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Le livre de la Jungle

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– Hum, le flot est fort ce soir!

Se retournant sous l’eau, il ouvrit lentement les yeux et s’étira. Puis il sauta comme un chat, en apercevant d’énormes choses qui musaient à travers l’eau des hauts fonds et broutaient sur les lourdes franges des varechs.

– Par les Grands Brisants de Magellan, dit-il dans sa moustache. Qui donc, de toute la mer profonde, sont ces gens-là?

Ils ne ressemblaient à rien: morse, lion-de-mer, phoque, ours, baleine, requin, poisson, pieuvre ou coquillage, que jamais Kotick eût vu auparavant. Ils avaient de vingt à trente pieds de long, pas de nageoires postérieures, mais une queue en forme de pelle qui paraissait taillée dans du cuir mouillé. Leurs têtes étaient les plus ridicules choses qu’on pût voir, et ils se balançaient sur le bout de leurs queues en eau profonde lorsqu’ils ne paissaient pas, se saluant solennellement les uns les autres, et agitant leurs nageoires de devant comme un gros homme agite des bras trop courts.

– Ahem! dit Kotick. Bon plaisir, messieurs?

Les grosses créatures répondirent en dodelinant, et en agitant leurs nageoires comme le Frog-Foot-man1.

Quand ils se remirent à pâturer, Kotick vit que leur lèvre supérieure était fendue en deux morceaux, qu’ils pouvaient écarter d’environ un pied, et rejoindre à nouveau avec un boisseau de goémon dans la fente. Ils poussaient le varech dans leurs bouches et mâchaient solennellement.

– Sale manière de manger, dit Kotick.

Ils dodelinèrent encore, et Kotick commença à perdre patience.

– Très bien! dit-il. Si vraiment vous possédez une articulation de plus que les autres dans votre nageoire de devant, ce n’est pas la peine de faire tant d’embarras. Je vois que vous saluez gracieusement, mais je voudrais connaître vos noms.

Les lèvres fendues s’agitèrent et se tordirent; les yeux vitreux et verdâtres s’arrondirent, mais ils ne parlèrent pas.

– Eh bien, dit Kotick, vous êtes les seules gens que j’aie jamais rencontrés qui soient plus laids que Sea Vitch… et plus mal léchés.

Alors, il se souvint en un éclair de ce que la Mouette-Bourgmestre lui avait crié, quand il n’était qu’un petit de l’année, à Walrus Islet, et il retomba en arrière dans l’eau: il voyait qu’il avait enfin découvert Sea Cow!

Les vaches marines continuaient à mâchonner, à pâturer et à ruminer dans le varech, et Kotick leur posa des questions dans toutes les langues qu’il avait ramassées au cours de ses voyages, car le peuple de la mer parle presque autant de langues que les êtres humains. Mais les vaches marines ne répondaient pas, car Sea Cow ne sait pas parler. Il n’a que six os dans le cou au lieu de sept, et on dit, dans la mer, que c’est cela qui l’empêche de parler, même avec ses semblables; mais, comme vous le savez, il a une articulation d’extra dans sa nageoire antérieure, et, en l’agitant de haut en bas et de droite à gauche, il produit des mouvements qui répondent à une sorte de grossier code télégraphique.

Au lever du jour, la crinière de Kotick se tenait debout toute seule, et sa patience était partie où vont les crabes morts. Alors, les vaches marines entreprirent de voyager très lentement du côté du nord, en s’arrêtant souvent pour tenir d’absurdes conciliabules tout en saluts grotesques, et Kotick les suivit en se disant:

– Des gens aussi idiots que cela se seraient fait massacrer depuis longtemps s’ils n’avaient découvert quelque île sûre, et ce qui est assez bon pour Sea Cow est assez bon pour Sea Catch… C’est égal, j’aimerais qu’ils se dépêchent.

