avec des cannes entrelacées ensemble.

Ce fut avec une véritable admiration que mes regards parcoururent le délicieux entourage de la pittoresque habitation du solitaire, car un goût parfait avait présidé au choix de l'emplacement et à l'harmonieuse disposition des objets extérieurs. À droite de la hutte se trouvait un banc de rochers couvert de tamarins et de muscades sauvages; à la base de ce banc, on voyait une excavation à moitié ombragée par trois grands arbres de bétal, qui, avec leurs troncs droits, à l'écorce d'un blanc argenté, étaient d'une beauté tellement resplendissante, qu'ils semblaient être les Grâces de la forêt. Derrière l'ermitage s'étendait à perte de vue un jungle impénétrable, dans lequel je distinguai le tamarin, la muscade, le cactus, l'acacia et le sombre feuillage du bambou.

Après avoir déposé le paquet de jeunes pins à la porte de sa demeure, le vieux sauvage entra à quatre pattes dans la hutte, dont la porte était très-basse, car le toit, couvert de feuilles de palmier, n'était élevé que de deux pieds au-dessus de la terre.

Pendant que j'examinais attentivement la hutte, un bruit sourd dans le buisson sous lequel j'étais caché me fit tourner la tête, et je vis avec un indicible effroi la tête noire et l'œil brillant d'un cobradi-capello. L'horrible bête dirigeait sa marche vers Zéla, qui, muette de terreur, semblait fascinée par les yeux du reptile.

Le danger de ma femme étouffa ma prudence. Je courus à elle en poussant un cri formidable. Le serpent ne parut point alarmé; il se retira doucement dans un buisson et disparut.

– Oh! le Jungle-Admée, s'écria Zéla.

Je me retournai vivement.

Le vieillard s'avançait vers nous en tenant fermement serrée dans ses deux mains la massue, qu'il faisait voltiger au-dessus de sa tête comme un bâton à deux bouts.

À en juger par la férocité du regard du vieux scélérat décharné, par le grincement de ses dents, par la fureur qu'exprimaient tous ses gestes, il était bien certain qu'il se préparait au combat.

J'avais à la main ma carabine armée; mais, avant d'avoir eu la possibilité de la diriger contre mon agresseur, je fus obligé de reculer vivement en arrière pour éviter un coup de massue. Éloigné du sauvage par ces quelques pas, je visai sa poitrine, et tout le contenu de mon arme fut logé dans son corps. Le vieillard bondit sur ses pieds et vint lourdement tomber sur moi. Le choc me fit trébucher, et, me croyant perdu, je criai à Zéla de courir au bateau, afin de se sauver. Mais, au lieu de fuir, l'héroïque enfant enfonça une lance de sanglier dans le dos du sauvage, en me disant d'une voix calme:

– Il est tout à fait mort, mon ami; levez-vous.

J'eus quelque peine à me débarrasser de l'étreinte du sauvage, et, en me relevant, je vis que la balle, en traversant le cœur, était la cause de l'élan convulsif qui avait failli causer ma perte.

Bien certain de la mort du Jungle-Admée, nous pénétrâmes dans sa maison. L'intérieur différait fort peu de celui des habitations de tous les hommes de l'île, seulement cet intérieur était plus propre, et surtout plus commode.

À un bout de la chambre s'élevait un mur mitoyen, sorte de défense opposée à l'invasion des voleurs pendant l'absence du maître. Sur une table grossièrement construite était soigneusement étalée une provision de racines et de fruits. En vérité, on eût dit que la chambre de cet homme était la demeure d'un philosophe écossais.

En entendant la détonation des mousquets et le son des voix qui nous appelaient, je fus tout surpris de m'apercevoir que nous étions tout près de la mer.

Nous nous hâtâmes de regagner le rivage, où stationnait Van dans son canot.

L'endroit où nous nous étions arrêtés avait été désigné au docteur par les hommes de notre bateau; la détonation de ma carabine avait si fort épouvanté notre Esculape, qu'il avait donné l'ordre à ses compagnons de tirer, en forme d'appel, plusieurs coups de mousquet.