Ce fut un voyage harassant pour Kotick. Le troupeau des vaches marines ne parcourait jamais plus de quarante ou cinquante milles par jour, s’arrêtait la nuit pour brouter et suivait la côte tout le temps, pendant que Kotick nageait autour, par-dessus et par-dessous, mais sans parvenir à lui faire faire un pas de plus. A mesure qu’elles avançaient vers le nord, elles tenaient un conseil en saluts toutes les quelques heures, et Kotick s’était presque rongé la moustache d’impatience lorsqu’il s’aperçut qu’elles remontaient un courant d’eau plus chaude. Alors, il se sentit quelque respect pour elles. Une nuit, elles se laissèrent couler à travers l’eau luisante – couler comme des pierres – et, pour la première fois depuis qu’il les connaissait, elles se mirent à nager vite. Kotick suivit, étonné de leur allure; il n’avait jamais rêvé que Sea Cow existât comme nageur. Elles mirent le cap sur une falaise du rivage, une falaise dont le pied courait sous l’eau profonde et dans laquelle s’ouvrait un trou noir, par vingt brasses de profondeur. Ce fut un long, très long parcours, et Kotick avait grand besoin d’air frais en émergeant du boyau sombre à travers lequel on l’avait conduit.

– Par ma perruque, – dit-il, en débouchant en eau libre, à l’autre extrémité, tout suffoquant et soufflant. – C’est un long plongeon, mais il en vaut la peine.

Les vaches marines s’étaient séparées et paissaient paresseusement sur les bords des plus belles grèves que Kotick eût jamais vues. Il y avait de longues bandes de rochers, polis par l’usure de l’eau, s’étendant sur des lieues, exactement adaptés à l’installation de nurseries phoques; et il y avait en arrière et remontant en pente douce, des terrains de jeu en sable dur; il y avait des lames pour y danser, de l’herbe drue pour s’y rouler, des dunes à escalader et à dégringoler; et, par-dessus tout, Kotick connut au toucher de l’eau, qui ne trompe pas un Sea Catch, que jamais homme n’était venu dans ces parages. La première chose qu’il fit, ce fut de s’assurer si la pêche était bonne; puis, il nagea le long des grèves et compta les délectables îlots bas et sablonneux à demi cachés dans la brume vagabonde. Au nord, s’étendait une ligne de fonds, d’écueils et de rochers qui ne permettrait jamais à un navire d’approcher à plus de six milles du rivage; entre les îles et la terre courait un canal d’eau profonde où plongeait la falaise perpendiculaire; et, quelque part au-dessous des falaises, s’ouvrait la bouche du tunnel.

– C’est un autre Novastoshnah, dit Kotick, mais dix fois mieux. Sea Cow doit être moins bête que je ne croyais. Les hommes mêmes, s’il y avait ici des hommes, ne pourraient pas descendre des falaises, et les récifs, du côté de la mer, réduiraient un navire en charpie. S’il est un lieu sûr dans la mer, c’est celui-ci.

Il se prit à penser à celle qui était restée à l’attendre; mais quoiqu’il eût hâte de rentrer à Novastoshnah, il explora complètement le nouveau pays, afin d’être en état de répondre à toutes les questions.

Puis il plongea, reconnut une fois pour toutes l’embouchure du tunnel, et l’enfila dans la direction du sud. Personne autre qu’une vache marine ou un phoque n’aurait soupçonné l’existence d’une telle retraite, et, en se retournant vers les falaises, Kotick lui-même doutait d’y avoir abordé jamais.

Il mit dix jours à rentrer, quoique sans perdre de temps en route; et, en prenant terre au-dessus de Sea Lion’s Neck, la première personne qu’il rencontra fut celle qu’il avait laissée à l’attendre. Elle comprit par le regard de ses yeux qu’enfin il avait trouvé son île.

Mais les holluschickies, Sea Catch son père lui-même, et tous les autres phoques se moquèrent de lui quand il leur conta ce qu’il avait découvert, et un jeune phoque d’à peu près son âge lui dit:

– Tout cela est bel et bon, Kotick, mais tu ne vas pas arriver du diable sait où pour nous y expédier à ta guise. Rappelle-toi que nous autres, nous venons de nous battre pour nos nurseries, ce que tu n’as jamais fait. Tu préfères vagabonder à travers la mer.

Les autres phoques éclatèrent de rire à ces paroles, et le jeune phoque se mit à hocher la tête de gauche et de droite. Il s’était marié cette année et en faisait beaucoup d’état.

– Pourquoi me battrais-je, puisque je n’ai pas de nursery, dit Kotick. Je veux seulement vous montrer un endroit où vous serez en sûreté. A quoi bon se battre?

– Oh! si tu te dérobes, bien entendu, je n’ai plus rien à dire, fit le jeune phoque avec un vilain ricanement.

– Viendras-tu avec moi, si j’ai le dessus? demanda Kotick.

Et une lueur verte lui traversa les yeux, car il était furieux d’avoir à se battre.

– Fort bien, dit le jeune phoque avec légèreté, si tu as le dessus, je viens.

Il n’eut pas le temps de changer d’avis, car la tête de Kotick s’était détendue et ses dents crochaient dans le gras du cou de son adversaire. Puis, il se rabattit sur ses hanches, et traîna son ennemi le long de la grève, le secoua et le jeta à terre pour en finir.

Alors Kotick, s’adressant aux phoques, rugit:

– J’ai fait de mon mieux pour votre bien, au cours des cinq dernières saisons. Je vous ai trouvé l’île où vous serez en sécurité. Mais, à moins d’arracher vos têtes à vos sottes épaules, vous ne me croirez pas. Eh bien, je vais vous apprendre maintenant. Garde à vous!

Limmershin m’a dit que jamais de sa vie – et Limmershin voit dix mille grands phoques se battre tous les ans – que jamais, dans toute sa petite vie, il n’avait vu rien de pareil à la charge de Kotick à travers les nurseries. Il se jeta sur le plus gros Sea Catch qu’il put trouver, le happa à la gorge, l’étrangla, le cogna et l’assomma, jusqu’à ce que l’autre poussât le grognement de miséricorde, puis le jeta de côté et attaqua le suivant. Voyez-vous, Kotick n’avait jamais jeûné quatre mois durant, selon la coutume annuelle des grands phoques; ses courses en haute mer l’avaient gardé en parfaite condition, et, par-dessus tout, il ne s’était jamais encore battu. Toute blanche, sa crinière frisée se hérissait de colère, ses yeux flamboyaient, ses grandes canines brillaient: il était splendide à voir. Le vieux Sea Catch, son père, le vit passer comme une trombe, traînant sur le sable les vieux phoques grisonnants, comme autant de plies, et culbutant les jeunes dans tous les sens, et Sea Catch rugit et cria:

 

– Il est peut-être fou, mais c’est le meilleur champion des grèves! N’attaque pas ton père, mon fils! Il est pour toi!

Kotick rugit pour toute réponse, et le vieux Sea Catch entra dans la lutte en se dandinant, la moustache hérissée, et soufflant comme une locomotive, tandis que Matkah et la fiancée de Kotick s’accroupissaient pour suivre le spectacle, et admiraient leurs hommes. Ce fut une magnifique bataille, car l’un et l’autre se battirent aussi longtemps qu’il resta un seul phoque à oser lever la tête; et, lorsqu’il n’en resta plus, ils paradèrent fièrement sur la grève, côte à côte, en mugissant.

A la nuit, comme les feux boréaux commençaient à scintiller et à danser à travers le brouillard, Kotick escalada un rocher nu et contempla les nurseries dispersées, les phoques meurtris et saignants.

– Maintenant, dit-il, je vous ai donné la leçon que vous méritiez.

– Par ma perruque – dit le vieux Sea Catch en se redressant avec raideur, car il était terriblement courbaturé – Killer Whale ne les aurait pas plus mal arrangés… Fils, je suis fier de toi… et mieux, je viendrai, moi, à ton île… si elle existe.

– Écoutez, lourds pourceaux de la mer. Qui m’accompagne au tunnel de Sea Cow?.. Répondez ou je recommence la leçon, rugit Kotick.

Il y eut un murmure, pareil au frisselis de la marée, sur toute l’étendue des grèves.

– Nous viendrons, dirent des milliers de voix lasses. Nous suivrons Kotick, le Phoque Blanc.

Alors, Kotick enfonça sa tête entre ses épaules et ferma les yeux, orgueilleusement. Ce n’était plus un phoque blanc, en ce moment, mais il était rouge de la tête à la queue. Malgré cela, il eût dédaigné de regarder ou de toucher une seule de ses blessures.