– Bonne nouvelle, Van! lui dis-je; j'ai trouvé pour vous ici un magnifique sujet.

Et je racontai au docteur mon aventure avec l'homme sauvage.

– Où est-il? s'écria Van.

Brûlant de curiosité, le docteur me suivit sur le lieu du combat.

– Comment! c'est cela? Mais cet être n'appartient pas à la classe bimana, à la classe genus homo ou homme; il appartient à la seconde classe des quadrumana, êtres de la race simii, qui se compose de singes, de guenons et de babouins: le pelvis étroit, le falx allongé, les bras longs, les pouces courts et les côtes plates.

»Celui-ci, continua Van en tournant le corps, est un orang-outang. En vérité, je n'en ai jamais vu un aussi grand: il ressemble beaucoup au genus homo; mais touchez-le, il a treize côtes, et il n'y a guère de différence entre votre conformation et la sienne. Buffon dit que les orangs-outangs n'ont aucun sentiment de religion, et quel sentiment en avez-vous? Ils sont aussi braves et aussi féroces que vous; de plus, ils sont très-ingénieux, et vous ne l'êtes pas. D'ailleurs, autre supériorité, c'est une race réfléchissante, sensée, et ils ont le meilleur gouvernement du monde; ils divisent un pays en départements; ils ne se rendent jamais coupables d'une invasion et ne détruisent point les biens des autres.

»Ils sont gouvernés par des chefs et vivent bien sous la douceur d'une loi juste et protectrice. Celui-ci a été méchant, séditieux, et sans nul doute banni de la communauté de ses semblables.

»Je conserverai son squelette pour en faire hommage au collége de chimie d'Amsterdam, car c'est une espèce rare.»

Nous laissâmes Van travailler sur l'orang-outang pour aller examiner les bois de charpente et tracer un chemin jusqu'au rivage.

Vers le soir, nous regagnâmes nos bateaux, car les natifs nous assurèrent que l'île était infestée par des tigres et par des serpents.

LXXXV

J'ai remarqué que les individus qui possèdent des qualités réelles sont détestés et maltraités. La masse du peuple s'occupe généralement à s'aimer elle-même, à penser à son bien-être personnel et à dire du mal des autres, et cela pendant qu'elle essaye de leur enlever une portion de leurs richesses. Il faut que tous ceux qui ambitionnent son estime mentent, se plient à ses caprices et lui rendent hommage.

Le mérite, la vaillance, la sagesse et la vertu sont presque toujours sans pain et sans vêtements.

Les Malais, dispersés sur les bords de la mer des Indes et sur ses plus belles îles, sont déclarés, d'après l'opinion publique, féroces, perfides, ignorants et rebelles à toute tentative de civilisation, et même incapables d'aucun sentiment de bonté, par la raison qu'ils sont capables de commettre tous les crimes.

De Ruyter, qui n'ajoutait aucune foi dans les clameurs du monde, qui n'était jamais guidé par l'opinion des autres quand il avait la possibilité de juger par lui-même, me donna bientôt sur le caractère des Malais de véritables renseignements. En disant que ce peuple était généreux, esclave de sa parole, doué d'un courage invincible, de Ruyter lui rendait justice.

Tous les efforts tentés par les Européens pour arriver à vaincre ce peuple ont été sans succès. Si une partie de leur pays est prise par une force supérieure à leurs moyens de défense, ils abandonnent la lutte, mais avec le courage qui cède sans plier, mais avec leur profond amour de la liberté, qu'ils acquièrent par les conquêtes de leurs victorieuses batailles. Sur la côte du Malabar et dans les trois grandes îles de la Sonde, les Malais sont fort nombreux et sont encore le seul peuple de l'Inde qui ait conservé un caractère national et le libre arbitre de leur sort.

Les Malais ont peu de besoins, et sont hardis, braves et aventureux, et il n'y a guère de pays dans le monde où une pareille race ne puisse trouver les moyens de vivre. Semblables au coco, ils ne sont jamais loin de la mer, et, comme les Arabes, ils s'approprient sans scrupule le superflu des riches étrangers: mais quelle est la créature pauvre qui ne désire pas un peu une partie du bien des riches?..

Les lâches mendient, les rusés volent, et l'homme brave prend à l'aide de sa force.

Les richesses de l'Inde et celles de l'Asie, obtenues par la force et par la ruse, sont journellement transportées le long des côtes malaises en voguant vers l'Europe, et les Malais seraient de véritables barbares s'ils n'en prenaient pour eux une petite portion. Donc, ils s'emparent de tout ce qui tombe sous leurs mains; et, quoique leur pays ait été ravagé, quoiqu'on les ait massacrés en grande partie, ils n'ont perdu ni leur force ni leur courage.

Les Malais possèdent plusieurs colonies sur la côte à l'est de Bornéo, et la situation de cette côte leur permet d'exercer sur le commerce chinois un constant maraudage.

Les Portugais, les Hollandais, les Anglais, ainsi que plusieurs autres nations, ont de temps en temps formé des colonies sur diverses parties de l'île, protégés dans leur installation par le roi de Bornéo. Mais cette protection eut une grande ressemblance avec celle qu'un fermier accorde à l'industrieuse abeille. Ainsi, quand les colons eurent établi des usines, quand ils eurent encaissé les trésors produits par leur travail, on les chassa, et leurs biens furent confisqués.

Le roi moresque, qui demeure à Bornéo, la capitale de l'île, n'a ni influence ni pouvoir en dehors de sa province, et, de plus, fort peu d'autorité sur les Chinois, qui ont accaparé tout le commerce de l'île et qui vivent à Bornéo dans une complète indépendance.

Mais revenons à nos amis les Malais.

Sur la partie de la côte où nos vaisseaux étaient amarrés se trouvait une colonie malaise; nous nous liâmes bientôt avec les principaux habitants, afin de nous débarrasser des Beajus, qui sont le peuple le meilleur, mais aussi le plus stupide de la terre.

Un matin, de Ruyter exprima au chef de cette colonie le vif désir que nous avions de faire une chasse au tigre.

– Je suis tout à fait à vos ordres, nous répondit le Malais, et demain nous organiserons cette partie. Je vous servirai de guide, quoique le plaisir que vous vous promettez me soit entièrement inconnu, car ici nous n'attaquons le tigre qu'en cas de légitime défense ou pour protéger nos propriétés contre ses dangereuses invasions.

Je ne dois pas oublier de dire que, pendant la durée de notre amarrage, de Ruyter fit de temps en temps lever l'ancre du grab, afin d'aller voir si la mer était traversée dans nos parages par quelque vaisseau de la Compagnie. Pendant l'excursion de notre commandant, je veillais sur le schooner, dont les réparations marchaient à grands pas, car, grâce à l'orang-outang, nous avions trouvé du bois convenable.

Nous faisions souvent des parties de chasse sur la terre pour tuer des daims, des sangliers, des chèvres et quelquefois des buffles, afin d'approvisionner nos vaisseaux de viandes fraîches et d'épargner nos provisions pour la mer.

L'intention de de Ruyter était d'attendre, pour s'en emparer, le passage d'une flotte chinoise qui faisait voile pour la France.

Ce temps d'arrêt nous permit de visiter l'île, et les natifs nous parlèrent des ruines d'une ancienne ville, située sur les bords du grand marais, en ajoutant que ces ruines étaient la demeure des tigres et d'une infinité d'autres bêtes sauvages. Nous nous décidâmes bientôt à aller les visiter.

 

Nos vaisseaux étaient toujours en ordre, et aucun soin n'était mis en oubli pour les préserver d'une attaque soit par terre, soit par mer. Nous avions monté deux canons et élevé une batterie pour protéger le schooner et les malades débarqués sur l'île, et trois de nos hommes étaient constamment placés en sentinelle à la porte des huttes et en face du vaisseau.

Nous nous occupâmes enfin des préparatifs qu'exigeait notre chasse aux tigres. Le chef malais nous servait de guide; de Ruyter prit avec lui une vingtaine d'hommes, je me fis suivre de plusieurs marins du schooner, et nous partîmes joyeusement.