Une semaine plus tard, lui et son armée (environ un millier de holluschickies et de vieux phoques pour le moment) partirent vers le nord, vers le tunnel des Vaches-Marines. Kotick les guidait. Et les phoques qui demeurèrent à Novastoshnah les traitèrent de fous. Mais, le printemps suivant, quand ils se retrouvèrent tous parmi les bancs de pêche du Pacifique, les phoques de Kotick firent de tels récits des grèves d’au delà le tunnel de Sea Cow, que des phoques de plus en plus nombreux quittèrent Novastoshnah. Sans doute, cela ne se fit pas tout de suite, car les phoques ne sont pas des gens fort malins, et il leur faut du temps pour peser le pour et le contre des choses; mais, d’année en année, un plus grand nombre d’entre eux s’en allaient de Novastoshnah, de Lukannon et des autres nurseries, vers les calmes grèves abritées où Kotick trône tout l’été, plus grand chaque année, plus gros et plus fort pendant que les holluschickies jouent autour de lui, en cette mer où nul homme ne vient.

LUKANNON

(Ceci est une sorte d’hymne national phoque, sur le mode triste.)
 
Au matin, j’ai trouvé mes frères (oh! que je suis vieux!)
Là-bas où la houle d’été rugit aux caps rocheux.
Leur chœur montant couvre le chant des brisants, et de joie
Chante, grève de Lukannon, par deux millions de voix!
 
 
Chantez la lente sieste, au bord de la lagune,
Les escadrons soufflant qui descendent les dunes,
Les danses, aux minuits fouettés de feux marins,
Grève de Lukannon, avant que l’homme vînt!
 
 
Au matin, j’ai trouvé mes frères (jamais, jamais plus!);
Ils obscurcissaient le rivage, ils allaient par tribus;
Du plus loin que portait la voix au large de la mer,
Nous hélions les bandes en route et leur chantions la terre!
 
 
Grève de Lukannon… l’avoine aux longs épis,
La brume ruisselante, et lichens en tapis,
Les plateaux de nos jeux et leurs roches usées,
Grève de Lukannon… ô plage où je suis né!
 
 
Au matin, j’ai trouvé mes frères, tristes, solitaires;
Qu’on nous fusille dans l’eau, qu’on nous assomme sur terre,
Que l’homme nous mène au saloir, sot bétail orphelin,
Pourtant nous chantons Lukannon… avant que l’homme vînt.
 
 
En route, au Sud, au Sud… ô Goverooshka, va,
Dis notre deuil aux Rois des Mers tandis qu’hélas,
Vide bientôt ainsi que l’œuf du requin mort,
Grève de Lukannon, tu nous connais encore!
 

«RIKKI-TIKKI-TAVI»

 
L’Œil-Rouge à la Peau-Ridée
Au trou devant lui dardée,
L’Œil-Rouge a crié très fort:
Viens danser avec la mort!
Œil à œil, et tête à tête,
(En mesure, Nag)
L’un mort, finira la fête
(A ta guise, Nag)
Tour pour tour, et rond pour rond
(Cours, cache-toi, Nag)
Manqué!.. mort à Chaperon!
(Malheur à toi, Nag!)
 

Ceci est l’histoire de la grande guerre que Rikki-tikki-tavi livra tout seul dans les salles de bain du grand bungalow, au cantonnement de Segowlee. Darzee, l’oiseau-tailleur, l’aida, et Chuchundra, le rat-musqué, qui n’ose jamais marcher au milieu du plancher, mais se glisse toujours le long du mur, lui donna un avis; mais Rikki-tikki fit la vraie besogne.

C’était une mangouste. Il rappelait assez un petit chat par la fourrure et la queue, mais plutôt une belette par la tête et les habitudes. Ses yeux étaient roses comme le bout de son nez affairé; il pouvait se gratter partout où il lui plaisait, avec n’importe quelle patte, de devant ou de derrière, à son choix; il pouvait gonfler sa queue jusqu’à ce qu’elle ressemblât à un goupillon pour nettoyer les bouteilles, et son cri de guerre, lorsqu’il louvoyait à travers l’herbe longue, était: Rikk-tikk-tikki-tikki-tchk!

Un jour, les hautes eaux de l’été l’entraînèrent, hors du terrier où il vivait avec son père et sa mère, et l’emportèrent, battant des pattes et gloussant, le long d’un fossé qui bordait une route. Il trouva là une petite touffe d’herbe qui flottait, et s’y cramponna jusqu’à ce qu’il perdît le sentiment. Quand il revint à la vie, il gisait au chaud soleil, au milieu d’une allée de jardin, très mal en point il est vrai, et un petit garçon disait:

– C’est une mangouste morte. Faisons-lui un enterrement.

– Non, dit la mère, prenons-la pour la sécher. Peut-être n’est-elle pas morte pour de bon.

Ils l’emportèrent dans la maison, où un homme le prit entre son pouce et son index, et dit qu’il n’était pas mort, mais seulement à moitié suffoqué; alors ils l’enveloppèrent dans du coton, l’exposèrent à la chaleur d’un feu doux… et Rikki-tikki ouvrit les yeux et éternua.

– Maintenant, – dit l’homme (c’était un anglais qui venait justement de s’installer dans le bungalow), – ne l’effrayez pas, et nous allons voir ce qu’elle va faire.

C’est la chose la plus difficile du monde que d’effrayer une mangouste, parce que de la tête à la queue elle est dévorée de curiosité. La devise de toute la famille est: «Cherche et trouve,» et Rikki-tikki était une vraie mangouste. Il regarda la bourre de coton, décida que ce n’était pas bon à manger, courut tout autour de la table, s’assit, remit sa fourrure en ordre, se gratta, et sauta sur l’épaule du petit garçon.

– N’aie pas peur, Teddy, dit son père. C’est sa manière d’entrer en amitié.

– Ouch! Elle me chatouille sous le menton, – dit Teddy.

Rikki-tikki plongea son regard entre le col et le cou du petit garçon, flaira son oreille, et descendit sur le plancher où il s’assit en se frottant le nez.

– Doux Jésus, dit la mère de Teddy, et c’est cela qu’on appelle une bête sauvage! Je suppose que si elle est à ce point apprivoisée, c’est que nous avons été bons pour elle.

– Toutes les mangoustes sont comme cela, dit son mari. Si Teddy ne lui tire pas la queue ou n’essaie pas de la mettre en cage, elle courra à travers la maison toute la journée. Donnons-lui quelque chose à manger.

Ils lui donnèrent un petit morceau de viande crue. Rikki-tikki trouva cela excellent, et quand il eut fini, il sortit sous la véranda, s’assit au soleil, et fit bouffer sa fourrure pour la sécher jusqu’aux racines. Puis, il se sentit mieux.

– Il y a plus à découvrir dans cette maison, se dit-il, que tous les gens de ma famille n’en découvriraient pendant toute leur vie. Je resterai, certes, et trouverai.

Il employa tout le jour à parcourir la maison. Il se noya presque dans les tubs, mit son nez dans l’encre sur un bureau, et le brûla au bout du cigare de l’homme, en grimpant sur ses genoux pour voir comment on s’y prenait pour écrire. A la tombée de la nuit, il courut dans la chambre de Teddy pour regarder comment on allumait les lampes à pétrole; et quand Teddy se mit au lit, Rikki-tikki y grimpa aussi. Mais c’était un compagnon agité, parce qu’il lui fallait, toute la nuit, se lever pour répondre à chaque bruit et en trouver la cause. La mère et le père de Teddy vinrent jeter un dernier coup d’œil à leur petit garçon, et trouvèrent Rikki-tikki tout éveillé sur l’oreiller.

– Je n’aime pas cela, – dit la mère de Teddy – il pourrait mordre l’enfant.

– Il ne fera rien de pareil, dit le père, Teddy est plus en sûreté avec cette petite bête que s’il avait un braque pour le garder… Si un serpent entrait dans la chambre maintenant…

Mais la mère de Teddy ne voulait pas même songer à de pareilles horreurs.

De bonne heure, le matin, Rikki-tikki vint au premier déjeuner sous la véranda, porté sur l’épaule de Teddy; on lui donna une banane et un peu d’œuf à la coque, et il se laissa prendre sur leurs genoux aux uns après les autres, parce qu’une mangouste bien élevée espère toujours devenir à quelque moment une mangouste domestique, et avoir des chambres pour courir au travers. Or, la mère de Rikki-tikki (elle avait habité autrefois la maison du général à Segowlee) avait soigneusement instruit son fils de ce qu’il devait faire si jamais il rencontrait des hommes blancs.

Puis, Rikki-tikki sortit dans le jardin pour voir ce qu’il y avait à voir. C’était un grand jardin, seulement à moitié cultivé, avec des buissons de roses Maréchal Niel aussi gros que des kiosques, des citronniers et des orangers, des bouquets de bambous et des fourrés de hautes herbes. Rikki-tikki se lécha les lèvres.

– Voilà un splendide terrain de chasse, dit-il.

A cette pensée, sa queue se hérissa en goupillon, et il s’était mis à courir de haut en bas et de bas en haut du jardin, flairant de tous côtés, lorsqu’il entendit les voix les plus lamentables sortir d’un buisson épineux.

C’était Darzee, l’oiseau-tailleur, et sa femme. Ils avaient fait un beau nid en rapprochant deux larges feuilles dont ils avaient cousu les bords avec des fibres, et rempli l’intérieur de coton et de bourres duveteuses. Le nid se balançait de côté et d’autre, tandis qu’ils pleuraient, perchés à l’entrée.

– Qu’est-ce que vous avez? demanda Rikki-tikki.

– Nous sommes très malheureux, dit Darzee. Un de nos bébés, hier, est tombé du nid, et Nag l’a mangé.

– Hum! dit Rikki-tikki, voilà qui est fort triste… Mais je suis étranger ici. Qui est-ce, Nag?

Darzee et sa femme, pour toute réponse, se blottirent dans leur nid, car, de l’épaisseur de l’herbe, au pied du buisson, sortit un sifflement sourd… un horrible son glacé… qui fit sauter Rikki-tikki de deux pieds en arrière. Alors, pouce par pouce, s’éleva de l’herbe la tête au capuchon étendu de Nag, le gros cobra noir, qui avait bien cinq pieds de long de la langue à la queue. Lorsqu’il eut soulevé un tiers de son corps au-dessus du sol, il resta à se balancer de droite et de gauche, exactement comme se balance dans le vent une touffe de pissenlit, et il regarda Rikki-tikki avec ces yeux mauvais du serpent, qui ne changent jamais d’expression, quelle que soit sa pensée.

– Qui est-ce, Nag? dit-il. C’est moi, Nag. Le grand Dieu Brahma a mis sa marque sur tout notre peuple, quand le premier cobra eut étendu son capuchon pour préserver Brahma du soleil pendant qu’il dormait… Regarde, et tremble!

Il étendit plus que jamais son capuchon, et Rikki-tikki vit sur son dos la marque des lunettes, qui ressemble plus exactement à l’œillet d’une fermeture d’agrafe.

 

Il eut peur une minute; mais il est impossible à une mangouste d’avoir peur longtemps, et, bien que Rikki-tikki n’eût jamais encore rencontré de cobra vivant, sa mère l’avait nourri de cobras morts et il savait bien que la grande affaire de la vie d’une mangouste adulte est de faire la guerre aux serpents et de les manger. Nag le savait aussi, et, tout au fond de son cœur glacé, il avait peur.

– Eh bien, – dit Rikki-tikki, et sa queue se gonfla de nouveau, – marqué ou non, pensez-vous qu’on ait le droit de manger les petits oiseaux qui tombent des nids?

Nag réfléchissait et surveillait les moindres mouvements de l’herbe derrière Rikki-tikki. Il savait qu’une mangouste dans le jardin signifiait, plus tôt ou plus tard, la mort pour lui et sa famille; mais il voulait mettre Rikki-tikki hors de ses gardes. Aussi laissa-t-il retomber un peu sa tête, et la pencha-t-il de côté.

– Causons, dit-il… Vous mangez bien des œufs. Pourquoi ne mangerions-nous pas des oiseaux?

– Derrière vous!.. Regardez derrière-vous! chanta Darzee.

Rikki-tikki en savait trop pour perdre son temps à ouvrir de grands yeux. Il sauta en l’air aussi haut qu’il put, et, juste au-dessous de lui siffla la tête de Nagaina, la mauvaise femme de Nag. Elle avait rampé par derrière pendant la conversation, afin d’en finir tout de suite; et Rikki-tikki entendit son sifflement de rage lorsqu’elle vit son coup manqué. Il retomba presque en travers de son dos, et s’il avait été une vieille mangouste, il aurait su que c’était alors le moment de lui briser les reins d’un coup de dent; mais il eut peur du terrible coup de fouet en retour du cobra. Il mordit, il est vrai, mais pas assez longtemps, et sauta hors de portée de la queue cinglante, laissant Nagaina meurtrie et furieuse.

– Méchant, méchant Darzee! dit Nag.

Et il fouetta l’air aussi haut qu’il pouvait atteindre dans la direction du nid au milieu du buisson d’épines; mais Darzee l’avait construit hors de l’atteinte des serpents, et le nid ne fit que se balancer de côté et d’autre.

Rikki-tikki sentit ses yeux devenir rouges et brûlants (quand les yeux d’une mangouste deviennent rouges, elle est en colère), et il s’assit sur sa queue et ses jambes de derrière comme un petit kanguroo, regarda tout autour de lui, et claqua des dents de rage. Mais Nag et Nagaina avaient disparu dans l’herbe. Lorsqu’un serpent manque son coup, il ne dit jamais rien ni ne laisse rien deviner de ce qu’il a l’intention de faire ensuite. Rikki-tikki ne se souciait pas de les suivre, car il ne se sentait pas sûr de venir à bout de deux serpents à la fois. Aussi trotta-t-il vers l’allée sablée près de la maison, et s’assit-il pour réfléchir. C’était pour lui une sérieuse affaire.

Si vous lisez les vieux livres d’histoire naturelle, vous verrez qu’ils disent que lorsqu’une mangouste combat contre un serpent, et qu’il lui arrive d’être mordue, elle se sauve pour manger quelque herbe qui la guérit. Ce n’est pas vrai. La victoire est seulement une affaire d’œil vif et de pied prompt, détente de serpent contre saut de mangouste, et, comme aucun œil ne peut suivre le mouvement d’une tête de serpent lorsqu’elle frappe, il s’agit là d’un prodige plus étonnant que des herbes magiques n’en pourraient opérer.

Rikki-tikki savait qu’il était une jeune mangouste, et n’en fut que plus satisfait d’avoir su éviter si adroitement un coup porté par derrière. Il en tira de la confiance en lui-même, et lorsque Teddy descendit en courant le sentier, Rikki-tikki se sentait disposé à être flatté. Mais, juste au moment où Teddy se penchait, quelque chose se tortilla un peu dans la poussière, et une toute petite voix dit:

– Prenez garde, je suis la Mort!

C’était Karait, le minuscule serpent brun, couleur de sable, qui aime à se dissimuler dans la poussière. Sa morsure est aussi dangereuse que celle du cobra; mais il est si petit que personne n’y prend garde, aussi n’en fait-il que plus de mal.

Les yeux de Rikki-tikki devinrent rouges de nouveau, et il remonta en dansant vers Karait, avec ce balancement particulier et cette marche ondulante qu’il avait hérités de sa famille. Cela paraît très comique, mais c’est une allure si parfaitement balancée, qu’à n’importe quel angle on peut en changer soudain la direction: ce qui, lorsqu’il s’agit de serpents, est un avantage. Rikki ne s’en rendait pas compte, mais il faisait là une chose beaucoup plus dangereuse que de combattre Nag: Karait est si petit et peut se retourner si facilement qu’à moins que Rikki ne le mordît à la partie supérieure du dos tout près de la tête, il pouvait, d’un coup en retour, l’atteindre à l’œil ou à la lèvre. Mais Rikki ne savait pas; ses yeux étaient tout rouges, et il se balançait d’arrière en avant, cherchant la bonne place à saisir. Karait s’élança. Rikki sauta de côté et essaya de courir dessus, mais la méchante petite tête grise et poudreuse siffla à un cheveu de son épaule, et il lui fallut bondir par-dessus le corps, tandis que la tête suivait de près ses talons.

Teddy héla du côté de la maison:

– Oh, venez voir! Notre mangouste est en train de tuer un serpent.

Et Rikki-tikki entendit la mère de Teddy pousser un cri tandis que le père se précipitait dehors avec un bâton; mais, dans le temps qu’il venait, Karait avait poussé une botte imprudente, et Rikki-tikki avait bondi, sauté sur le dos du serpent, laissé tomber sa tête très bas entre ses pattes de devant, mordu au dos le plus haut qu’il pouvait atteindre, et roulé au loin. Cette morsure paralysa Karait, et Rikki-tikki allait le dévorer en commençant par la queue, suivant la coutume de sa famille à dîner, lorsqu’il se rappela qu’un repas copieux appesantit une mangouste, et que, pouvant avoir besoin sur l’heure de toute sa force et de toute son agilité, il lui fallait rester à jeun. Il s’en alla prendre un bain de poussière sous des touffes de ricins, tandis que le père de Teddy frappait le cadavre de Karait.

– A quoi cela sert-il? pensa Rikki-tikki; j’ai tout terminé.

Et alors la mère de Teddy le prit dans la poussière, et le serra dans ses bras, en pleurant qu’il avait sauvé Teddy de la mort; et le père de Teddy déclara qu’il était une providence; et Teddy regarda tout cela avec de grands yeux effarés.

Rikki-tikki se divertissait plutôt de tous ces embarras que naturellement il ne comprenait pas. La mère de Teddy aurait aussi bien pu caresser l’enfant pour avoir joué dans la poussière. Rikki s’amusait on ne peut plus.

Ce soir-là, à dîner, en se promenant de côté et d’autre parmi les verres sur la table, il lui aurait été facile de se bourrer de bonnes choses trois fois plus qu’il ne fallait, mais il avait Nag et Nagaina présents à la mémoire, et bien que ce fût fort agréable d’être flatté et choyé par la mère de Teddy, et de rester sur l’épaule de Teddy, ses yeux devenaient rouges de temps en temps, et il partait en son long cri de guerre: Rikk-tikk-tikki-tikki-tchk!

Teddy l’emmena coucher, et insista pour qu’il dormît sous son menton. Rikki-tikki était trop bien élevé pour mordre ou égratigner. Mais, aussitôt que Teddy fut endormi, il s’en alla faire sa ronde de nuit autour de la maison, et, dans l’obscurité, se heurta, en courant, contre Chuchundra, le rat-musqué, qui rampait le long du mur.

Chuchundra est une petite bête au cœur brisé. Il pleurniche et pépie toute la nuit, en essayant de se remonter le moral pour courir au milieu des chambres; mais jamais il n’y arrive.

– Ne me tuez pas, – dit Chuchundra, presque en pleurant. – Rikki-tikki, ne me tuez pas!

– Pensez-vous qu’un tueur de serpents tue des rats musqués? dit Rikki-tikki avec mépris.

– Ceux qui tuent les serpents seront tués par les serpents, – dit Chuchundra, avec plus de douleur que jamais. – Et comment puis-je être sûr que Nag ne me prendra pas pour vous par quelque nuit sombre?

– Il n’y a pas le moindre danger, dit Rikki-tikki; car Nag est dans le jardin, et je sais que vous n’y allez pas.

– Mon cousin Chua, le rat, m’a raconté… commença Chuchundra.

Et alors, il s’arrêta.

– Vous a raconté quoi?

– Chut! Nag est partout, Rikki-tikki. Vous auriez dû parler à Chua dans le jardin.

– Je ne lui ai pas parlé… Donc, il faut me dire. Vite, Chuchundra, ou je vais vous mordre!

Chuchundra s’assit, et pleura au point que les larmes coulaient le long de ses moustaches.

– Je suis un très pauvre homme, sanglota-t-il. Je n’ai jamais assez de courage pour trotter au milieu des chambres… Chut! Je n’ai besoin de rien vous dire… N’entendez-vous pas, Rikki-tikki?

Rikki-tikki écouta. La maison était aussi tranquille que possible, mais il pensa entendre un imperceptible cra-cra… un bruit aussi léger que celui d’une guêpe marchant sur un carreau de vitre… un grattement sec d’écailles sur la brique.

– C’est Nag ou Nagaina, se dit-il, qui est en train de ramper dans le conduit de la salle de bain… Vous avez raison, Chuchundra, j’aurais dû parler à Chua.

1Personnage de «Alice in Sunderland», livre humouristique très populaire en Angleterre. Il s’agit d’un valet de pied qui salue toujours et ne répond jamais.